Le psaume 73 est un psaume que j’apprécie tout particulièrement, car il rejoint, pour nous pasteurs et responsables d’Église, nos questionnements, nos interrogations, nos doutes, nos tiraillements intérieurs. D’une certaine façon, ce psaume est l’expression d’un pasteur qui œuvre pour l’Église toute la semaine, sans être toujours très bien considéré, et qui un jour est frappé par le fait que ceux qui ne vivent pas comme lui, ceux qui ne partagent pas sa foi et son engagement, s’en sortent quand même très bien : ils sont prospères, respectés, influents… Et ils ont même leurs weekends de libres ! En somme, ce psaume est le récit d’une crise intérieure, face à des réalités qui s’opposent : la foi coûte cher, elle est exigeante, et en plus la vie des autres peut être tentante, séduisante, attirante
Ce psaume débute par la notion peut-être la plus importante pour toute la foi, pour toute la piété biblique : « Dieu est vraiment bon pour Israël » (v. 1). Oui, Dieu est bon, digne de confiance, engagé et fiable dans son amour pour le peuple qu’il s’est choisi. Cette vérité, c’est la base de toute la foi du peuple : Dieu est bon pour nous. Mais cette vérité, si importante et si profonde, certains, même au sein du peuple de Dieu, peuvent parfois en douter.
Pourquoi notre psalmiste doute-t-il ? Parce qu’il s’est mis à réfléchir de façon attentive et raisonnée sur Dieu ? Non, pas du tout : il a douté parce qu’il a regardé autour de lui et qu’il a vu que certains styles de vie étaient vraiment attractifs : « J’ai vu en effet ceux qui ont renié Dieu, j’ai vu que tout leur réussit, et j’ai envié ces insolents » (v. 3). Ce juif fidèle s’attachait à servir, à obéir à Dieu et à sa loi, mais voilà que, quand il regardait autour de lui, il voyait que certains n’étaient pas si fidèles que cela, il en voyait vivre leur vie sans rechercher constamment à plaire à Dieu, il en voyait d’autres vivre pour eux-mêmes, et cela leur réussissait très bien ! Sans toutes les restrictions de la loi, avec une moralité assez souple, sans s’inquiéter sans cesse pour leurs voisins, ils vivaient des vies prospères, influentes socialement : « C’est pourquoi tout le monde se tourne vers eux, et boit leurs paroles comme de l’eau » (v. 10). La situation de ces gens pour qui tout semblait réussir, alors même que Dieu n’était pas leur priorité, alors même que Dieu n’était pas au cœur de leur vie, voilà ce qui a poussé notre psalmiste à envier leur situation.
Étonnante honnêteté du psalmiste ! Il considère ces gens, il désapprouve ce qu’il voit (notamment la fierté que ce style de vie produit chez les « insolents », le fait que ces gens se sentent au-dessus de Dieu, qu’ils se moquent de lui), mais en même temps, il veut ce qu’ils ont. Il veut ce qu’ils veulent. Il veut être comme eux. Voilà tout le problème, voilà la crise de foi du psalmiste. Savoir, croire, être convaincu que Dieu est bon, vraiment, qu’il vaut le coup d’être suivi et d’être cru même si ça coûte, même si c’est dur. Mais en même temps, être plein d’envie pour ceux qui ne vivent pas et qui ne désirent pas vivre selon Dieu.
Les pasteurs ne sont certainement pas à l’abri de tels tiraillement intérieurs… Ils trouvent un sens dans leur ministère, ils se savent à leur place, appelés, ils désirent être fidèles et ne comptent pas leurs heures pour répondre aux besoins du troupeau placé sous leur responsabilité. Tout cela est bon, ils le savent et le vivent souvent bien. Mais parfois, la fatigue, les critiques, le manque d’intérêt et de goût, l’indifférence de certains, le manque de reconnaissance, les conditions de vie matérielle… tout cela commence à peser, et il est aisé de se poser des questions comme « à quoi bon ? » Il est aisé de tomber dans une comparaison mortifère entre ma vie dans ce qu’elle a de difficile, et la vie des autres dans ce qu’elle a d’attirant.
Alors que faire ? Comment ne pas se laisser séduire ? Comment résister et faire le choix de la fidélité ? Le psalmiste raconte ce qui l’a retenu, à commencer par quelque chose que, pour ma part, je trouve très beau, très pastoral. Il écrit au verset 15 : « Mais si je me décidais à parler comme eux, je serais traître envers tes fils, mes compagnons ». La première réaction du psalmiste, c’est de se souvenir qu’il fait partie d’une communauté dont il partage l’identité et la foi. Et il se sent responsable vis-à-vis d’elle. Si lui commençait à parler et à agir comme tous ces gens qui vivent sans Dieu, quel exemple serait-il ? Si nous pouvons passer par des moments de doutes, par des tentations d’abandon, n’oublions pas que nous faisons partie d’une communauté et que nous sommes, quelque part, responsables vis-à-vis de nos frères et sœurs. Quel impact ma désobéissance, mon infidélité, ma tiédeur spirituelle, va-t-elle avoir sur mes frères et sœurs ? Voilà une vraie question que nous pouvons nous poser. Non pour nous culpabiliser, mais pour nous faire prendre conscience de notre interdépendance, de la communion qui nous unit, de l’aspect communautaire de notre foi. Je fais partie d’une communauté, je ne vis pas pour moi-même, et ce que je fais et ce que je vis, positivement ou négativement, impacte le groupe dans lequel je vis. C’est inévitable. C’est bon et c’est beau. Et c’est responsabilisant.
La deuxième chose qui a retenu le psalmiste est plus importante encore. Alors qu’il essayait de réfléchir à sa situation, alors qu’il essayait de raisonner sur ce par quoi il passait, il dut se rendre à l’évidence : ce n’est pas par la raison que je vais résoudre ma crise, que je vais m’en sortir. Il écrit au v. 16-17 : « J’ai voulu y réfléchir, pour comprendre ; mais tout cela m’a paru trop difficile, jusqu’au jour où, entrant dans ton sanctuaire, j’ai compris quel sort les attendait ». Le psalmiste est entré dans le sanctuaire de Dieu. Peut-être y est-il allé par habitude, tout simplement, mais cette fois-ci, il y est entré avec son problème, avec son doute, sa crise. Et là, dans la présence de son Dieu, et aussi entouré de la communauté, tout est devenu clair. Il a médité sur la destinée des « méchants », des « insolents ». Et en considérant leur fin, en comprenant qu’ils sont sur une pente glissante qui les mène à la ruine éternelle, il s’est dit, tout simplement : « Je n’en veux pas. Ça ne me tente pas, ça ne me tente plus. Leur fin est laide, et je choisis de refuser, de dire non. Je choisis mon Dieu et lui seul. Je choisis de le servir. Je m’engage de nouveau à sa suite ».
Dans le sanctuaire de Dieu, dans sa présence et celle de nos frères et sœurs, quels que soient nos doutes, nos crises, nos interrogations, nos souffrances intérieures, Dieu nous parle et nous enrichit de ses voies, de sa volonté et de sa perspective. Et si le reste du psaume nous apprend quelque chose, c’est que nul ne peut regretter le fruit de ce qui se passe dans la présence de Dieu. Ce fruit, c’est une assurance renouvelée dans la bonté de Dieu. C’est une assurance renouvelée dans le fait que la vie, la vraie, est auprès de lui. C’est une expérience nouvelle de la joie et de la paix que nous procure la communion avec lui. Et pour le ministère, quel ressourcement !
« Et ici-bas, que désirer, puisque je suis avec toi ?
Mon corps peut s’épuiser, mon cœur aussi,
mais mon appui, mon bien le plus personnel,
c’est toi, Dieu, pour toujours.
Mon bonheur à moi, c’est d’être près de toi.
J’ai mis ma confiance en toi, Seigneur,
pour proclamer tout ce que tu as fait. »
Dans la présence de son Dieu, notre psalmiste a recentré sa vie et son ministère. Dans la présence de son Dieu, il s’est rendu compte que rien n’était plus beau que Dieu. Que rien n’était plus important, plus agréable, plus puissant, plus jouissif que Dieu. Ce sentiment-là, cette assurance-là nous sont accessibles, à chacun d’entre nous. Quels que soient nos doutes, nos tiraillements, nos crises de foi et de ministère, nous trouverons toujours auprès de Dieu la vie, la joie, un sens à nos vies que nous n’aurions peut-être jamais espéré trouver.
Que la lecture de ce numéro des Cahiers de l’École pastorale, en complément de votre ressourcement auprès de Dieu, vous encourage, vous équipe et vous forme pour un ministère toujours plus fructueux. C’est notre prière !
Nicolas Farelly