Parce que le Seigneur a mis en garde ses disciples contre les possessions en disant « Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » (Mt 6.24), nous ne pouvons ni ne devons, en serviteurs de la Parole, nous croire immunisés contre le pouvoir qu’exerce l’argent. Les uns, craignant d’en manquer, seront tentés de s’accrocher au peu qu’ils reçoivent au point d’en devenir pingres. Les autres, convaincus que la bénédiction de Dieu passe aussi par leur porte-monnaie, n’hésiteront pas à en demander toujours plus au risque d’exercer le ministère de façon intéressée. Entre ces deux extrêmes, il existe d’autres formes d’attachement à l’argent, souvent marquées par nos origines sociales et culturelles qui, pour être plus acceptables, n’en sont pas moins coupables ! L’une d’elles consiste, en s’apitoyant indûment sur sa situation matérielle, à envier les possessions de ses proches. On est alors partagé entre la convoitise et le ressentiment. La convoitise, parce que nous aimerions aussi avoir leur train de vie et les facilités qui l’accompagnent. Le ressentiment, parce que nos proches n’ont pas toujours conscience des limites de nos moyens et nous imposent, à l’occasion de rencontres familiales, des dépenses difficilement supportables. La sanctification passe donc alors par un recentrage dans ce domaine. Et nous avons à l’esprit cette prière si pertinente de l’Écriture (Pr 30.8b-9) :
« Ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre, car dans l’abondance, je pourrais te renier et dire : "Qui est l’Éternel" ? Ou bien, pressé par la misère, je pourrais me mettre à voler et déshonorer ainsi mon Dieu ».
Voici cinq grands principes de ce qui pourrait constituer les éléments de base d’une déontologie pastorale à l’égard de l’argent. Y sont évoqués aussi bien l’attitude du pasteur en tant que responsable – qu’est-il appelé à faire et enseigner dans le cadre de la communauté ? – que son attitude en tant que personne – qu’est-il appelé à vivre en tant que croyant sous le regard de Dieu ?
Oser parler d’argent
Daniel Marguerat, à la suite d’Ellul, dit que les chrétiens sont appelés à profaner Mamon en introduisant dans cette société qui lui est asservie la sphère du don et de la gratuité : reçu comme un don de Dieu, l’argent n’est plus destiné à être l’oasis de nos peurs, mais un signe de gratuité, créateur de vie et d’amitié – de telle sorte que l’emploi de nos biens illustre, non plus le caractère illimité de nos convoitises, mais l’amour donateur de Dieu(1).
Profaner ou renverser Mamon, c’est d’abord oser parler d’argent dans l’Église. Les banques le font, c’est leur métier ; les commerces s’y emploient, c’est leur gagne-pain ; et quelques associations se sont lancées dans la collecte de sommes considérables pour défendre des causes charitables. Pourquoi l’Église serait-elle seule à se taire sur le sujet, laissant à d’autres, moins bien inspirés, le monopole du discours sur cette réalité quotidienne ? Reconnaissons que, si l’argent n’est pas au cœur de la vie d’Église, il y joue malgré tout un rôle important (édification d’un lieu de culte, rémunération d’un pasteur, soutien d’un projet missionnaire …) et secouons le double joug qui entrave nos Églises en la matière : le silence gêné du tabou culturel (ici, c’est l’influence du catholicisme qui est toujours à l’œuvre) et le silence forcé du soupçon (ici, c’est l’accusation de secte qui nous effraie). Nous devons secouer ces jougs et rompre le silence pour ôter à Mamon le pouvoir occulte de ces choses que l’on ne nomme jamais mais auxquelles on pense toujours.
Ne nous laissons pas abuser par les fausses et paresseuses distinctions qui voudraient que l’argent relève du domaine seulement matériel et qu’il s’agit d’une question secondaire. Non, l’usage que nous faisons de l’argent relève du domaine spirituel. Nous l’offrons certes pour subvenir aux besoins de la communauté, mais aussi pour dire concrètement que Dieu est le Seigneur de nos vies, qu’il est le maître de nos possessions et qu’il est digne de recevoir les prémices de notre revenu. Comme le dit Craig Blomberg dans son livre Ne me donne ni pauvreté ni richesse :
« Le processus de rédemption à l’œuvre dans une vie humaine doit se manifester par des transformations dans le domaine de la gestion de l’argent. La vie tout entière devrait en fin de compte être consacrée à Dieu, mais les finances sont un domaine particulièrement révélateur de l’engagement religieux d’une personne(2) ».
Voici quatre propositions pratiques pour parler d’argent dans l’Église :
- Enseignez régulièrement la communauté sur le sens du don et la place de l’argent dans la vie du croyant. Cet enseignement devrait être intégré à la formation de base dispensée aux nouveaux croyants, mais aussi abordé régulièrement au niveau de toute l’Église dans la mesure où, en raison de la mobilité des gens, des croyants venant d’autres villes ou Églises s’ajoutent régulièrement à la nôtre.
NB : quand le pasteur est rémunéré par l’Église, il est utile que le trésorier partage cette tâche avec lui pour éviter qu’on prête au pasteur des motivations personnelles dans cet aspect de l’enseignement
- Informez régulièrement l’Église des besoins financiers et des sommes recueillies pour les couvrir. Cela commence par un temps régulier consacré aux finances lors de la réunion du conseil de l’Église. Ce souci de bonne gestion de la part des responsables se fera sentir au niveau de la communauté et ce d’autant plus qu’il sera l’objet d’une saine communication. Voici quelques suggestions :
- Affichez sur le tableau d’information de l’Église un tableau ou un graphique qui fasse apparaître l’évolution mensuelle des ressources et des charges au regard du budget adopté.
- Faites une annonce orale chaque mois qui reprend les informations reportées sur le tableau avec un mot d’analyse. Souvenez-vous que tout le monde ne regarde pas le tableau d’information et que, parmi ceux qui le regardent, certains ne le comprennent pas.
- Reportez éventuellement les mêmes informations dans le bulletin de nouvelles si vous en éditez un.
- N’hésitez pas à faire connaître les besoins ponctuels (travaux imprévus, soutien d’une cause missionnaire non budgété…) ou permanents (retard dans les offrandes par exemple) lors des cultes.
- Ne tardez pas à encaisser les chèques remis lors de l’offrande. Cela vaut bien des discours. Quand un trésorier laisse traîner des chèques plusieurs semaines avant de les remettre en banque, il fait passer le double message que les choses ne sont pas bien gérées et que l’Église n’a pas vraiment besoin d’argent !
- Éduquez l’Église à débattre des questions matérielles en prenant la saine habitude de préparer un projet de budget pour l’exercice à venir et de le soumettre au vote de l’assemblée générale. Il faut savoir que cette pratique n’est pas obligatoire sur le plan juridique (seule l’adoption des comptes de l’exercice clos l’est), mais qu’elle est profitable sur les plans spirituel et communautaire. En effet, un budget consiste à prévoir d’une part les charges qu’engendreront la vie de l’Église et ses projets, et d’autre part les ressources nécessaires pour couvrir ces charges. Les prévisions de charges se font de deux manières complémentaires : en prenant en compte les évolutions prévisibles (augmentation des salaires, augmentation du coût de la vie, intégration d’un nouveau poste de charge décidé précédemment…) et en faisant des choix « politiques » qui consistent soit à investir dans un nouveau projet (d’où une augmentation globale des charges), soit à redéployer les moyens existants pour mettre l’accent sur un aspect de la vie de l’Église (retarder les investissements matériels – renouvellement de la photocopieuse ou des ordinateurs par exemple – au profit d’une campagne d’évangélisation). L’établissement d’un budget est à la fois un exercice de gestion et de foi. La gestion est en fait au service de la foi, elle traduit budgétairement ce que la foi a discerné quant à la volonté du Seigneur. S’il s’agit de poursuivre ce qui se fait déjà, elle se contente de prévoir l’évolution normale des charges ; s’il s’agit de développer de nouveaux projets, elle propose des scénarios permettant d’y parvenir (redéploiement de charges ou augmentations des ressources). Le volet ressources du budget est dans la même mesure un exercice de gestion et de foi. La gestion se contente de traduire en ressources à trouver les charges précédemment décidées. La foi consiste à décider individuellement et communautairement de relever le défi présenté soit en acceptant d’augmenter nos contributions, soit en cherchant des ressources extérieures à l’Église (souvent les deux quand il s’agit de gros projets).
NB : chercher des ressources à l’extérieur peut très bien consister soit à identifier des donateurs potentiels que l’on va solliciter, soit à croire que Dieu pourvoira d’une manière miraculeuse parce qu’il nous en a convaincu. Ainsi, il n’y a pas de contradiction entre gestion rigoureuse et confiance dans la providence divine.
- Osez aborder les questions matérielles qui vous concernent : cela fait aussi partie du processus utile de profanation de Mamon dans l’Église. Il est important qu’une Église prenne soin de ses conducteurs (Hé 13.7,17) pour sa propre santé spirituelle. Il est d’ailleurs question d’un double salaire (ou honneur) « pour ceux qui se dévouent au ministère astreignant de la prédication et de l’enseignement » (1 Tm 5.17). Dans ce domaine, le silence résigné, ou pire, le surfonctionnement (je donne à la place de l’Église qui ne peut ou ne veut donner) ne contribuent pas à l’édification du corps. Le silence aboutit souvent à l’amertume au point d’empoisonner(3) la vie de celui qui s’est résigné sans vraiment accepter la situation de bon cœur. Et le surfonctionnement en matière financière n’est pas une vraie générosité, mais une façon de compenser les manquements de l’Église sans la conduire à grandir dans la foi et la consécration. Le fait d’appartenir à une union d’Églises qui a une grille des rémunérations et un certain nombre de pratiques codifiées en matière de prise en charge des dépenses est d’une grande aide pour discuter sur une base objective. Le recours à un aîné ou un responsable de l’Union peut être utile aux plus timorés.
Vivre le don comme un acte d’adoration
Dans la mesure où, comme nous l’avons vu, l’usage que nous faisons de notre argent est éminemment spirituel, il est important d’accorder au don financier sa juste signification. L’histoire de la pauvre veuve qui, avec ses deux petites pièces, a mis dans le tronc plus que les riches avec leurs fortes sommes devrait toujours rester gravée dans notre esprit. Jésus n’a-t-il pas dit d’elle (Mc 12.43ss) :
« Vraiment, je vous l’assure, cette pauvre veuve a donné bien plus que tous ceux qui ont mis de l’argent dans le tronc. Car tous les autres ont seulement donné de leur superflu, mais elle, dans sa pauvreté, elle a donné tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre » ?
Au fond, Jésus va plus loin que l’Ancien Testament et ne nous interpelle pas d’abord sur la manière dont nous utilisons l’argent, mais sur ce qui fonde notre existence(4). La question n’est pas de savoir si nous allons donner 8% ou 15% de nos revenus, mais qui est notre Dieu ! C’est pourquoi je plaide pour que les dons que nous faisons soient d’abord vécus comme un acte d’adoration. Cela nous évitera de tomber dans un légalisme stérile, toujours prompt à se manifester dans ce domaine particulier. Et puisque cela est appelé à se traduire de façon concrète dans notre vie, il est indispensable d’établir un budget personnel qui traduise notre attachement à Dieu. Je vois deux manières complémentaires de le faire : 1) mettre de côté la première partie de notre ou de nos revenus pour l’œuvre de Dieu(5), 2) décider d’un pourcentage significatif, et éventuellement progressif (voir plus loin), qui traduise notre engagement.
Sur le plan de la vie de l’Église, il est important d’intégrer la réalité du don et d’en faire un acte cultuel. Pour cela, il est nécessaire de mettre en valeur le temps de l’offrande et de lui donner une dimension de reconnaissance et d’adoration. Voici quelques suggestions qui vont dans ce sens :
- Préparez soigneusement ce moment lorsque vous préparez le temps de culte et donnez-lui une place de choix dans le déroulement de la rencontre. Évitez de procéder à l’offrande en dernier comme si ce moment vous semblait gênant ou pire parce que vous alliez l’oublier. Une collègue m’a fait observer que, très souvent, l’offrande était placée après le départ des enfants ce qui n’était pas pédagogique. Elle m’a rappelé que lorsque nous étions nous-mêmes enfants nous participions à l’offrande en mettant la pièce que notre mère nous avait donnée et que cela nous avait encouragés à donner une part de nos revenus à l’œuvre du Seigneur une fois devenus adultes !
- Ne parlez pas de collecte, qui a une connotation passive proche de l’impôt, mais plutôt d’offrande, qui a une connotation plus participative et plus joyeuse.
- Dites quelques mots pour présenter ce moment de telle sorte que chacun prenne conscience de ses dimensions spirituelles et pratiques. Plusieurs textes bibliques peuvent être cités pour appuyer vos propos :
« De même que vous excellez en tout, en foi, en parole, en connaissance, en empressement de tout genre, et en votre amour pour nous, faites en sorte d'exceller aussi en cette œuvre de grâce. […] Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-[Christ] qui pour vous s'est fait pauvre de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis ». (2 Co 8.7, 9)
« Que chacun donne comme il l'a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. Et Dieu a le pouvoir de vous combler de toutes sortes de grâces, afin que, possédant toujours à tous égards de quoi satisfaire à tous vos besoins, vous ayez encore en abondance pour toute œuvre bonne ». (2 Co 9.7-8)
« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». (Ac 20.35)
« Honore le Seigneur en lui offrant une part de tes revenus, donne-lui le meilleur de tes récoltes. Alors tes greniers seront remplis de blé et tes tonneaux déborderont de vin ». (Pr 3.9)
- Rappelez aux membres leur engagement en matière de soutien de l’Église et mettez à l’aise les visiteurs pour qu’ils ne se sentent pas contraints lors du passage des paniers.
- Prenez le temps d’accompagner ce geste d’un moment de reconnaissance par le chant et/ou la prière. Quand vous intercédez ou demandez à une personne de le faire, évitez à tout prix de donner l’impression que l’on procède à la bénédiction des offrandes. Nous n’avons pas une conception magique de la prière. Ce que nous demandons, c’est le discernement et la sagesse pour faire un bon usage des fonds, c’est le regard bienveillant du Seigneur sur le projet ou la personne concerné(e) par l’offrande.
- Enfin, agissez avec célérité et discrétion en fin de culte pour compter l’offrande. Il est indispensable de compter à deux pour éviter que des erreurs soient mal interprétées ensuite.
Faire preuve d’intégrité
Si l’intégrité est le « caractère, [la] qualité d'une personne intègre, incorruptible, dont la conduite et les actes sont irréprochables(6) », c’est une vertu indispensable pour celui ou celle qui exerce un ministère dans l’Église. Il me semble que l’apôtre Pierre l’exige des anciens quand il leur demande d’être les « modèles du troupeau » et de prendre soin de lui « non comme si vous y étiez forcés, mais de plein gré comme Dieu le désire,… non pour un profit matériel (ou un gain sordide BC, ou honteux NBS), mais par dévouement (ou de bon cœur, BC) ». Si l’on s’en tient à la question de l’argent, cela devrait se traduire de la manière suivante :
- Montrer l’exemple : même si c’est parfois lourd à porter, le pasteur doit rester conscient de son rôle de modèle et donc faire ce qu’il dit et enseigne. Cela vaut pour trois choses liées entre elles :
- La consécration en matière d’offrande,
- La générosité en matière d’hospitalité et d’entraide,
- La rigueur en matière de gestion de ses propres affaires.
Même si le pasteur n’a pas à se vanter de ce qu’il fait, cela finit toujours par se savoir ou au moins se deviner ; et surtout le Seigneur bénit l’obéissance et la cohérence de son serviteur. A contrario, s’il n’est pas libre à l’égard de l’argent et ne sait pas se montrer généreux pour l’œuvre du Seigneur, il est peu probable qu’il conduise la communauté à être généreuse.
- Ne pas s’impliquer directement dans la collecte et la gestion de l’argent dans l’Église : le pasteur doit refuser obstinément de compter l’offrande en fin de culte, même avec une autre personne, pour au moins trois raisons :
- Éviter de prêter le flanc au soupçon d’enrichissement personnel par détournement des offrandes et donc se mettre hors de cause en cas de malveillance ou de vol d’argent dans l’Église,
- Ne pas savoir qui sont les donateurs principaux de l’Église afin de rester libre dans l’exercice du ministère et éviter de faire acception de personne,
- Se consacrer pleinement aux soins du troupeau en fin de culte et ne pas se laisser distraire par une tâche que d’autres peuvent accomplir.
Dans le même ordre d’idée, ce n’est pas à lui de porter le souci des finances au sein du conseil de l’Église. Il doit, certes, s’intéresser à la santé financière de la communauté comme tous les membres du conseil, encourager de bonnes pratiques au sein du conseil et de la communauté, stimuler le trésorier par des questions pertinentes ou dérangeantes, mais pas délaisser le ministère de la Parole pour y consacrer de l’énergie.
NB : il me paraît utile de dire un mot sur le choix du trésorier dans l’Église. La tâche de trésorier est une tâche importante pour laquelle il faut plus que des compétences de gestionnaire mais aussi une vraie assise spirituelle. Le trésorier voit beaucoup de choses (certaines sont édifiantes, d’autres pas), son pouvoir est juridiquement grand et sa parole a du poids. Il est donc préférable de confier cette tâche à un ancien dont les qualités spirituelles sont reconnues quitte à ce qu’il se fasse aider d’un comptable pour enregistrer les recettes et les dépenses. Je rappelle que la fonction d’un trésorier est distincte de celle d’un comptable : pour faire simple, le comptable enregistre avec exactitude la réalité financière qu’elle soit bonne ou mauvaise tandis que le trésorier analyse cette réalité pour alerter quand il y a des écarts avec le budget, faire des propositions pour corriger les dérives et préparer les discussions concernant le budget futur. Il n’est donc pas indispensable que le trésorier connaisse tous les secrets de la comptabilité(7), mais bien qu’il ait une certaine hauteur de vue et une bonne capacité d’analyse.
- Gérer avec sagesse et prudence les dons qui lui sont faits directement : l’exercice du ministère pastoral dans et hors de l’Église expose à diverses gratifications en nature ou en numéraire qu’il faut accueillir avec reconnaissance, mais sans naïveté. Il n’est pas rare que des personnes tentent de mettre le pasteur dans leur poche en le couvrant d’attentions généreuses. Les accepter sans se poser de questions peut conduire à de sérieuses déconvenues. Je ferai trois recommandations à ce propos :
- Acceptez les dons en nature avec simplicité, mais s’ils vous mettent mal à l’aise par leur fréquence, leur importance ou les commentaires qui les accompagnent, parlez-en ouvertement avec les donateurs.
- Acceptez les dons en numéraire avec retenue s’ils viennent de la part de membres ou de sympathisants de l’Église. Rappelez-leur que vous êtes rémunéré par la communauté et que cette dernière a besoin des dons de chacun pour parvenir à boucler son budget. S’ils insistent, prenez ce qu’ils vous donnent et annoncez que vous le reverserez à l’Église. Cela tuera dans l’œuf toute velléité de manipulation qui pourrait exister.
- Acceptez les dons en numéraire avec simplicité s’ils viennent d’une autre communauté que vous avez visitée. Mais ayez le réflexe, soit d’en informer le trésorier de votre Église, soit de reverser ces dons à votre Église. Elle a la charge de votre rémunération et, si vous méritez votre salaire, elle ne mérite pas que vous profitiez de certaines circonstances pour vous enrichir « dans ou sur son dos ». Cette discipline vous évitera certaines tentations : arrondir vos fins de mois en multipliant les « sorties », répondre aux sollicitations pour des raisons purement financières, ne pas aborder la question d’une rémunération insuffisante en trouvant des « arrangements ».
Viser la simplicité
Il s’agit ici de viser à la fois dans l’Église et dans nos vies un idéal de simplicité qui me semble en phase avec la règle apostolique. Je pense en particulier à cette parole de Paul qui dit à Timothée (1 Tm 6.6-12, BFC) :
« Certes, la foi en Dieu est une grande richesse, si l'on se contente de ce que l'on a. En effet, nous n'avons rien apporté dans ce monde, et nous n'en pouvons rien emporter. Par conséquent, si nous avons la nourriture et les vêtements, cela doit nous suffire. Mais ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, ils sont pris au piège par de nombreux désirs insensés et néfastes, qui plongent les hommes dans la ruine et provoquent leur perte. Car l'amour de l'argent est la racine de toutes sortes de maux. Certains ont eu une telle envie d'en posséder qu'ils se sont égarés loin de la foi et se sont infligé bien des tourments.
Mais toi, homme de Dieu, évite tout cela. Recherche la droiture, l'attachement à Dieu, la foi, l'amour, la patience et la douceur. Combats le bon combat de la foi ; saisis la vie éternelle, car Dieu t'a appelé à la connaître quand tu as prononcé ta belle déclaration de foi en présence de nombreux témoins ».
Dans son testament(8), Ruben Saillens écrivait :
« Je supplie humblement tous mes amis, tous ceux sur lesquels ma parole a pu avoir quelque action, à cultiver la simplicité chrétienne, soit dans les formes du culte, soit dans la vie de famille, soit dans leur vie privée. L’Évangile est pour les simples. L’amour de l’argent, du luxe, des formes esthétiques dans le culte ont été les grands scandales du pauvre peuple, et ont motivé son éloignement de la maison de Dieu (…). Ceux qui portent la Parole de Dieu devraient toujours avoir devant les yeux de leur esprit les enfants et les ignorants. En parlant pour ceux-ci, on atteint les autres aussi pourvu qu’ils soient humbles ».
Ce qui est vrai pour le message l’est aussi pour le messager. À rebours d’un évangile qui vise la prospérité du croyant et plus encore celle du prédicateur, nous sommes appelés à vivre simplement, c’est-à-dire à ne pas nous encombrer de tant de biens que leur acquisition et leur préservation fassent obstacle à l’exercice du ministère que Dieu nous a confié. Je pense à deux ou trois choses en disant cela :
- Au refus de l’endettement pour satisfaire à un besoin, non d’investissement, mais de consommation,
- À l’engagement de rester mobile quand le Seigneur nous permet d’investir dans un bien immobilier,
- À la capacité à faire profiter autrui des biens que j’acquiers, qu’il s’agisse de ma résidence ou de ma voiture.
NB : lors du congrès baptiste mondial à Birmingham en 2005, j’ai entendu Tony Campollo fustiger avec véhémence le luxe dans lequel se complaisent ses compatriotes et frères en Christ en roulant dans des voitures toutes plus rutilantes, encombrantes et onéreuses les unes que le autres. Et de leur dire que le WWJD (what would Jesus do ? Que ferait Jésus ?) devrait aussi s’entendre what would Jesus drive ? (Que conduirait Jésus ?).
Dans un intéressant témoignage rapporté en conclusion de son livre sur la question des possessions matérielles dans l’Écriture(9), le professeur Craig Blomberg écrit que les familles chrétiennes américaines doivent pouvoir faire mieux que de donner un peu moins de 3 % de leurs revenus. Voici des suggestions tirées de son expérience :
Relever des défis pour grandir
- Aucune organisation humaine, de quelque nature qu’elle soit, ne se développera si elle n’a des objectifs précis ou des défis à relever. C’est aussi vrai pour une Église locale, même si la nature des objectifs en question lui est tout à fait propre. Dans l’expérience acquise à la tête de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France, je n’ai vu aucune Église se développer sans accepter de relever des défis financiers. Je voudrais en mentionner quelques-uns par ordre décroissant d’importance :
- S’engager à donner une partie significative de ses ressources pour l’annonce de l’Évangile ailleurs que dans la zone d’influence de l’Église, en d’autres termes pour la mission. J’ai la conviction que si une Église veut encourager ses membres à donner généreusement, elle doit elle-même donner généreusement. Et donner généreusement, c’est donner pour des causes dont nous ne tirerons aucun bénéfice. Selon une estimation que je crois juste, 97 % de ce que donnent les membres d’Églises leur reviennent directement ou indirectement : édification du local cultuel où ils se réunissent, rémunération du pasteur qui les sert, vidéoprojecteur qui améliore le déroulement de leur culte… Même les contributions qui finalement vont dans les caisses de l’Union servent finalement l’Église locale et ses membres. Lorsque nous donnons pour l’évangélisation des banlieues difficiles où nous n’irons a priori jamais, ou pour les populations du bout du monde qui ne pourront nous le rendre ici-bas, alors, et alors seulement, nous commençons à être généreux pour l’œuvre du Seigneur.
- Soutenir ceux qui ont un appel à un ministère particulier (pasteur, évangéliste, docteur…) à se former. Trop souvent, nous rechignons à nous séparer de ceux qui sont prometteurs pour le service du Seigneur et nous ne comprenons pas qu’il soit nécessaire que leur vocation mûrisse et qu’elle s’accompagne d’une solide formation. Nous les mettons vite à l’œuvre et parfois nous les « grillons » prématurément. Il nous faut apprendre à viser le long terme et à investir pour l’œuvre de Dieu, même si les fruits de cet investissement peuvent se faire attendre (Moïse n’est-il pas devenu « utile » entre les mains du Seigneur après 40 ans dans le désert de Madian ? Et Jésus, n’a-t-il pas attendu l’âge de 30 ans pour exercer son très bref ministère ?) et souvent échapper à l’Église locale où il a pris naissance.
- Apprendre à rémunérer ceux qui « président bien… surtout ceux qui se donnent de la peine à la prédication et à l’enseignement » (1 Ti 5.17). Qu’on l’appelle pasteur, responsable, frère à l’œuvre, il me paraît important que, dans son développement, une Église locale mette à part une ou plusieurs personnes pour se consacrer pleinement au ministère. J’ai observé que les Églises qui ne se résolvent pas à relever ce défi stagnent souvent dans leur croissance. Parallèlement, je me suis rendu compte que ceux qui auraient dû se consacrer davantage à la communauté, mais hésitaient à franchir ce pas qui les mettait dans une situation matérielle de dépendance, voyaient parfois aussi une « stagnation » dans leur ministère. Ce ne sont pas là des lois spirituelles, mais des observations qui peuvent nous encourager à être plus déterminés dans nos choix financiers.
- Investir dans des locaux adaptés aux besoins de la communauté et de son développement. Ce type d’investissement demande à être fait avec sagesse, car il engage la communauté pour quinze à vingt ans en termes d’emprunt. J’ai vu plusieurs communautés s’engager dans des projets « pharaoniques » avec les meilleures intentions du monde et se retrouver paralysées par des emprunts trop lourds qui empêchaient toute autre action de développement (campagnes d’évangélisation, engagement d’un pasteur, essaimage…). Il me paraît indispensable dans ce domaine de s’entourer de conseillers, de rechercher une conviction commune lors d’une assemblée générale et d’avoir une vision claire des priorités : il faut toujours privilégier les pierres vivantes aux pierres mortes.
- Ne pas oublier l’entraide. Toute Église a aussi pour mission de prendre soin des pauvres en son sein et autour d’elle. L’Église de Jérusalem qui prenait soin des veuves et la collecte que Paul a organisée en faveur des chrétiens de Jérusalem sont autant d’exemples qui nous encouragent dans ce sens. La difficulté à laquelle nous avons à faire face en France, c’est que la loi de 1905 ne permet pas à une association cultuelle de couvrir juridiquement une activité de bienfaisance. Il est donc indispensable de fonder une association loi 1901 pour encadrer cette action. Cela n’empêche pas d’organiser des offrandes spécifiques lors des cultes pour alimenter cette activité.
- Relever des défis pour nous-mêmes en matière de consécration financière. Ce qui est vrai de l’Église l’est aussi pour nous, nous sommes appelés à grandir dans notre consécration financière. Et pour cela, nous avons aussi besoin de défis. Craig Blomberg signale l’existence d’une notion de dîme progressive suggérée par Ron Sider (graduated tithe)(10). Pour faire simple, le principe consiste à augmenter la part des revenus consacrés à l’œuvre du Seigneur au fur et à mesure de leur croissance. La base de départ est de 10 %, mais chaque augmentation significative de revenus donne lieu à une part croissante de don. Selon ce principe, si vous touchez 18 000 € de revenus annuels, vous mettez à part pour l’œuvre du Seigneur 10 %, soit 1 800 €. Mais pour chaque tranche d’augmentation de vos revenus annuels de 1 000 €, vous augmentez aussi de 5 % le pourcentage de la part que vous donnez à l’œuvre du Seigneur sur cette augmentation. Ainsi vous donnez 10 % sur les 18 000 € de base, 15 % sur les 1 000 € suivants, 20 % sur les 1 000 € suivants et ainsi de suite. Cela donne la progression suivante :
Craig Blomberg est ainsi arrivé à donner 30 % des revenus annuels de son foyer à son Église, à des organisations para-ecclésiales et à des individus impliqués dans le ministère chrétien(11).
Sans imiter servilement ce modèle, il y a là de quoi inspirer notre consécration financière.
Reste, pour conclure, à vous raconter l’histoire d’un homme à qui Dieu donne dix bananes(12) :
Il était une fois...
Un homme qui n’avait rien…
Et Dieu lui donna dix bananes.
Il lui en donna trois pour sa nourriture.
Il lui en donna trois qu’il puisse vendre afin de se procurer un abri contre le soleil ou la pluie.
Il lui en donna trois afin qu’en les monnayant, il ait de quoi se vêtir.
Il lui en donna une qu’il puisse rendre à Dieu en signe de reconnaissance pour les neuf autres.
L’homme mangea trois bananes.
Il en vendit trois en vue de se trouver un abri contre le soleil ou la pluie.
Il en échangea trois contre les vêtements nécessaires.
Puis il regarda la dixième et elle lui parut plus belle et plus savoureuse que toutes les autres. Il savait que Dieu la lui avait donnée afin de pouvoir lui prouver sa gratitude en la lui rendant. Mais la dixième banane semblait tellement plus belle et plus savoureuse. Il se dit qu’après tout, Dieu possède déjà toutes les bananes du monde. Aussi mangea-t-il la dixième banane et rendit-il à Dieu… la peau !
Dieu vous a donné assez de « bananes » pour pourvoir à vos besoins, plus une avec laquelle vous pouvez lui exprimer votre gratitude. Il vous reste à choisir :
Allez-vous lui redonner la plus belle et la plus savoureuse de vos bananes ou bien voulez-vous lui rendre la peau simplement ?