Nous aborderons dans cet article ce que peut être une visite pastorale. Nous cernerons avec quel état d’esprit elle est à accomplir. Nous donnerons quelques éléments pour comprendre la visite pastorale comme distincte d’un « entretien pastoral » ou d’un suivi de type « cure d’âme » ou « relation d’aide ».
Visiter ses paroissiens !
Qui n’a pas entendu « qu’il fut un temps », où le pasteur avait pour tâche prioritaire de « visiter ses paroissiens » ? Qui ne revoit pas cette image du pasteur allant de maison en maison dans son village pour rencontrer les « gens » et parler avec eux ? N’est-ce pas parce qu’il se donnait fort bien à cette tâche que plusieurs pouvaient dire, non sans une pointe d’humour : « Le pasteur se promène ! » ? La caractéristique d’un pasteur, voire sa définition, consistait à dire qu’il prêche et « fait des visites !». Où en sont les pasteurs aujourd’hui ? Cette attente de la « visite » est-elle toujours présente ?
La ville
L’urbanisation a sérieusement changé le contexte et les composantes du ministère pastoral. La manière dont les personnes entrent en relation change aussi considérablement. Le pasteur fait-il aujourd’hui ses visites par e.mail ? Je ne pense pas qu’il y a des bons et des mauvais moyens. Il y a des objectifs et des climats différents. L’important réside dans le fait que les moyens soient adaptés à ce que le pasteur et la personne de l'Église veulent entendre, écouter, partager (pardon pour l’anglicisme) et transmettre.
Le temps !
Peut-être, reste-t-il une nostalgie de ce temps où il semble que le pasteur avait le temps ! L'avait-il réellement plus que nous aujourd'hui ? Le temps est tellement nécessaire pour construire des relations profondes et durables mais manque toujours. Il y a d’une part le problème lié au fait que les pasteurs sont absorbés par de multiples tâches, et d’autre part le fait que les personnes de l'Église sont plus mobiles qu’auparavant. Avec le risque de généraliser un peu, il semble que « les visites pastorales » font beaucoup les frais de tous ces changements, et la relation comme temps de vie en souffre beaucoup ! La visite pastorale est-elle alors appelée à disparaître ? Je trouverais cela très dommage ! Il ne faudrait pas que l’argument du manque de temps dissimule un manque de disponibilité intérieure et que la visite pastorale disparaisse sous couvert d’utiliser des moyens modernes plus efficaces !
Lorsque nous comparons le ministère pastoral aujourd’hui à celui des temps passés, il est nécessaire de nous demander si quelque chose à été perdu !
Témoignage
Je cède à la tentation de donner un exemple vécu lorsque j’exerçais mon ministère pastoral à l'Église libre de Cannes. Je le laisse à la méditation du lecteur.
Dans les années 30-40 il y avait un train qui reliait deux villes Cannes et Mouans-Sartoux, espacées d’environ 12 km. Chaque jour un train « descendait » à Cannes le matin et en « remontait le soir ». Aussi lorsque le pasteur devait faire une visite à ses paroissiens de Mouans-Sartoux il lui fallait partir la veille et redescendre le lendemain matin. Que de temps passé avec une ou deux familles ! Heureusement.. Quelque cinquante ans plus tard, j’avais la chance de pouvoir faire vite un aller retour sur la moitié d’un après-midi..... ! Le manque donne à penser !
Cet exemple m’a toujours marqué et j’avoue ma frustration lorsque je dois faire l’impasse sur les visites pastorales ; lorsque je dois faire l’impasse sur ce temps gratuit (pour reprendre une expression de Paul Tournier).
Une visite pastorale : définition et cadre
Il s’agit donc lorsque nous parlons de visite pastorale de la visite que fait le pasteur au domicile d’une personne de l'Église qui peut vivre seule ou pour rencontrer une famille. Le pasteur vient pour passer du temps ! Ce temps permet des échanges qui sont souvent bien difficiles à établir lors des rencontres en Église. C’est une visite « ordinaire », pour prendre des nouvelles, pour faire connaissance, pour garder le lien. C’est le moment choisi où il peut y avoir un peu « tout ». En ce sens la visite n’est pas un entretien pastoral sur un sujet précis. Elle n’est pas toute une étude biblique. Elle n’est pas uniquement une évocation de la pluie et du beau temps. Et pourtant, toute forme de sujet peut être abordée car la visite est « partage de vie ». La visite est ce temps de vie au présent. Plusieurs questions se posent : Qui visiter ? Que dire ? Combien de temps rester ? Faut-il ouvrir la bible systématiquement et prier ? Comment savoir si la visite est « réussie » ? Quelle est la place de l’autre quand le pasteur fait une visite ?
I. Demain... je vais chez qui ?
Lorsque les membres de l'Église n’habitaient pas trop loin du Temple, le pasteur pouvait visiter, plusieurs après-midi par semaine, plusieurs personnes. La liste des membres et amis pouvait être suivie systématiquement ou au gré des rues. La visite se faisait presque à l’improviste. Le rythme de vie des personnes à la campagne permettait cette organisation. Il faut se rendre à l’évidence : les temps et les circonstances ont changé. Le pasteur va devoir « privilégier » des personnes. Conscient ou non, il opère un tri. Quels sont ses critères de choix ?
Les risques d’un choix trop orienté
Il choisira le plus souvent des personnes seules ou âgées ou en grandes difficultés. Ce tri, qui peut souvent être le même, peut poser des problèmes pour les autres ! Car, globalement, dans ce cas, le pasteur s’apparente au docteur ! Il peut avoir tendance à tellement trier qu’il dresse une liste presque définitive des personnes « visitables » ou non ! De plus, à se baser presque exclusivement sur la situation de la personne il peut se faire entendre dire : « Il faut être malade pour voir le pasteur ! » Le pasteur est-il irrémédiablement ce « docteur de l’âme » ? Est-il vraiment, lorsqu’il parle de « visite », dans ce rôle quasi établi de « soignant un malade » ? La visite est-elle nécessairement curative et est-ce sa raison d’être ! Le pasteur peut aussi établir une liste de personnes à visiter dans le but de « mettre de l’ordre » dans l'Église. La motivation est-elle suffisante pour dire qu'il s'agit d'une visite ? Le pasteur peut aussi se déplacer avec l'objectif unique de convaincre une personne à prendre une responsabilité dans l'Église. Il devient un peu le redresseur de torts ou le recruteur. Son objectif est tellement précis et - osons le dire - intéressé, que l’autre ne compte plus : il n’est pas en « visite pastorale » Je n’ose pas parler du pasteur qui organise des visites pour aller à la pêche aux renseignements ou pour savoir ce que les personnes vont voter lors de la prochaine assemblée générale.
Ainsi, si un « tri » est inévitable à cause des aléas du temps il est important que le pasteur soit ouvert à tous et qu’il veille à penser aussi aux personnes qui vont bien !
II. Présent à l’autre : Une visite gratuite !
Qu’est-ce qu’une visite si chacun peut y prétendre ? C’est une visite gratuite ! Le temps gratuit de la visite pastorale entretient la relation. Nous disions « partage de vie » ; nous pouvons ajouter le « vivant de la vie et de la foi ». La visite est différente de l’entretien pastoral lequel se concentre plus sur des problèmes à résoudre. Il s’agit, dans la visite, pour le pasteur de se tenir proche et de créer des liens de vie et de foi comme une forme de respiration commune ? La visite est alors conçue comme un accompagnement de vie. La visite est un temps d’échange à bible ouverte.
« Monsieur le Pasteur...donnez-vous la peine d’entrer ! »
Il s’agit du pasteurqui vient chez quelqu’un. Ce n’est pas une visite de la voisine qui apporte des fruits de son jardin. Le pasteur vient, et pour beaucoup, sa visite est un honneur ; d’ailleurs tout est bien rangé ! Le rapport à l’institution ou à la fonction pastorale sera plus ou moins perçu et entretenu selon les personnes visitées. Ce serait une erreur de penser qu’il n’existe pas, même si le pasteur vient en visite, volontairement sans le costume ! Ce rapport sera toujours présent. Si l’image du pasteur comme référence idéalisée a été décriée, à juste titre, le pasteur « copain » est une tromperie. Car, il y a une attente lorsque le pasteur vient, qui va s’exprimer par une distance plus ou moins importante selon les personnes. Le respect de l’autre et de l’image qu’il porte sur le pasteur ne doit pas être piétinée parce qu’elle ne serait pas conforme à l’image que le pasteur veut donner. Certes, elle pourra être corrigée si elle est excessive, mais il convient de ne pas oublier que le pasteur est chez une personne dans son contexte de vie animée de ses propres références.
Où s’asseoir ?
L’importance d'une telle question peut sembler bien relative dans la plupart des cas. Plus particulièrement chez des personnes qui vivent depuis très longtemps chez elles l’endroit où l’on s’assoit n’est pas neutre. Il est nécessaire d’avoir une sensibilité sur ce sujet pour être à l’écoute de ce que la personne propose. Ce n’est pas qu’une question de confort ou de bienséance. Il y a des lieux chargés de symboles et de souvenirs. C’est un langage non verbal. Selon qu’il est reçu ou non, le pasteur peut apaiser ou contrarier la personne visitée.
À bâtons rompus !
Nous disions que la visite est surtout un temps « d’échange de vie la bible ouverte ». Le pasteur vient en tant que pasteur et aussi en tant qu’être humain. La gratuité passe par ce temps d’échange à bâtons rompus ; le temps, la famille, le passé, les événements du jour, Mr Untel, Mme Untel, les souvenirs, les projets, les difficultés...la santé ! Tout y passe ! Il ne s’agit pas de savoir si c’est un bon ou un mauvais choix de passer en revue la vie quotidienne. C’est la réalité que les personnes vivent et racontent au pasteur. Pénible ou agréable ce temps de discussion à bâtons rompus, que notre esprit est tenter de « zapper » à souhait, est pourtant tellement nécessaire pour la personne visitée. Car, il prépare un discours plus profond qui aura peut-être lieu dans plusieurs semaines ou mois, voire années ! La visite devient un lieu de gratuité où se tisse la confiance. Ces propos très généraux vont s’estomper peu à peu au fur et à mesure que la relation de confiance s’installe.
Une écoute vigilante !
Ce n’est pas toujours facile d’écouter ce qu’une personne dit et veut dire. Même lorsqu’elle semble raconter ou conter sa propre histoire il y a une double lecture à opérer. Au-delà des événements il y a l’expression des sentiments et des attentes. Même lorsque le discours semble à « bâton rompu » la personne exprime ou laisse transparaître ce qui constitue son vécu et son histoire. Parfois le discours peut être embrouillé pour le pasteur parce que la personne opère des raccourcis dans son histoire. Ce n’est pas la peine de faire répéter systématiquement ce qui est dit en posant des questions qui peuvent très vite s’apparenter à un interrogatoire. Il faut prendre de la hauteur lors d’une première écoute et cerner l’essentiel de ce qui est dit ou non dit. Lors d’une visite prochaine d’autres précisions pourront être données. Il est important de laisser la personne venir au visiteur avec ses propres outils ou ses propres chemins.
III. À Bible ouverte
Au cours de la visite pastorale le temps de lecture biblique et de prière a plus que sa place. Il y a une sensibilité à avoir pour que ce moment ne vienne pas comme une obligation. Ce temps de lecture biblique et de prière doit être un repos. Il est important que la personne visitée soit édifiée par ce moment-là. Le pasteur doit savoir ce qu’il cherche pour la personne. Au cours de la visite, le pasteur peut, par sa présence, aider une personne à entretenir sa lecture de la bible et peut aussi donner une nouvelle motivation à cette lecture de la bible.
Il est respectueux de demander à la personne si ce moment peut avoir lieu. Il arrive qu’au moment de la demande, la personne donne des indications sur la forme (Vous, vous priez pour moi !) ou sur le contenu de ce qui à été échangé (Pensez à mes enfants !). Si des problèmes importants ont été évoqués, il est délicat dans la visite de chercher à tout résoudre...Est-ce possible d'ailleurs ? Le pasteur montre son intérêt et promet une autre rencontre peut-être sous une autre forme ou avec une autre personne. Ne perdons pas de vue que la visite est d’abord un temps d’échange. Ce que le pasteur aura retenu des propos échangés aura beaucoup d’importance. À cause de ce temps vécu « en direct » il est préférable de ne pas choisir un passage d’avance, (sauf si la visite est bien et volontairement orientée et proche de l’entretien pastoral) parce qu’il est important que la prière et la lecture biblique soient « incarnées » dans la situation qui vient de se vivre. Le pasteur est chez quelqu’un ou dans une famille où vient de se vivre un moment d’échange plus ou moins intense et il est important que ce moment de lecture et de prière ne soit pas en décalage. Le souci de nourrir doit toujours être présent. Le pasteur est là pour l’autre ! Afin de n’être pas être pris au dépourvu ou déconcentré par ce que les personnes disent, il est intéressant d’avoir avec soi une liste de passages bibliques qui peuvent correspondre à diverses situations. Il est donc tout fait possible de repérer dans la bible, lors de lectures personnelles, des passages liés à des thèmes qui nourrissent le contenu des visites tels que l’espérance, la confiance, pardon, l’encouragement. Il est aussi possible de demander à la personne si elle pense à un passage biblique approprié à sa situation. Dans le même sens que celui évoqué pour le moment de discussion il est important de « respirer ce temps présent » avec la personne visitée.
La discussion théologique
Il n’est pas rare au cours des visites d’aborder des questions de théologie, de doctrine, d’éthique ou d’explication de textes. Il est opportun de ne pas les éluder. Si la question posée ou le thème abordé demande de longs développements, il faut pouvoir répondre d’une manière succincte et claire. Un débat plus important pourra s’ouvrir dans d'autres circonstances !
La prière
Le pasteur propose de prier et il peut aussi proposer à la personne de suivre sa prière ou de prier elle-même si elle le désire. Le pasteur doit veiller dans sa prière à prier pour la personne. Dire ensemble la prière du « Notre Père » apporte un moment de communion intense et rassure très souvent des personnes qui déclarent ne pas « savoir » prier.
Construire !
Précisément dans la visite, il n’y a pas de programme. C’est la différence qui peut être faite avec « l’entretien pastoral » ou « l'étude biblique ». Il y a surtout du cœur à cœur. Tout ce qui est « passé » par les attitudes, les propos tenus, a coloré la relation, est constructif de vie. C’est ce « cœur à cœur » que le pasteur va transmettre.
IV. Ce que le pasteur laisse et ce qu’il garde !
Beaucoup de pasteurs verront une perte de temps dans ces propos généraux surtout s’ils n’ont pas ouvert la bible et prié. Il semble que l’accomplissement du devoir pastoral en mis en défaut. Dans l’escalier le sentiment de n’avoir pas rempli sa tâche peut être bien lourd ! Prisonnier de « l’utilitaire » ou du « rentable » ou « du devoir bien fait » le pasteur peut vite perdre de vue le caractère de générosité et de disponibilité indispensable à la relation.
Qu’est-ce qu’une visite bien faite ?
La visite bien faite, s’il y en a une, peut être dans « la prochaine ». Entendons par ce terme le fait que la relation est en marche. La visite est une relation d’être en premier lieu elle est caractérisée par ce don de soi et le rayonnement de ce que nous vivons va transparaître sans qu’il soit exprimé. S’il est difficile pour un pasteur d’évaluer ce qu’il transmet il peut en revanche évaluer la qualité de ce dont il se nourrit lui-même. Il va rayonner de ce qu’il vit, et cela malgré lui ! Il peut livrer tous les messages qu’il veut, la personne visitée ne sera pas dupe et elle ressentira, sans l’analyser si la visite sonne faux, sonne creux ou sonne vrai ; si elle sonne vraie, alors c’est une bonne visite !
Verbatim
Après la visite il est important de retenir plusieurs choses
- la situation familiale de la personne
- les passages bibliques lus
- la situation ou le problème évoqué. Il est difficile de se remémorer tout ce qui a été dit. Il est possible d’écrire les verbatim. Le pasteur qui en a le courage verra dans ce travail un réel soutien pour faire le lien avec les prochaines rencontres. Il aura aussi l’occasion d’évaluer ses propres paroles et juger de leur pertinence et de leur cohérence.
Le secret de la confession.
La visite pastorale est plus large que l’entretien pastoral ; nous avons fait la distinction en marquant que la visite se voulait surtout un temps d’échange et de vie autour de la parole. Cependant le temps de parole peut être révélateur de secrets. Les secrets peuvent avoir des conséquences graves parfois.
À explorer !
Une équipe de visite
Une équipe de personnes formées pour visiter des personnes dans l'Église existe parfois. C’est sans doute une forme de ministère ou de service à développer en Église. Il est vrai que plusieurs ont pu se décourager tant le cléricalisme a encore la dent dure, semble-t-il ! En effet, une visite pastorale faite par une autre personne que le pasteur est perçue et interprétée différemment. Ne cédons donc pas à un excès de cléricalisme ; il n’y a pas que le pasteur qui peut faire du bien ! S’il ne s’agit pas de chercher à remplacer la visite pastorale, le travail d’une équipe de visite est à percevoir comme une aide précieuse pour les personnes de l'Église. Une équipe de visite peut dynamiser la communion fraternelle de l'Église. Une définition de la tâche et de la responsabilité de l’équipe de visite peut être rédigée pour une équipe visite et les membres de l'Église peuvent en être informés. Il y aurait à réfléchir au recrutement, à la formation, au suivi du travail de cette équipe, à son renouvellement.
Conclusion
La richesse de la relation passe par la gratuité et la qualité du temps donné. Plus le pasteur « fera de visites » et plus il cernera les besoins et les attentes. Plus il partagera les joies et vivra l'Église, plus les membres seront édifiés. Peut-être les pasteurs ont-ils à revisiter les emplois du temps en sachant que l’extraordinaire passe par le régulier et l’ordinaire le plus souvent. Mais l’ordinaire est si peu prioritaire !
«Il fut un temps» où le pasteur avait pour tâche prioritaire de «visiter ses paroissiens».