Deux livres bibliques rangés parmi les écrits de sagesse méritent qu’on s’attarde sur eux. Il s’agit de Job, et de l’Ecclésiaste.
Heureux, Job l’était. Rien ne lui manquait, il avait tout en abondance et en plus, il était d’une droiture exemplaire. Lui, il recherchera le sens de la vie au travers de la série de catastrophes indues qui lui tombent subitement sur la tête. Il aura le courage de ne pas tomber dans le piège tendu par des amis pieusement disposés consistant à dire qu’il l’avait peut-être mérité.
Après un long cheminement, il n’obtiendra pas de réponse satisfaisante pour la pensée au problème de l’injustice (celle qui le frappe, et celle de ce monde). En revanche, il aura rencontré Dieu de beaucoup plus près. Et en prime, il sera restauré dans toute sa prospérité d’antan.
L’Ecclésiaste, au contraire, dispose de tout à profusion. Roi à Jérusalem, il s’aperçoit que son bonheur ne le rend pas vraiment… heureux. À l’inverse de Job, c’est à partir de l’abondance qu’il se posera les mêmes questions : Pourquoi ce monde paraît-il totalement dénué de logique et d’équité, à quoi ça sert de vivre, pourquoi suis-je né, etc. ?
Alors, il va tout essayer : la philosophie, la jouissance et les entreprises d’envergure. Hélas, tout cela s’avère n’être que « fumée », vapeur, vanité des vanités. S’agissant de la jouissance, Daniel Lys confirme, comme nous avons tenté de le montrer, qu’elle n’est pas condamnable en soi, mais que c’est sa finalité qui est à vérifier : « Ce qui est en cause, ce n’est pas la qualité de ce qui se passe, mais son inefficacité : la jouissance ne peut être que la conséquence et non la source du sens »(1). Le plaisir ne donne pas de sens à ma vie. Mais si ma vie a du sens, tout peut devenir beaucoup plus savoureux.
Pour prendre un exemple, le croyant, devant le spectacle de la nature, jouit beaucoup plus que l’incroyant de ce qui lui est offert, parce que derrière cette harmonie, il croit qu’il y a quelqu'un, qu’il y a une intention, qu’il y a un artiste, qu’il y a un amour. C’est l’inverse de ce que Camus appelait « le silence déraisonnable du monde ». Celui qui croit en Dieu est en relation avec lui devant un beau coucher de soleil. Il n’est pas seul au monde.
Cela montre assez que l’avoir (même si ce qu’on possède est seulement l’air pur et la nature) n’a pas de sens à soi tout seul. Le chien a sa gamelle pleine, et il est content. L’humain a beau avoir des châteaux, une collection de Ferrari, un avion privé, une famille officielle (et quelques relations intimes annexes…), il lui manque toujours quelque chose. Et quand bien même il se serait persuadé du contraire, un jour, il viendra buter sur sa propre fin, et tout cela partira en fumée, passera à un autre ou pire, sera dilapidé –ce que l’Ecclésiaste ne manque pas de déplorer.
En vérité, le bonheur terrestre se heurte à deux obstacles majeurs : l’inégalité de la situation des êtres humains, qui ne devrait pas autoriser aux nantis un bonheur sans nuages, et la limite radicale que représente notre mort à tous. Un monde où personne ne manquerait de rien, où il n’y aurait pas de rivalités(2) et où la mort n’existerait plus, ça s’appelle le paradis. Ou l’éternité. Celle qui nous est promise.