Dans le contexte d’une ville en proie à la peste, Camus met ces paroles dans la bouche de Rambert : « …il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul »(1). Or, le gros problème du bonheur, c’est la propension de l’humain à réaliser son propre bonheur sans les autres, voire contre les autres, à penser tirer son épingle du jeu, à se sauver tout seul de la peste, de la crise économique, etc. On voit déjà des germes de cette attitude en Éden, lorsque Ève, puis Adam, croquent successivement le fruit défendu contre l’injonction divine, en croyant servir chacun son propre intérêt. Depuis, les choses se sont aggravées et, les épines ayant envahi le jardin, chacun tente de se faire son petit pré carré aux dépens du voisin.
Mais la nécessité de la solidarité, du bonheur à partager, est constamment d’actualité. La peste, la misère ou la guerre restent en embuscade. À la fin de son roman, Camus écrit : « Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée […] et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse »(2).
Il n’est pas interdit de rêver du bonheur édénique en contemplant les tableaux de Renoir. Oui, le bonheur est bien dans le projet de Dieu pour l’être humain créé à son image. Cependant, ce bonheur est perpétuellement menacé, problématique et laborieux ; il est devenu rare et donc mal partagé.
Jésus, nouvel Adam, fut-il un homme heureux ? Certainement, et beaucoup plus intensément que nous ne pouvons l’imaginer. Seulement, lui n’a pas eu la chance de débarquer dans un monde parfait, dans le jardin des délices. Son monde à lui, c’était un pays découragé, sous domination étrangère, spirituellement en déroute et soumis à la violence. De manière plus vaste, Jésus est né sur une Terre où le bonheur avait depuis longtemps cessé d’être un espoir réaliste, dans une création dont l’apôtre Paul dit qu’elle est en souffrance généralisée du fait du péché humain(3). Voilà pourquoi sa vie a été faite de lutte et de sacrifice… pour notre bonheur à nous, non seulement pour l’éternité, mais dès cette vie présente.
Depuis la Chute, depuis qu’Ève et Adam ont manqué de confiance en leur créateur le bonheur n’est plus une idée simple.
Mais au fait, le bonheur, c’est quoi ? Et quelles en sont les conditions ?…