Je vais essayer, dans cet exposé, de parler de trois choses qui toutes nous concernent au premier chef. D’abord de cette demande, ambiguë bien sûr, de spiritualité qui se fait jour dans notre société et que des pasteurs ne peuvent évidemment pas ignorer, ensuite de ce que nos Églises proposent ou ne proposent pas dans ce domaine et, enfin, de la manière dont tout cela, à mes yeux en tout cas, concerne directement le pasteur dans sa personne même. Il va de soi que je sais que tout ce que je dirai pourra être contesté ; je ne prétends pas dire la vérité du Protestantisme. Mais nous sommes justement réunis pour en discuter et c’est de votre « commande » que je m’autorise pour vous proposer ces quelques idées.
LA SOIF DE SPIRITUALITÉ
Nous savons tous que nous sommes dans une situation – qui pourrait sembler paradoxale – de sécularisation galopante et de demande nouvelle de spiritualité. On pourrait dire que la légitimité naturelle des Églises chrétiennes (comme d’ailleurs celle des autres religions) n’existe plus dans nos contrées. L’idée, chère à Albert Schweitzer par exemple, que le pasteur s’adresse à toute une population, à un village, pour lui parler des choses de la vie, est depuis longtemps dépassée. Toutes nos Églises sont devenues des Églises de professants (de fait sinon de droit et de souhait) au sein d’une société largement déchristianisée. Il ne va plus de soi d’être chrétien en France. On pourrait presque dire que, parfois, à cause du poids de l’histoire et de l’image qu’on s’en fait, il est encore plus difficile d’être chrétien que de choisir une autre religion. Un pasteur n’a donc plus de public « captif », nous le savons bien. La normalité et le conformisme sont aujourd’hui ailleurs. On allait au culte ou à la messe autrefois pour ne pas se faire remarquer, pour faire comme tout le monde ; on fait aujourd’hui du jogging le dimanche matin, on promène son chien ou on reste au lit.
En même temps, beaucoup de gens sont insatisfaits dans notre société de consommation et sont à la recherche de sens. Le problème est que nos Églises leur apparaissent souvent comme le dernier endroit où ils auraient l’idée de chercher. Le poids de l’histoire et ses caricatures font qu’ils ont l’impression de savoir ce que nous avons à leur dire. Un des problèmes, c’est que cette impression est souvent très éloignée de ce que nous croyons, nous, proposer comme message, quelle que soit notre sensibilité spirituelle ou théologique. Ils vont donc chercher souvent en indépendants, piochant dans les rayons spiritualités des librairies et naviguant entre quelques livres sur le bouddhisme tibétain ou zen, le soufisme, l’ésotérisme ou la mystique rhénane… Pourtant, et parfois après pas mal de pérégrinations, beaucoup vont revenir vers les Églises. Ils frappent à la porte ou, plus souvent, rentrent timidement dans le temple, s’assoient au fond et regardent ce qui se passe.
On peut s’en réjouir et espérer que la puissance de l’Esprit Saint va les saisir lorsqu’ils entendront la prédication. Cela arrive certainement parfois, mais le plus souvent, il en est qui repartent avec l’impression que, décidément, il n’y a pas grand-chose à attendre de ce côté-là. Beaucoup viendront ensuite dans les communautés comme celle où nous sommes aujourd’hui (Versailles) et on sait que les monastères reçoivent et accompagnent beaucoup de gens en recherche. C’est que ces personnes ne sont pas ou plus protestantes. Je veux dire par là que le sentiment communautaire, l’appartenance quasi-ethnique au groupe protestant, disparaît beaucoup plus vite aujourd’hui qu’autrefois. Ces gens sont à la recherche de quelque chose qui puisse changer leur vie, qui puisse les orienter. Ils aspirent à un cheminement intérieur vers quelque chose d’encore assez indéfini, mais dont ils ont vu ou lu des échos dans leurs recherches précédentes. Beaucoup se sont rendus compte que lire des livres ne suffisait pas, que d’autres spiritualités qui semblaient si tentantes et si faciles, étaient, si on les abordait sérieusement, à la fois trop exotiques et très exigeantes. Alors, pourquoi ne pas revenir vers des Églises chrétiennes, vers celles de leur enfance, ou, au contraire, vers d’autres dont ils espèrent sans doute plus et mieux. La question sera de savoir ce que ces personnes peuvent en effet attendre de nos Églises.
CE QUE NOS ÉGLISES PROPOSENT
En fait, si on regarde la diversité des Églises protestantes, il faut reconnaître qu’elles proposent beaucoup de choses différentes. Les unes sont plus intellectuelles, les autres plus émotionnelles, d’autres mettent l’accent sur l’esthétique… On pourrait croire qu’il y en a pour tous les goûts. Pourtant, j’ai l’impression que beaucoup de nos Églises, de manières différentes bien sûr, ont du mal à parler à des personnes en recherche. Certaines les repoussent en leur donnant l’impression qu’il n’y a rien à trouver de ce côté, d’autres les attirent mais peuvent avoir du mal à les retenir ensuite, donnant à terme le sentiment d’une certaine superficialité. Soyons honnêtes, il y a beaucoup de belles et bonnes choses qui se passent dans les Églises et la critique serait facile et un peu injuste. Mais je voudrais essayer d’esquisser quelques lignes, que nous discuterons ensuite, de ce qui est pour moi une spiritualité protestante, étant entendue qu’elle peut être conjuguée sous diverses formes.
– Une parole sur Dieu
Il me semble qu’une spiritualité capable de répondre aux attentes des gens doit proposer à la fois un but et un chemin. Lorsque nous parlons du but, si nous sommes chrétiens, nous pensons naturellement à Dieu. Et celui ou celle qui viendra y pensera tout aussi naturellement. L’image de Dieu qui est proposée par les Églises peut varier d’un extrême à l’autre. Pour certains, cette parole sur Dieu pourra être d’une remarquable discrétion, un peu comme si nous nous excusions de parler de Dieu et comme si nous étions reconnaissants à l’auditeur de ne pas trop faire attention à ces allusions discrètes et obligées à cette référence désuète. Pour d’autres, au contraire, Dieu est tellement présent, facile à comprendre, évident dans la vie de tous les jours qu’on peut se demander si ils vivent dans le même monde que les autres. Et le discours que nous tenons sur lui ira de la toute-puissance glorieuse et souveraine (mais alors qu’en est-il du mal dans le monde ?) à l’extrême discrétion d’un Dieu impuissant, proposant discrètement son aide pour que nous soyons un peu mieux dans notre peau. Vous imaginez bien que ce ne sont que les deux extrêmes et que l’on peut trouver tout un éventail de discours variés et contradictoires.
Sommes-nous capables de dire, avec modération, prudence, nuance, humilité, mais aussi avec conviction, foi et parlant d’expérience, quelque chose sur Dieu ? Je ne suis pas si sûr que l’image globale que nous donnons réponde oui à cette question. Or, celui qui est en recherche n’attend sans doute pas une réponse toute faite. Mais il doit avoir l’impression que les gens qui sont là ont discerné quelque chose à l’horizon et qu’ils en vivent au moins partiellement. Si Dieu existe – et s’il n’existe pas, les Églises n’ont guère de raison d’être aujourd’hui – il doit pouvoir être dit de manière non caricaturale mais avec la conviction de personnes et de communautés qui y croient, qui au moins l’espèrent et qui peuvent proposer un chemin de vie.
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