D’après un rapport de l’ONU publié en octobre 2020, environ deux millions de bébés meurent chaque année dans le monde, soit un toutes les seize secondes. Ce nombre ne concernant que les bébés de plus de 30 semaines d’aménorrhée(1) (7 mois de grossesse), il est loin de couvrir la réalité du deuil périnatal. En France, la mortinatalité s’élève à 10,2 pour 1000 en 2019(2). Il est donc très probable que chacun d’entre nous croise un jour une personne, un couple, une famille concernée par la mort d’un tout petit, cette mort si taboue.
Le travail de deuil – qui consiste à continuer de s’inscrire dans la vie, tout en tenant compte de la réalité de la perte imposée – est un processus naturel, et notre psyché est ainsi faite qu’elle peut « absorber » toute sorte de traumas, y compris la mort d’un tout petit. C’est ce qui se passe dans le meilleur des cas, et dans la plupart des cas, d’ailleurs. Mais le deuil d’un tout petit est assez spécifique, et parfois, c’est plus compliqué. La personne endeuillée a besoin d’aide. En savoir un peu plus sur cette réalité peut aider à accompagner au mieux les familles à traverser leur deuil.
Définition
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, on parle de deuil périnatal lorsque le bébé meurt entre 22 SA et le septième jour de vie. Mais dans les faits, ce deuil particulier recouvre une réalité bien plus large. C’est pourquoi on peut le définir comme étant celui qui concerne des parents qui doivent faire face à des grossesses non abouties, quel que soit le terme de cette gestation.
Beaucoup de soignants utilisent des termes très techniques pour s’adresser aux parents et s’appuient sur la définition de l’OMS pour classifier leurs gestes et répondre aux exigences statistiques. Mais ceci est parfois bien loin de ce qui se passe pour les personnes endeuillées.
Sonia et Raoul viennent de perdre leur premier enfant à 21 SA. On est en 2000. La loi dit encore de ce tout petit qu’il est un « produit innomé », un « détritus humain ». La maman s’est entendu dire : « Vous venez de faire une fausse couche, le fœtus que vous avez expulsé, Madame, pesait 480g. » Ils sont jeunes, ils ne comprennent rien. Ils sont terrorisés par ces mots qui sont tellement loin de ce qu’ils vivent, eux, dans leur chair et dans leur cœur. Et pourtant, puisque c’est ainsi que parlent médecin et législateur, ont-ils le droit de se laisser aller à ce qu’ils ressentent ? Ont-ils le droit de se dire « en deuil » ? Ce petit qui n’est sorti du ventre de sa mère qu’après douze heures de travail n’est-il vraiment que le produit d’une expulsion ?
Bien sûr qu’il faut des lois pour encadrer ce que l’on vit ensemble dans la société, elles sont à respecter ; bien sûr qu’il existe un jargon médical tout comme il existe un patois de Canaan, mais si l’on reste accroché à la lettre de la loi (médicale ou juridique) sans tenir compte de la réalité des parents, cela peut générer une incohérence délétère pour eux. Ce serait grave et malvenu d’adosser un quota de chagrin à un nombre de semaines de gestation sans tenir compte du ressenti des parents.
Une multitude de besoins
Tous les parents n’ont pas les mêmes besoins, c’est important d’y être attentif.
Pour certains, classer cet événement dans la case « accident » et s’en éloigner bien vite est une nécessité absolue. Ceux-là n’ont pas besoin de reconnaissance sociale, d’enterrement – s’il n’est pas obligatoire – ni qu’on leur manifeste de la compassion au moment des dates anniversaires. D’autres ont un rapport si difficile avec la mort et la perte qu’ils auront, de toute façon, du mal à élaborer un deuil qui leur permette de réinvestir la vie, quelle que soit l’aide qu’ils pourront recevoir. Mais d’autres encore – et ils sont nombreux – trouvent un apaisement quand on légitime leur deuil, quand ils ont l’espace et le temps nécessaire pour le vivre, lorsqu’on les accompagne dans la séparation d’avec leur tout petit.
Il faut noter aussi que la mort du bébé d’un même couple va activer très certainement deux processus de deuil qui peuvent être complètement différents. Papa et Maman n’ont pas toujours les mêmes besoins. Ils n’ont pas le même vécu concernant la grossesse, pas la même façon d’appréhender le monde, les émotions, pas la même façon de gérer et d’exprimer ces émotions. En revanche, ils ont souvent besoin qu’on leur rappelle que c’est naturel qu’ils soient différents et qu’ils ont le droit de vivre ce deuil chacun à son rythme.
Une réalité psychique différente de la réalité physique
La périnatalité a quelque chose de particulier qui est que le temps pour un fœtus n’a pas la même valeur que ce que nous connaissons dans la vie de tous les jours : deux semaines pour un fœtus de moins de 22 SA comptent plus, en termes de développement vital, que pour un fœtus de 35 SA. Ça, c’est la réalité médicale, la réalité physique.
La réalité psychique est tout autre : selon l’investissement des parents, cette réalité médicale du temps peut être abolie. Certaines femmes se savent enceintes dès le premier mois quand il en faut parfois cinq ou six pour que d’autres comprennent qu’il se passe quelque chose. Avant même la première échographie, toute la famille est au courant, la grand-tante a commencé la layette, le prénom est déjà choisi alors que d’autres couples vont attendre la fin du deuxième trimestre pour commencer à se poser la question de la couleur de la chambre. La réalité psychique est rarement synchrone avec la réalité biologique. C’est pour cette raison que l’on peut rencontrer des femmes faisant une fausse couche au premier trimestre pour qui cet événement est un cataclysme, et d’autres qui seront ...