Introduction : la chute a une histoire
Le parcours que je vous propose est un parcours classique de chute et de relèvement. L’histoire de la chute de Pierre, telle qu’elle est racontée par l’évangile de Matthieu, et l’histoire du relèvement de Pierre, tel qu’il est raconté par l’évangile de Jean, sont très instructives. Plus que d’autres récits, l’histoire de Pierre met la chute et la rédemption en récit. Ce récit a marqué la conscience chrétienne. Comme le note François Bovon dans son commentaire sur l’évangile de Luc, le coq, le fameux coq du triple reniement (le chant du coq), « devient, à l’époque patristique, le témoin de la chute du premier des apôtres et la preuve du pouvoir prophétique de Jésus [qui avait annoncé la chute]. Il marque aussi l’heure du repentir et des pleurs amers(1) ». Et l’auteur ajoute que, sur les premiers sarcophages chrétiens du 4e siècle (tombeaux sculptés dans la pierre), Pierre et le coq du reniement sont sculptés ensemble. Je ne sais pas quel est le sens exact de cette présence de Pierre et du coq sur ces sarcophages, mais on peut supposer que ce sont les regrets qui sont en cause : la présence de Pierre serait alors symbole de repentance.
Avec Pierre, la chute a donc une histoire, et le relèvement aussi. Et c’est dans cette histoire que je vous propose d’entrer maintenant.
Le style de Pierre
Le parcours de Pierre est très nettement fait de hauts et de bas. On le dit de tous les parcours. Pierre est d’ailleurs, à de nombreux égards, représentatif des autres disciples, le récit évangélique le montre bien ; et nous sommes sur ce point en désaccord exégétique avec certaines traditions de lecture catholiques. Oui, Pierre, dans ses paroles et ses actes, nous montre ce que peut dire et faire un disciple de Jésus. Mais c’est à croire que les auteurs des évangiles ont pris un malin plaisir à souligner, dans le cas de Pierre, la hauteur des hauts et la profondeur des bas. Il monte très haut et il chute très bas. Pierre est comme les autres, et en même temps, il n’est pas quelqu’un qui rentre facilement dans les cases. Tous les êtres humains ont un fonctionnement quelque peu sinusoïdal, mais la sinusoïde de Pierre est de forte amplitude.
Pierre est celui qui marche sur l’eau et celui qui coule. Mais il n’est pas celui qui se contente de nager… Il est celui qui confesse Jésus comme Christ et Fils de Dieu, puis qui se fait Satan pour Jésus. Mais il n’est pas celui qui considère Jésus comme un prophète, c’est-à-dire l’adepte d’une voie moyenne. Il est celui qui colle à Jésus, puis qui ne le connaît plus. Mais il n’est pas le disciple tiède qui dirait, dans les bons comme dans les mauvais moments : oui, Jésus, je le trouve sympathique.
Un contexte d’appel à la vigilance (Mt 23-25)
La chute de Pierre arrive dans un contexte où il n’est pas surprenant de chuter. « Quand l’Évangile entre en action, les vagues se soulèvent ; le monde, le péché, le diable, la mort, l’enfer, notre propre conscience passent à l’attaque, et tout porte à croire que nos affaires vont péricliter et être ruinées(2). » C’est ce que Pierre va ressentir.
Le dernier grand discours de Jésus, le 5e de l’évangile de Matthieu, aux chapitres 23, 24 et 25, pourrait être qualifié de grand appel à la vigilance. Trois chapitres, ce qui est long pour un discours de Jésus(3) ; trois chapitres dans lesquels Jésus met en garde ses disciples, les invitant à veiller, à ne pas suivre la voie des scribes et des pharisiens, à ne pas se tromper dans l’interprétation des événements, donc à discerner avec sagesse, et à se tenir prêts, à mener une vie de vigilance et d’action, vivant le présent dans la perspective de l’éternité.
Trois chapitres de mises en garde, d’avertissements, d’appels à l’observation, de mises en perspectives, en langage direct ou sous la forme de paraboles : à coup sûr, Matthieu veut nous montrer que l’attitude des disciples au moment de la passion – la fuite et pour Pierre le reniement – ne s’explique pas par un manque d’avertissements. Ce qui est un petit peu inquiétant pour nous. Un Pierre averti n’en vaut pas deux, et n’échappe pas forcément pour autant à la chute…
L’orientation de ce dernier discours de Jésus, qui va du présent jusqu’aux événements de la fin, signale que cette vigilance ne valait pas seulement pour les Douze de l’Évangile. Ce sont bien les disciples de tous les temps qui sont concernés. Nous vivons bien, nous aussi, dans un monde où la chute est possible. Jésus l’avait déjà dit au chapitre 18 : « Malheur au monde à cause des occasions de chute ! Car il est inévitable qu’il se produise des occasions de chute. » (18.7). Il parlait alors des relations au sein de la communauté chrétienne, communauté qui vit dans le monde. Et même encore plus tôt, il avait évoqué la possibilité du reniement, dans le cours de la mission : « Quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux. » (10.33). Il envoyait alors ses disciples en mission. Le chemin de la mission, donc du ministère, est pavé d’occasions de chute…
Et ces appels à la vigilance, ceux des chapitres 23 à 25, nous conduisent directement dans le vif du sujet. Nous entrons dans le récit de la Passion, où le scénario de la chute de Pierre va se mettre en place.
L’affirmation (Mt 26.31-35)
L’affirmation du chapitre 26 est comme le feu d’artifice du parcours antérieur de Pierre.
« Alors Jésus leur dit : Je serai pour vous tous, cette nuit, une cause de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les moutons du troupeau seront dispersés.
Mais après mon réveil, je vous précéderai en Galilée. Pierre lui dit : Quand tu serais pour tous une cause de chute, tu ne le seras jamais pour moi. Jésus lui répondit : Amen, je te le dis, cette nuit même, avant qu’un coq ait chanté, tu m’auras renié par trois fois. Pierre lui dit : Même s’il me fallait mourir avec toi, je ne te renierai pas ! Et tous les disciples dirent la même chose. »
Il est difficile de le vérifier par l’expérience, mais je soupçonne que, ...