Cette étude sur le culte protestant réformé et sa liturgie a pour but d’éclairer aussi bien les fidèles qui fréquentent les cultes protestants que les non-croyants qui voudraient en savoir plus sur le protestantisme. Les éditeurs C. Chalamet et F. Dermange souhaitent en même temps renouveler la liturgie réformée sans faire table rase pour autant du passé et de sa tradition, mais plutôt en donnant du sens à ce qui est dit et fait dans un culte. Pour nos auteurs, cette appropriation de la liturgie doit passer par une plus grande place accordée à la Parole et à la grâce, par une désacralisation des lieux, des objets et… des ministres du culte. Ainsi nous lisons : « L’appel à la Parole est de se faire chair plutôt que chaire. » (p.12) Ce livre est le fruit de la collaboration de nombreux théologiens protestants, avec pas moins d’une quinzaine d’auteurs ayant participé à cette étude, tous professeurs ou spécialistes dans leur discipline théologique.
Le livre se compose de deux parties :
La première partie
Elle s’ouvre par un chapitre introductif qui décrit la trame de la liturgie réformée, et se poursuit par un chapitre portant sur l’histoire de l’héritage médiéval à partir duquel les réformateurs ont bâti le culte protestant. Ce dernier chapitre est intéressant, il manifeste que les réformateurs n’ont pas totalement innové dans le domaine de la prédication, contrairement à ce que l’on peut penser. Les réformateurs n’ont pas opéré une rupture radicale sur le plan liturgique, à l’inverse des mouvements anabaptistes, mais ils ont voulu ré-former la messe, certes en privilégiant le sermon – ce qui déjà se pratiquait –, mais surtout en simplifiant l’ensemble de la liturgie de la messe afin d’être le plus compréhensible aux auditoires. Même dans le domaine de la prédication, les réformateurs n’ont pas totalement innové. L’idée d’une tabula rasa est une vue de l’esprit. Michel Grandjean et Ueli Zahnd démontrent que, depuis le 13ème siècle, on assiste à une importance croissante donnée au sermon, même si ce phénomène se retrouve essentiellement dans les villes qui ont les moyens de se payer des prédicateurs (des dominicains itinérants pour la majeure partie). D’ailleurs, aux 14ème et 15ème siècles, deux types de liturgie coexistent : des messes de plus en plus codifiées, conçues comme des spectacles, et d’autres célébrations dans lesquelles la dimension sensible est moins prégnante, mais où la prédication est privilégiée en vue d’une intelligence de la foi. Les auteurs soulignent que si les traditions luthérienne et anglicane ont davantage conservé d’éléments traditionnels dans leur liturgie, la tradition réformée « s’est davantage inspirée du cadre liturgique des prédications médiévales, que l’on pense à l’absence des éléments traditionnels de la messe, à la robe noire des pasteurs empruntée aux maîtres des universités, ou au fait qu’au 16ème siècle les églises ont été converties en "auditoires”, c’est-à-dire en salles de cours. » (p.31) Ce dernier élément me semble particulièrement d’actualité, car on retrouve de nos jours ces deux types d’approches qu’on pourrait classer sans les caricaturer dans ces deux catégories citées précédemment : culte-spectacle ou culte-salle-de-cours privilégiant pour l’un les émotions et l’esthétique et pour l’autre l’intelligence de la foi. Toujours dans cette première partie, un chapitre intitulé « L’invention du culte réformé » rééquilibre le chapitre précédent en soulignant les aspects novateurs du culte réformé par l’influence de différents courants comme la devotio moderna et l’humanisme moderne de la renaissance. Donc, à la fois continuité et renouvellement dans l’évolution historique du culte protestant.
La deuxième partie
Beaucoup plus conséquente, elle s’attache à expliquer le sens des différents temps de la liturgie, d’où le titre « Éléments du culte : lecture théologique » :
- L’invocation qui introduit les participants dans « un temps dans le temps » (p.47) comme une coupure momentanée d’avec le bruit du monde.
- La loi et la confession des péchés avec l’assurance du pardon ; la musique dans le culte « entre la Parole et l’indicible », avec le chant, les chrétiens donnent « voix à l’Écriture biblique » (p.65).
- La lecture des Psaumes au cœur du culte réformé où l’on voit que, contrairement à une idée reçue, l’expression de la piété réformée dans sa liturgie n’est pas qu’intellectuelle, toute en retenue : « Le but des réformateurs est de concilier un processus cognitif et un mouvement affectif… » (p.86)
- L’épiclèse ou invocation de l’Esprit saint que Jean Calvin appelle « le témoignage intérieur du Saint-Esprit » dont le but est de nous faire entendre correctement et en profondeur de cœur une parole prononcée il y a 2000 ans et pas toujours facile à comprendre et à recevoir : « […] une Parole que Dieu nous adresse personnellement aujourd’hui, une Parole à laquelle nous pouvons confier notre vie. » (p.93)
- Les lectures bibliques à partir de lectionnaires ou au choix des prédicateurs.
- La prédication, un impératif catégorique pour Calvin, et même si notre monde a bien changé, il n’en demeure pas moins pour nos auteurs que « […] par l’office de la prédication une réalité hors d’âge se fraye un chemin jusqu’à nous, […] nous sentons que l’appel de l’Évangile nous poursuit de son insistance […] » (p.109).
- L’intercession où l’on comprend que le culte n’est pas un repli sur soi tel un confinement spirituel. La dimension cultuelle nous ouvre au monde et à ses cris de détresse.
- La prière commune du « Notre Père » : « La prière du Notre Père permet d’assumer l’écart entre ce que nous souhaitons et le non-exaucement éventuel : « Que ta volonté soit faite… » (p.130)
- L’offrande où l’Église du Christ apprend à se donner comme il l’a fait pour elle. Ce qu’elle offre aux autres est le signe de sa reconnaissance pour celui qui lui a donné la vie en abondance.
- La confession de foi. Ici, l’auteur oppose deux conceptions de la confession : celle des réformateurs du 16ème siècle, la confession-déclaration doctrinale afin de délimiter la « frontière » entre ceux qui croient correctement et les autres (on parle alors des Églises comme des « confessions ») et la confession-symbole qui signifie le rassemblement sans qu’il y ait pour autant l’idée de délimiter son contour ecclésial. L’auteur discerne ici un enjeu important et reconnaît qu’on ne peut pas laisser la foi à l’arbitraire de chacun. Il pense donc qu’il est nécessaire de garder ces confessions de foi (credo) tout en les comprenant comme des interprétations de la foi « […] dans des langages analogiques – “Fils”, “Père”, “Esprit”). L’on n’y confesse pas tant une doctrine ou une philosophie qu’une transformation du regard et de la vie qui fondent cet engagement du “croire” malgré les limitations et les ambiguïtés de cette expérience. » (p.145). Sur ce dernier point, il est fort possible que le lecteur évangélique ait quelques objections.
- La cène nous renvoie à la matérialité de la foi et de notre communion avec le Christ par les éléments qui la composent : pain et vin nous rappellent l’incarnation du salut dans une personne même si : « L’essentiel dans ce pain, ce n’est pas ce que le boulanger a fait, mais ce que le Christ en fait, quand il le donne. » (très belle formule d’Olivier Fatio, p.155)
- L’envoi et la bénédiction : « L’envoi rend attentif l’auditoire à la responsabilité de l’engagement chrétien… » (p.179). Il y a deux aspects dans cette bénédiction finale : la confiance dans l’abandon de la foi et la reconnaissance qui nous engage à prendre nos responsabilités.
Le livre se termine par une « ouverture »
Elle décrit succinctement la pratique liturgique des cultes protestants (pas seulement réformés) dans différents pays : en Corée, aux États-Unis, sur le continent latino-américain, en Afrique du Sud et, pour terminer, dans le cadre œcuménique de la communauté de Taizé par le frère Alois, prieur de cette communauté, qui fait un long développement sur la nécessité du silence dans les cultes (pp.228-230).
En conclusion
Ce livre permet de prendre conscience que toutes les Églises ont une liturgie et peut-être plus encore celles qui pensent ne pas en avoir en pensant privilégier la spontanéité. Les auteurs nous font comprendre qu’au-delà des gestes et des formules employées dans les liturgies, tout a du sens. Il est donc fondamental de bien comprendre ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons