Les circonstances extérieures jouent un rôle certain dans l’épanouissement personnel. La sagesse populaire ne dit-elle pas : « Il vaut mieux être riche et bien-portant que pauvre et malade » ? Dans leur quête de bonheur, les humains s’efforcent donc de jouir d’une bonne santé, du bien-être matériel, de la sécurité, de la réussite sociale et professionnelle, de l’amitié et de l’amour. Or, on voit des hommes et des femmes dont on peut dire qu’ils ont tout pour être heureux, et qui pourtant dépriment et parfois même se suicident.
Le bonheur n’est pas une équation
Toutes sortes de progrès, tout au moins dans nos pays occidentaux, nous permettent de jouir aujourd’hui de conditions de vie bien meilleures que celles de nos grands-parents. Depuis le début du XXe siècle l’espérance de vie a progressé d’une vingtaine d’années, alors que le temps de travail calculé sur une année moyenne a diminué de moitié. Nous sommes plusieurs fois plus riches que nos grands-parents et nous disposons d’une multitude d’appareils qui rendent la vie plus facile et plus attrayante. Sommes-nous plus heureux ? Ce n’est pas sûr.
Un savant anglais écrivait, il y a quelques décennies : « Je ne sais pas si nous sommes plus heureux que nos ancêtres. Ce que je sais, c’est que nous sommes plus inquiets ». Cette inquiétude (que confirme l’usage fréquent de tranquillisants) provient pour une part des risques de guerre, d’attentat ou de violence que le monde connaît toujours, mais aussi de la peur de perdre tout ce qui contribue à notre bonheur : la santé, l’argent, les liens d’amitié, la sécurité de l’emploi. Toutes sortes d’événements extérieurs peuvent nous en priver. « Rien n’est jamais acquis à l’homme… » dit un poème d’Aragon.
À l’inverse, on peut rencontrer des gens pauvres, de santé médiocre, dont l’existence semble terne et sans perspective d’amélioration, et qui nous étonnent par leur sérénité et la joie qu’ils répandent autour d’eux.
Le bonheur, une alchimie délicate
Il apparaît donc que le bonheur ne dépend pas uniquement des circonstances, mais aussi des dispositions intérieures. Parmi les facteurs qui favorisent le bonheur, il y a la capacité à accueillir avec reconnaissance les dons, petits ou grands, que la vie nous offre, autrement dit la grâce du contentement et de la reconnaissance. Attention, cependant : il ne faut pas mépriser la valeur de l’ambition et le désir de progresser. Faire des projets et chercher à améliorer les choses, pour soi, mais aussi pour les autres, est quelque chose de positif. Cette attitude nous garde de l’ennui et d’une triste médiocrité. Mais l’insatisfaction du présent et le désir de changer peuvent être poussés trop loin, jusqu’à susciter en nous une insatisfaction permanente et une rancœur devant les résistances au changement et les échecs de nos projets.
D’autre part, de nombreux témoignages indiquent que le vrai bonheur ne réside pas tant dans la jouissance des biens recherchés que dans les efforts accomplis pour y parvenir. Quiconque croit pouvoir s’installer une fois pour toutes dans un état de bonheur va au devant d’une désillusion. C’est ainsi qu’un psychiatre a pu écrire : « Un désir satisfait est déjà mort, un bonheur sans désir tombe en perte de vitesse ». La satiété en effet engendre rapidement l’ennui, parfois même le dégoût. Cela explique sans doute l’échec de beaucoup de mariages : on croyait être arrivés, on s’est installé et on oublie que le bonheur dans le mariage est un travail et demande des efforts qui ne finissent jamais. Cela s’applique à d’autres domaines de la vie et nous aide à comprendre des paroles de Jésus qu’on appelle des béatitudes : heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés.
Pas de bonheur sans amour vrai
Or la justice implique de bonnes relations avec autrui. Le bonheur en dépend très largement. Le sentiment d’être méprisé ou rejeté, la rupture des relations d’amour et d’amitié sont d’efficaces destructeurs de bonheur. Par contre, aimer et se savoir aimé, avoir la satisfaction d’avoir rendu quelqu’un heureux ou de lui avoir donné de la joie contribue à notre propre bonheur. Comme l’a écrit Mark Twain : « Le chagrin se suffit à lui-même, mais pour tirer la quintessence d’une joie, il faut la partager avec quelqu’un ». Parce qu’il nous donne l’assurance que nous sommes aimés par Dieu et qu’il nous apprend à aimer, l’Évangile est un chemin de bonheur.
Le bonheur, c’est comme la mayonnaise
J’ose faire une comparaison qui paraîtra incongrue à plusieurs. Le bonheur me semble-t-il est comme la mayonnaise. Il m’est arrivé d’avoir tous les ingrédients nécessaires pour faire une bonne mayonnaise et de bien respecter la marche à suivre, et pourtant la mayonnaise n’a pas pris. J’ai appris que cela tenait au fait que mes ingrédients étaient trop froids et qu’ils n’étaient pas à la même température. Il faut un minimum de chaleur pour parvenir au bonheur et cette chaleur est celle de l’amour, de l’amitié, de l’affection.