Short a décidé de grandir. Une boutade qui exprime bien – que l’auteur me pardonne – la vision qui a animé le cœur de cet homme de voir fleurir, en banlieue parisienne, une Église de taille importante. À ce jour, c’est la plus grande Église évangélique « classique » dans l’hexagone, avec plus de 500 personnes présentes au culte et une croissance annuelle à deux chiffres. Mais pourquoi une telle ambition me direz-vous ? Obsession américaine ? Désir d’empire ? Mégalomanie ? Point. Simplement, et le souffle d’humilité qui traverse le propos de ce livre incline à le croire, la conviction de la nécessité de voir advenir en France, au côté d’un réseau de plus en plus serré, de petites lumières brillant dans les ténèbres ambiantes (petites communautés), l’émergence de quelques communautés phares, à la taille critique plus importante. La perspective d’un point de vue missiologique est intéressante, notamment en contexte urbain. Il est aussi intéressant de réfléchir avec l’auteur au sujet du déficit en France de grandes Églises « non-charismatiques ». Comment l’analyser ? Est-ce lié au modèle du leadership (typologie du pasteur « enseignant-berger » plutôt « qu’entrepreneur-manager », davantage présent dans ces milieux ? À des réflexes d’essaimage systématique ? À une défiance gauloise marquée à l’endroit des structures trop « imposantes », liberticides, ou encore à une certaine « théologie de la pauvreté » ? Je ne sais pas, mais en tout cas l’Église de Pontault-Combault, avec celle de Valence (Union des Églises Évangéliques Libres), fait figure, à ce jour, de modèle utile pour nous stimuler à envisager et penser ce type de croissance et de structure. Comme le dit Jean-Pierre Civelli, pasteur de l’Église libre de Valence, nous ne savons pas en France animer ni développer ce type de structures, et nous avons besoin d’une communauté d’apprentissage pour nous y aider. Cet ouvrage fait œuvre utile en la matière.
Cet appel à « voir grand » ne s’est pourtant pas imposé dès l’origine en ce qui concerne l’auteur. Au fil du récit de la « Ponto Story », qui débute modestement dans les années 90 par un projet d’essaimage de l’Église d’Ozoir-la-Ferrière, nous découvrons les étapes de croissance, les questions et les tâtonnements, les résistances aussi qui n’ont pas manqué de jalonner cette aventure de foi. Face à un bâtiment d’église rapidement plein, fallait-il essaimer ou pas ? Garder un seul culte ou mettre en place un deuxième ? À titre définitif ou provisoire ? Avec toutes les questions d’infrastructures, de structures et de ministères impliquées ? Comment discerner et accompagner la conduite du changement… ? Puis la résolution d’aller vers cette grande Église. Déterminé à grandir, sans jamais opposer la quantité et la qualité, en vue de constituer cette Église phare. En effet, l’un ne va pas sans l’autre dans la pensée missionnaire. Mais au-delà du récit, qui étonne autant qu’il stimule, sans jamais pour autant verser dans la systématisation ou l’autopromotion, une réflexion est proposée. Et c’est là la particularité, plaisante, de cet ouvrage : un mélange de réflexion et de témoignage.
Au fil de ce partage d’expériences, Short nous invite tour à tour, en effet, à réfléchir à la centralité du relationnel et des « groupes de maison » dans la vie de l’Église, à la nécessité de proposer dans une démarche missiologique un culte accessible, à l’élaboration d’un projet d’Église, à l’attention donnée aux enfants et aux familles, à la gestion de la multiculturalité dans l’Eglise, etc. Mais un chapitre en particulier a retenu mon attention : la réflexion de l’auteur au sujet des seuils de croissance (chapitre 3). Nourri de la lecture de spécialistes sur le sujet, et reprenant largement une classification proposée par André Pownall, Short insiste sur l’importance de penser différemment l’Église, ses structures, son leadership, en considération de sa taille.
Ainsi dans la vie d’une Église locale, et notamment dans sa croissance numérique, il existe des seuils de croissance et des étapes de transition. Et il est assez bluffant de vérifier que l’expérience, la mienne en tout cas, valide l’effort de catégorisation qu’il propose.
Le premier seuil est celui de l’Église « de maison », composé de 12 personnes (étape de transition 12-20). Une dimension d’Église correspondant grosso modo au fonctionnement et au style d’animation d’un groupe de quartier. C’est souvent ainsi que démarrent les démarches d’implantation pionnière. Elles prennent ou elles meurent.
Le second seuil est celui de la cinquantaine (étape de transition 50-80). C’est le « clan ». L’Église fonctionne comme une famille élargie et le responsable agit un peu comme un patriarche. Le style du culte reste souvent très familial et informel. L’Église est dirigée soit par un laïc dévoué, soit par un missionnaire/pionnier soutenu financièrement de l’extérieur, ou encore par une petite équipe fonctionnant en stricte collégialité. Nous notons avec l’auteur que beaucoup d’Églises n’ont jamais su dépasser cette étape et aménager les transitions nécessaires pour franchir ce seuil de croissance. L’auteur propose ainsi quelques pistes pour y travailler.
L’étape suivante est celle de l’Église « tribu » (80-150 personnes). Une taille de structure plus grande qu’un clan ou qu’une famille élargie. Les relations y sont plus distendues, nous dit l’auteur, mais la notion d’appartenance demeure très présente. Le leadership tourne autour d’une vision pastorale classique. Le pasteur, seul et à plein temps, conduit l’Église comme un berger. Il nourrit le troupeau et en prend soin : c’est le « chef de tribu ». Tout le monde connaît tout le monde. L’accent communautaire et unitaire y est assez marqué, avec un idéal d’autogestion laissant un certain champ à l’improvisation. Et précisément pour franchir le seuil des 150 personnes (étape de transition 150-220), la clef du développement résidera dans un effort de structuration. L’auteur, reprenant les travaux de Robin Dunbar, professeur d’anthropologie à Oxford, explique qu’à partir de 150 personnes, les relations dans un groupe humain, quel qu’il soit, deviennent si complexes que le groupe doit se recomposer. La confiance mutuelle et la communication ne suffisent plus, en effet, à assurer le fonctionnement du groupe. Il faut alors choisir de diviser le groupe (logique d’essaimage), ou alors de devenir avec Christopher Short une Église « bataillon » (225 et au-delà). Dans ce cas, le travail sur la structure sera déterminant pour y parvenir. Avec l’importance de multiplier les sous-groupes (ou petits groupes), les ressources ministérielles et de raisonner en termes de départements et de ministères spécialisés (recrutement, par exemple, d’un pasteur jeunesse). L’offre, les lieux d’appartenance et les possibilités d’engagement sont ainsi diversifiés, ce qui semble effectivement culturellement pertinent, entrant en résonance avec les attentes de la postmodernité. Ceci sans pour autant sacrifier à la nécessaire unité du troupeau. Un apprentissage, je vous le disais.
Quelle que soit votre situation d’Église, la taille critique de celle-ci, cette lecture vous passionnera et vous rejoindra assurément. Vous y trouverez les défis qui vous sont propres et des clefs de résolution qui pourraient ultimement vous aider. L’approche n’est pas dogmatique, mais elle est une invitation adressée à chacun à prendre et contextualiser ce que Dieu a enseigné en banlieue parisienne, pour voir ce qui est applicable dans sa propre situation (p. 5). Je réfléchis déjà, pour ma part, à le travailler en conseil d’Église. Et vous ?
Erwan Cloarec