Les enquêtes d’opinion confirment que la population française n’a guère confiance dans le personnel politique, et guère davantage dans les média, qu’elle soupçonne de collusion avec les premiers.
En février, l’affaire de la viande de cheval, insérée dans certains plats cuisinés censés ne contenir que du bœuf, a relancé les soupçons sur les trafics commerciaux que le libéralisme européen a favorisés. Quand on voit que le circuit part de Boulogne s/Mer, passe par une société de Metz, qui est en lien avec sa filiale luxembourgeoise, qui s’adresse à une maison pyrénéenne, laquelle passe par un trader chypriote, en connexion avec un trader néerlandais qui commande de la viande en Roumanie, laquelle revient dans les Pyrénées, comment un circuit aussi délirant pourrait-il ne pas cacher de sombres manigances industrielles et financières ? Oui, corruption il y a. Et dénégations il y aura, avant que la justice et la presse, heureusement peu corrompues chez nous, ne finissent par apporter un démenti aux dénégations, en prenant la main dans le sac les voleurs, même s’ils persistent à dire : « J’ai rien fait. »
Magouiller : une habitude
Ce qui est inquiétant, c’est que la corruption, en s’installant, s’insinue dans les mentalités, devient une habitude. Et on constate à quel point certains pays de l’Europe de l’Est, habitués à jongler avec des pouvoirs aussi malhonnêtes que dictatoriaux, ont toutes les peines du monde à assainir leurs mœurs commerciales et politiques. Ce danger est d’actualité en Europe de l’Ouest, où le développement des inégalités incite les riches à toujours plus de rapacité et les pauvres à toujours plus de système D.
Le corrompu, c’est toujours l’autre. Et à ce compte-là, si personne ne décide de vérifier d’abord son propre mode de vie, nous n’avons que peu d’espoir de voir la situation se clarifier. Cela concerne aussi toute la question des « niches fiscales », des « avantages acquis », de tous ces privilèges collectifs grignotés au fil de la vie politique, et dont certains sont devenus injustifiables.
Exploiter Dieu ?
Cette mentalité a gangrené même la vie spirituelle. Certes, quand on se tourne vers Dieu, ce n’est pas dans le but délibéré d’aller plus mal, et il n’est pas illégitime de penser que la vie sera, sinon plus facile, du moins plus heureuse avec Dieu : « Oui, le bonheur et la fidélité m’accompagneront tous les jours de ma vie… »(1). Cette question mériterait un développement à part, car elle n’est pas simple. Néanmoins, un philosophe incroyant faisait remarquer à juste titre qu’il y a plus de noblesse à aimer son prochain sans rien attendre en retour, qu’à l’aimer dans l’espoir d’un au-delà plein de bonheur. On marchande son salut contre des actions ou même contre une certaine quantité de foi et, quoi qu’on en dise, le protestantisme n’échappe pas à cette tentation.
Le psalmiste est bien conscient de l’importance d’aimer Dieu pour lui-même et pas seulement pour le bien qu’il nous fait : « Incline mon cœur vers tes exigences, et non vers le profit »(2).
Quand on aime vraiment une personne, qu’il s’agisse de ses enfants, de son conjoint, ou même de ses amis, on l’aime tout court, que sa compagnie soit « rentable » ou non. La corruption, c’est exactement l’inverse : soutirer, extraire tout ce qu’on peut des gens qui nous entourent. Presser le citron, et le jeter quand il ne reste plus que la peau. Puis aller presser d’autres citrons.