Voilà un titre un tantinet provocateur avec, en couverture, cette tornade qui semble bien suggérer que le thème en question a pu être (et est encore) dévastateur soit par la réalité des faits analysés dans le livre, soit par les débats que cette question soulève. L'auteur, psychologue, bénéficie d'une longue expérience d'accompagnement des personnes et des groupes sur des problématiques relationnelles, éducatives et sociétales. Elle est présidente de l'Association Protestante pour l'Éducation et l'Enseignement (AP2E). L'esprit de ce livre n'est pas de pointer un doigt accusateur sur les Églises, les dirigeants d'œuvres chrétiennes et encore moins à viser les pasteurs ou responsables d'Église, mais de détricoter les processus et stratégies d'évitement mis en œuvre qui aboutissent à des situations anxiogènes et destructrices pour les personnes et les Églises. Dès l'introduction, l'auteur met cartes sur table en démontrant que le fantasme de la toute-puissance humaine exercée sur d'autres personnes concerne tous les êtres humains et donc toutes les structures humaines où des personnes travaillent ensemble pour un projet commun. C'est bien pour cela que les Églises n'échappent pas à ce phénomène. Pourquoi dès lors en parler si c'est aussi évident ? Tout simplement parce que nous idéalisons l'Église, nous la conceptualisons, nous la rêvons. Il est donc difficile, à partir de ce postulat, d'accepter qu'il puisse y avoir en son sein des personnalités perturbées et perturbantes ainsi que des dysfonctionnements. Cette naïveté contribue à rendre certains fonctionnements abusifs pérennes et à bloquer le discernement et la maturité. Ne pas voir l'Église telle qu'elle est mais telle qu'on la rêve est dangereux car cette fausse vision peut entrainer des complicités certes involontaires mais néanmoins dangereuses.
L'auteur donne la définition suivante du concept de « toute-puissance » : « Il désigne une position infantile et mythique du moi marqué par le narcissisme ou l'amour inconditionnel du soi » (p.31). C'est la figure du tyran ou du gourou. L'auteur précise que nous sommes tous traversés par des envies de toute-puissance, il s'agit de « la toute-puissance ordinaire » (pp.36ss). Mais ici, il est question de la « toute-puissance chronique » et toxique qui va se caractériser par « la durée des faits, leur gravité et par la multiplicité des faits et leur impact sur la communauté » (p.18). Qu'est-ce qui caractérise ce type de personne ? Elles ne supportent pas la contradiction et sont incapables de se remettre en question, elles n'écoutent pas : « Elles ont la certitude que leurs idées et interprétations sont exactes et vraies y compris lorsque les faits les démentent. » (p.18)
L'auteur insiste sur la nécessité de développer un sens communautaire de la responsabilité car le discernement doit aussi et surtout s'établir en groupe, de façon collective et non individuelle, ce qui peut modérer toutes formes de règlement de compte. Malheureusement, dans l'Église et pour des raisons pseudo-spirituelles, les chrétiens ne jouent pas leur rôle de régulateur, soit par une bienveillance lâche, soit par peur, soit par manque de discernement, soit par naïveté et c'est ainsi que « les attitudes empathiques envers la personne en toute-puissance, loin de faire cesser ses agissements mortifères, lui préparent le chemin, aplanissent sa route et la renforcent dans ses dysfonctionnements. » (p.43)
L'Église serait-elle un terrain favorable à ce genre de dérives autoritaires et abusives ? L'auteur semble le penser à cause de cette « logique du silence obligé que pratique l'Église » (p.62), cette culture du silence, cette conception d'une grâce à bon marché, d'une certaine pratique du pardon, de la réticence à exclure et à exercer une discipline, de l'insistance sur l'unité et la concorde au détriment de la recherche de la vérité et de la transparence. Il est vrai qu'il est toujours tentant de ne dire que ce qui va bien et difficile de reconnaitre les conflits et désaccords dans l'Église.
Répétons-le, le propos de ce livre n'est pas de critiquer des pasteurs ou responsables d'Église car l'auteur donne des exemples où des conseils presbytéraux ou simples membres ont pu exercer une violence à l'égard de leur pasteur. La démarche de l'auteur consiste à donner des outils d'analyse pour exercer notre vigilance, des procédures pour que chaque membre d'Église se dégage des emprisonnements du silence complice qui perpétue calomnies, mensonges et autres propos blessants. Ne plus banaliser les transgressions et pratiques arbitraires. À ce titre, l'auteur fournit en annexe des fiches de procédure pour traiter les dysfonctionnements humains, pour la mise en place d'arbitrage, des exemples de charte de bienveillance, des propositions de prière de repentance et des liturgies appropriées.
Un autre point que rappelle l'auteur et qui me semble capital : le rappel de la loi, mais par « loi » il faut comprendre l'ensemble des textes qui encadre le vivre ensemble de toutes les communautés humaines et donc des Églises. Ces textes peuvent être les confessions de foi, mais aussi et surtout les règlements intérieurs, les articles de discipline ecclésiastique, les chartes de fonctionnement et textes constitutifs de l’Église. Ces textes doivent être régulièrement expliqués, débattus car ils nous rappellent que tout être humain se débat entre ses désirs de toute-puissance et la loi. En étant confronté à ces textes, chacun est conduit à faire des choix raisonnés, éthiques et « à résoudre, sans cesse, les conflits intérieurs suscités par l'affrontement de son désir avec la loi. Ces conflits engagent sa responsabilité éthique, ils peuvent être psychiquement douloureux » (p.134), néanmoins ils sont nécessaires surtout dans le contexte d'une société consumériste.
Une remarque s'impose : L'approche de l'auteur est avant tout celle d'une psychologue professionnelle et non d'une théologienne ou d'un pasteur, d'autre part les observations et expériences relevées dans ce livre s'inscrivent dans le contexte des Églises luthéro-réformées. Le chapitre 6 « Réponses bibliques, théologiques, liturgiques face à la toute-puissance humaine » est bienvenu, mais le lecteur évangélique ne sera peut-être pas convaincu de la définition de la toute-puissance divine donnée par l'auteur, notamment le « Shaddaï » hébreu (pp.172ss).
Conclusion : un livre qui invite à la vigilance, mais plus positivement à la bienveillance. Un livre qui interroge les notions d'autorité, de soumission, de gouvernance d'Église et plus précisément les limites de la responsabilité spirituelle de chacun dans l'exhortation fraternelle qui ne peut se limiter à l'encouragement seul ou à de vagues conseils qui n'engagent à rien et qui ne responsabilisent ni celui à qui ils sont adressés, ni celui qui les donne.