Les chansons sur le thème de la solitude abondent. Le plus étonnant, c’est qu’elles sont souvent interprétées par des vedettes qui sont extrêmement entourées. Il y a à la fois une part de mise en scène de soi – les paroles sont du sur-mesure pour l’artiste lui-même – et une part de mise en scène tout court, au sens où ça fait pleurer dans les chaumières.
Pleurez sur moi
Ainsi, le déchirant Yer blues composé par John Lennon a des accents d’authenticité (Lennon était quelqu’un de très tourmenté) : Oui je suis seul, j’ai envie de mourir (...)/ Le matin, j’ai envie de mourir/ Le soir, j’ai envie de mourir (...)/ L’aigle me crève les yeux/ Le ver me lèche les os/ Je suis suicidaire/ Comme le Mr. Jones de Bob Dylan. Or, on apprend que Yer blues était largement un exercice de style des Beatles pour prouver que les noirs n’étaient pas les seuls à savoir chanter le blues – exercice réussi !
Dans le même genre, Johnny Hallyday (qui fit autrefois une tentative de suicide) n’est pas en reste. Il interpréta notamment, de manière très convaincante, « La solitude » : Moi je n’ai plus rien à te donner/ Mon cœur est une ville abandonnée/ Mes yeux sont secs d’avoir trop pleuré/ Laisse-moi, tu ne peux pas m’aider/ (...)/ La solitude est un grand pays/ J’y vivrai le reste de ma vie/ Et quand la neige de cet hiver/ Recouvrira les arbres et la terre/ Je m’enfermerai dans mon chagrin/ Tout seul avec mon chien.
On voit bien qu’il y a une sorte de complaisance dans le fait d’être incompris, laissé à l’écart : je suis seul, mais laisse-moi seul, laisse-moi chialer dans mon coin. Bizarrement, il y a quelque chose de beau dans le malheur, et le blues est l’art d’être heureux d’être malheureux.
Un Dieu qui nous secoue
Malgré ces propos un peu sarcastiques, je parle d’expérience : la solitude, je l’ai connue. L’apitoiement sur soi aussi. Cependant, quand on traverse ces périodes avec le Christ, par définition on n’est plus seul dans l’épreuve. Mais ce n’est pas forcément agréable, car on s’aperçoit rapidement que notre Seigneur ne nous conforte pas dans cet apitoiement.
Pourtant, il connaît le sujet, lui qui se retirait dans le désert pour y prier son Père, lui qui a connu la solitude et l’abandon au jardin de Gethsémani, juste avant son arrestation, au moment où il aurait eu le plus besoin de soutien. Il nous secoue, il nous remet en cause, nous pousse à analyser pourquoi nous sommes restés cloués ou pourquoi nous sommes retombés dans l’isolement ; ou encore pourquoi, par notre comportement, nous faisons fuir les autres – les gens seuls oscillent entre le repli sur soi et l’envahissement. Enfin, je suis frappé de voir tant de gens accuser Dieu d’être absent tout en persistant à se battre seuls contre l’adversité. Dans cette lutte, l’incroyance se mêle à la fierté. Ce n’est pas facile d’accepter de l’aide, celle des autres, et celle de Dieu. La solitude peut être du narcissisme.
La solitude est un grand pays, mais nous ne sommes pas appelés à y vivre le reste de notre vie. À la fin du « Chanteur abandonné », Johnny Hallyday conclut ainsi : Vivre, c’est partager / Jamais abandonner.