Les considérations qui suivent se veulent une sorte de guide du prédicateur inexpérimenté. Comme un guide touristique attire notre attention sur des lieux intéressants et nous suggère quelques visites, quelques détours, tout en respectant notre liberté de décider nous-mêmes notre périple, nous espérons ainsi baliser le vaste terrain de la prédication pour en signaler des points essentiels, des carrefours importants, des hauteurs permettant un regard d’ensemble, sans enfermer pour autant dans un parcours rigide. Si le prédicateur chevronné y trouve quelques sources rafraîchissantes, qu’il en rende grâce à Dieu.
Aux Églises
Les Églises ont besoin de prédicateurs. C’est leur responsabilité de discerner ceux et celles qui seront à même de devenir des prédicateurs réguliers. Est “prédicateur régulier” celui qui participera au cycle organisé de la prédication et ce, au minimum 4 fois dans l’année. Bien des échecs et des déceptions réciproques viennent de la pratique du prédicateur “bouche trou”, celui auquel on fait appel à la dernière minute, parce que personne n’était disponible et qui n’a pas la moindre idée de quand il sera à nouveau sollicité. Ce rôle de prédicateur “bouche trou”, parfois bien utile, devrait être réservé à des personnes expérimentées. Le prédicateur débutant a besoin de régularité pour acquérir une expérience utile et d’un accompagnement plein de sagesse et de vérité, de patience et d’exigence. La prédication occasionnelle n’est qu’une pauvre source de progrès. Une Église qui souhaite élargir - renouveler - le cercle des prédicateurs devra donc s’interroger sur sa responsabilité dans leur accompagnement ; sur ce qu’elle peut leur proposer comme formation, comme ressources, comme lieu d’échanges autour des expériences vécues. Ne faites pas rimer vocation avec abandon, mais avec attention. Celui ou celle que l’Église appelle au nom du Christ, elle l’accompagne… sans l’étouffer(1). La communauté chrétienne doit faire preuve à l’égard des jeunes prédicateurs d’une patience à la fois exigeante et encourageante. Il en va de la prédication comme du travail manuel. Il faut avoir fait cent fois le geste de base pour qu’il devienne une seconde nature. Il faut accepter d’être un apprenti - et d’écouter un apprenti - avant de devenir cet ouvrier qui n’a pas à rougir (2 Tm 2.15).
À toi qui fais tes premiers pas de prédicateur
L’assemblée te confie la prédication. Prends d’abord le temps de réfléchir quelques instants à la puissance des paroles. Des mots, cela peut te sembler dérisoire et pourtant dans nos vies, quoi de plus encourageant qu’une parole dite au bon moment, et quoi de plus blessant qu’une parole injuste ? Par tes paroles, tu vas encourager, éclairer, bénir. Ne te laisse pas abuser : ta prédication demeurera une parole fraternelle. Tu es et demeureras un frère partageant sa foi avec ses frères. Mais dans sa liberté, l’Esprit de Dieu fera entendre à l’un ou à l’autre, par tes mots fraternels, la Parole du Dieu vivant. Tu apprendras à sourire, avec humour et reconnaissance, devant la sagesse de l’Esprit qui utilise ce que tu dis… ou ce que l’on a cru que tu avais dit !
Tu as accepté de participer à la prédication dans ton assemblée. Probablement as-tu accepté avec un certain tremblement, conscient que la tâche est importante. Elle est aussi pour toi la promesse : « ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Accepte paisiblement ta faiblesse. Accepte que le meilleur de toi demeure toujours insuffisant et donne toujours ton meilleur. Notre faiblesse n’est jamais l’excuse de notre paresse.
Peut être t’es-tu réjoui de l’occasion enfin offerte d’exprimer cette insatisfaction vis à vis de l’Église qui t’habite depuis un certain temps ? Rassure-toi, cette source là sera vite épuisée et quand “toi” tu n’auras plus rien à dire, alors tu seras prêt pour écouter la Parole de Dieu. C’est là que tout commence.
Du travail…
Acceptant de participer à ce ministère, tu as d’abord dit oui à un appel au travail. Souviens-toi combien Paul exhorte Timothée à se consacrer à la lecture des Écritures, à la prédication et à l’enseignement, à prendre à cœur son service (1 Tm 4). Inspiration et transpiration ne sont pas incompatibles. Venir en chaire sans préparation serait plus le signe d’une suffisance que l’attitude d’un serviteur.
Par ailleurs, la prédication supporte mal la dispersion. Peut être devras-tu renoncer à d’autres engagements ? Se consacrer, c’est souvent faire des choix, donc renoncer à d’autres appels. Les prédicateurs expérimentés se battent continuellement avec eux mêmes pour ne pas se disperser en des sollicitations honorables.
Le nombre d’heures que cette préparation demande est trop lié à la méthode de chacun pour donner une indication réellement utile. Permets-moi seulement de te conseiller de travailler en plusieurs plages, plutôt qu’en un seul jet, et de prévoir du temps tant pour le fond que pour la forme.
Savoir-être et savoir-faire
En amont même du travail préparatoire, discerne l’appel à renouveler ta piété, ton écoute des Écritures. Il est vrai que c’est là la vocation de tout croyant, mais elle prend un caractère plus exigeant pour celui qui annonce la Parole de Dieu. Paul évoque même pour Timothée un rôle de modèle. Il y a là de quoi effrayer tout prédicateur. Rassure-toi, tu seras un modèle non par une perfection bien hypothétique, mais par tes progrès ! Tu seras un modèle, malgré toi, par ta soif de la Parole de Dieu. Tu seras un modèle, malgré ce que tu penses de toi, par ton esprit de service.
Dans la prédication, le savoir-faire est inséparable du savoir-être. Sache qu’avant d’écouter une prédication, on écoute le prédicateur. Ta propre relation à l’Évangile donnera le ton de ta prédication : si l’Évangile demeure pour toi la source d’un étonnement, d’une constante interrogation, d’un approfondissement de ta connaissance de ta foi, de ton espérance, alors ta prédication ouvrira tes auditeurs à des conversions, à des appels, à des engagements. Si dans la lecture des Écritures, tu ne cherches que la confirmation de tes convictions, alors ta prédication creusera des ornières. Lis la Bible non pour trouver des choses à dire, mais lis là pour être toujours étonné de la patience de Dieu, de la persévérance de son amour ; lis la pour demeurer attentif aux formidables contre-pieds qu’elle pose à la sagesse des hommes, même à celle des croyants ; lis là pour découvrir toujours à nouveau le chemin patient et créatif de son salut ; lis la comme un enfant qui a toujours tout à apprendre. Tu découvriras que quoique tu fasses tout pour que ta parole rejoigne les hommes et les femmes assemblées, c’est d’abord à toi-même que tu t’adresses. C’est pour cela qu’elle sera reçue, parce que tu es toi-même le premier auditeur de ta prédication.
Ce qu’est une prédication
Qu’est-ce qu’une prédication ? C’est la première question à se poser. Sans une conception claire de ce qu’est la prédication, dans sa nature plus que dans sa forme, tu risques de ne faire qu’imiter la prédication. Pourquoi ne pas se contenter de lire à haute voix des épîtres ou des chapitres des évangiles et des prophètes ? C’est que la particularité de la prédication, c’est de faire résonner la parole de Dieu dans l’actualité de nos vies. Les livres bibliques ont été rédigés à une époque donnée, souvent en fonction de situations particulières (par exemple, la 1ère lettre aux Corinthiens suppose un premier courrier exprimant les interrogations des chrétiens de Corinthe sur différents aspects de la vie évangélique). Le rôle du prédicateur est - selon une expression de John Stott - de bâtir un pont entre le monde biblique et le monde contemporain ; de montrer que Jésus est notre contemporain. Les références au débat autour de la circoncision, plusieurs fois présent dans les épîtres, n’ont plus beaucoup d’actualité dans les Églises françaises aujourd’hui. Est-ce dire que cet enseignement n’apporte rien à d’autres débats plus actuels ? Parle de la circoncision dans l’Église primitive autant que tu voudras. Tu ne susciteras que bien peu de vagues. Tout le monde s’accordera sur le dos des judaïsants. Mais ose proposer que peut être ce débat pourrait éclairer quelques crispations dans la question du baptême. Alors là, attends-toi à de vives réactions. Il ne s’agit pas de jouer au provocateur, mais quand le monde biblique rejoint vraiment notre monde, la rencontre ne demeure pas sans effet. Nos prédications sont peut être trop consensuelles parce que trop intemporelles. La mission du prédicateur est de tracer des voies légitimes entre le contexte d’hier et celui d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas de proposer aux auditeurs du XXIème siècle un voyage dans les temps bibliques, mais plutôt d’exprimer la permanence et la pertinence de l’Évangile pour aujourd’hui, donc de l’inscrire dans la réalité de notre culture et dans la condition authentique de nos vies.
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