Pourquoi s’interroger spécifiquement sur la retraite du pasteur ? Elle est une retraite semblable aux autres, manifestation légitime d’un acquis social. Le pasteur retraité est pleinement libéré à l’égard des obligations inhérentes à sa charge, et totalement libre dès lors de réorganiser son existence. Cet état légitime du pasteur retraité doit être affirmé. Rien de ce qui sera évoqué dans ce texte ne devra le restreindre. La décision de prendre sa retraite est digne et respectable. Plus encore, quelques-unes des évocations dont je souhaite vous faire part n’ont précisément de valeur que si elles ne sont entendues que comme des expressions de cette liberté. Ce qu’éventuellement un retraité offre de son temps au service d’une institution d’Évangile ne peut être, en empruntant l’expression de Paul, que « la décision de son cœur, sans chagrin, ni contrainte ».
Liberté et vocation(1)
Nonobstant ce principe intangible, demeure le vécu éprouvé, tant à l’idée même de la retraite, que de ce qui advient en elle. Le pastorat est un métier. Métier dérive du mot ministère « fonction de serviteur, de service », quand le terme « profession » aux origines établissait un certain prestige par son caractère intellectuel ou artistique ou par la position sociale(2).
C’est aussi un « métier » dans le sens d’une vie attachée à pratiquer cette activité spécifique, au regard d’un savoir-faire nécessaire, d’une compétence acquise et de préférence toujours approfondie. Originalité de ce métier, il est associé traditionnellement à l’idée d’une vocation. On ne s’auto-proclame pas pasteur, on est appelé à un service, ou, pour nuancer, on répond à une vocation. Le grand mot est lâché ! Or, c’est ce principe d’une vocation qui, parfois, pour certains, trouble la décision de prendre sa retraite.
De la vocation au service
Tentons de préciser ce qui se profile derrière ce principe de la vocation. Chaque vécu est différent en ses modalités. Pour moi, tout commença au milieu d’une adolescence secouée par l’Évangile, éprouvant presque simultanément le choc d’une conversion et le surgissement de ce sentiment d’un nouvel horizon, ce qui, rétrospectivement, sera reconnu comme « vocation ». Conversion et vocation furent deux ondes consécutives d’une même expérience du Christ Jésus. Pour d’autres, cette vocation s’est manifestée d’abord par une suggestion amicale, pastorale : « N’as-tu jamais envisagé de devenir pasteur ? » Qu’importent les modalités : à un moment, il y eut vocation. Cet inattendu surprenant, ce surgissement en soi d’une pensée jamais envisagée, voire sur laquelle il est même parfois difficile d’expliciter ce qui se profilait : devenir pasteur(3). Ce terme de vocation se partage avec d’autres professions : les médecins, les enseignants, les artistes. Il souligne un engagement exclusif en une sorte de « mission » ; une disponibilité totale envers elle ; ce point où il n’est plus imaginable que leur vie ait été autrement, une vie se consacrant aux malades, aux élèves, à l’art… à la transmission de l’Évangile. Vocation, en ce sens général, évoque un engagement ne résultant pas des hasards de l’existence ; comme une obéissance à une nécessité intérieure, le don de soi à… Une perspective de vie s’impose à soi, voire pour certains s’impose contre soi, contre désirs et projets, avant qu’en advienne l’acquiescement à la vocation.
La vocation pastorale germe dans la conviction d’un appel de l’Esprit. Elle n’implique pas un désir préalable, elle ne garantit aucune facilité future. Les prophètes, de Moïse à Jonas, nous le rappellent. Cependant il y a vocation. L’engagement répond à un impératif. S’engager dans la voie du pastorat n’est pas le choix d’un gagne-pain.
Par « vocation pastorale », j’évoque donc cette voix intérieure qui appelle à servir Jésus-Christ en son Église, une voix insistante, d’une façon telle que l’on ne peut lui imposer silence. Une voix inattendue. L’étonnement d’entendre son nom jaillir du buisson flamboyant, imposant le détour. Je suis appelé. Je ne suis « pasteur » que parce qu’un Autre m’a dit « sois ! », de ce « sois ! » inséparable du « suis-moi ! ».
La vocation réduite à cette conviction serait éminemment subjective, donc suspecte. Les sciences de la psychologie auront vite fait alors de dénicher quelques explications à cet appel, qui, à leur éclairage se révéleraient n’être que « fuite ». Sans compter sur le bon vieux doute : « Dieu a-t-il réellement dit… ? » Cette vocation en laquelle tout commence, au bout de peu de temps se voit salutairement malmenée par cette possibilité de n’être qu’une forme d’échappatoire à quelques angoisses, à quelques culs-de-sac existentiels. Je sais aujourd’hui qu’il en est d’ailleurs souvent ainsi. Pourtant, la vocation peut être authentique, malgré cela. Tout appel de grâce est une énigme. Dieu n’appelle pas des êtres d’élite, parvenus au faîte de l’équilibre, ni au regard d’un CV faisant pâlir d’envie tout chasseur de tête. Dieu appelle souverainement dans le mystère de sa grâce parfois douloureuse à vivre. Si la vocation est toujours une bénédiction, elle n’est pas toujours « un cadeau ». L’authentique vocation ne cesse de se renouveler. Pour ne pas étouffer par la seule subjectivité, chacun le sait, la conviction personnelle, si essentielle, ne suffit pas. Je suis parce qu’un Autre m’a dit « sois ! » et inséparablement parce que d’autres m’ont dit : « Oui, sois ! ». Cette objectivation de l’appel se fait par la communauté chrétienne ; elle s’éclaire par la sagesse d’expérience d’une commission des ministères ; elle s’affermit, se clarifie, par le processus exigeant de la formation et celui de l’entrée dans le service. Chacune de ces étapes renouvelle et approfondit la vocation, l’ancre plus profondément en l’âme. Chaque étape du ministère, les différents lieux de service, les différents types de service, à chaque fois nouvel appel d’une assemblée, à chaque fois cette « vocation » sera renouvelée et transformée. Le service pastoral, à cause même de ses particularités – il faut être bibliste, théologien, pédagogue, accompagnateur, conciliateur, fort et fragile, connaître le doute et la foi, être proche et libre, sincère et réservé – s’éprouve comme une sorte de concentré de l’expérience chrétienne, ce long et lent processus de naissance à soi-même, par cette voix qui constamment appelle à être plutôt qu’à faire. Être pasteur, c’est être nommé par d’autres, au nom d’un Autre. C’est pourquoi les Églises de la Fédération baptiste, depuis quelques années, pratiquent un rite de reconnaissance pour les nouveaux pasteurs lors de leur congrès.
Quand sonne l’heure de la retraite, qu’advient-il de cette vocation ?
Qu’advient-il à la fin du parcours ? Quand ce « oui divin » précède notre « oui humain », la retraite est-elle envisageable ? Y-a-t-il un terme à une vocation ? Dans quelle mesure, sous quelles conditions un retraité qui fut pasteur, l’est-il toujours ou non, une fois franchi ce Rubicon ? Pasteur, est-ce une sorte de « titre acquis » que l’on garderait et pour quelle raison ? Le retraité est-il encore pasteur ou vestige d’un pasteur ? Garde-t-on une sorte de titre honorifique pour dire ce qui fut mais n’est plus ?
La question m’a été posée alors que je venais tout juste d’entrer dans cet état : « Te considères-tu encore comme pasteur ? » Elle m’a pris au dépourvu. Je n’avais pas pensé sous cet angle cet « après ». Répondre d’un « oui » spontané aurait surtout témoigné de ce que l’on ne change pas spontanément d’identité après quarante ans d’exercice. S’il y a un « savoir-faire » et une compétence, ceux-ci ne disparaissent pas à l’instant. Si être pasteur est une attitude intérieure, une disponibilité, celles-ci ne demeurent-elles pas un peu ? Un menuisier prenant sa retraite ne demeure-t-il pas menuisier, ne conserve-t-il pas le savoir-faire de son geste ? Cette question, d’abord ressentie comme un nuage à l’horizon d’un ciel de retraité, je l’ai accueillie comme ouverte. Elle témoignait d’un non-pensé quant au pastorat de la FEEBF. Cette interrogation fut plus ou moins concomitante à l’apparition au langage de cette catégorie de pasteurs dits, dès lors, « émérites ». S’agissait-il d’un de ces artifices d’une novlangue pour ne pas dire tout simplement « pasteur retraité » ? À ce jour, la définition du « pasteur émérite » reste à préciser. De mémoire, cette expression est apparue à la suite de remarques que nous, deux ou trois pasteurs nouvellement retraités, partagions lors d’une pastorale nationale. Remarques qui, rétrospectivement, traduisaient d’abord un peu de notre désarroi devant l’inconnu.
Sept ans plus tard, ré-interrogez-moi : « Te considères-tu toujours comme pasteur ? » Ma réponse reposée, sera : « Toi, comment me regardes-tu ? », « Que me dis-tu de moi ? » Un point demeure : la vocation nécessite toujours une confirmation, ce « oui, tu es ! » venant des autres, de leur parole, de leur regard, de leur confiance. Je reste pasteur si toi, tu me considères toujours ainsi. Redisons-le, la retraite peut légitimement mettre un terme au pastorat, et la vocation alors de s’éteindre. Elle peut aussi être une transition vers un autre vécu dans la conviction partagée que, pour celui-ci ou celle-ci, la vocation demeure quand les modalités du service évoluent.
Quand est affirmé ce « oui, tu es…encore ! », quelle expression lui donner, quel espace peut-il habiter ? Sous quelles conditions ? Si, à la retraite, je demeure un pasteur et avec donc la possibilité d’un « service pastoral », alors il devient nécessaire aussi de penser une déontologie particulière. La déontologie demeure générale et elle doit être amendée au regard d’une situation nouvelle.
Que change la retraite ?
Certes, banalement, le statut administratif. Dorénavant l’impétrant vit, grâce à notre état social, de différentes pensions établies par la solidarité nationale et d’autres formes d’épargnes spécialisées. Il n’est donc plus le salarié d’une institution ecclésiale. Toute relation de sujétion employeur-employé – même si les conseils de prud’hommes sont demeurés hésitants sur ce point – n’est plus. Si ce type de lien n’est plus, néanmoins tout bénévolat porte ses exigences particulières. Le pasteur retraité bénévole se plie librement au principe de la soumission réciproque (Ep 5.21).
La compétence demeure – elle peut s’enrichir encore –, l’expérience acquise peut encore éclairer et encourager. Soyons réalistes, l’expérience peut aussi devenir sclérosante et passéiste. Mais de fait la Fédération baptiste a largement bénéficié au cours du temps de la disponibilité généreuse de pasteurs retraités. Ce n’est d’ailleurs qu’une application particulière de l’immense disponibilité des retraités en général à la vie familiale et associative du pays.
Vivre sa retraite
Ce terme de « retraite » est quelque peu délicat ! Résonne la « retraite » au sens guerrier, celle mémorable de Russie synonyme de défaite, d’abandon, d’échec. Dans « retraite » on peut entendre se mettre en retrait, se retirer, ou encore entendre « traite », comme trahir… sa vocation ! Une culpabilité injustifiée peut mettre en porte-à-faux quelqu’un qui n’ose pas ...