Introduction
La vocation, c’est-à-dire l’appel de Dieu, est une question complexe. C’est une belle question, une question positive, mais bien une question complexe, qui a diverses dimensions.
On pourrait par exemple réfléchir au rapport entre la vocation particulière – être appelé par Dieu à un ministère spécifique – et la vocation au sens général, dont parle par exemple de 2 Th 1.11 qui lance cette exhortation : « Que Dieu vous trouve dignes de l’appel qu’il vous a adressé » (de même, voir 1 Co 1.26).
Il faudrait aussi s’intéresser à l’histoire de la vocation. Il est intéressant de constater, par exemple, que dans l’Église du Moyen Âge, avoir une vocation signifiait quasi exclusivement entrer dans un ordre monastique, ou éventuellement dans la prêtrise. Tandis que la Réforme protestante a élargi la vocation à beaucoup d’autres activités, y compris le métier ou l’activité familiale, chez Luther.
On pourrait aussi aborder la vocation sous l’angle philosophique : l’idée selon laquelle Dieu veut que je fasse quelque chose de particulier de ma vie va à l’encontre des définitions de la liberté. Parce que, du coup, je ne peux pas faire ce que je veux de ma vie(1). Calvin le dit de manière très affirmée :
« Nous ne sommes point nôtres, mais appartenons au Seigneur… Nous ne sommes point nôtres : que donc notre raison et notre volonté ne dominent point en nos conseils et en ce que nous avons à faire(2). »
Mais le Book of Common Prayer parle du Dieu « dont le service est liberté parfaite(3) ».
On pourrait aussi aborder la vocation sous l’angle existentiel (ou psychologique ?), avec tout un ensemble de réflexion que l’individu mène sur sa propre vie. Comment est-ce que je sais ce à quoi je suis appelé ? Y a-t-il une seule bonne façon de répondre à mon appel ? Puis-je me tromper, et ne pas répondre à ce à quoi Dieu m’a appelé ? Et quelles en seraient les conséquences ? Ma vocation peut-elle changer ? Et puis, plus fondamentalement encore, cette façon dont la notion de vocation donne du sens à mon existence. Ma vie a du sens parce que Dieu a, dans ses projets, une certaine orientation pour ma vie.
« Si le Dieu qui nous a créés a prévu quelque chose que nous sommes supposés faire…, quelque chose qui correspond à ce que nous sommes, de sorte que le faire nous permettra de glorifier Dieu, de servir les autres et d’être plus richement nous-mêmes, alors… mon histoire a du sens dans le cadre d’une histoire plus globale, qui est en fin de compte façonnée par Dieu(4). »
Ces questions passionnantes, nous n’allons que les effleurer dans cet article, pour nous concentrer plutôt sur le processus de naissance et de développement de la vocation. Et sur la manière dont ce processus peut ou doit être accompagné.
Les récits bibliques de vocation peuvent suggérer un processus court et simple. Jésus passe, il appelle Jacques et Jean, ils lâchent tout et le suivent pour devenir pêcheurs d’hommes(5). En fait, ce que disent ces récits, c’est surtout que Dieu appelle, que cela ne fait aucun doute. C’est-à-dire qu’il parle à des hommes et des femmes, qu’il s’adresse à eux et leur confie un service, une mission, un ministère. Le texte biblique, dans certains cas, met en lumière les questionnements que suscite l’appel de Dieu, les réactions diverses auxquelles il donne naissance, mais il ne montre pas toujours explicitement s’il y a ou non processus ; ou si tout se joue en un instant. L’expérience et le fonctionnement humain nous amènent à penser que la naissance d’une vocation prend du temps et qu’elle est donc un processus. Mais la discrétion de la Bible à ce propos nous fait comprendre que Dieu agit de différentes manières, comme il le veut, et qu’il faut nous attendre à des parcours différents, à des prises de conscience variées, et c’est cette diversité qu’il nous faut apprendre à accompagner. Le théologien britannique Richard A. Burridge écrit que la prise de conscience de l’appel de Dieu « peut provenir d’une petite insatisfaction qui grandit au fil des années, ou [d’]un éclair dans le ciel et d’une expérience profonde – même si, souvent, Dieu ne crie que si nous n’avons pas été attentifs à sa voix discrète(6) ».
Dans les réflexions qui vont suivre, vous comprendrez que ni les chiffres ni les enquêtes ni les exemples ou modèles ne permettent de dire : nous avons tout compris de ce qu’est la vocation. Mais, même si nous ne comprenons pas tout, cela ne nous empêche pas d’y réfléchir ! Car le Seigneur, comme sur d’autres sujets, nous permet d’accéder en partie à sa pensée, à ses projets et à ses plans. Nous ne pouvons pas nous mettre à la place du Seigneur en prétendant comprendre ce qui se passe dans le cœur des personnes qui se disent appelées, mais nous ne pouvons pas non plus nous cacher derrière cette inaccessibilité du cœur humain et des pensées de Dieu pour dire : ne réfléchissons pas à ces questions. La vocation est une question importante et nous allons l’aborder en adoptant principalement le positionnement de la personne, ou même de l’Église ou de la mission qui assiste à la naissance d’une vocation, qui observe des personnes qui s’interrogent à ce sujet, qui échangent avec elles, qui les accompagnent au fil des étapes.
On part généralement du principe que la vocation chrétienne, au sens précis de l’appel de Dieu au service, naît de la rencontre de deux convictions : la conviction que développe un individu, qui pense avoir reçu de Dieu une parole l’invitant à se lever ; et la conviction d’une communauté, Église, union/fédération d’Églises, mission, qui pense avoir reçu de même une parole de Dieu concernant l’individu en question(7). C’est la vocation intérieure et extérieure dont parle Calvin. Cette distinction est très utile. Mais elle ne rend pas compte du cheminement des personnes concernées ni des croisements entre les deux dimensions de la vocation : l’une aidant l’autre à se développer. Car c’est bien à partir de la rencontre de ces deux dimensions que la vocation se développe. Sauf que, dans certains cas, la rencontre de ces deux dimensions n’est pas d’abord fructueuse, mais plutôt un tâtonnement, qui débouchera dans certains cas sur un accompagnement, dans d’autres sur un cheminement individuel plus chaotique.
Ma réflexion, dans ce qui va suivre, sera construite autour d’une enquête réalisée en 2019 auprès d’une partie des étudiants de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE) ; nous n’allons pas nous limiter à cette enquête, mais elle nous accompagnera et, tout en rendant compte de ses résultats, nous proposerons quelques compléments de réflexion.
L’enquête visait les étudiants du programme résidentiel, en particulier ceux qui sont à plein temps. Nous avons récolté 28 réponses, ce qui est limité mais qui correspond malgré tout à une part significative du total. Ceci dit, il ne s’agissait pas d’une enquête à visée statistiques, même s’il y aura quelques chiffres, mais plutôt d’une enquête qualitative, permettant de repérer quelques tendances.
Avoir conscience de son appel
Question 1 : Pensez-vous que Dieu vous a appelé à le servir ?
- Oui, comme tout chrétien : 9
- Oui, d’une manière particulière : 19 (68 %)
L’une des grandes questions de la vocation est la conscience qu’on en a. Est-ce que Dieu m’appelle à quelque chose ? Est-ce que je sais que Dieu m’appelle à quelque chose ? Les étudiants en théologie interrogés n’en sont normalement pas au tout début de leur réflexion concernant la vocation. Ils sont en train de se former, donc ils ont pris une décision déterminante concernant leur vocation. Ainsi, ...