Voici le manuel d’homilétique francophone que nous attendions ! Si en effet de nombreux ouvrages sur la prédication ont été livrés ces dix dernières années sur le marché de l’édition évangélique (de celui de Brian Chapell à John Stott, en passant par Timothy Keller, John Piper, etc.), il faut reconnaitre qu’à l’exception du désormais classique Précis de prédication chrétienne de Jules-Marcel Nicole(2), nous manquions fondamentalement à ce jour de ressources homilétiques écrites pour notre contexte. Et nous savons combien l’élément de contextualisation importe en prédication !
Florent Varak, pasteur et professeur d’homilétique à l’Institut biblique de Genève, met ici à la disposition du grand public le fruit de vingt années d’enseignement à l’Institut. Et ceux qui connaissent l’homme ne seront pas surpris d’y trouver un plaidoyer appuyé pour la prédication textuelle ! S’il nomme les deux approches possibles au niveau de la prédication – prédication thématique, prédication exégétique –, légitimant les deux, donnant les avantages et possibles écueils de chacune dans l’introduction, le reste de l’ouvrage est en effet consacré pour l’essentiel à la présentation de la méthode à suivre pour une prédication textuelle réussie.
Cette méthode, l’auteur la développe en 7 points formant les 7 chapitres de l’ouvrage. Nous nous proposons succinctement de les parcourir.
1. Sélection : le choix du texte
Des conseils fondamentaux sont ici donnés quant au choix de la péricope : la nature du texte, son découpage, sa longueur. Dans ce chapitre, une réflexion est menée sur la question de la planification de séries de prédications lorsqu’on est en responsabilité dans une Église. Comment équilibrer sur une année entre Ancien et Nouveau testament, entre les différents registres de textes dans l’Écriture ? Comment ne pas lasser, rythmer l’année, laisser des espaces de respiration entre les séries, etc. ? L’expérience pastorale de l’auteur et ses 20 années passées au service d’une même Église en tant que prédicateur régulier est ici précieuse.
2. Compréhension : le sens du texte
L’auteur donne dans cette section des clefs d’herméneutique et d’exégèse utiles, essentiellement pour le lecteur qui souhaiterait se lancer dans la prédication sans avoir suivi de formation théologique préalable. D’une manière pédagogique, l’accent est porté ici sur la nécessité de bien s’exercer en premier lieu à saisir le sens du texte hier et là-bas, avant de l’appliquer pour nous ici et maintenant. Des outils et une méthode sont livrés pour y parvenir.
3. Rédemption : le salut du texte
Une fois le sens du texte saisi dans son contexte, l’auteur invite maintenant le lecteur à inscrire ce texte dans le grand récit biblique. Ou, comment le texte décrit la condition humaine, éclaire l’Évangile, révèle la personne ou l’œuvre de Jésus-Christ, et comment l’Esprit rend possible la vie chrétienne. Pour ce faire selon l’auteur, 4 points sont à considérer afin d’en faire une prédication authentiquement chrétienne : Dieu, l’homme, Jésus, la foi. Florent Varak propose au passage une réflexion stimulante, en débat avec les auteurs réformés, sur la question d’une approche christocentrique ou rédemptrice de la prédication. Et j’avoue avoir été convaincu par son plaidoyer pour l’approche rédemptrice. À lire.
4. Amplification : la vie du texte
Une fois tout ce travail biblique réalisé, il s’agit à cette étape de rapprocher le texte de la vie chrétienne. Déceler les émotions, les motivations, l’espérance. Choisir les explications, trouver les illustrations, tracer les applications. Un chapitre qui rejoindra le néophyte autant qu’il nourrira la pratique du prédicateur expérimenté. J’ai notamment apprécié l’importance de la prise en compte des émotions dans le récit biblique et la prédication.
5. Adaptation : la pertinence du texte
L’accent de ce chapitre porte sur l’importance de faire une bonne « exégèse » de l’auditoire auquel s’adresse le texte choisi. Ceci à partir du postulat selon lequel un message sera pertinent lorsqu’il est adapté aux gens qui l’écoutent, approprié pour le contexte dans lequel il est donné et répondra in fine aux besoins réels de l’auditoire. L’enjeu étant de bien tenir la tension entre cette exigence et la nécessaire fidélité au sens premier et fondamental du texte biblique.
6. Rédaction : les notes du message
Les deux derniers chapitres - rédaction et proclamation du message – portent maintenant sur la mise en forme homilétique de l’ensemble du travail accompli jusqu’alors. L’auteur part de l’importance fondatrice de rédiger, avant toute chose, ce qu’il appelle une « proposition centrale ». Une phrase mémorable à inscrire dans l’introduction et qui formera la colonne vertébrale du message. Une punchline efficace sur laquelle reposera l’ensemble de la prédication, sa structure et son orientation. Et seulement à partir de là, la formulation d’un plan, d’une introduction, d’une conclusion et des parties. Pour l’auteur, une attention particulière devra être portée à l’introduction et à l’accroche, considérant le fait que les 30 premières secondes décideront de l’attention d’une assemblée. Personnellement, je ressors de la lecture de ce chapitre avec la résolution (renouvelée) de soigner dans ma pratique la rédaction de cette proposition centrale, pour une prédication mieux ciselée et orientée. Je crois que l’exercice en vaut la peine pour moins se « perdre ». Dans ce chapitre, une partie rédigée par Franck Segonne, est consacrée à l’utilisation du multimédia dans la prédication (PowerPoint, Prezi, Mind mapping, support vidéo, etc.). Une réflexion indispensable à conduire à l’ère de l’hypercommunication, et elle est ici bien faite (y compris sous quelques aspects techniques) et équilibrée.
7. Proclamation : la communication du message
Nous voici arrivés le jour J ! Florent Varak, connu pour être un orateur à la fois sobre et percutant, nous livre ici quelques tuyaux pour une communication efficace. Apprendre à veiller sur sa présence, sur le temps, les mouvements, la voix, la gestion des médias et des imprévus. Ce chapitre regorge de pistes et de clefs pratiques pour progresser dans sa communication. À cette fin, un outil d’évaluation homilétique est proposé pour permettre à chacun d’être aidé par des retours constructifs dans sa pratique.
Vous l’aurez compris, par cet ouvrage chacun trouvera de la matière pour progresser et nourrir sa pratique. Le débutant disposera d’un manuel complet, à la pédagogie éprouvée, pour faire ses premiers pas dans l’exercice exigeant de la prédication. Le prédicateur expérimenté, au-delà du bénéfice de réentendre un certain nombre de fondamentaux, glanera ici ou là des pistes de réflexion ou d’application nouvelles et stimulantes. Le pasteur disposera par ailleurs d’un support de formation solide pour former de nouveaux prédicateurs, ou animer des ateliers de prédication dans son Église autour de tel ou tel item développé dans l’ouvrage. Je viens d’ailleurs tout juste pour ma part de confier la lecture de ce manuel à un prédicateur qui fera prochainement ses premiers pas de prédicateur dans notre communauté…
Erwan CLOAREC