L’auteur (désormais Y-M. B.) est un bibliste bien connu qui a publié de nombreuses études sur le Nouveau Testament. notamment sur l’évangile de Jean. Y-M. B. enseigne l’exégèse à l’Institut catholique de Paris, il s’intéresse aussi à la théologie œcuménique (Y-M. B. est membre du Groupe des Dombes).
Autant dire de suite que ce livre s’inscrit dans un courant que l’on pourrait qualifier de « réformiste » de l’Église catholique en France qui s’emploie à faire bouger les lignes au sein du catholicisme en continuité avec les avancées de Vatican II et de son aggiornamento. La première proposition du titre pose d’emblée la problématique : « Contre le cléricalisme », autrement dit : revoir ce qui cloche dans la façon dont l’Église catholique exerce sa mission, plus particulièrement, interroger l’exercice de l’autorité ecclésiale de ses ministres que l’auteur entend mettre en débat à la lumière des textes bibliques. Ceci dit, Y-M. B. se défend de fustiger son Église et de critiquer directement certaines personnes ou œuvres en son sein (p.11). Cependant, il tient à dénoncer les dérives manifestes ou potentiellement présentes dans la structure hiérarchique de l’Église catholique au regard des principes évangéliques (p.12). D’où l’impérieuse nécessité portée par la deuxième proposition du titre « retour à l’Évangile ».
Y-M. B. commence par interroger, à partir du texte de Matthieu 23.9, le titre de « père » donné aux prêtres, évêques et religieux afin de veiller à ce que ce titre ne soit pas un prétexte pour exercer une forme de « paternalisme ecclésiastique mâtiné de cléricalisme plus ou moins assumé » (p.15). On comprend donc que ce n’est pas tant le titre de « père » en lui-même que l’auteur interroge – posture théologique qu’il qualifie un peu vite de « fondamentalisme » (p.15) – que sa banalisation ou la naïveté de croire que ce titre n’aurait aucune influence dans les consciences et les modèles ecclésiaux : « [...] il ne me paraît pas exagéré de dénoncer l’usage trop fréquent des titres « pères » ou « mon père » à l’égard d’ecclésiastiques, forcément exposés au risque de cultiver tant le paternalisme que le cléricalisme » (pp.22 et 51). Mais, étonnamment, Y-M. B. pose cette question : « Pourquoi n’en reviendrait-on pas aux rares titres reconnus dès le Nouveau Testament ? » (p.22), tout en suggérant qu’il faudrait revenir par « fidélité à l’Évangile » au titre de « frères » commun à tous ! (p.26)
Quand on parle de cléricalisme, une problématique surgit aussitôt : celle de la place des femmes dans l’Église et, plus précisément, leur affectation dans des postes de responsabilité ecclésiale. Y-M. B. en bon bibliste, lit dans le texte grec du Nouveau Testament pour déceler dans nos traductions, les contresens (volontaires ou non...), ainsi que certains détails qui échappent aux lecteurs et qui permettent de contrecarrer une lecture trop orientée. C’est ainsi que l’auteur souligne, en Galates 3.28, les termes grecs utilisés par Paul, qu’il conviendrait de traduire par « masculin/féminin » sans l’article, contrairement aux deux paires précédentes, plutôt que par homme/femme pour souligner qu’il ne saurait être question de « [...] maintenir, encourager toute forme d’opposition ou rivalité comme autant de forces concurrentes » (p.62) pouvant justifier les abus de pouvoir et donc le cléricalisme. Y-M. B. analyse aussi de près les titres et qualificatifs donnés par Paul à des femmes dans ses salutations en Romains 16. Il dresse ainsi un portrait de l’apôtre beaucoup moins misogyne qu’on l’a dit (voir aussi son exégèse sur 1 Co 11, pp.88-90). Enfin, l’auteur décèle dans l’exemplarité du lavement des pieds par Jésus en Jean 13 « la charte johannique d’une vie ecclésiale apaisée, en tout cas à l’abri des conflits et autres abus de pouvoir [...] » (p.88).
Au chapitre 5, Y-M. B. souligne les recommandations de Jésus dans les évangiles : « devenir comme des enfants » ou « qui est le plus grand ». Il s’attarde notamment sur les béatitudes car « il ne suffit pas de prêcher au monde la pauvreté spirituelle [...] sans d’abord appliquer ces principes à tous les domaines de la vie ecclésiale » (p.72, c’est nous qui soulignons). La figure de l’apôtre Pierre et la vocation que lui adresse Jésus en Jean 21.15ss, « pais mes brebis », sont mises en parallèle avec la parabole du bon berger (Jn 10) et font l’objet d’une analyse relativisant l’exclusivité donnée à cet apôtre, sujet ô combien sensible entre protestants et catholiques : « [...] si la charge du berger est transmissible à un personnage humain aussi fragile que Simon Pierre, en revanche, la figure de la porte s’applique à Jésus seul comme passage obligé des brebis » (p.98). Plus loin (chap.6) l’auteur déconstruit une conception de l’autorité du berger qui ne reposerait que sur un titre, un mandat et qui, de ce fait, ne souffrirait d’aucune contestation : « [...] l’autorité naturelle du berger non seulement se fonde sur sa compétence [...] mais surtout repose sur la qualité des liens personnels entretenus avec chacune des brebis. » (p.100)
Le dernier chapitre s’attache à la réforme sur la synodalité, dynamique lancée par le pape François en octobre 2021 et qui devra se clôturer en octobre 2024. Rappelons que le principe ecclésiologique de la synodalité a pour but de favoriser une meilleure communion et une participation active de tous les baptisés dans la vie et les décisions de l’Église afin d’inverser un mouvement vertical des prises de décisions qui ne se feraient que du haut vers le bas.
Une remarque s’impose à la lecture de ce livre : comment l’exégète et le prêtre qu’est Y-M. B. peut-il articuler harmonieusement la dogmatique de l’Église catholique avec son exégèse des textes bibliques ? (cf. le traitement de l’auteur sur la personne de l’apôtre Pierre, pp.23-27 ainsi qu’aux chapitres 5 et 6).
Conclusion : comme le dit Y-M. B. « [...] on ne balaie bien un escalier qu’en allant du sommet à la base » (p.111, ironique par rapport au principe de synodalité). Abus de pouvoir et usurpations d’autorité sont inacceptables au regard des recommandations de Jésus dans les évangiles : « Le plus grand d’entre vous, sera votre serviteur. » (Mt 23.11) Si les interpellations de ce livre s’adressent en priorité au modèle ecclésial catholique, ne pensons pas que nos Églises évangéliques seraient immunisées contre la maladie spirituelle qu’est l’autoritarisme clérical (cf. le livre d’Édith Tartar-Goddet, Quand la toute-puissance s’invite dans l’Église, Lyon, Olivétan, 2021). On peut dire aussi que le cléricalisme ne guette pas seulement les pasteurs et anciens de nos communautés, mais aussi chaque membre d’Église, ce que souligne l’auteur tout au long du livre.
Un livre rempli d’analyses fines des textes bibliques sur un sujet d’actualité aussi bien au sein de l’Église catholique que dans nos communautés protestantes évangéliques. On peut aussi souligner que l’auteur, tout en ayant un regard critique sur son Église, ne cède pas pour autant aux facilités des caricatures et des amalgames. Sans fermer les yeux sur les dérives réelles de l’autoritarisme avec les conséquences désastreuses que nous connaissons, Y-M. B. sait que cette barque qu’est l’Église est remplie d’hommes et de femmes fragiles, rachetés par grâce.