« Moi, je suis venu pour qu’ils aient la vie et l’aient en abondance » (Jean 10.10)
Jésus, proclament les chrétiens, s’est défait de sa propre vie pour que nous recevions la vie. Aujourd’hui, dans nos existences quotidiennes. Et en abondance, de surcroît ! Une telle grâce est insondable, incompréhensible, inimaginable, nous le savons. Mais affirmer cela, notre incapacité à concevoir non seulement la grâce que Dieu nous a faite en Jésus-Christ, mais aussi l’ampleur de ce que signifie une telle grâce - ne signifie pas pour autant que nous devions abandonner toute tentative. Nous ne ferons jamais le tour de ce que veut nous offrir notre Seigneur, certes, mais nous y risquerons-nous ?
Cette question est, me semble-t-il, particulièrement pertinente pour ceux qui ont reçu une charge pastorale, quelle qu’elle soit. L’un des rôles du pasteur, et probablement son rôle premier, n’est-il pas de rechercher la signification et les implications de l’amour de Dieu pour la communauté de foi et de partager, avec cette même communauté, ce qu’il aura découvert ? Dans tous les domaines de son ministère pastoral, que ce soit l’enseignement, la proclamation, les accompagnements pastoraux, les tâches d’organisation de l’Église ou les célébrations, le pasteur fait en sorte de demeurer fermement attaché à Christ par la prière et la méditation des Écritures ; il découvre là de multiples facettes de l’amour et de la grâce de Dieu, il partage et vit avec sa communauté, le fruit de ses recherches. Rempli de la vie abondante de Christ, il laisse ce merveilleux contenu déborder. Ce n’est pas lui, bien sûr, qui donne la vie, mais il en facilite le partage.
Dans l’un de ses ouvrages sur la spiritualité pastorale, Eugène Peterson, aussi connu pour être « le pasteur des pasteurs », livre à ses lecteurs l’anecdote suivante (1) : pendant une période particulièrement sèche de son ministère pastoral, mais aussi une période de grande remise en question, il est allé écouter une conférence de l’écrivain Chaïm Potok (un auteur que je recommande par ailleurs, notamment pour ceux qui désirent réfléchir aux liens possibles entre l’art et la foi (2). Ce jour-là, Chaïm Potok raconta comment, en partance pour l’université, sa mère lui a dit : « Chaïm, je sais que tu veux devenir écrivain, mais j’ai une meilleure idée. Pourquoi ne deviendrais-tu pas chirurgien ? Tu empêcheras bien des gens de mourir et tu gagneras beaucoup d’argent ». Ce à quoi le jeune Chaïm répondit : « Non, maman ! Je veux être écrivain ! ». De retour chez lui pour les vacances, et à maintes reprises pendant ses études, sa mère lui tint le même discours : « Deviens chirurgien, tu empêcheras bien des gens de mourir, tu gagneras beaucoup d’argent ». Et toujours la même réponse du fiston : « Non, maman, je serai écrivain ! », jusqu'au jour où, excédé par les ambitions de sa mère pour lui, Potok répondit : « Maman, je ne veux pas empêcher les gens de mourir ; je veux leur montrer comment vivre ! »
Ne trouvons-nous pas là une belle description de la vocation pastorale ? Mais également un rappel de ce qui fait la raison d’être des Cahiers de l’École Pastorale ? Non pas simplement aider les pasteurs et les responsables d’Églises à survivre dans leur ministère, mais à le vivre toujours plus intensément, toujours plus profondément, toujours plus abondamment. Le présent numéro poursuit cette mission, invitant chacun à réfléchir au ministère pastoral dans certains domaines spécifiques de la vie de l’Église : redynamiser une communauté en perte de vitesse (la faire re-vivre !), penser la place des enfants dans la vie de la communauté, intercéder dans l’Église, accompagner ceux qui partent, etc. Dans tous ces domaines, notre souhait et notre prière pour vous, chers lecteurs, sont que ces différentes contributions vous aident à aller puiser dans la vie du Christ, dans sa grâce inépuisable, ce que vous communiquerez à votre tour dans vos communautés. Pour qu’elles aussi soient toujours davantage au bénéfice de la vie du Christ !
Nicolas Farelly
1. Eugene H. Peterson, Under the Unpredictable Plant. An Exploration in Vocational Holiness (Grand Rapids, MI, Eerdmans, 1992), p. 46-47.
2. Voir, e.g., Chaïm Potok, Je m’appelle Asher Lev, Coll. Domaine étranger (Paris, 10/18, 2007).