Offert à une vocation exigeante, le pasteur risque de perdre sa santé émotionnelle, physique et spirituelle s’il ne cultive pas certains équilibres. Dans le même temps, le ministère pastoral connaîtra immanquablement des saisons plus difficiles que d’autres, des crises et des périodes de désert. Comment les prévenir (quand cela est possible), les vivre et en sortir d’une manière grandie ? Et comment prendre soin de soi pour mieux prendre soin des autres ?
Typologie des déserts
Si vous lisez Lamentations 3.1-20, vous vous rendrez rapidement compte que ce n’est pas avec ce genre de texte que vous allez vouloir réconforter un paroissien lors d’une visite pastorale. Nous préférons lire directement à partir du verset 21.
Pourtant, les textes de complaintes n’ont-ils pas aussi parfois leur place ? Car ils décrivent les souffrances intérieures et les états d’âme par lesquels le peuple de Dieu peut passer.
Comment traversons-nous ces moments qui nous abattent et qui nous amènent à confesser malgré nous : « Je ne sais plus comment prier », voire « Je n’arrive plus à prier. Gémir, oui, mais prier, cela m’est impossible. »
Bien des personnes savent ce qu’est perdre l’envie, le courage et la joie, et en arriver à devenir l’une des pires versions d’eux-mêmes. Pouvons-nous réellement prétendre que nous sommes immunisés, grâce à notre travail de pasteur, contre les nuits sombres de l’âme ?
S’enliser dans un épisode dépressif peut ressembler à un liquide noir et visqueux qui s’introduit dans notre constitution intérieure et qui submerge nos émotions et notre esprit jusque dans les bas-fonds de notre être. L’angoisse devient comme un lierre qui s’enroule autour de notre âme pour étouffer son élan. Ligotés, paralysés, nous ne savons plus quoi faire, ni vers qui nous tourner.
Dans cet article, nous nous penchons donc sur un aspect douloureux, complexe, parfois mystérieux de notre humanité et de notre vie ici sur terre. C’est un sujet qui peut faire peur. Ne préférons-nous pas parler de ce qui va bien dans nos vies et dans nos ministères, plutôt que de parler de nos déserts ?
Pourtant, en parler permet de voir combien nos expériences désertiques peuvent être les endroits par excellence où Dieu a des choses à nous dire pour nourrir notre âme et notre foi, et pour nous faire grandir. David Powlison affirme que « c’est souvent à travers les marais de la désolation que s’écoule la rivière de la vie(1) ». En effet, Dieu nous rencontre dans notre faiblesse, comme il l’a fait avec Jacob qui lutte avec l’ange et qui finit par être plus fragile qu’avant. Touché à la hanche et désormais boiteux à vie, humilié, mais élevé, il apprend la dépendance de Dieu.
De quels types de déserts parlons-nous ? Et quelles peuvent en être les sources ? Présenter une liste complète et exhaustive n’est pas notre but. Mais il peut être utile de mentionner quelques éléments de notre existence dont nous pouvons faire l’expérience et que la vie ne nous épargne pas, même si l’on est pasteur(2) !
1. Le désert de la fonction pastorale
« Mon fils, si tu aspires à servir le Seigneur, prépare ton âme à l'épreuve. » Ainsi commence le deuxième chapitre du livre du Siracide(3).
Parmi les facteurs qui peuvent rendre la fonction pastorale éprouvante, ces deux-ci :
- Le pasteur endosse une fonction d’autorité qui devient vite la cible des critiques et des flatteries. Les deux peuvent le mettre en difficulté.
Francis Chan affirme : « Dès qu’un leader commet une erreur, même insignifiante ou innocente, nous sommes prompts à le critiquer pour passer immédiatement à autre chose. Le pardon est une denrée rare, presque inexistante à l’égard des pasteurs. Méprisant tout le respect que nous leur devons, nous utilisons le plus dur des langages pour fulminer contre le leadership(4). »
- Le berger essaie d’être tout à tous et attentif aux besoins du troupeau, mais il se retrouve finalement assez seul à porter le poids de la fonction et de tout ce qu’elle représente comme attentes et défis face à la complexité des situations humaines auxquelles il est confronté dans son travail d’accompagnement pastoral. Cette solitude du rôle est renforcée par le fait que la fonction est trop peu comprise. Les pasteurs, que font-ils réellement ? Lourde charge pour eux ; mystère opaque pour les brebis !
En général, nous assumons ce désert de la fonction pastorale, même s’il peut nous surprendre par moments, voire nous mettre en difficulté, nous déshumaniser et nous épuiser.
2. Le désert de la pression des résultats visibles
Ce désert, lié au précédent, est le désert de notre impuissance. Comment définissons-nous le succès dans le ministère ? Albert Einstein aurait dit : « Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément(5). »
Selon comment nous voyons la chose, et selon les objectifs que nous nous fixons et que nous ...