Introduction
C’est un usage établi de rassembler ces quatre actes sous l’unique qualification d’actes pastoraux, « actes » signifiant ici « gestes publics » marqués d’une certaine solennité, même dans la « légèreté » cérémonielle du culte évangélique. Or, cet usage établi n’est pas satisfaisant. En effet, la présence du baptême dans cette liste, soit appelle en complément la présence de la Cène si l’objet est une réflexion de nature liturgique, soit le baptême doit en être retiré, si cette liste est plutôt en rapport avec une théologie du ministère. Il me semble utile et sain pour notre pratique pastorale de distinguer la particularité du baptême et de la Cène, au regard de la présentation d’enfants, de la bénédiction de mariage ou d’un culte de consolation.
En annexe, nous joignons un document utilisé dans le cadre de l’accueil pastoral de ces différentes demandes. Ce document propose une distinction pédagogique entre « sacrements » et « actes pastoraux ». Ce document s’est avéré nécessaire face à une importante sollicitation — marquée d’une certaine confusion — provenant de personnes en marge de l’assemblée, et de membres de l’assemblée elle-même.
Bien que peu apprécié dans le milieu baptiste, j’utilise assez facilement, à propos du baptême et de la Cène(1), le terme de « sacrement », utilisé et défendu par Michaël Quicke à propos de la prédication(2), parlant d’un acte dans lequel « il y a plus qu’il n’y paraît », évoquant la présence mystérieuse et active de Dieu. En effet, la prédication ne se distingue pas tant par son intention que par le fait qu’elle est un acte de Dieu.
La prédication, la cène, le baptême, sont institués par Dieu : l’Église est inconcevable sans l’un de ces trois-là car ils sont parties prenantes de sa mission objective et explicite. Le pasteur encourage au baptême, il prêche, il invite au partage de la Cène ; le pasteur annonce la Parole de Dieu, enseigne et invite à la louange du Seigneur. Ce faisant, il est au cœur même de sa mission. Ces « sacrements » sont des vecteurs majeurs de la transmission de la foi « Car moi j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis(3) ». Ils sont voulus de Dieu qui y manifeste sa grâce à notre foi.
À l’inverse, l’Église n’a pas été envoyée pour présenter les enfants, marier les couples, ni enterrer les morts. Ces actes ne constituent pas l’Église. Ce ne sont pas des actes fondateurs, mais des actes incidents. Il y a de justes raisons de les pratiquer, mais ils ne sont pas pour autant « la » mission de l’Église. La présentation d’enfants, la bénédiction de mariage et le culte de consolation, sont des formes de la présence et de l’accompagnement que la communauté chrétienne offre à des hommes et des femmes en demande.
Il arrive, dans l’exercice du ministère pastoral évangélique français, de passer plusieurs années sans bénir un mariage ni célébrer des obsèques(4). Ce n’est là que la conséquence de la réalité sociologique de communautés de petites tailles. Devant cet état de fait, ni la foi, ni le témoignage, ni la piété de l’Église ne sont nécessairement à remettre en question. L’Église est Église et peut l’être dans la plénitude de sa mission, même sans bénédiction de mariage, ni présentation d’enfants. Par contre, elle serait défaillante sans prédication, ni Cène, ni encouragement au baptême(5). Si l’authenticité de la parole échangée lors du mariage et la fidélité conjugale font partie de l’enseignement de la foi, jamais le pasteur ne demande du haut de la chaire aux célibataires présents de faire des efforts pour se marier ! L’état du célibat et l’état conjugal sont de même valeur. Il n’y en a pas un qui constitue un « progrès spirituel », et serait-ce le cas, selon Paul, il faudrait alors plutôt encourager au célibat !
Un autre signe marquant cette différence est qu’un culte de consolation ou une bénédiction de mariage rassemble sélectivement ceux qui ont des liens avec les personnes concernées. Ce sont des cérémonies « privées », ouvertes mais privées, car répondant à la demande de personnes concernées, quand le culte, la Cène, le baptême se vivent dans un rassemblement, le plus large possible, de la communauté. Il n’est pas dans notre tradition d’avoir des Cènes « privées », ni de baptiser hors l’invitation au rassemblement communautaire. Pour les baptistes, le baptême est un acte d’Église, un acte public. C’est la déclaration de Dieu « Celui-ci, qui répond à ma grâce, est mon enfant ! ». Ce n’est pas un acte privé, qui ne concernerait que le baptisé et quelques initiés.
Les « sacrements » sont institués par le Seigneur. En conséquence, ils sont au cœur de la mission active de l’Église, de sa raison d’être dans le service du Dieu de l’Évangile.
Les « actes pastoraux » relèvent de l’accompagnement, de la compassion, du témoignage. Ils assurent et témoignent de la présence de Dieu dans des moments particuliers de l’existence. Ils manifestent la fraternité. Ils sont réponses à des demandes. C’est parce que des hommes et des femmes placés dans des moments cruciaux de leur existence éprouvent le besoin de la bénédiction de Dieu sur leur décision, ou l’assurance de sa présence face aux questions déséquilibrantes que pose la mort, que l’assemblée chrétienne offre un accompagnement spirituel et une prière solennelle. Elle se réjouit avec ceux qui se réjouissent et elle pleure avec ceux qui pleurent.
La Bible n’évoque pas directement les actes pastoraux. Il n’y a dans toutes les Écritures aucune recommandation quant à la célébration des mariages pas plus qu’à propos des obsèques.
La légitimité de la pratique de la présentation d’enfants, de la bénédiction du mariage et des cultes de consolation tient à la prise en compte communautaire d’attentes, d’espérances ou de souffrances exprimées par des personnes dans un temps exacerbé de leur existence. Ces actes sont fondamentalement une prière et un accompagnement du demandeur dans sa prière.
La pratique des actes pastoraux, pour ne pas être au risque de sombrer dans le rite, doit s’éclairer d’une réflexion théologique sur la culture. Dans nos communautés souvent multiculturelles, cette interrogation porte à la fois sur la culture des demandeurs et sur celle « présupposée » de l’assemblée. Les convictions pastorales et leur expression liturgique ne sont pas « au-delà de la culture ». La question de la culture d’une communauté est complexe. De nos jours, il semble que d’une part la culture proprement liée à la tradition d’une dénomination soit en fort recul, laissant la place à une assez vague identité évangélique dont le dénominateur commun est le chant. D’autre part, cohabitent dans les communautés chrétiennes non seulement diverses cultures « ethniques » mais aussi diverses cultures sociales. Cette diversité est dans la nature christologique de l’Église. Toutefois, être d’une même origine ethnique n’implique pas que l’on partage la même sensibilité culturelle et les mêmes modes culturels d’expression. Enfin, le pasteur, interprète de la culture sociale, aura conscience que l’influence des représentations médiatiques sur les membres de sa paroisse, caractéristique du temps, induit des représentations de ce que devrait être la cérémonie.
Quelques mots à propos de la bénédiction des mariages
Je développerai cet aspect un peu plus que les autres car, dans les faits, c’est le plus malmené. C’est avec la demande de bénédiction de mariage que le pasteur doit faire face aux idées et aux suggestions appuyées les plus saugrenues.
Dans le cas d’une demande de bénédiction de mariage, considérons la dimension théologique de la reconnaissance du rôle propre et irremplaçable des autorités civiles. Nombreux sont les jeunes couples(6) qui, lors de la préparation au mariage, disent spontanément : « Pour nous, la mairie ça ne compte pas. Ce qui compte c’est l’Église… ». On peut trouver la remarque charmante, mais elle est immature et très discutable.
La préparation en amont de la bénédiction d’un mariage devrait inclure des éléments de réflexion sur la reconnaissance de l’autorité civile comme légitime organisation de la vie sociale dans une juste perspective biblique ; que la formation d’un couple est d’abord la formation d’une nouvelle entité sociale ; et que le couple venant au temple pour y être béni y arrive déjà marié. Dans les pays où la cérémonie religieuse inclut la reconnaissance civile de l’union, c’est que l’officiant a reçu une délégation d’état civil des autorités publiques. Ce n’est jamais le cas en France. Cette reconnaissance du rôle irremplaçable des autorités publiques doit être affirmée pour encourager les jeunes chrétiens à développer une vision équilibrée et responsable de la société, ainsi que pour affirmer aussi la pleine légitimité des couples non-chrétiens. En France, pour le couple arrivant au lieu choisi pour la célébration, l’engagement irréversible a déjà été pris. Le couple est légitimement marié devant les hommes et devant Dieu. Comme conséquence liturgique, je propose systématiquement aux couples que j’accompagne de ne pas « rejouer le mariage » au temple, comme si le passage à la mairie n’avait pas eu lieu et que le couple à son entrée dans le temple n’était pas déjà pleinement constitué par la loi et légitime pour la foi. Sur plusieurs dizaines de bénédictions de mariage célébrées, seuls deux couples ont accepté la démarche proposée. Dans le déroulement du service, je propose au nouveaux mariés d’accueillir eux-mêmes, en tant que couple marié, familles et amis, pour ce qui est présenté comme un temps de prière où l’on demandera au Seigneur sa grâce pour vivre fidèlement les engagements réciproques et pour que l’amour mutuel demeure joyeux et généreux. En revanche, il est justifié et judicieux lors de cette célébration de compléter ces engagements en manifestant la dimension fondamentale de la foi qui porte le couple et qui, elle, n’est jamais exprimée devant l’officier d’état civil, laïcité oblige.
Je crois important : ...