Des airs de Jesus freak
Vers la fin des années 1990, sur une radio de format pop-rock, une chanson américaine au rythme fort bien balancé revenait hanter mon autoradio. Ça parlait clairement de Dieu, de Jésus-Christ, des prophètes : une fois n’est pas coutume. La chanteuse méritait qu’on s’intéresse à elle, d’autant plus qu’elle avait du talent et une belle voix.
J’ai fini par accéder au CD de Joan Osborne, Relish (« Délectation »). Si l’album mesurait 30 cm de diamètre au lieu de 12, on pourrait le croire tout droit sorti des années 70, au bon (?) temps des Beatles (époque « Sergeant Pepper »), de Led Zeppelin ou des Rolling Stones (d’ailleurs mentionnés dans notre chanson). Les collages surréalistes (petits oiseaux plaqués sur la flèche du Chrysler building, etc.), la présence d’un « hypnotiseur » parmi le staff, un appel aux dons pour quatre associations apparemment féministes figurant avec leur adresse, et même le style vestimentaire de l’artiste, tout ça sent le mysticisme diffus et quelque peu ésotérique de l’époque de la pop. Jusqu’à une reprise de Bob Dylan : le tableau baba-cool est complet.
Certains ont perçu une tonalité de mépris de Dieu, d’ironie mal placée dans cette chanson. Bien qu’elle soit difficile à interpréter, elle ne me semble nullement irrévérencieuse.
L’héritage d’un converti
D’ailleurs, il ne paraît pas anodin que dans son CD Joan Osborne ait réinterprété (et excellemment) « Man in the Long Black Coat » : cette chanson au mystère inquiétant provient du 33 tours de Bob Dylan Oh Mercy (1989), un de ses meilleurs crus, dans lequel Dieu apparaît plus qu’en filigrane(1). Cet « homme au long manteau noir », qui séduit une femme qu’on ne reverra plus, a toutes les caractéristiques du diable. Est-il indifférent que Joan Osborne ait osé chanter les paroles suivantes : Un prêcheur parle, c’était dans un sermon/ Il dit que la conscience de tout homme est vile et dépravée/ On ne saurait s’en remettre à elle comme guide alors qu’on doit soi-même s’employer à la soulager/… Elle a donné son cœur à l’homme au long manteau noir.
Pour toutes ces raisons, qu’une simple audition de « One of Us » conforte, la proclamation du refrain ne paraît pas manquer de sincérité : Dieu est grand, Dieu est bon. Mais cela exclut-il que Dieu soit l’un d’entre nous ? Quelqu'un d’extrêmement simple, au point de se fondre dans la masse, au point de passer inaperçu, de prendre anonymement les transports en commun, inconnu, et même étranger.
Où reconnaître Dieu ?
Cette chanson est une interrogation sur l’identité de Dieu, un Dieu à la fois glorieux, majestueux et tellement semblable à nous. Un Dieu qui, peut-être, nous dérangerait ; le couplet central revêt un caractère profondément évangélique : si ce Dieu était bien celui des saints, des prophètes, et de Jésus-Christ, te plairait-il toujours autant ? Aurais-tu toujours envie de faire connaissance avec lui ? En ces temps de dialogue interreligieux, voilà un défi qu’on n’ose plus poser : trancherais-tu pour ce Dieu-là, pour le Dieu de la Bible ?
Ce Dieu si discret, « nous n’avons fait de lui aucun cas »(2), nous préférons des divinités ou des spiritualités plus arrangeantes, sans dogmes, sans repères, sans prophètes et sans Jésus. Nous l’avons mis de côté, relégué aux oubliettes… abandonné là-haut dans son repaire où on espère qu’il se tiendra bien sage. Que sa volonté soit faite au ciel mais pas sur terre. À la rigueur (boutade ou reste de catholicisme ? - la première chanson de l’album s’appelle « St. Teresa »), le pape aurait-il une pensée pour lui ?
« Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »(3) Lorsque Jésus, le Fils de ce Dieu incognito, apparaîtra dans sa gloire, l’aura-t-on oublié, faute de l’avoir reconnu dans les plus pauvres, les plus humbles, les plus invisibles, les plus étrangers ?(4)
Dieu est descendu parmi nous, et il s’est senti tellement seul qu’il est remonté dans sa demeure céleste, nous dit la chanson. Il n’a pas voulu s’imposer, pas voulu déranger. Né dans une mangeoire, mort comme un malfaiteur, au terme d’un procès truqué.
On peut être seul au milieu d’une foule. Dieu est l’un d’entre nous, parmi nous, et tout le monde (ou presque) s’en fiche.
Au bout du compte, « One of Us » me paraît bien être une chanson de compassion envers Dieu. La part de sincérité, la part de poésie ? Il arrive que la poésie débouche sur la vérité du cœur. En tout cas, chaque fois que nous nous détournons de Dieu, nous ajoutons à sa solitude alors même que le cœur de l’Évangile, c’est sa présence au milieu de notre humanité. Il n’est pas inutile que cela nous soit rappelé par le canal inattendu d’une radio pousse-disques.