Avec ce film (1), Jean-Pierre Melville nous a donné l'un des plus grands chefs-d'oeuvre du cinéma français.
Adaptation du roman de Béatrice Beck (prix Goncourt 1952), ce film raconte avec sobriété et justesse «l'histoire d'une âme», celle d'une jeune militante communiste, athée, dénommée Barny. Employée dans une entreprise de cours par correspondance basée dans une petite ville de province, confrontée aux rigueurs de l'Occupation (le récit se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale), Barny s'interroge sur Dieu.
La voilà qui rencontre Léon Morin, jeune prêtre catholique interprété par Jean-Paul Belmondo et, bientôt des discussions régulières vont opposer, puis rapprocher, les deux personnages. Passionnée, provocatrice, seule aussi, Barny pose les questions qui dérangent. Elle gratte au-delà du vernis de surface, pour atteindre des enjeux essentiels.
Une Parole qui s’incarne
Face à elle, le prêtre ne se dérobe pas. Animé d'une foi ardente et d'une rare rigueur morale, Léon Morin n'a qu'un but: contribuer à réconcilier Barny avec le Dieu qui l'a créée et qui l'a aimée le premier. Lors de leur première discussion de fond, Barny affirme: «j'ai lu les évangiles». Mais cette lecture n'a pas suffi à la convaincre. Morin, quant à lui, va plus loin. Tout en encourageant Barny à la lecture, il s'attache à montrer que l'Évangile est d'abord une Parole qui s'incarne. Il s'insurge contre les dangers de «fossiliser» la révélation divine. À propos des dorures et statues de l'église paroissiale, il déclare: «il faudrait mettre le feu à tout ce bazar». À la place des lieux de culte froids et sombres, il rêve d'églises «ultramodernes, inondées de soleil».
Dans une autre conversation, au moment où son interlocutrice semble basculer vers la foi, il l'interpelle: «Vous n’avez pas pensé à devenir protestante? Ils sont souvent merveilleux ces gens là!» Autant de manières de mettre en garde contre le risque du détournement idolâtre ou de l'enfermement ecclésial. Dieu est bien plus que tout cela!
Jusqu'au terme du film, Barny se bat avec ces faux-semblants, y compris la tentation de confondre Dieu avec... Léon Morin, dont la jeunesse et la séduction l'attirent irrésistiblement. Ce dernier ne se laisse pas détourner du but: faire connaître Dieu, révélé en Jésus-Christ pour nous sauver. Sur ce chemin, la Bible n'est pas qu'un livre qu'on feuillette ou qu'on lit. C'est une Parole qu'il incarne et qu'il cite, à l'image de cet échange, au confessionnal, où il mentionne les paroles de l’apôtre Jean: «Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur»(2).
Une manière de dire que le christianisme et la Bible sont appelés à dépasser une approche purement cérébrale, pour s'incarner tous azimuts dans l'amour du Christ.