Le stoïcien Épictète (v.50 - v.125 ou 130 ap. J.C.) a basé une partie de sa philosophie sur la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Même si nous avons repoussé les frontières entre ces deux domaines, sa sagesse vaut encore pour aujourd'hui dans ses principes : « Retire donc ton aversion de tout ce qui ne dépend point de nous, et reporte-la, dans ce qui dépend de nous, sur tout ce qui est contraire à la nature. Quant au désir, supprime-le absolument pour l’instant. Car si tu désires quelqu’une des choses qui ne dépendent pas de nous, nécessairement tu seras malheureux »(1).
La sérénité réside donc dans le renoncement à la lutte contre la nature, qui a toujours raison… par nature ! Se rebeller contre elle est donc à la fois une souffrance et une perte de temps. C’est le bon sens même.
Tenant de cette même philosophie, l’empereur Marc-Aurèle (121-180 ap. J.C.) croyait aux dieux, mais reconnaissait ne savoir à peu près rien sur eux : « Ou les dieux n’ont aucun pouvoir, ou ils ont un pouvoir. S’ils n’ont aucun pouvoir, pourquoi pries-tu ? Mais s’ils ont un pouvoir, pourquoi ne les pries-tu pas de te donner de ne rien avoir à craindre des choses de ce monde, de n’en désirer aucune et de ne jamais t’affliger pour aucune, au lieu de leur demander que telle chose t’advienne ou ne t’advienne pas ? »(2)
Environ onze siècles plus tard, le mystique rhénan Maître Eckhart (v.1260-1327) appliquait exactement les mêmes maximes dans le cadre du monothéisme chrétien. Comme chez Marc-Aurèle, la prière ne devait jamais viser à infléchir le cours des choses, mais à demander la grâce de s’y soumettre avec une radicalité totale.
Même la maladie est non seulement acceptable mais bonne : « tu dois l’accepter de Dieu comme absolument le meilleur parce que c’est nécessairement le meilleur pour toi. Car il appartient à l’être de Dieu de vouloir le meilleur. C’est pourquoi je dois le vouloir et rien ne doit me plaire davantage. […] Nous disons tous les jours et clamons dans le Pater noster : “Seigneur, que ta volonté soit faite !” Et quand sa volonté s’accomplit, nous sommes courroucés et sa volonté ne nous satisfait pas. […] Les justes n’ont absolument pas de volonté, ce que Dieu veut leur est tout à fait égal, si grand que soit le désagrément »(3).
Ces textes ne manquent pas de noblesse, et ils sont tout à fait secourables pour des personnes que la vie accable. Oui, il arrive que nous ayons à consentir à ce qui nous arrive, tout simplement parce que nous n’avons pas le choix et que, dans ce cas, mieux vaut ne pas s’épuiser en révoltes orgueilleuses, stériles et épuisantes.