Au pasteur principal d’une megachurch américaine, il est un jour demandé : « Comment faites-vous avec le pouvoir que vous donne votre position ? » Et lui de répondre : « Oh, le pouvoir n’est pas un problème dans notre Église. Nous sommes tous des leaders serviteurs ». La réplique est sympathique, mais est-elle réaliste ? Elle me fait penser aux protestations de collégialité qu’engendre chez de nombreux collègues français toute question relative à l’exercice du ministère, surtout quand elle touche au pouvoir. À les entendre, ce dernier est si partagé entre les anciens de la communauté qu’il paraît bien dilué. Le pasteur n’est alors plus guère que l’animateur d’une commission de service qui propose, mais ne décide jamais. C’est le triomphe d’une conception qui a mis en cause de façon radicale le modèle pastoral classique, jugé trop clérical, au profit d’un modèle collégial, jugé plus biblique. Mais le triomphe est posthume, car les « frères » qui ont défendu ce mode de gouvernance forment et engagent aujourd’hui des pasteurs pour conduire leurs assemblées(2) ! Autrement dit, il ne suffit pas de mettre en avant notre esprit de service ou de protester de notre sens de la collégialité pour résoudre la question du pouvoir et de son exercice dans nos Églises.
Pouvoir affirmé, pouvoir estompé
Pour y voir plus clair, il convient d’abord de prendre conscience de notre relation au pouvoir. Un anthropologue du nom de Geert Hofstede a inventé une expression, « distance du pouvoir » (power distance), pour signifier l’attachement d’une culture aux marques du pouvoir. Pour faire simple, « dans les sociétés où l’exercice du pouvoir est marqué par une grande distance, les gens puissants essaient de paraître aussi puissants que possible. Au contraire dans les sociétés où l’exercice du pouvoir est marqué par une faible distance, les gens puissants s’efforcent de paraître aussi peu puissants que possible » (Charles Tidwell). En Occident, nos sociétés sont passées, en quelques décennies, d’un modèle à l’autre. Dans le monde des affaires, le complet de rigueur a en partie fait place au pull à col roulé (Steve Jobs, Apple) ou au sweat-shirt à capuche (Mark Zuckerberg, Facebook). Dans le monde politique français, la posture quasi monarchique d’un François Mitterand a fait place à la revendication de normalité d’un autre François, Hollande en l’occurrence. Et cette évolution n’épargne pas le monde des Églises où les pasteurs, surtout en milieu évangélique, se plaisent moins à se distinguer par leur habillement qu’à se confondre avec leur auditoire. On pourrait alors croire que......