Je l’avoue d’emblée, prêcher sur un texte imposé convient bien – trop bien peut-être – à mon tempérament. Cela me soulage de l’inquiétude sourde ou vive qui me saisit devant le choix à faire. On ne sera donc pas surpris de me trouver ici à exposer les avantages et les difficultés de cette forme de prédication.
Mais cet aspect psychologique – pour ne pas dire thérapeutique – de la question, ne devrait pas fausser ici son approche. C’est d’un point de vue général que la pratique doit être envisagée. Et même, au regard de la subjectivité du prédicateur, si le choix imposé paraît complaire à certains tempéraments, on pourra à bon droit se demander si celui qui ne s’y sent pas naturellement porté n’aurait pas intérêt à se l’imposer davantage. Considérons donc les choses d’un point de vue général et objectif.
Une prédication à Nazareth
Un premier exemple de prédication sur le texte du jour semble bien nous être donné par Jésus lui-même (Lc 4.16-30). La scène se déroule dans son village de Nazareth, un jour de sabbat. Tout paraît suivre, au moins au début, une pratique habituelle. Jésus se lève pour faire la lecture. On lui tend le rouleau d’Ésaïe. Il n’a donc pas choisi le livre, ni probablement le passage à lire. Luc dit qu’il l’a trouvé, ce qui n’implique pas nécessairement qu’il l’a cherché(1). Il est bien moins aisé de dérouler un rouleau (plus de sept mètres de long pour le rouleau d’Ésaïe de Qumran) que de feuilleter un livre pour y trouver la référence souhaitée. Le rouleau était-il refermé à cet endroit parce qu’on en faisait la lecture suivie d’un sabbat à l’autre ou parce que c’était le passage prévu pour ce jour dans un calendrier de lecture ? Les informations plus précises qui nous sont parvenues sur l’ordre du culte synagogal, plus récentes, ne nous permettent pas de nous prononcer avec certitude sur la pratique en vigueur à l’époque de Jésus. Aux siècles suivants au moins, on sait que le service comprenait la lecture de sections déterminées de la Loi et des Prophètes.
Comme modèle de prédication sur texte du jour, l’exemple appelle cependant quelques réserves. Si Jésus a suivi ce jour-là les usages de la synagogue qu’il connaissait depuis son enfance, rien n’oblige pour autant le prédicateur chrétien à faire de même. L’événement, par la personne du prédicateur et le sujet de sa prédication, reste unique, non reproductible : faire de sa propre personne le sujet de son message, voilà qui n’est guère conseillé à d’autres prédicateurs que le Christ lui-même ! D’autre part, la correspondance du texte avec la circonstance reste exceptionnelle, assez éloignée de ce que le prédicateur habituel peut ou doit attendre du texte du jour. Et enfin, par rapport à son texte (Es 61.1-2), Jésus prend l’initiative de rajouter une catégorie de bénéficiaires, les opprimés, tirée d’un autre passage d’Ésaïe (58.6) et surtout coupe la fin de la phrase au moment où il allait être question de vengeance divine. Cette dernière observation montre que s’en remettre au texte du jour pour la prédication n’empêche pas à l’occasion certains choix, dont il faudra apprécier, pour un autre prédicateur que Jésus, le bien-fondé.
Le lectionnaire
Dans l’Église chrétienne, la mise en place pour chaque dimanche de l’année d’un programme de lectures bibliques, s’est faite progressivement entre le 5e et le 7e siècle. Avec des modifications diverses au cours du temps et selon différentes confessions chrétiennes, le modèle a perduré jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, le lectionnaire le plus suivi en France est celui de l’Église catholique romaine. Il est repris par la Fédération protestante de France avec quelques modifications à la marge, notamment l’absence des textes dits deutérocanoniques et des fêtes propres à l’Église romaine. Il est imprimé pour chaque dimanche et fête chrétienne commune sur les petits livrets diffusés chaque année par la Ligue pour la lecture de la Bible.
L’avantage de pouvoir s’inscrire dans une tradition aussi ancienne et aussi large n’est pas à négliger. Je(2) m’y suis volontiers conformé, notamment pour les cultes du Service protestant diffusés sur France Culture. Mais dans la pratique courante, j’en suis venu à adopter une autre liste, celle de la lecture de la Bible en six ans, figurant sur les mêmes livrets. En voici les raisons en négatif et en positif.
Le choix du lectionnaire est conçu de manière à privilégier le texte de l’évangile(3), les deux autres lectures, Ancien Testament et épître, servant plutôt d’arrière-plan et de complément. Il est toujours possible de reporter son choix sur l’un des deux autres textes, mais on sent bien que cela va à contre-courant. Il serait d’ailleurs intéressant de sonder les prédicateurs non-catholiques qui suivent le lectionnaire : n’est-ce pas le plus souvent à l’évangile du jour que s’arrête leur choix ?
Dans la perspective romaine, la lecture de l’évangile s’inscrit dans un programme liturgique censé assurer tout au long de l’année la présence de Jésus au sein de la communauté croyante(4). Cette présence est particulièrement marquée aux temps forts de Noël et de la semaine sainte, précédés des temps de préparation de l’Avent et du Carême. Mais elle doit être sensible chaque dimanche de l’année. C’est à cela que contribuent la lecture de l’évangile et l’homélie qui lui est étroitement associée, non pas tant comme commentaire du texte, que comme actualisation et appropriation de cette présence du Christ que l’eucharistie qui va suivre manifeste de la manière la plus sensible et la plus réelle.
Sans examiner les tenants et aboutissants de cette forme de spiritualité(5), en se plaçant du simple point de vue de l’assise biblique de la prédication, s’en tenir ainsi aux seuls Évangiles ne peut guère se faire sans quelque appauvrissement. Si le Christ est bien le cœur de la foi chrétienne, c’est l’Écriture dans sa totalité qui nous est donnée pour le connaître, et pas seulement comme simple complément aux Évangiles.
On ne soupçonnera pas les prédicateurs qui ...