Combien de funérailles célébrez-vous chaque année ? Selon les régions et les communautés, les réponses des pasteurs seront très variées : trois pour l’un, cinquante pour l’autre. Derrière cette diversité de fréquence, un point commun cependant : la mission auprès des personnes en deuil ne laisse aucun pasteur indifférent. Accompagner la douleur des endeuillés les plonge dans une nécessaire authenticité relationnelle qui devra tenir ensemble la compassion et l’espérance.
Les rituels funéraires n’étant pas très recherchés dans le milieu évangélique, on pourrait penser que la tâche pastorale se limite à un court service funèbre épuré de tout paganisme. Pourtant la sobriété de forme n’enlève rien à l’importance de la célébration qui sera vécue. Les affects de la famille endeuillée sont si sensibles que ce temps communautaire d’adieu sera le lieu d’un témoignage de foi décisif dont elle gardera la mémoire longtemps.
Mais surtout, en tant que pasteur, se former à l’accompagnement des familles en deuil, ouvre un champ de travail bien plus vaste que celui de la stricte préparation des enterrements. Il s’agit d’oser entrer en compagnonnage de la souffrance face à la mort. Au creux de cette épreuve s’ouvre un chemin de réflexion en profondeur. Il vient interroger le sens de la vie pour chacun et la place de sa foi, mais aussi les relations familiales, avec leur complexité. La brutalité de la mort sert de révélateur à ce que parfois la vie quotidienne vient masquer. Mis à nu devant la mort et sa violence, face à l’absurdité, face à sa propre finitude, l’humain se sent petit et cherche avidement un soutien. La fragilité de la personne endeuillée peut lui donner une soif spirituelle ou à l’inverse la positionner dans une colère contre Dieu. Nous y reviendrons. Notons dès à présent que l’intensité des entretiens menés avec les personnes en deuil est forte. Le pasteur peut lui-même être touché par l’émotion, quelquefois au point d'être déstabilisé. Les obsèques d’enfants sont particulièrement éprouvantes. Pourtant, la fonction pastorale demande de tenir fermement debout face au drame et de pouvoir annoncer une parole, même face à l'indicible, pour que le silence morbide ne gagne pas. Pour qu’elle sonne juste, cette parole va se nourrir de l’expérience humaine et spirituelle du pasteur, mais aussi de sa capacité à être à l’écoute des endeuillés, car chaque situation est spécifique. C’est enfin le souffle de l’Esprit, qui permettra au pasteur de recevoir l’inspiration de paroles empreintes d’empathie et de tact.
L’apôtre Paul encourage les habitants de Thessalonique en concluant un développement sur la question de la vie après la mort par ces mots : « Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles », ὥστε παρακαλεῖτε ἀλλήλους ἐν τοῖς λόγοις τούτοις. (1 Th 4.18). Le rôle de consolateur fait partie des rôles pastoraux. Il nous faudra détailler ce que consolation veut dire. La théologie chrétienne de la résurrection du Christ ouvrant une perspective de vie après la mort tient une place considérable dans notre dogmatique. La traduire en langage accessible pour les endeuillés d’aujourd’hui est une responsabilité de la pastorale. Elle va s’appuyer sur les connaissances de la réalité psycho-sociologique du deuil. Chaque année, en France, entre 500.000 et 600.000 familles sont frappées par un deuil. Chaque année, ce sont 175.000 femmes qui perdent leur conjoint, 60.000 hommes qui perdent leur compagne ou épouse. Véritable fait de société, le deuil engendre des situations économiques, sociales et psychologiques lourdes de conséquences. Comme la mort reste trop souvent un véritable tabou, la situation des endeuillés s’aggrave par le silence même qui les entoure. Le deuil a été proposé comme grande cause nationale pour 2012, mais cela n’a pas été retenu. À l’époque, le ministre de la Santé déclarait : « Un grand nombre de dépressions s’enracine dans des deuils mal faits. » On peut dire que le deuil est un problème de santé publique, avec des répercussions économiques sur les familles et la société. Les associations de soutien aux endeuillés estiment que 30.000 personnes par an auront un deuil pathologique. Il y a donc un enjeu à prendre en compte par les Églises afin de répondre aux besoins des personnes en souffrance.
C’est pour contribuer modestement à cet objectif que nous vous proposons d’aborder ensemble les différents chapitres de cette étude qui a fait l’objet d’une formation en présentiel en 2021.
I. La mort, questionnement de la vie
Chacun de nous se souvient de la première fois où il a assisté à un décès ou vu un mort. Quand le souffle disparaît d’un corps pour ne laisser que de l’inerte, un temps de sidération est inévitable. Choc de l’irruption d’un changement définitif et total : il était vivant il y a quelques minutes et, d’un coup, il n’est plus là ! Et c’est pour toujours.
La Bible nous parle de ce choc de la mort qui surgit dans le monde créé par Dieu. En Romains 5.12, la mort est présentée comme la conséquence de la rupture avec Dieu. La mort dont la violence nous heurte de plein fouet puisque le premier récit de mort dans la Genèse est celui d’un crime fratricide.
Avant de nous précipiter vers l’affirmation de la résurrection du Christ, entendons d’abord ce que sa mort a causé comme choc, peur et incompréhension à ses disciples. En Marc 10.32, on trouve la mention de l’effroi dans le récit de l’annonce de sa mort aux disciples. Bien sûr, le cadre particulier d’une mise à mort extrêmement violente donne à la perspective du décès de Jésus un impact spécifique. Il n’empêche que le thème de la mort va devenir le centre de l’Évangile, ce qui n’est pas anodin. Une mort, source de choc, scandale, et source de vie, de grâce (!), selon Paul.
La théologie de la Réforme va centrer la foi sur le salut procuré par cette mort du Christ. Le Catéchisme d’Heidelberg, en 1563, affirme :
« Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort ?
C’est que dans la vie comme dans la mort, j’appartiens non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur. »
La réalité de la mort a impacté toutes les cultures. Schopenhauer appelait la mort « le vrai génie inspirateur de la philosophie ». Pour Thomas Mann aussi, elle est féconde : « Sans la mort, il n’y aurait pas eu de poète sur la terre ». Michel-Ange le confirme : « Il n’y a en moi nulle pensée que la mort n’ait sculptée de son ciseau ». À travers l’Histoire, tous les divers rites funéraires ont pour objectif de créer un pont entre les vivants et les morts. Ils correspondent à un hommage à rendre à la personne décédée en respectant ses dernières volontés et en facilitant son passage vers un au-delà ; les rites expriment aussi le besoin social d’entourer les proches. Il y a une tension entre ces trois objectifs, pour le mort et pour les vivants. Dans la théologie protestante, on a clairement opté pour les vivants. Se démarquant clairement de certaines approches de l'Église catholique, le rituel pastoral protestant ne vise pas à faciliter le passage du défunt vers le ciel. Il s’agit d’être au service des vivants, de réunir les proches dans le souvenir et la prière. La reconnaissance est un des mots-clés de la célébration, si ce n’est même son titre. Reconnaissance pour la vie du défunt, mais aussi au revoir collectif. Les temps de recueillements au cimetière, comme les cultes d’action de grâces en église sont des moments clés pour le processus de deuil des familles. Cet ordre chronologique particulier spécifique au protestantisme vient d’ailleurs souligner le fait que le culte est bien destiné aux vivants après qu’ils aient fait leur adieu au corps terrestre du défunt.
Face à la mort d’un proche, inévitablement, chacun se questionne sur sa propre mort. L’inéluctable de la mort frappe. À la douleur de perdre un être aimé se mêle la conscience ravivée de sa propre finitude qui peut engendrer peur, tristesse, révolte… Là aussi, on pourrait directement affirmer notre vie éternelle en Christ. Il est incontestable que cet aspect de la foi chrétienne est fondamental ! Mais n’oublions pas qu’avant notre résurrection, il y a aussi le passage par la mort avec tout le dépouillement que cela suppose, qui souligne notre fragilité. L’enjeu est de pouvoir assimiler le fait inéluctable de devoir un jour traverser la mort, en donnant du sens à notre vie, du fait même de sa brièveté.
Ceci est d’autant plus nécessaire que subsiste en Occident un certain tabou autour de la mort et du deuil. Notons, par exemple, l'abandon des vêtements de deuil, traditionnellement noirs, qui peut être interprété comme une volonté de s’affranchir de la tristesse imposée par une convention sociale. Mais c’est aussi une forme de déni de la réalité douloureuse de l’endeuillé. Il prive l’entourage social d’une information donnée visuellement qui pouvait contribuer à créer une forme de compassion ou de respect susceptible de convenir à une personne en deuil.
C’est le docteur Élisabeth Kübler-Ross qui a, la première, développé l'étude systématique et approfondie d’un point de vue médical du deuil et de la fin de vie. Médecin, pédiatre et psychiatre, elle a pratiqué aux États-Unis après être née en Suisse. Elle a écrit seize ouvrages pour éveiller l’attention du grand public sur ces sujets jusqu’alors occultés. Elle a ainsi dénoncé la volonté de l’Occident moderne de cacher la mort, comme dans une sorte d’utopie dérisoire pour s’en protéger. Mais cet aveuglement rend la réalité de la mort encore plus brutale et dramatique au moment où l’on y est confronté. Dans le passé, la mort était visible, présente de façon récurrente à tous les âges de la vie ; la confrontation presque quotidienne la rendait plus proche ; ce qui n’ôtait pas son aspect douloureux. Aujourd’hui, elle est devenue une réalité déléguée au corps médical (70 % des Français meurent en institution) plus qu’à la famille. Dans notre société occidentale, nous sommes de moins en moins face à la mort en réel alors que, paradoxalement, nous sommes dans une hyper confrontation visuelle par les écrans, de mort dans les jeux, les films et les journaux télévisés. Un exemple : un enfant de dix ans a statistiquement vu des centaines de meurtres, des milliers de morts sur un écran, mais jamais en réel. Il n’est pas rare de rencontrer lors de préparation d’obsèques des quarantenaires n’ayant jamais eu à voir un mort, leurs parents s’étant occupé des rituels funéraires de leurs grands-parents sans eux. Ce tabou de la mort essaie de nous protéger de la conscience du fait que tout humain est mortel.
Pourtant, selon E. Kübler-Ross :
« La mort est une partie intégrante de la vie qui donne sens à l’existence humaine. En posant la limite du temps que nous avons à vivre, elle nous pousse à en faire un usage productif aussi longtemps qu’il nous est donné(1). »
Dans son livre autobiographique, Sauve-toi, la vie t’appelle(2) , Boris Cyrulnik raconte comment il est « né une deuxième fois » lorsque la mort est venue le chercher sans parvenir à le prendre ; et comment, du plus grand malheur, il a tiré une force pour répondre à l’appel de la vie.
Sans pour autant tomber dans une culture morbide et une théologie de la peur. Les danses macabres du Moyen Âge dont on peut trouver trace sur les murs des églises et cimetières du 15e siècle, avaient vocation à instruire les illettrés sur le sort incontournable qui les attendait, eux, mais aussi les riches, les puissants et les clercs. Si le style humoristique de ces fresques allège la gravité du message, il n’en reste pas moins que la mise en perspective de la mort est conçue pour donner du poids aux choix faits par les vivants.
En tant que pasteur, il est nécessaire à chacun d’avoir fait un travail de réflexion autour de la mort. La mort des siens, sa propre mort. D’en envisager les conséquences et d'en tirer des conclusions aussi bien théologiques que pragmatiques. De savoir prendre appui sur la théologie de l'Ecclésiaste pour profiter pleinement de la vie à chaque instant sachant que nos jours sont comptés. De ne pas nous laisser prendre au dépourvu et par surprise par celle qui est un rendez-vous incontournable pour chaque humain.
II. Le deuil, une épreuve de vie
Nous pouvons définir le deuil comme un état douloureux provoqué par la perte d’un être humain. Le deuil est souffrance. Le lien qui me mettait en relation avec l’autre, est coupé. Il y a deuil, parce qu’il y a eu attachement. Le Dr Christophe Fauré, psychiatre parisien, est devenu spécialiste de l’accompagnement du deuil. Il explique : « La tonalité du deuil à venir est directement conditionnée par tout ce qui a été vécu auparavant dans la relation, avant le décès(3) ».
Mais le deuil est aussi un parcours : le processus psychique par lequel une personne parvient progressivement à se détacher d’un être cher qui est mort.
Chaque deuil est unique. Gardons sans cesse en tête un pluriel : nous accompagnons des deuils. Néanmoins, l’expérience a montré un certain nombre de constantes entre les histoires des uns et des autres.
Le deuil est un processus de guérison qui se fait dans la durée, naturellement. Il permet de passer d’une relation extérieure à l’autre, objective, à un lien à l’intérieur de soi. Il s’agit pour cela de convoquer les souvenirs puis de faire le choix d’assimiler certaines idées ou expressions, certains engagements… de l'être aimé perdu pour les porter en soi. « Le travail de deuil n’aboutit pas à l’oubli, bien au contraire ; il garantit le non-oubli(4). »
Conséquences du deuil
Un des atouts de l’étude menée par le CRÉDO(5) sur le deuil, publiée lors des premières assises funéraires en 2016, est de montrer la palette des conséquences d’un deuil : ce phénomène est beaucoup plus complexe et long qu’il n’y paraît à première vue.
Nommons en premier les conséquences psychologiques, car ce sont les plus évidentes. 39 % des endeuillés disent avoir eu des effets psychologiques (12 % allant jusqu’aux pensées suicidaires). Cette information doit particulièrement éveiller notre sens de la responsabilité pastorale vis-à-vis de ce public fragilisé. Une situation particulière de vigilance à avoir lors de décès par suicide : il arrive que d’autres membres de la famille proche finissent par reproduire le geste fatal.
Ce qui est moins connu, ce sont les conséquences physiques du deuil. Le corps parle et exprime la douleur par des symptômes très variés. Non seulement le sommeil ou l’appétit sont touchés, mais aussi d’autres organes, comme le cœur ou la peau. En réalité, en période de deuil, l’organisme produit moins d’anticorps ce qui laisse le champ libre à toute sorte de pathologies. La moitié des personnes interrogées ont ressenti une grande fatigue physique pendant la première année. Cette fragilité du corps est à prendre en compte comme une réalité biologique, et non pas comme le reflet d’un manque de volonté.
Le deuil a aussi des conséquences familiales et relationnelles. On peut parler de déflagration quand il s’agit de la perte d’un conjoint ou d’un enfant, mais la perte d’un parent est aussi un événement majeur dans la vie de tout individu. Une dame veuve me confiait récemment : « Je traverse un tsunami ! » L’endeuillé doit recomposer son paysage relationnel pour faire face au manque. Se pose alors un questionnement identitaire. Un monsieur veuf m’écrit : « J’ai perdu la moitié de moi-même. »
N'oublions pas les conséquences professionnelles. Les quelques jours de congés légaux ne suffisent pas, pour beaucoup de personnes, à encaisser le choc du deuil. Plus d’un actif sur deux a bénéficié d’un arrêt de travail à l’occasion d’un décès.
Les conséquences financières sont de deux ordres. Pour certains, c’est le manque de ressources qui surgit. Pour d’autres les questions autour de l’héritage qui, malheureusement, ne sont pas sans susciter des jalousies et des conflits au sein des fratries, les notaires peuvent en témoigner.
Nommons enfin les conséquences spirituelles du deuil : selon l’enquête, 30 % ont connu des ébranlements de conviction spirituelle, toutes croyances confondues.
Pour les chrétiens aussi, la brutalité de certaines morts vient heurter leur foi. Si Dieu est le Tout-Puissant, comment peut-il accepter cette mort si atroce ? Si Dieu est amour, comment peut-il vouloir nous séparer ? Si Dieu écoute ses enfants, pourquoi n’a-t-il pas répondu à mes prières de demandes de guérison ? Ces questions ont leur place dans le deuil ; nous n’avons pas à en avoir peur quand bien même nous n’aurions pas toutes les réponses. Les appels au secours des psalmistes disent assez l’importance d’oser exprimer oralement sa souffrance.
Le temps du deuil
Une des découvertes de l’enquête du CRÉDOC est de montrer combien les processus de deuil sont plus longs qu’on ne le pensait. 42 % des Français sont en deuil ! 24 % vivent un deuil de moins d’un an. 34 %, de 1 à 5 ans. 31 %, de 5 à 20 ans, 12 %, de plus de 20 ans. Dire que certains parlent d’un deuil à clore en quelques mois !
Comme le dit l’Ecclésiaste, il y a un temps pour tout. Un temps pour rire et un temps pour pleurer (3.4). Le temps des larmes est utile pour vider son chagrin. Un des versets les plus parlants à cet égard est celui de Jean 11.35 : « Jésus pleura. » Malgré son pouvoir divin et la future résurrection de Lazare quelques minutes plus tard, Jésus prend le temps de pleurer. Les larmes ont leur place ici pour lui, autorisant de ce fait pour nous aussi nos larmes exprimant la douleur de nos deuils.
Dans le judaïsme, les rituels de deuil marquent le temps : sept jours, un mois, un an. Une année pendant laquelle la personne peut se soustraire à l’obligation de participer à des fêtes, par exemple, et qui sera marquée par une cérémonie de clôture du deuil le jour du premier anniversaire de la mort. Une façon de prendre en compte le temps comme allié de ce processus en respectant les besoins de la personne endeuillée, qui correspond à ce qu’a noté l’enquête du CRÉDOC : « La première année est la plus difficile et elle détermine la suite du deuil. C’est là que se concentrent les plus grands effets et les demandes les plus importantes. »
Les étapes du deuil
Les étapes du deuil ont été mises en relief par Élisabeth Kübler-Ross ; elle fut au 20e siècle une pionnière dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, notamment des enfants et des sidéens. Elle s’est engagée pour que la fin de vie soit mieux prise en charge à l’hôpital dans le respect de la dignité de la personne.
Élisabeth Kübler-Ross a défini des étapes du processus de deuil. Notons qu’on ne passe pas forcément par ces étapes dans un ordre chronologique. Il y a parfois des retours en arrière. Chaque individu reste plus ou moins longtemps sur chaque étape. Mais, dans les cas difficiles, certains endeuillés restent bloqués à une étape. Comme elles sont développées dans de nombreux ouvrages, je ne ferai ici que les présenter rapidement.
Le choc et le déni : Juste après le décès, la personne est coupée de la réalité par une sidération qui met à distance le stress. Même si le cerveau intellectuel a intégré le décès, l’information n’a pas encore atteint les niveaux plus intérieurs. Les émotions sont comme anesthésiées.
Le déni s’apparente au refus de croire à la réalité. « Je n’arrive pas à croire qu’il est mort ! ». On ne peut pas intégrer d’emblée ce qui est inconcevable. C’est un répit avant le déferlement de la douleur. Pendant les confinements, le fait de ne pas avoir pu accéder au corps du mourant, au cercueil ou au crématorium, a pu bloquer les familles dans ce stade du déni. « On a besoin de voir pour croire car, sans cette confirmation visuelle, comment faire taire ce doute insidieux qui fait espérer un possible retour(6) ? » Les deuils ont pu être de ce fait plus compliqués ou plus longs.
La colère : La présence de la colère est normale dans un processus de deuil. On est en colère contre les médecins, la famille, soi-même, la vie ou Dieu ! La colère permet de renouveler son énergie. Il est bon d’autoriser l’endeuillé à l’exprimer, sans essayer de le contrer par un raisonnement rationnel ou théologique inadéquat à ce moment-là. Il y a aussi une forme de colère ou de rancune contre le défunt. D’abord, parce qu’il nous a abandonnés, lâchés, obligés à vivre sans lui. Mais, d’une façon plus précise, il peut aussi y avoir des sentiments de rancune contre un défunt qui n’a pas rempli son contrat relationnel. Avec l’impression d’un inachevé ou d’un gâchis.
La négociation ou marchandage : c’est une volonté de remonter le temps, pour changer le cours des choses. Elle naît souvent de la culpabilité ; « si seulement j’avais fait, ou pas fait… » On essaie ainsi d’échapper à son propre sentiment d’impuissance. Parfois, on négocie sa propre mort en échange de celle de l’autre, comme David crie à la mort d’Absalom : « Pourquoi je ne suis pas mort à ta place ? » (2 Samuel 19.4). En inventant une fin différente à la tragédie, on éloigne un instant la brutalité de la souffrance face à l’inéluctable ; c’est donc là aussi une phase utile. Ne la jugeons pas absurde ou dérisoire. Le marchandage avec Dieu découle de la phrase traditionnelle : « Dieu l’a repris » ; « Dieu n’aurait-il pas pu reprendre une autre maman ? » questionnera l’enfant orphelin. La notion vétérotestamentaire de victime expiatoire vient sans doute aussi inconsciemment nourrir ce fantasme de la transaction possible face à la mort.
La dépression ou tristesse s’empare de l’endeuillé qui ressent un grand vide intérieur. Il se replie sur lui et la dépression vient engourdir le système nerveux. La tristesse est légitime. Son rôle est de plonger le corps et l’esprit dans un ralentissement. C’est dans ce ralentissement que se pose la reconstruction.
Quand la vie reprend le dessus, une lente remontée a lieu ; la personne endeuillée va redéfinir son identité, sa relation aux autres, ses objectifs de vie… Elle est dans l’acceptation. Celle-ci entraînera une période de reprise de la vie par petites touches comme une expérimentation. Puis, par à-coups décisionnels, on reprend la capacité à décider et choisir. Un exemple avec David : en 2 Samuel 12.20 puis 24, quand le premier fils de Bethsabée meurt, il arrête son jeûne et va retrouver son épouse « pour la consoler » (sic). Dans le texte, on utilise le verbe hébreu, naham, consoler, réconforter. Un acte d’amour volontaire donc de la part de David. Le retour de la libido peut signer une avancée dans le parcours de deuil. Et, là encore, il n’y a pas de honte ou de jugement à avoir quant au besoin sexuel qui s’exprime au cours du deuil. Faire l’amour est une façon de se prouver que l’on est bien vivant.
Une autre interprétation de ce verset insiste sur le fait qu’en se tournant vers son épouse, David ferait alors preuve de compassion. Et, parfois, prendre soin des autres, des proches, eux aussi en souffrance, peut aider à dépasser l’inertie due à son chagrin personnel. Cette problématique de la gestion du chagrin du conjoint est encore d’actualité aujourd’hui. Après le décès d’un enfant, certains couples voient leur complicité renforcée dans une solidarité de soutien mutuel ; d’autres vont finir par se séparer tant la souffrance qu’ils lisent dans les yeux du conjoint leur devient insupportable à gérer en s’ajoutant à leur propre douleur. Sachant cela, la vigilance du pasteur sera accrue pour aider les couples en deuil à chercher un soutien professionnel afin de traverser cette crise sans ajouter au deuil de l’enfant le deuil du projet conjugal.
Quand les habitudes de vie reprennent avec naturel et non plus comme un effort, on parlera de l’intégration du deuil dans le processus de vie. « En reprenant goût à la vie, il n’est pas rare que l’on éprouve le sentiment de trahir le défunt(7). » Comme si on se devait, par fidélité, de demeurer dans le chagrin. Petit à petit, le pasteur pourra aider l’endeuillé à prendre conscience que ce retour à la vie est aussi une façon de rendre hommage au défunt.
Il y a dans la courbe des étapes du deuil un mouvement descendant puis un mouvement remontant. La phase la plus basse, au milieu, est celle de la tristesse et elle peut surprendre l’entourage à un moment où l’on pense que le deuil ayant déjà commencé depuis un certain temps, il serait possible de déjà remonter. Or, le découragement et le vide se font justement plus fortement ressentir au bout de quelques mois. Le sachant, le pasteur pourra veiller à visiter les endeuillés au cours de cette période de neuf à dix-huit mois après l’enterrement.
Concluons cette présentation des étapes du deuil en précisant que ce parcours mène à la vie : en sortant du deuil, l’idéal est que la personne s’aperçoive qu’elle peut non seulement survivre, mais savourer la vie !
III. Accompagner les endeuillés
Solitude
La relation qui unissait le défunt à la personne endeuillée est, par essence, unique. Deux enfants, par exemple, n’ayant pas le même lien avec leur parent, n’auront pas le même deuil. Deux parents n’ayant pas le même lien à leur bébé ou enfant mort ne vivront pas leur douleur de la même façon. Cette unicité expérimentale provoque par elle-même un sentiment de solitude. La douleur que je vis m’appartient. Elle n’est comparable à aucune autre. L’endeuillé est convaincu que personne ne peut vraiment comprendre sa douleur. Cette impression est renforcée si son entourage a des propos maladroits. Lorsque, par exemple, avec la meilleure intention du monde, il essaie de le stimuler pour un retour à la vie normale, alors que l’endeuillé, à ce moment-là, a besoin de vivre pleinement sa douleur à sa façon, peut-être par l’expression de sentiments forts, les larmes, ou par un besoin de rituels, ou par une expression verbale démesurée ou, au contraire, par un silence et un besoin de solitude.
Se sentir sur un îlot désert au milieu d’un monde hostile est une impression courante. Néanmoins, il ne doit s’agir que d’une phase temporaire. Si on s’attarde dans l’isolement, on s’enferme dans des murs invisibles, dans un étouffement voire une paralysie. Quand le monde extérieur semble insouciant, hostile, incapable de comprendre l’endeuillé, les associations ou groupes d’entraide spécifiques, les lieux d’écoute peuvent prendre un relais et devenir des ponts pour pouvoir rejoindre ultérieurement le monde.
Accompagner le deuil, c’est tenir compte de cette unicité : pas de comparaison, pas de relativité, pas de schémas tout faits. C’est accepter « de ne pas savoir » et rester longtemps dans une attitude exclusivement d’écoute !
Prenons en exemple cette conversation téléphonique avec Élisabeth, une femme de 55 ans, veuve depuis un an :
« Mes enfants ne me comprennent pas. Ils me bousculent pour que je tourne la page. Mais je ne peux pas passer à autre chose. Je ne peux pas arrêter de pleurer. J’ai passé 36 ans avec mon homme et on me l’a enlevé d’un coup. Je ne sais même pas comment je vis encore. Les gens ne comprennent pas. Ils croient que j’exagère… C’est dur ! J’ai des douleurs physiques : comme si mes épaules et ma tête étaient à bout de nerfs. Je n’ai plus la force de faire ce que je faisais avant. Mes enfants me disent d'enlever et de donner des habits de mon mari, mais je ne veux pas le jeter dehors de notre maison (sic). Je ne veux pas me débarrasser de lui. J’ai besoin de retrouver ses affaires, de les voir, de les toucher.
Dans 15 jours, cela fera un an. J’ai peur de cette journée, de ce qui va se passer, de ce que les gens vont dire. »
Écoute
Le sentiment d’être incomprise est une des parties de la souffrance de cette femme et nous alerte sur le premier besoin des endeuillé(e)s : l’écoute respectueuse. Des paroles peuvent être justes rationnellement (par exemple, « il faut vider le placard des habits de Papa ») et être ressenties comme d’une grande violence par la personne fragilisée. Avant d’avoir à conseiller, consoler ou enseigner, le pasteur sera donc un écoutant attentif et patient.
Attentif, afin d’amener la personne, par ses questions ouvertes, à se confier en authenticité et pas dans un faire semblant politiquement correct qui masque la béance du chagrin. Patient pour ne pas précéder la personne dans son chemin de guérison, et accepter que certains entretiens lui donnent la pénible sensation de ne pas avancer. C’est en déroulant plusieurs fois son récit que la personne peut, petit à petit, s'approprier les faits, les accueillir intellectuellement et émotionnellement. À ce moment-là, elle a besoin de parler pour s’entendre raconter. Pour pouvoir ensuite réfléchir par elle-même.
Le pasteur peut être un vis-à-vis particulièrement pertinent du fait de la juste distance qu’il peut prendre avec la personne. Ni trop proche comme l’entourage quotidien, ni trop distant comme des inconnus, il peut offrir une présence à la fois ponctuelle et régulière, et donc un accompagnement dans la durée qui aide la personne à suivre un chemin de guérison intérieure, quelle que soit la durée de son deuil.
Culpabilité et pardon
Parmi les nombreux aspects de l’accompagnement du deuil (nous ne pouvons pas les traiter ni même les nommer tous ici), je voudrais en souligner un qui pourrait spécialement attirer l’attention des pasteurs. Il s’agit du phénomène de la culpabilité. « La culpabilité fait corps avec le travail de deuil. Elle en est presque indissociable(8). »
Christophe Fauré cite 5 raisons à cette culpabilité des endeuillés :
- La culpabilité par rapport à la maladie, ou l’accident, comme si on était responsable d’une part du décès.
- Culpabilité par rapport aux circonstances du décès. Quand survient un drame, c’est forcément la faute de quelqu’un, d’où la présence, dans le processus de deuil, d’une part de la colère et d’autre part de la culpabilité.
La culpabilité peut venir de la fin de vie. Quand le mourant a vécu un certain nombre de souffrances, les proches se reprochent de ne pas avoir fait ce qu’il faut, de ne pas avoir choisi les bons médecins, de ne pas avoir procédé à une hospitalisation au bon moment. Ces regrets d’ordre médical peuvent avoir une part de réalité, car la médecine moderne avec ses choix multiples est source de dilemme.
- Le sentiment de culpabilité peut provenir paradoxalement du sentiment de soulagement. Soulagement d’abord pour le défunt, qui a fini de souffrir ; la longue durée d’une maladie a pu l’épuiser ; la déchéance d’une maladie invalidante le désespérer. Tout ce cauchemar est fini. Donc, les proches peuvent se sentir soulagés légitimement surtout pour le défunt.
Soulagés aussi de leur propre fardeau, à savoir du soin à domicile ou des visites quotidiennes à l’hôpital ; soulagés aussi de l’angoisse de l’attente de savoir quand le décès se produira ; parfois même de façon terriblement paradoxale, en cas de suicide, cette angoisse avec les multiples tentatives de suicide est tellement insupportable que les proches peuvent relâcher une certaine tension quand « c’est fait… »
- La culpabilité peut aussi être celle du survivant. Par exemple, pour les rescapés d’un accident collectif, d’un naufrage, d’une guerre ou des camps de la mort comme Martin Gray. L’idée (fausse, mais prégnante) que l’on a pris la place d’un autre qui aurait pu être vivant. Comme si la mort avait un quota à réclamer… Il n'y a malheureusement aucune réponse à la question « Pourquoi eux sont morts et pas moi ? » Toute explication logique ou spirituelle est rapidement irrecevable. Il va falloir accepter de ne pas comprendre le pourquoi et donc accepter de vivre soi. Peut-être, pour eux, et avec eux (ceux qui ne sont plus là).
- La culpabilité peut aussi venir de tous les conflits ou les inachevés dans la relation au défunt. Relation conjugale ou relation parentale, comme la famille n’est pas le lieu de l’idéal, il y a mille paroles dites ou non dites et gestes faits ou non faits que l’on regrette. Et les regrets peuvent devenir lancinants.
Bien qu’insistant sur la relation directe entre Dieu et le chrétien, le protestantisme peut aussi concevoir que les personnes aient besoin de se confier, voire (osons le mot) de confesser oralement leurs erreurs ou regret pour pouvoir se libérer d’une culpabilité inavouable et lancinante qui sera d’autant plus envahissante qu’elle sera gérée en solitaire et maladroitement refoulée.
Pouvoir nommer sa faute ou son sentiment de responsabilité, sa défaillance et ses regrets leur donnent une épaisseur et une réalité objectives qui permettent dans un second temps de s’en débarrasser. Pour cela le pasteur, après avoir été l’écoutant bienveillant et sans jugement, sera le co-priant pour déposer avec le chrétien son fardeau aux pieds de Christ et recevoir ensemble la certitude du pardon de Dieu, un pardon qui libère réellement.
Funérailles
« Toutes les études l’affirment clairement : le fait de réunir autour de soi un réseau de soutien de qualité est considéré comme une des conditions les plus favorables pour cheminer dans le deuil. Cette présence n’enlève rien à la douleur ni au sentiment de solitude, mais elle constitue une aide inestimable pour ne pas sombrer(9). »
Le culte d’action de grâce à l’occasion du décès n’est pas théologiquement une nécessité. Pourtant, ce rituel peut devenir le support d’une présence importante et bienfaisante de l’Église pour les familles endeuillées. « Les funérailles sont utiles si elles répondent aux besoins sociologiques, psychologiques et philosophiques de ceux qui perdent un être cher(10). »
Si la célébration n’a pas de pouvoir magique, elle permet aux proches de se rassembler, d’entendre l’Évangile et de se sentir entourés par une communauté croyante. Le rituel lui-même est une parole sociale alors que l’individu est souvent en incapacité à dire une parole privée. Après avoir préparé ensemble la cérémonie, le pasteur se fait ainsi l’interprète d’un message, le porte-parole de la famille. Le rite donne un code d’accès à la fois pour exprimer la douleur et pour lui donner un contenant qui la contienne. Quand certains membres de la famille osent prendre la parole, c’est pour eux aussi une importante étape dans le deuil ; l'occasion d'achever la conversation avec le défunt. Parfois aussi, si la personne décédée a laissé des instructions précises, cette cérémonie lui donne une dernière fois la parole, en guise d’au revoir. Il peut aussi rendre témoignage de sa foi et apporter à ses proches une consolation d'autant plus crédible qu’elle vient de lui. L’accepter, c’est alors obéir aux dernières volontés du défunt et lui rendre hommage.
Lors des funérailles, une tâche spécifique du pasteur est l’annonce de l’Évangile, comme bonne nouvelle du salut. L’annonce de l’amour de Dieu pour celui qui est mort et pour ceux qui restent est un des piliers des cérémonies.
L’affirmation de l’accueil par Dieu du chrétien âgé qui est décédé en toute confiance et après une vie consacrée est relativement simple. Mais la prédication de la résurrection est parfois un chemin d’équilibriste : quand la personne a attesté d’une conviction vacillante, ou a renié sa foi, quand sa vie ne donne pas un bon témoignage… Peut-on affirmer solennellement son salut ? À l’inverse, on ne peut jamais fermer la porte, car seul Dieu est juge et lui seul connaît tout de la personne. Reste alors l’affirmation centrale d’un Dieu d’amour à qui nous faisons toute confiance.
Quand le décès est dramatique, l’affirmation théologique peut aussi être complexe. Que dire de la volonté de Dieu à une jeune femme veuve après un an de mariage, à un couple qui a perdu un enfant de cinq ans ? À un homme dont le frère jumeau s’est suicidé ?
Le témoignage qui transmet le mieux l’amour de Dieu n’est-il pas celui qui ose dire ses questions et les limites de son savoir en toute humilité ? Les endeuillés ont moins besoin d’un catéchète théologique insensible que d’un témoin d’humanité sincère qui peut rester ferme dans la confiance en un Dieu d’amour quoi qu’il arrive.
Les obsèques sont aussi un moment où des non-croyants viennent à l’église. À cette occasion, il peut arriver qu’ils soient particulièrement réceptifs et assoiffés d’une parole vraie. Le témoignage de la foi peut donc être très fort s’il est sincèrement incarné.
Immigration
L’importance de la proportion des membres des Églises venant d’autres pays impose d’aborder, même succinctement, la question du rapport entre deuil et immigration. L’immigration a déjà de facto créé une situation de perte et de deuil du pays. Et mourir dans un pays qui n’est pas celui où l’on est né n’est pas sans impact. La question n’est pas seulement géographique, mais culturelle. Les rituels peuvent être différents. Mais surtout, l’immigration a créé un éclatement familial. Les uns sont ici et les autres là-bas. Quand la mort est survenue, on a été absent. La culpabilité est forte, et le chagrin augmente si l’on ne peut pas se rendre aux funérailles, notamment pour des causes financières ou de disponibilités. Être privé de rituels au moment où l’on est fragilisé par le deuil peut être très douloureux, voire bloquer le deuil à l’étape du déni ou de la colère. Se pose aussi la question du lieu de l’ensevelissement. Faire revenir le corps au pays est souvent une évidence a priori, comme le retour à la terre d’origine. Mais, à la deuxième génération, elle est questionnée : la tombe n’est-elle pas aussi un lieu de recueillement pour les vivants, les descendants ? S’ils sont maintenant en France, n’est-il pas judicieux de choisir un enterrement ici ? Quand le défunt n’a pas exprimé sa volonté, les questions hantent les familles.
IV. Conclusion
Le pasteur, en relation avec une famille endeuillée, peut se sentir guidé par un certain protocole lié au ministère. Il sait ce que l’on attend de lui, comme pasteur, en termes d’action et de parole. Et sa mission est bien de tenir ce rôle qui est structurant pour les endeuillés.
Néanmoins, certains drames avec des deuils traumatiques auxquels le pasteur sera confronté vont aussi le toucher personnellement en tant qu’humain. Quand la violence est liée à la mort (accident, meurtre, suicide…), de multiples problèmes pratiques, juridiques et psychologiques s’ajoutent. Pour ne pas être trop déstabilisé par l’irruption d’émotions personnelles envahissantes qui risqueraient de perturber son attention à l’autre, il aura intérêt à faire, en amont, un travail personnel de réflexion sur le thème de la mort.
Analyser son propre rapport au deuil dans son parcours de vie, réfléchir à sa propre mort, être confronté à sa finitude, c’est douloureux. Pourquoi la mort fait-elle peur ? Parce qu’elle est à la fois inévitable, définitive et imprévisible. Si la foi en la résurrection ouvre une perspective radicalement différente pour le chrétien, il n’en demeure pas moins que l'abandon de la corporalité terrestre telle que nous la connaissons est un dépouillement absolu.
« Il nous console dans toutes nos détresses, pour nous rendre capables de consoler tous ceux qui sont en détresse, par la consolation que nous recevons nous-mêmes de Dieu. » (2 Corinthiens 1.4)
Dans un chemin spirituel personnel, le pasteur devra asseoir son ministère sur une spiritualité personnelle profonde. Autant de pistes à creuser pour affermir une solidité intérieure et pouvoir la conserver lors des accompagnements de funérailles difficiles.
Ceci ne veut pas dire que le pasteur doive être coupé de ses émotions et devienne un professionnel « blindé ». La compassion se nourrit aussi de notre capacité à accepter une part de résonance de la douleur de l’autre en soi.
Par ailleurs, même le plus expérimenté saura que chaque situation étant particulière, le « bon » accompagnateur est celui qui accepte de ne pas avoir réponse à tout, de ne pas savoir d’avance, et de cheminer en « pauvreté » à côté de ceux qui souffrent. L’espérance à partager ne fait pas l’économie du passage par l’écoute et l’empathie.
Il peut aussi être bon parfois de proposer aux endeuillés de contacter l’une ou l’autre des associations spécialisées dans l’accompagnement du deuil. Deuil de l’enfant, deuil du conjoint, deuils périnataux… Les professionnels qui ont l’expérience de ces situations ont les compétences spécifiques complémentaires vers lesquelles, en tant que pasteur, on pourra orienter les familles.
Enfin, l’étude sur la temporalité du deuil nous ayant montré combien celui-ci se prolonge dans le temps, souvenons-nous que l’accompagnement des endeuillés est un engagement dans la durée, avec patience, persévérance et doigté.