INTRODUCTION
"Les Églises sont devenues des hôpitaux où des âmes malades du péché reçoivent de l'aspirine et assistent à des divertissements... Que Dieu nous pardonne, car nous sommes plus préoccupés par le nombre que par la sainteté. La croissance de l'Église est une croissance plutôt cancéreuse, et nous n'en sommes même pas conscients. " (p 34) Je prends la plume pour présenter un livre sur la discipline d'Église qui a marqué ma pensée et ma pratique. Il n'a pas été fait pour des spécialistes, mais il fera réfléchir les responsables des Églises locales. Plusieurs autres livres de John White, psychiatre canadien, (Le veau d'or, Le combat, L'Éros piétiné, etc.) ont été traduits en français. Pourquoi celui-ci n'a-t-il pas été retenu par nos éditeurs ? En le relisant, je trouve des imperfections, mais dans l'ensemble il est bien écrit et présente le thème de la discipline d'une façon qui ne manquera pas de frapper l'attention. A la différence d'autres ouvrages sur la question, qui s'attachent de près aux diverses formes de la pathologie, celui-ci a une approche plus positive, orientée vers la santé de l'Église. De nombreuses situations vécues sont présentées, et par moments il se lit presque comme un roman. Un exemple : l'auteur revient sur la situation scandaleuse qui existait dans l'Église de Corinthe. Tout le monde savait qu'un des membres vivait avec sa belle-mère. Paul écrit "Et vous êtes enflés d'orgueil ! Et vous n'avez pas plutôt pris le deuil..." (1Co 5.2).
Notre auteur commente (pp 103-4) : Prendre le deuil ? Les Églises prennent le deuil aux services funèbres. Nous ne prenons pas le deuil à cause de scandales. Nous aimons les scandales !... Nous les évoquons sur un ton de dévotion affectée. Nous disons combien nous sommes choqués, nous nous demandons où nous allons en venir... et nous croyons que nous déplorons vraiment le mal. Mais nous sommes en train de nous leurrer. Dans le monde chrétien nous n'avons plus l'habitude de prendre le deuil sur le péché... Pourquoi prendre le deuil ?... Prendre le deuil parce que l'Église a péché. Elle a brisé la communion avec le Dieu juste. Elle est tombée dans la léthargie et l'arrogance. Elle est trop égoïste pour se soucier du péché de ceux qui sont tombés, trop aveugle pour voir sa propre corruption. Elle a besoin de collyre afin de retrouver la vue. Elle a besoin de repentance et de vraie consolation.
"Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés", dit Jésus (Mt 5.4).
Bien des obstacles se dressent sur le chemin de celui qui veut exercer la discipline d'Église. Tout d'abord il y a une longue histoire d'abus et d'excès de discipline, qui nous incite à une prudence extrême. Il y a l'individualisme de notre culture occidentale en général, et des Gaulois en particulier. Il y a aussi une idée très répandue que l'enseignement biblique ou les expériences spirituelles suffisent pour produire la sainteté chez le peuple de Dieu... et on pourrait facilement en rallonger la liste.
L'APPRENTISSAGE DE LA DISCIPLINE
Pour illustrer son propos sur la valeur de la discipline, l'auteur raconte comment, en atteignant la cinquantaine, il a appris à nager le crawl, en ayant recours aux services d'un maitre nageur. Dans les semaines qui ont suivi, il a dû s'entraîner des heures durant en supportant bien des souffrances et des brimades. Cette formation n'avait rien de théorique alors que la formation de disciples, telle qu'elle est pratiquée par la plupart des Églises, se traduit essentiellement par une simple instruction biblique.
Avec le maître nageur, l'auteur avait fait une sorte de contrat oral : le maître nageur lui faisait l'apprentissage du crawl, et l'auteur s'engageait à l'écouter. Si l'auteur n'avait pas été sérieux, le maître nageur aurait pu arrêter l'instruction. Mais il voulait vraiment apprendre, et pour cette raison il a accepté des sacrifices et beaucoup de désagrément. La discipline d'Église est aussi un contrat mutuel et volontaire, car l'Église ne peut pas appliquer la discipline sans la coopération des membres. Cet accent sur le caractère volontaire de l'engagement est d'ailleurs un bon antidote aux abus.
En tant que membres du même corps, nous sommes redevables les uns aux autres, et responsables du bien-être de l'autre. Pour cette raison, notre espace privé rétrécit. Mais jusqu'à quel point devrions-nous nous exposer au regard des autres, ou nous intéresser aux détails de leur vie ?
Les autres ont-ils le droit de me dire ce que je dois faire ? Tout dépend de nos objectifs : à quel point avons-nous le besoin ou le désir de progresser ensemble ? L'auteur voulait tellement apprendre à nager le crawl qu'il a supporté bien des souffrances. Il a accepté de payer le prix, et il n'a pas été déçu. Il écrit : "Nous avons raison de craindre (la discipline), comme nous craignons les couteaux, le feu et l'électricité. Mais nous ne renonçons pas pour autant aux viandes rôties, aux feux de cheminée et à l'éclairage électrique. Entre des mains malveillantes, un scalpel peut tuer. Mais sa lame bien aiguisée peut apporter la guérison" (p 82).
LES OBJECTIFS DE LA DISCIPLINE
Pourquoi la discipline ?
Parmi les objectifs communément mis en avant, on trouve :
• la pureté de l'Église et sa réputation dans le monde
• la présentation des exigences justes de Dieu, en particulier aux jeunes chrétiens
• le redressement des pécheurs
• la défense des valeurs chrétiennes, face au relativisme ; ces objectifs reflètent une volonté de maintenir la justice de l'Église. La discipline ainsi pratiquée risque de renforcer chez les membres des attitudes de jugement à l'égard des pécheurs et de propre justice. Tout en reconnaissant l'importance de la pureté de l'Église et du redressement des pécheurs, l'auteur démontre que le Nouveau Testament met en avant d'autres objectifs, tels que l'assurance du pardon, la réconciliation, la victoire sur le péché et l'expérience commune de la liberté en Christ.
La réconciliation est au cœur de l'Évangile, et elle doit être le premier objectif, dans l'exercice de la discipline. Quel autre objectif pourrait-il être prioritaire, alors que Jésus est venu racheter des pécheurs ? La rupture d'une relation est pour Dieu une occasion de tristesse, et il ressent à l'égard des pécheurs ce que le berger ressent à cause d'une brebis perdue. La restauration de cette relation, en revanche, est un sujet de joie dans le ciel, de la même manière que la pièce, la brebis et le fils retrouvés donnent lieu chacun à une joyeuse célébration (Lc 15).
Nos Églises sont affaiblies par des conflits douloureux, et lorsque nous retenons dans notre cœur les vipères du ressentiment et de l'amertume, elles nous infligent de terribles morsures. Certaines personnes essaient d'oublier, sans pour autant trouver la guérison et recouvrent la relation brisée d'une chape de plomb. Une telle solution n'est jamais idéale. La réconciliation est infiniment préférable et le Seigneur nous en indique le chemin. Alors qu'on pourrait imaginer au contraire que la liberté est un des objectifs principaux de la discipline. La liberté ne consiste pas à faire tout ce que nous voulons, car cela nous rend esclaves et victimes de ce que nous haïssons. La liberté consiste à faire ce pour quoi nous avons été créés, et à le faire avec puissance et dans la joie. En tant que créatures de Dieu, nous avons été faits pour servir, aimer, apprécier et glorifier Dieu éternellement. La liberté a besoin de limites. La liberté des footballeurs, par exemple, n'augmente pas s'ils emmènent le ballon en dehors des limites du terrain. La discipline libère les individus : la grâce des danseurs de ballet, la technique des musiciens, et l'agilité des gymnastes sont toutes le produit de la discipline. Le péché asservit des communautés comme des individus. On peut "sentir" la chose : de petits détails de la vie d'Église nous sensibilisent à l'existence ou non de la liberté. Certains sujets de discussion sont-ils tabous ? Certaines formes d'expression de la joie ou de l'affection sont-elles mal vues ?
Malheureusement, le plus souvent, la discipline ne réussit pas à supprimer le péché et à créer la liberté. La discipline mal exercée pousse les gens dans les ténèbres alors que si elle est bien exercée elle les conduit dans la lumière, car Christ est mort et ressuscité pour la liberté. Dans une Église où les responsables trouvent la manière d'aider les membres à se dégager du péché, sans les attacher de chaînes, la discipline crée la liberté. "Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté" (2 Co 3.17).
MATTHIEU 18
L'auteur nous fait remarquer que le texte clé des Évangiles sur la discipline suit de près la parabole de l'homme qui a laissé ses 99 brebis pour chercher celle qui était perdue. La réconciliation est donc centrale pour le texte. Le plus souvent dans notre lecture, nous passons à côté d'une leçon importante : nous pensons au malheur de celle qui est perdue et non pas à la peine du berger. Ce qui est perdu l'a été par quelqu'un... cela manque à son propriétaire. La parabole devrait s'intituler "le berger qui cherche"... (et qui se réjouit de trouver sa brebis).
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