Après Théologie pour tous (Pour une foi réfléchie, 2011, 928 p.) et Repères éthiques pour tous (Vivre en chrétien aujourd’hui, 2015, 800 p.), voici Apologétique pour tous (Une foi, des arguments, 2021, 992 p.), publié par La Maison de la Bible qui offre ainsi au grand public évangélique un manuel de grande qualité sur un domaine de la théologie qui a le vent en poupe.
On y retrouve ce qui a fait le succès des deux précédents volumes : une présentation agréable, une pédagogie éprouvée et des contributeurs doués.
Cette fois, Alain Nisus, que l’on ne présente plus dans cette revue, s’est adjoint les services de Lydia Jaeger, directrice des études de l’Institut biblique de Nogent, docteur en philosophie des sciences dont les recherches portent sur les relations entre sciences de la nature, théologie et philosophie (https://ljaeger.ibnogent.org/), pour codiriger cette publication. Cette dernière a d’ailleurs largement contribué à la rédaction puisqu’elle a écrit 16 articles et 4 introductions du volume. L’ensemble comprend 49 articles rédigés par vingt auteurs connus (outre Lydia Jaeger et Alain Nisus, il y a par exemple Émile Nicole, Frédéric Baudin, Daniel Hillion, Yannick Imbert ou Micaël Razzano). D’autres commencent à être connus ou gagnent à l’être (Gaël Archinard, Karim Arezki, Pierre Sovann Chauny, Laurent Clémenceau, Timothée Minard…). Neuf thématiques de l’apologétique sont abordées : les différentes approches apologétiques ; les arguments « théistes » en faveur de l’existence de Dieu ; les arguments des athées ; la fiabilité de la Bible ; les affirmations bibliques qui font difficulté ; le christianisme : une religion culpabilisante ? ; le mal et la souffrance ; la science et Dieu ; le christianisme face aux autres croyances.
Les 49 articles sont concis, précis, accessibles et remarquables par leur pédagogie. On retrouve les ingrédients qui ont fait de Pour une foi réfléchie un modèle de bonne vulgarisation : un appareil de notes réduit au minimum indispensable ; des rubriques éclairantes (« Gros plan », « Stop info », « Perspective historique ») ; des aides à la réflexion (« Foire aux questions », « Actives neurones ») ; des indications bibliographiques pour aller plus loin et un vocabulaire choisi, précis sans être inutilement technique.
Kierkegaard, rangé avec Pascal dans « L’apologétique de la subjectivité comblée : on ne peut être homme sans Dieu » (1.4, pp.93-110), fait ainsi l’objet d’un traitement équilibré et éclairant en quelques pages qui conduit Lydia Jaeger à écrire (pp.105s) :
« La lecture de Kierkegaard constitue un excellent antidote contre la tentation d’imaginer que la foi chrétienne aurait pour vocation de nous conforter dans nos convictions chéries, fussent-elles héritées de la tradition chrétienne, et de rendre notre vie sur terre plus agréable. Ses écrits respirent la radicalité du message biblique qui nous appelle à sortir de notre zone de confort pour suivre le Christ…
En revanche, nous ne pouvons pas suivre Kierkegaard dans l’opposition qu’il établit entre foi et raison. La véritable opposition n’est pas entre foi et raison, mais entre la raison rebelle, qui veut fonctionner sans se référer à Dieu, et la raison sanctifiée. »
Sur « La fiabilité de la Bible en question » (4, pp.353-453), on retrouve par exemple la finesse et l’honnêteté intellectuelle du professeur Émile Nicole quand il traite de « L’archéologie et l’histoire d’Israël » en reconnaissant que la fiabilité historique du récit biblique n’est que partiellement confirmée et qu’il invite le lecteur à une attitude de foi (pp.388) :
« [Le croyant] ne doit pas se sentir contraint "d’en rajouter" pour convaincre un interlocuteur hésitant ou hostile. Un simple exposé de la situation, faisant honnêtement la part entre ce qui est confirmé et ce que l’on est invité à croire sans en avoir la preuve, inspirera davantage la confiance et le respect. »
Dans cette même section, on découvre (pour ceux qui n’ont jamais lu les articles de son blog « Bible & Co » https://timotheeminard.com/) la solidité et la clarté de Timothée Minard sur « La fiabilité des évangiles » (p.394) :
« … il est tout à fait légitime d’utiliser la méthode et les critères des sciences historiques pour étudier l’historicité de Jésus. Toutefois, on aurait tort de dissocier radicalement le « Jésus de l’histoire » du « Christ de la foi ». Les chrétiens ont depuis toujours, et à juste titre, rattaché leur salut à l’œuvre accomplie historiquement par Jésus-Christ. »
Autre intérêt de cet ouvrage, ce sont « Les affirmations bibliques qui font difficulté » (5, pp.455 570) où sont abordées par exemple les questions de la violence, de la misogynie, de l’esclavage ou de l’homosexualité. Sur ce thème délicat, Gaël Archinard propose un traitement solide et équilibré. Il répond point par point aux lectures récentes qui minimisent, voire évacuent, la notion du péché. Il conteste l’accusation d’homophobie portée contre les chrétiens qui maintiennent que la pratique homosexuelle est un péché. Il reconnaît que « si la Bible n’est pas homophobe, on ne peut malheureusement pas toujours en dire autant de l’Église » (p.531) et il plaide pour que les personnes homosexuelles, désireuses de cheminer vers la foi en Jésus-Christ, soient accueillies et accompagnées avec grâce et vérité (p.533).
Enfin, sans prétendre avoir relevé toutes les pépites de cet imposant volume, j’attire votre attention sur une contribution en phase avec l’actualité et utile pour nos Églises multiethniques : « Le défi des religions traditionnelles africaines » par Alain Nisus (9.6, pp.943-958). En effet (p.943),
« les religions traditionnelles africaines font, de nos jours, l’objet d’un regain d’intérêt. Des Africains ou afro-descendants, agacés par la dévaluation de leur héritage culturel et religieux… produisent de nombreux efforts pour les revaloriser et appeler à un retour à ces religions, plus en phase avec les cultures africaines… On reproche ainsi au christianisme, perçu comme la religion de l’Occident, sa volonté de pourfendre l’idolâtrie supposée des autres, ainsi que sa prétention orgueilleuse à détenir la vérité en matière religieuse. »
Tout pasteur devrait avoir Une foi, des arguments dans sa bibliothèque et veiller à ce que son Église l’offre aux responsables impliqués dans la prédication et l’enseignement, notamment des jeunes et des ados.