Introduction
Il convient tout d'abord que je m'excuse auprès de vous et auprès de mes collègues de cette incursion dans deux domaines qui sortent du champ de mes compétences: le Nouveau Testament et la Théologie pratique. Il est vrai que les professeurs de Théologie pratique sont habitués ces incursions fréquentes dans leur domaine, Bernard Raymond s'en plaint dans un article (1).
«...Les dogmaticiens, les exégètes, les historiens, les éthiciens ne manquent pas, d'ordinaire, de se prononcer sur les incidences que leur enseignement peut avoir dans le domaine propre de la TP. Il leur arrive même d'imaginer savoir mieux que les praticiens eux-mêmes ce que cette TP devrait être, ou encore d'écrire des articles ou des livres relevant plus spécifiquement de la pratique que de leur domaine propre. Qu'ils le veuillent ou non, les titulaires de la pratique se voient ainsi contraints, bon gré mal gré, de prendre acte de ces recherches ou de ces productions, voire de ces déclarations de principe qui empiètent sur leur discipline. L'interdisciplinarité envahit souvent leur horizon avant même qu'ils aient eu le temps de situer l'éventuelle particularité de leur propre point de vue» (p.9).
Traiter des fondements bibliques du ministère pastoral n'a, a priori, rien à voir avec l'AT, et de fait je ne ferai même aucune allusion à l'AT. Ce n'est pas en spécialiste que je prétends aborder ce sujet. Et je m'en tiendrai, aussi bien en matière d'étude du NT que de Théologie pratique à des observations générales et à des idées simples mais importantes, je le crois, pour la vie de nos Églises de professants et la santé morale et spirituelle de leurs pasteurs.
I. Un ministère non biblique
Partons d'un constat que chacun peut faire en parcourant des encyclopédies ou en écoutant les opinions courantes: le ministère pastoral souffre d'un manque de légitimité biblique. Il en souffre également, me semble-t-il, de la part de ceux qui le soutiennent et de la part de ceux qui le contestent.
Les uns, partant de l'état de fait, l'existence actuelle du ministère pastoral, rattachent ce ministère au NT en commençant généralement par le nom de pasteur ou berger (poïmèn)? employé une seule fois dans le NT pour désigner un responsable humain dans l'Église (2), puis le vocabulaire associé: troupeau (poïmèn, poïmnion?, faire paître (poïmaïnô, boskô?) qui permet d'établir que l'image pastorale dont Jésus est le modèle est à bon droit utilisée pour décrire des fonctions de responsabilité dans l'Église (3). Ensuite on élargit habituellement le champ d'étude pour inclure les instructions de Jésus à ses disciples, les instructions des épîtres pastorales et les réflexions de l'apôtre Paul sur son propre ministère. Le fait que Jésus se désigne comme le bon pasteur justifie une présentation de Jésus comme modèle du pasteur.
Une telle étude est évidemment utile dans la mesure où elle récapitule l'enseignement du NT destiné à ceux qui exercent une fonction de responsabilité dans l'Église (qu'ils soient ou non pasteurs), elle permet aussi de justifier l'usage de l'image pastorale et du vocabulaire qui lui est attaché, mais elle ne permet pas de légitimer le statut actuel de pasteur: Il est clair qu'il n'y avait pas dans l'Église primitive de responsables distincts des anciens, des diacres ou des apôtres et que l'on aurait appelé des pasteurs. La méthodologie, consciente ou inconsciente, de l'étude est la suivante: étant admis qu'il y a des pasteurs, que nous dit le NT sur la manière dont ils doivent exercer leur ministère? Ce faisant on découvre certainement l'essentiel, car le NT a bien plus à nous apprendre sur la manière d'exercer des responsabilités dans l'Église que sur le cahier des charges et les noms qu'on devrait donner à telle catégorie de responsables. Pourtant un certain malaise subsiste: pasteur, est-ce vraiment une fonction biblique au même titre que celle d'ancien ou de diacre?
L'autre approche, plus caractéristique de nos Églises de professants, consiste à partir, non de l'existence actuelle du ministère pastoral, mais de l'organisation de l'Église telle qu'elle apparaît dans le NT. L'image que l'on tire de cette enquête est celle d'une répartition des charges entre des diacres, dont les responsabilités spécifiques s'exercent dans le domaine matériel et des anciens (appelés aussi évêques, surveillants) qui ont en charge les aspects spirituels de la vie de la communauté. De pasteurs, point dans ce schéma. Leur présence dans l'organisation actuelle est associée à ces écarts divers et successifs que l'on constate dans l'histoire de l'Église par rapport au modèle biblique. Les écarts importants qui caractérisent l'Église Romaine n'ayant été qu'imparfaitement corrigés par la Réforme.
Quelle conclusion en tirer? Les plus radicaux concluent qu'un pasteur n'a pas sa place dans l'organisation d'une Église fidèle, elle ne devrait comporter que des anciens et des diacres. D'autres pensent qu'un certain accommodement est possible entre le modèle biblique et le pasteur; celui-ci peut retrouver une forme de légitimité comme membre du conseil des anciens, plus spécialement chargé de l'enseignement, de l'organisation, de l'évangélisation ou de quelque autre tâche spécifique correspondant à des aptitudes et une formation particulières et pour laquelle il est mis à part à plein temps. Plutôt que l'abolition du pastorat, on préconisera son aménagement pour éviter les effets nocifs du pastorat dit classique ou monarchique; les maîtres mots de cette adaptation étant collégialité, complémentarité. On ne peut guère s'opposer à une telle orientation qui a l'avantage d'éviter une confrontation brutale entre partisans et adversaires du pastorat, qui correspond aussi bien, peut-être même davantage, à l'évolution des mentalités qu'au souci légitime de la fidélité à l'Écriture, et qui, en plus, semble plaire à tous, ce qui est assez rare pour être salué avec reconnaissance. Il est fort possible que l'enseignement dispensé dans nos établissements inter-dénominationnels qui se doivent de ne pas épouser trop nettement les vues particulières à l'une ou l'autre des branches de la famille professante, ait joué et joue son rôle dans l'établissement et le maintien de ce consensus.
Sans remettre en cause cette célébration quasi unanime de la collégialité, on se doit pourtant de constater qu'un malaise peut subsister plus ou moins consciemment dans l'âme du pasteur qui se voit ainsi hériter d'une fonction dont la légitimité biblique est contestée et qui, pour se faire admettre, doit s'abriter sous le large parapluie du collège d'anciens dont l'origine néotestamentaire est, elle, indiscutable. Cet inconfort, né pense-t-on de l'inadéquation du pastorat au modèle biblique ou aux besoins de l'Église, n'aurait-il pas d'autres causes? Poser la question c'est suggérer déjà une réponse positive que je vais tenter d'exposer et de justifier: cette impression que la fonction de pasteur, à la différence de celle d'ancien ou de diacre, n'aurait pas de légitimité biblique, est plus une impression qu'une réalité. Elle est due à des sélections, des lacunes ou des imprécisions repérables dans la lecture et l'utilisation du NT.
II. Une lecture imparfaite du Nouveau Testament
Trois causes d'erreurs dans la lecture de l'image biblique ont été signalées, on les examine l'une après l'autre.
1. La sélection des ministères
Les fonctions de diacre et d'ancien sont bien attestées dans le NT, mais elles ne sont pas les seules. Pour réduire l'organisation de l'Église à un conseil d'anciens et de diacres, il faut opérer une sélection dans la richesse, la diversité, on peut dire le foisonnement des ministères qui caractérise l'Église primitive (4).
Lorsqu'une telle sélection est opérée, la première obligation serait de le signaler, la seconde d'indiquer les motifs et les critères de la sélection ainsi réalisée.
Dans son excellent manuel Ministères dans l'Église (St Légier, Emmaüs, 1983), mon ancien collègue et toujours ami Alfred Kuensignale bien la diversité des ministères dans l'Église primitive (5), mais il se fixe ensuite sur les fonctions de diacre et d'anciens leur consacrant 7 chapitres (chap. VI à XII, 81 p. soit pratiquement la moitié du livre), le chap. XII étant consacré au conseil des anciens et des diacres. L'Église est donc déjà organisée. Suit un seul petit chapitre (p.157-165) consacré aux apôtres, aux prophètes et aux évangélistes. Comment ces trois ministères s'articulent-ils aux deux précédents dans l'organigramme de l'Église? Cela n'est pas précisé (6). Il semble que les prophètes soient plutôt considérés comme des membres du conseil des anciens et des diacres, il pourrait en être de même des évangélistes et des apôtres (au sens large du terme), quoique l'activité de ces derniers se situe en dehors du cadre de la communauté locale: ils fondent de nouvelles Églises.
Ce qui paraît aller de soi est souvent suspect. Devoir signaler et justifier cette sélection de deux fonctions (diacres et anciens) de préférence aux autres lorsqu'il s'agit de rendre compte de l'organisation de l'Église néotestamentaire, aurait pour effet de nous rendre plus modestes lorsque nous déclarons suivre le modèle du NT.
Je ne prétends pas que cette sélection que l'on ne prend pas la peine de justifier soit injustifiée. On pourrait évoquer divers critères de sélection: la fréquence de l'emploi des termes, leur répartition dans l'ensemble du NT, l'importance donnée aux fonctions dans les textes qui les mentionnent, l'avantage de termes dont le sens paraît bien établi et qui ne donnent pas matière à controverse comme celui de prophète, la distinction éventuelle entre fonction et organisation, chaque fonction particulière ne déterminant pas nécessairement un niveau différent d'organisation, le même et unique conseil d'Église pouvant réunir des diacres, des anciens enseignants, prophètes ou conducteurs. Ces différents critères de sélection mériteraient d'être étudiés en détail.
Le critère de la fréquence permet par exemple d'écarter le terme de pasteur comme désignant un corps défini de responsables dans l'Église primitive.
Mais le critère de l'importance accordée à la fonction doit être pris en compte pour la fonction de prophète. Lorsqu'on lit en 1Corinthiens 12.28 que dans l'Église Dieu a établi premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, et en Éphésiens 2.20 que l'édifice de l'Église a été établi sur le fondement des apôtres et des prophètes, il devient problématique de ne pas leur accorder une place dans l'organigramme de l'Église, même s'il faut pour cela affronter les débats suscités par cette fonction prophétique, limitée à l'Église primitive, comme certains le pensent, redécouverte dans les mouvements enthousiastes, où le titre est effectivement revendiqué, ou représentée par l'annonce de la parole de Dieu dans l'Église (7).
2. La réduction de l'Église à la communauté locale
La seconde lacune est la plus grave, elle revient à limiter l'organisation de l'Église à la communauté locale comme si rien ne pouvait ou ne devait être organisé au delà. Une limitation qui, de nouveau, n'est pas signalée, comme si elle allait de soi.
Or le NT nous montre l'importance que les apôtres attachaient aux liens qui devaient exister entre les communautés locales. Et s'il est utile dans la lecture et l'application que l'on fait du NT de distinguer entre ce qui est simplement rapporté de la vie des premières communautés chrétiennes et ce qui est explicitement enseigné, on conviendra que ce qui est dit des liens entre Églises locales est bien souvent de l'ordre de l'enseignement.
Trois types de liens peuvent être distingués:
a) Les liens personnels
Des personnes voyagent, passent d'une Église à l'autre pour diverses raisons, mais plusieurs se déplacent pour visiter les Églises, pour que des liens entre les communautés soient créés et maintenus. Dès le début de l'histoire de l'Église, les apôtres délèguent Pierre et Jean à Samarie (Ac8.14) dès qu'ils apprennent le succès de la prédication de Philippe. Par la suite nous suivons surtout les déplacements de Paul, non seulement pour fonder des Églises, mais pour les affermir. Il s'inquiète lorsqu'il n'a pas de nouvelle d'une Église ou lorsqu'il reçoit de mauvaises nouvelles. Il s'adjoint des collaborateurs qui constituent un véritable réseau de communication entre les Églises et lui, transmettant nouvelles et directives.
b) Des liens épistolaires
Les personnes seules ne pouvant suffire à la tâche en un temps où les déplacements étaient lents et souvent périlleux, les apôtres voulant aussi que leurs directives soient transmises le plus fidèlement possible ont déployé une intense activité épistolaire dont le NT est né. La production plus abondante de Paul, dont seule une partie a été conservée, ne doit pas nous faire oublier celle d'autres apôtres qui montre qu'il s'agissait d'une pratique commune. La poursuite de cette activité épistolaire au-delà de la période apostolique, tend à montrer que la mission d'enseignement et de cohésion de l'Église à laquelle se consacraient les apôtres en écrivant leurs lettres n'a pas pris fin avec la constitution du NT. Même si le canon est clos, la mission demeure, qui en douterait?
c) Des liens économiques
La grande collecte organisée dans les Églises de Grèce pour les chrétiens de Jérusalem touchés par la famine, constitue l'un des grands projets de la vie de Paul. Pour mener à bien personnellement cette tâche il va résolument au devant des souffrances et de la prison qui lui ont été prédites (Ac 20.22-24; 21.13). L'aide matérielle accordée à Paul pour ses déplacements ou ses missions dans d'autres Églises constitue aussi un exemple marquant de cette solidarité financière que l'apôtre voulait créer entre les communautés.
Ces différents liens (personnels, épistolaires, économiques) devaient donner aux Églises locales la conscience d'appartenir à un corps commun dont l'unité en matière de doctrine et de pratique devait être maintenue. Aux Galates, prêts à accepter la soumission aux rites de l'ancienne alliance que certains veulent leur imposer, Paul déclare fermement qu'il n'y pas d'autre Évangile que celui qu'il leur a annoncé (Ga 1.6-9). Aux Corinthiens qui s'imaginaient pouvoir organiser ou désorganiser la vie de l'Église à leur gré, il rappelle qu'ils ne sont ni les seuls, ni les premiers: «Est-ce de chez vous que la Parole de Dieu est sortie ou est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue» (1Co 14.36) et il les enjoint à pratiquer ce qui se fait dans toutes les Églises (v.33).
Parler de l'organisation de l'Église sans s'intéresser à ce niveau-là d'organisation revient à laisser de côté au moins la moitié de l'enseignement du NT sur le sujet: peut-on prétendre suivre le modèle du NT en ignorant la moitié de ce qu'il enseigne?
Il faut reconnaître qu'à ce niveau d'organisation l'application est plus délicate.
- Elle se heurte d'abord à une réalité dont la complexité défie toute solution: groupements d'Églises d'appellation et d'orientation différentes, mouvements et œuvres divers, problème des limites de l'Église, de la fidélité à l'Évangile, etc. Il semble plus facile d'organiser une Église locale, surtout lorsqu'on en crée une nouvelle, que d'organiser les liens entre Églises existantes.
- Une autre difficulté d'application surgit en raison du rôle décisif joué, à l'époque du NT, par les apôtres dans cette organisation de la vie de l'Église. On s'accorde à reconnaître aux apôtres une mission unique: celle de fonder l'Église en transmettant l'enseignement du Seigneur, l'autorité apostolique devant s'exercer après la mort des apôtres par le NT. Mais le NT peut-il assurer à lui seul la cohésion entre des communautés qui n'auraient entre elle aucun lien organique? Ce n'est pas ce que l'on croit au niveau local, où l'on ne se contente pas de vendre des Bibles aux membres de l'Église, on les réunit le dimanche et d'autres jours de la semaine, on les instruit, on les visite...
- Troisième difficulté, à l'époque apostolique, d'autres responsables que les apôtres jouent un rôle important dans cette organisation de l'Église, mais aucun titre ne définit clairement leurs fonctions. Dans ce rôle, le livre des Actes et les lettres de Paul nous donnent surtout à voir des collaborateurs de Paul tels que Timothée, Tite, Épaphras, Tychique, Prisca et Aquilas, et bien d'autres encore dont les fonctions et l'activité ne sont pas toujours faciles à déterminer. Les lettres de Paul à Timothée et Tite permettent de se faire une idée des missions accomplies par de tels collaborateurs. Aucun titre particulier ne leur est donné: ils ne sont pas appelés anciens ou évêques, si les noms de diakonos (Tychique, Ép 6.21) ou apostolos? (Tite, 1Co 8.23; Épaphrodite, Ph 2.25) peuvent leur être associés c'est certainement au sens commun de ces termes: serviteur, délégué ou messager, et non pas comme un titre décrivant une fonction particulière (8). Cette absence de titre ne favorise guère un prolongement actuel, car la reprise d'un titre du NT (diacre, ancien, évêque, prêtre et même pasteur) a toujours donné aux fonctions dans l'Église une forme de légitimité, parfois contestable, mais très appréciée parce qu'elle est perçue immédiatement.
Ces difficultés réelles n'empêchent pas que l'on doive prendre en compte les indications et les instructions du NT. Si l'on accorde à ce niveau-là d'organisation de la vie de l'Église l'importance qui lui revient on dira moins que le ministère pastoral n'est pas biblique et que les seules fonctions légitimées par le NT sont celles de diacre et d'ancien. Car le ministère pastoral, c'est à dire: - Le service à plein temps dans une Église locale, - Pour une période limitée, - D'une personne ayant bénéficié avec d'autres d'une formation spécifique, dans des établissements communs, - Dont l'appel et les aptitudes ont été reconnues, non seulement par l'Église locale, mais par un ensemble d'Églises se prononçant au moyen de délégués, - Qui entretient avec ses collègues du même groupement d'Églises, ou d'autres d'Églises, des relations suivies, - Qui est responsable de son service, non seulement devant l'Église locale, mais aussi vis à vis de ceux qui l'ont mandaté pour exercer ce service dans l'Église locale.
Tout cela se rattache à ce niveau plus général de l'organisation de l'Église et va donc dans le sens de la fidélité aux exemples et aux instructions du NT, pour autant bien sûr qu'on les suive et que cette forme de ministère soit vécue dans l'esprit de l'Évangile. Cette analyse conduit à dire: si les pasteurs n'existaient pas, pour être fidèle au NT, il faudrait les inventer.
L'essentiel est dit, mais il convient de signaler une dernière imperfection de l'image courante, la contestable identité des termes.
3. La contestable identité des termes
Le sujet est souvent développé, je me contenterai d'un traitement rapide.
L'utilisation dans l'organisation actuelle de l'Église de termes identiques à ceux du NT, crée une impression de légitimité, très forte, très tenace, et pourtant précaire.
Les mots n'ayant pas d'existence en eux-mêmes, par les sons ou les lettres qui les composent, mais par ce qu'ils signifient. L'utilisation d'un mot identique peut garantir une certaine continuité liée à une certaine permanence du sens tout au long de l'histoire du mot, mais n'assure pas l'identité du sens. Il arrive même assez fréquemment que l'évolution du mot lui donne un sens très différent de celui qu'il avait auparavant.
Il en va ainsi du mot prêtre, dérivé du grec presbutéros? ancien, sans aucune connotation sacerdotale. La correspondance établie après le ralliement au christianisme de l'Empire Romain entre les presbytres chrétiens et les sacerdotes païens a provoqué un important glissement de sens qu’explique Bernard Sesboué (9).
«Deux vocabulaires, deux mondes de signification se sont contaminés, puis recouverts l'un l'autre. En fait, dans la mentalité courante, et pratiquement jusqu'à nos jours, le sens sacerdotal a dominé le sens presbytéral».
L'usage modifie le sens et plus la fonction s'éloigne du modèle néotestamentaire, plus la permanence du titre se révèle fallacieuse lorsqu'elle est sensée garantir la légitimité de la fonction.
Le glissement de sens n'est pas aussi sérieux avec des titres comme diacre ou ancien, mais un même phénomène affecte tous les termes du NT désignant des fonctions dans l'Église. Appartenant au langage courant de l'époque biblique, ils deviennent, lorsqu'on les importe dans une autre culture, des termes techniques réservés à l'usage ecclésiastique. Ainsi le surveillant devient un évêque, l'envoyé ou le délégué un apôtre, le serviteur un diacre, et dans la mesure où le mot vieux ou ancien ne désigne plus dans notre société le membre d'un conseil comme c'était le cas à l'époque du NT, on devrait dire aussi, le conseiller devient un ancien. Si bien que les membres de conseil d'Église qui auraient tendance à faire une sorte de complexe d'infériorité en raison de l'écart entre le modèle biblique et la loi de 1905: «nous ne sommes que des conseillers et non des anciens», ne sont pas si défavorisés qu'ils le pensent, car conseiller (10) est peut-être, après tout, le meilleur équivalent dans notre culture du mot ancien à l'époque du NT.
Les traductions nouvelles de la Bible qui recherchent davantage l'équivalence de sens que la continuité des termes, mettent en évidence le caractère précaire de cette légitimité fondée sur l'emploi des mêmes titres. Lorsqu'on lit le NT dans la traduction dite du Semeur on peut constater que les anciens et les diacres ont perdu leur légitimité apparente, ils ont été remplacés dans le texte par des responsables et des assistants. De quoi pourraient encore se plaindre les pasteurs!
Conclusion
On a pu constater que l'impression d'un manque de légitimité biblique qui affecte plus ou moins la fonction de pasteur dans le cadre professant, par rapport aux fonctions de diacre ou d'ancien est due: - À une sélection non reconnue et non justifiée parmi les nombreux termes qui dans le NT désignent un service ou une fonction. - À une réduction inacceptable de l'organisation de l'Église à la seule Église locale alors que le NT s'intéresse au moins autant à l'organisation des liens entre les Églises locales.
La fonction de pasteur apparaît justifiée lorsqu'on prend en compte la dimension plus générale de l'organisation de l'Église. Le pasteur est dans l'Église locale où s'exerce son activité essentielle un représentant privilégié et un agent privilégié de cette dimension de la vie de l'Église. Il l'est en raison: - du temps dont il dispose, - de la formation qu'il a reçue, - des relations qu'il a établies et qu'il entretient, - des compétences qu'il a acquises (cohésion de l'Église quant à la doctrine et à la pratique dans la soumission à l'autorité apostolique du NT), - (éventuellement) des comptes qu'il doit rendre à ceux qui l'ont mandaté.
Dans l'Église locale il n'est heureusement pas le seul à assurer ce lien avec l'Église universelle, celui-ci est assuré aussi par les relations personnelles des membres de l'Église par leur engagement dans des œuvres ou mouvements inter-ecclésiastiques, mais le pasteur joue un rôle décisif dans l'articulation entre l'Église locale et l'Église universelle. Être pleinement conscient de cette mission devrait rassurer et encourager ceux qui doutent de la légitimité de leur fonction.
Quant au déficit de légitimité sociale dont on parle beaucoup ces dernières années à la suite d'enquêtes sociologiques, il intéresse surtout les pasteurs d'Églises établies, car être pasteur d'une communauté dissidente n'a jamais conféré un statut social très défini, et il est plutôt salutaire dans la mesure où il conduit le pasteur à rechercher sa légitimité dans la qualité de son service, de sa consécration. S'il est un modèle que donne le NT c'est bien celui-là!