Il n’est pas si simple d’évaluer le livre de McLaren (McL), pour des raisons de méthodes, des raisons liées à la personnalité et à la biographie de l’auteur ; enfin à cause du style de McL.
En effet, l’auteur n’est ni un technicien de la théologie, ni un intellectuel rigoureux. Il est d’abord un pasteur, un praticien, qui a été confronté à certaines difficultés dans l’annonce de l’Évangile et qui essaie d’y répondre, sans trop de prétentions de rigueur ou de technicité académique.
McL sait que son style peut être déconcertant. Dans un autre de ses ouvrages, Generous orthodoxy, il écrit : « ce livre est tissé d’exagérations, d’hyperboles, de généralisations … »(1). On pourrait en dire autant de Réinventer l’Église. Il dit d’ailleurs qu’il a choisi délibérément d’être provocateur afin de faire réfléchir son lecteur : « comme dans la plupart de mes livres (… ) je me suis montré provocateur, espiègle, malicieux [mischievous], et obscur [unclair], car j’estime que la clarté est parfois surestimée et que des propos choquants, obscurs et intrigants (… ) stimulent davantage la pensée que la clarté (…) mieux vaut un livre taquin, provoquant, obscur, mais stimulant, qu’un livre sérieux, clair, qui vous dira ce qu’il faut penser mais ne vous fera pas penser »(2).
En ce sens, on peut dire qu’il réussit plutôt bien son pari, car on parle beaucoup de ses thèses. Il nous fait réagir et nous pousse à la réflexion.
Le style est donc celui du pamphlet. L’auteur charme davantage par ses effets rhétoriques que par sa puissance argumentative. L’on ne peut toutefois s’empêcher de se demander si certaines de ses thèses sont volontairement hyperboliques ou s’il pense vraiment ce qu’il écrit. Il affirme clairement que « notre théologie, notre façon d’exercer le ministère, semblent ne plus fonctionner, ne plus convenir du tout » (Réinventer l’Église, p. 22). Est-ce notre manière de présenter l’Évangile, notre pédagogie, notre communication de l’Évangile qui ne conviennentt plus ou est-ce vraiment notre théologie, notre message, c'est-à-dire le contenu qui ne convient pas ? Est-ce simplement la forme ou le fond est-il aussi remis en question ?
De plus, McL affiche beaucoup d’humilité dans sa façon d’écrire, il a le souci de montrer qu’il ne se prend pas trop au sérieux. Dans Generous Orthodoxy, il avoue - beaucoup tomberont d’accord avec lui sur ce point - « il vous faut savoir que je me montre horriblement injuste dans ce livre qui est totalement dépourvu d’objectivité académique et d’impartialité » (p. 40).
Ce genre de confession invite à l’indulgence dans l’évaluation. Peut-être que son but est vraiment d’être une sorte de taon, pour nous réveiller et nous pousser à réfléchir. Mais il n’enlève pas tous les doutes sur ses convictions réelles ...
Comme nous le verrons, l’auteur adopte une perspective postmoderne et se méfie du souci fondationnaliste qui caractérise l’épistémologie moderne. L’épistémologie moderne repose en effet sur l’idée qu’il faut signaler ses fondements, les justifier ou admettre leur caractère axiomatique et construire son raisonnement sur de tels fondements, à l’aide d’une méthode rigoureuse et d'une argumentation adaptée. Ce n’est pas ainsi que procède l’auteur, et je crains qu’il ne dise que je l’ai lu « en moderne », et donc que c’est en « moderne » que je le critique, alors que précisément, il nous invite à abandonner cette forme de pensée.
Autre point de méthode : faut-il faire intervenir dans l’évaluation du livre, la pensée d’ensemble de l’auteur ? Faut-il mettre en œuvre le cercle herméneutique dans l’appréciation de sa pensée ?
Réinventer l’Église, est le premier ouvrage de l’auteur(3). L’original date de 1998. Depuis, McL a rédigé d’autres ouvrages dans lesquels il a précisé sa pensée, répondu à certaines objections, approfondi certains thèmes. Faudrait-il lire ce livre à la lumière de ceux qu’il a rédigés ultérieurement ? Faudrait-il scruter les moindres indices du livre qui laissent présager les évolutions ultérieures de l’auteur ? Ou faut-il lire ce livre pour lui-même, comme une étape dans le cheminement intellectuel de McL ?
Un autre élément que l’on doit prendre en compte lorsque l’on se penche sur l’ouvrage, c’est la biographie personnelle de l’auteur.
L’auteur est souvent très critique à l’égard des évangéliques conservateurs. Il vient des milieux fondamentalistes, et, comme la plupart des partisans de l’Église émergente, il est en réaction contre ces milieux(4) ; l’amertume à l’égard des évangéliques conservateurs transpire dans beaucoup de ses pages. Dans Generous orthodoxy, il le reconnaît lui-même : « Je suis beaucoup plus dur envers les chrétiens protestants conservateurs (…) qu’envers qui que ce soit d’autre. J’en suis désolé. Je me montre constamment mieux disposé envers les Catholiques romains, les Orthodoxes et mêmes envers ces terribles Libéraux, alors que sans cesse j’envoie des coups à mes frères conservateurs, d’une manière particulièrement agaçante, certains diraient même, dépourvue de générosité. Je ne peux nullement prétendre à l’équité ni à l’objectivité » (p. 40).
Une fois toutes ces difficultés méthodologiques signalées, disons quelques mots de l’ouvrage particulier qui nous occupe.
Cet ouvrage est à la fois très stimulant et très agaçant.
Stimulant, parce que l’auteur pose un certain nombre de questions fort pertinentes et pointe le doigt sur certaines faiblesses évangéliques.
On peut en effet apprécier la critique qu’il fait du « détail oublié »(5), thème très présent chez les évangéliques. L’idée est que le succès de l’Église viendrait automatiquement de la redécouverte d’un détail oublié ou passé sous silence (parler en langues ; redécouverte des ministères d’Éphésiens 4 ; organisation de repas fraternels ; réunions spontanées sans planifications préalables, etc.).
L’auteur est aussi un optimiste, et ce livre est d’une certaine manière une belle leçon d’optimisme qui pourrait faire du bien à ceux qui ont un caractère plutôt défaitiste, pessimiste, nostalgique voire réactionnaire. McL nous invite en effet à ne pas avoir peur de ce monde, de ses changements et à profiter au contraire des opportunités qu’il offre pour annoncer l’Évangile (cf. p. 17ss).
Il a un véritable souci d’atteindre par l’Évangile les hommes et femmes d’aujourd’hui. Pour ce faire nous dit-il, l’Église ne doit pas s’enfermer dans sa citadelle, et se contenter de défendre « l’orthodoxie » théologique.
L’ardeur missionnaire, la volonté de rejoindre les hommes et les femmes de notre temps et l’amour qu’il manifeste à leur égard, sont donc à mettre au crédit de l’auteur. On aurait pu encore signaler d’autres aspects positifs de l’ouvrage, mais puisque cela a été déjà fait avec beaucoup d’enthousiasme(6), nous voudrions signaler certains côtés de l’ouvrage qui nous semblent moins heureux.
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