Parlez-moi de votre enfance
Nous étions cinq enfants à la maison. Nous habitions Solino, une banlieue de Port-au-Prince en Haïti qui a très mauvaise réputation. Pourtant, malgré les gangs, la violence et la faim, j’en garde de bons souvenirs. Certes, nous étions tous très pauvres et il arrivait souvent que nous ne mangions qu’une seule fois par jour mais il y avait une telle solidarité entre voisins qu’on se sentait quand même bien. C’est avec beaucoup de nostalgie aussi que je pense à ces histoires que nous nous racontions entre enfants du quartier le soir au clair de lune... Hélas, plusieurs de ceux-ci ont suivi les mauvais exemples et ont mal tourné depuis.
Et votre mère dans tout ça ?
Elle n’avait pas reçu d’instruction mais elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour nous en donner une. Comme l’État ne subventionne qu’un très petit nombre d’écoles en Haïti, la scolarité est le plus souvent payante. Dans notre situation, il a fallu choisir entre manger à sa faim et aller l’école. Plusieurs fois, le directeur a dû nous renvoyer car nos parents étaient incapables de payer les frais de scolarité.
Je revois encore ma mère partager en cinq parts, un soir, le peu de nourriture que nos voisins lui avaient donné. Ce jour-là, elle n’a pas mangé du tout. J’en avais le cœur brisé.
Dans un tel contexte, comment avez-vous pu faire des études universitaires ?
Un jour, alors que ma mère allait faire son petit commerce au marché, quelqu’un lui a dit qu’elle pouvait inscrire ses enfants à un programme de parrainage grâce à une association. Ce qu’elle a fait aussitôt pour mon frère et moi.
Quel changement ! Désormais, parce ce que mon école était payée, je pouvais aussi manger à ma faim.
Mais ce n’est pas tout. La personne qui m’a parrainée s’est mise à correspondre avec moi.
Elle me félicitait pour mes résultats scolaires, elle m’encourageait en me disant que j’avais une belle écriture... Sans le savoir, elle a brisé le cycle infernal engendré par la grande pauvreté. Celle-ci vous fait croire que vous ne valez rien, que vous ne serez jamais quelqu’un de bien... Cette personne m’a permis de croire en mes capacités. Je ne la remercierai jamais assez.
Vous insistez souvent pour dire que ce parrainage n’a pas profité qu’à vous…
C’est vrai. Après mes études, grâce à mon emploi, j’ai pu aider ma famille. Ma sœur, par exemple, a pu aller à l’université. J’ai moi-même aussi commencé à parrainer d’autres enfants. J’ai eu aussi des responsabilités pour encadrer d’autres jeunes.
De plus, quand je vais dans mon ancien quartier, on me présente comme un modèle. Cela veut dire que mon exemple peut redonner de l’espoir à toute une communauté. Et cela, ça n’a pas de prix.
Et vos parents aujourd’hui ?
Les voilà désormais à l’abri du besoin. Avec mes frères et sœurs, nous pouvons maintenant veiller sur eux et leur rendre le bien qu’ils nous ont fait.