Pour beaucoup de nos contemporains, le christianisme porte une lourde responsabilité dans la dégradation de l’environnement naturel à laquelle nous assistons. Des phénomènes inquiétants comme la pollution de l’air et de l’eau, l’épuisement des ressources naturelles, la disparition d’espèces animales et végétales ou le réchauffement climatique font peser une grave menace sur l’avenir de la terre, la santé et même la survie de l’humanité. On peut difficilement nier que ces phénomènes sont pour une large part des fruits empoisonnés du progrès scientifique et technique auquel les humains ont consacré leurs efforts depuis plusieurs siècles.
Au nom de la Bible
Or, nous fait-on remarquer, l’activité humaine qui détruit l’équilibre de la nature a été encouragée par la Bible. Le récit de la création, dans le livre de la Genèse, déclare en effet que Dieu créa l’homme à son image «pour qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre» (1). Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit: «Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la» (2).
S’il en est ainsi, les humains ne peuvent-ils pas penser que c’est à bon droit qu’ils mettent en œuvre les ressources de leur intelligence pour transformer le monde grâce à leurs techniques et leur industrie? Du coup, ils en sont venus à considérer la nature comme une matière première mise à leur disposition, un matériau qu’ils ont le droit de manipuler, transformer, violenter, exploiter à leur seul profit. Malheureusement, c’est précisément de cette prétention des humains à disposer à leur gré de la nature que viennent les retombées inquiétantes de l’activité humaine, les problèmes écologiques qui menacent l’équilibre de la terre et la paix de l’humanité. Les humains sont, de très loin, les plus dangereux prédateurs et destructeurs de la terre.
Pour remédier à cette folie d’une humanité qui se donne un pouvoir sans limites sur la nature, de nombreux penseurs aujourd’hui nous invitent à prendre conscience d’un fait élémentaire, mais trop souvent oublié: l’homme lui-même fait partie de la nature. Il n’est pas au-dessus d’elle, mais il en dépend totalement et ne peut s’en affranchir sans se détruire. Là où la nature est malade, les humains souffrent et sont menacés.
C’est uniquement en se soumettant à la nature et à ses lois que les humains peuvent espérer continuer à vivre dans un monde équilibré, harmonieux, durable.
Autrement dit, nous ne pouvons pas considérer la nature comme une matière première exploitable à merci, mais comme le milieu qui nous permet de vivre à condition que nous le respections, que nous nous soumettions à ses lois. Il nous faut cesser de considérer la nature comme une esclave qui doit nous obéir, et accepter un renversement de perspective: nous devons nous soumettre à son autorité.
«Ils ont remplacé le vrai Dieu par des faux dieux, ils ont adoré et ils ont servi ce que Dieu a créé à la place du Créateur» Romains 1.25.
Le panthéisme est-il la solution?
Cela conduit à une sorte de divinisation de la nature. Ou plutôt à l’identification de la nature avec Dieu, en autres termes le panthéisme (3).). Dans cette vision des choses, Dieu n’est pas au-dessus de la création comme un propriétaire qui fait ce qu’il veut de ses biens, il est présent dans la nature, immanent au monde. Ce qui est divin, c’est la nature elle-même.
Elle doit donc être pour nous un sujet d’émerveillement, une réalité qu’on ne peut qu’admirer mais aussi respecter. N’est-il pas merveilleux de penser que, malgré l’étonnante diversité des êtres vivants ou non, la nature fait régner une harmonie globale, dans laquelle chacun trouve sa place?
Cette doctrine, qui paraît à beaucoup raisonnable, présente pourtant de sérieux inconvénients. Elle oublie que le cours naturel des choses ne va pas simplement vers la vie, mais bien souvent vers la mort. Alfred de Vigny, parlant de la nature, ne disait-il pas: «On me dit une mère et je suis une tombe»? La vie est une lutte continuelle, dans laquelle seuls les plus forts survivent, échappent aux nombreux prédateurs qui s’efforcent de se nourrir des plus faibles. Et si les humains, qui sont, de par leurs capacités naturelles, parmi les animaux les plus mal armés pour lutter contre le froid, la maladie, la faim, les ennemis, n’ont pas disparu, c’est parce qu’ils sont parvenus, par l’usage de leur intelligence et de leurs techniques, non seulement à survivre, mais à être les plus forts dans la lutte pour la vie, donc à occuper une position dominante sur la terre.
Une logique implacable
Mais, répondra-t-on, cela n’est possible que par la domination violente des hommes sur le reste de la création. Pour rétablir l’équilibre, l’harmonie entre les vivants, il faut refuser à l’humanité des droits supérieurs à ceux des autres créatures, et plus particulièrement ceux des animaux. Les mammifères, les oiseaux, les poissons, les insectes, les bactéries même ont, tout autant que les humains, le droit à la vie et au respect. Puisque tous les vivants vont vers la mort, il n’y a pas lieu d’attacher plus d’importance à la disparition d’hommes et de femmes qu’à celle de poissons ou d’oiseaux. Certains vont même jusqu’à dire que la mortalité infantile, les guerres ou les massacres de populations comme il s’en est produit tout au long de l’histoire sont une bonne chose, puisque beaucoup de nos problèmes ont leur racine dans la surpopulation humaine. Si les humains étaient moins nombreux, les ressources naturelles suffiraient à les nourrir sans qu’il soit nécessaire de piller la planète pour les faire vivre.
Lire la Bible avec d’autres lunettes
L’accusation de favoriser la destruction du milieu naturel portée contre la foi chrétienne néglige un aspect important de l’enseignement biblique. En donnant à l’homme le mandat de dominer la création, Dieu ne lui signe pas un chèque en blanc. Il ne fait pas de lui le propriétaire de la terre, mais seulement le jardinier, le gérant. Or, ce qui caractérise un gérant, c’est qu’il est tenu pour responsable de ses actes. Il doit rendre des comptes. Les erreurs et les excès dont l’humanité se rend coupable dans la gestion de la nature ont leur source dans l’orgueil humain, qui refuse de se reconnaître responsable devant Dieu. Le mandat qu’il a reçu de Dieu, selon la Bible, est de cultiver mais aussi de garder, de protéger la création. La conscience qu’ont les jardiniers que nous sommes de leur responsabilité devant Dieu est, pour la nature, la meilleure des protections.
«Ce monde… sera libéré des forces qui le détruisent et qui le rendent esclave»Romains 8.21.