Quels sont les facteurs qui déterminent la qualité des relations dans l'église locale ? Pour répondre à cette question on peut penser à l'histoire de l'église, au nombre de membres et à d’autres choses. Mais l'apôtre Paul souligne plusieurs choses en 1 Ti 4.16 auxquelles nous ne pensons pas souvent. "Veille sur toi-même et sur ton enseignement ; persévère dans ces choses, car, en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même, et tu sauveras ceux qui t'écoutent" (italiques ajoutés). Notons l'ordre de ces choses que Paul recommande : d'abord la vie personnelle du berger, ensuite celle du troupeau. Et ce n'est pas ici un verset isolé, mais plutôt un résumé de tout le chapitre. Paul dit sensiblement la même chose aux anciens d'Ephèse en Actes 20:28. Il est étonnant de voir l'importance que Paul donne à la vie personnelle de Timothée, ainsi qu’à son enseignement. Mais Paul savait que le pasteur était l'élément crucial dans la vie de l'église.
L'importance du pasteur
Pourquoi le pasteur est-il si important ? D'abord, il est un modèle pour les autres. 1 Ti 3:2-5 dit, "Il faut donc que l'évêque soit irréprochable, mari d'une seule femme, sobre, modéré, réglé dans sa conduite... Il faut qu'il dirige bien sa propre maison, et qu'il tienne ses enfants dans la soumission et dans une parfaite honnêteté ; car si quelqu'un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l'Eglise de Dieu ?" (NEG, italiques ajoutés.) Paul ne dit pas, "modéré dans tout sauf son travail". Il dit "réglé dans sa conduite". Il travaille bien, mais il ne travaille pas comme "un forçat"; il a le temps de s'occuper de sa propre vie et de sa famille. On a une impression de calme et d'ordre dans ce texte. C'est un idéal difficile à atteindre ; mais les principes que je vais essayer d'expliquer visent à rendre ce style de vie possible. L'influence et le bien-être du pasteur s'en trouveraient augmentés dans son église. La vie du pasteur est en exemple dans son église, mais"Mener en se différenciant" : dans la mesure où il arrive à pratiquer cela, le pasteur apporte plusieurs avantages très importants. D'abord, il favorise la croissance spirituelle et émotionnelle des membres de son église. Sur le plan émotionnel, la maturité implique la capacité de tolérer des différences avec nos proches. Sur le plan spirituel, la maturité est liée à la capacité de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire, et d'accorder à l'autre la liberté dans l'accessoire (Rm 14).il est aussi très influent dans la façon de conduire ses relations. Ses attitudes, son anxiété ou au contraire son calme et sa confiance déteignent sur les autres.
Mener en se différenciant
" Mener en se différenciant " : c'est une façon de conduire l'église qui favorise particulièrement la liberté et la maturité des membres de l'église. "Se différencier" veut dire différer, se rendre différent. Le principe est simple : dans un groupe quelconque, et surtout dans une église qui fonctionne plus ou moins comme une famille, il y a toujours un certain équilibre qui s'installe. Cela ne veut pas dire que tout le monde est identique, quoiqu'il y ait une tendance vers la conformité. Il s'agit plutôt d'un consensus sur les idées et sur les rôles de chacun, et spécialement le rôle du dirigeant :un pasteur doit visiter les malades, s'occuper des jeunes ou s'impliquer dans un ministère envers les pauvres... Une femme de pasteur joue du piano, s'occupe des enfants, ou anime le groupe de dames. Il y a donc des attentes qui sont attachées au rôle du pasteur ou de sa femme, indépendamment de leurs dons et de leurs intérêts. Les enfants du pasteur sont souvent jugés plus sévèrement que d'autres enfants dans l'église, comme s'ils devaient donner l'exemple. Nous pouvons nous-mêmes être tentés de nous imposer, à nous et à nos familles, ces attentes. Chaque fois que l'on dit : "Un pasteur est tenu de faire telle ou telle chose...", nous sommes en présence de cette attitude.Mener en se différenciant, c'est simplement prendre une position qui est différente de celle que le consensus nous prescrit (dans le cas où l'attente ne nous correspondrait pas), et en même temps rester calme et en contact " émotionnellement " avec les autres. Nous n'aurons pas besoin de chercher ou de créer des différences ; il s'agit simplement de ne pas avoir peur d'être ce que nous sommes et de suivre les convictions et la vision que le Seigneur nous donne pour notre ministère. Comme chaque individu est unique, nous ne manquerons pas d'être différents de nos prédécesseurs ! Mais il est tout aussi important, en même temps que nous vivons librement nos différences, de rester en relation aussi calmement que possible avec ceux qui peuvent attendre de notre part des choses différentes.
Quand un pasteur fait cela, il crée une tension pour ceux de ses paroissiens qui sont " mal différenciés ", c'est-à-dire qui ont une capacité limitée à être différents de leurs proches ou de tolérer des différences chez leurs proches. Ils ne comprennent pas sa démarche, et souvent mettent une pression sur lui (avec les meilleures intentions du monde), pour le faire revenir dans leur schéma habituel, par des questions, des demandes, voire des critiques. Si, à ce moment-là, le pasteur se protège de leurs critiques en prenant ses distances sur le plan émotionnel, ils vont prendre le chemin de la facilité et le rejeter. Mais s'il tient bon, restant calme et décontracté, s'il s'explique tout en maintenant le cap, s'il montre qu'il les aime avec leurs différences, ils n'auront pas d'échappatoire. Ils seront obligés de se débattre avec cette nouvelle idée qu'il a introduite : son droit de décider de son emploi du temps ou d'introduire une nouvelle façon de faire. Cela prend du temps, mais c'est un processus qui permet à l'église d'évoluer. Le fait même de pouvoir être en désaccord, voire en conflit, et de cependant rester en relation, est révolutionnaire pour quelques-uns, et c'est un puissant témoignage pour les non chrétiens.A titre d'exemple, j'ai souvent, au fil des années, entendu dire qu'il faut qu'une femme de pasteur travaille avec les enfants, qu'elle fasse l'école du dimanche et qu'elle évangélise par le biais des clubs d'enfants. Il se trouve que ce n'est ni mon don, ni quelque chose que je fasse avec plaisir. Je l'ai fait cependant dans les deux églises que nous avons implantées tant qu'il n'y avait personne d'autre pour le faire. Mais dès que j'ai trouvé quelqu'un à qui passer le relais, je l'ai fait avec soulagement pour me concentrer sur d'autres choses. J'ai été critiquée pour cette démarche ; mais j'ai expliqué calmement mes raisons tout en m'engageant dans d'autres ministères qui correspondent plus à mes dons, et cela a fini par être accepté. Bien entendu, ayant eu la liberté de déléguer ce ministère, j'ai dû accepter que l'autre personne l'accomplisse à sa façon et non pas à la mienne !Un exemple encore plus clair est celui de Jésus lui-même. Il se différenciait constamment des autres. Il ne cessait d'étonner par ses actions et ses attitudes ; il ne rentrait pas dans le moule. Il s'intéressait aux Samaritains et aux non-Juifs en général, et ainsi il préparait le moment où ses disciples iraient, plus tard, leur porter l'Evangile. Il ne se conformait pas aux attentes des Juifs à propos du Messie. Pourtant ceux en qui il avait le plus investi, ses disciples, le suivaient même quand ils ne le comprenaient pas ; il a réussi le défi qui consiste à mener en se différenciant.
Avantages
"Mener en se différenciant" : dans la mesure où il arrive à pratiquer cela, le pasteur apporte plusieurs avantages très importants. D'abord, il favorise la croissance spirituelle et émotionnelle des membres de son église. Sur le plan émotionnel, la maturité implique la capacité de tolérer des différences avec nos proches. Sur le plan spirituel, la maturité est liée à la capacité de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire, et d'accorder à l’autre la liberté dans l'accessoire (Rm 14).
Comment pouvons-nous savoir à quel point quelqu'un peut tolérer des différences ? Si nous prenons sur un sujet précis une position claire (où il y a manifestement liberté pour des opinions différentes) et qu'une personne se sente obligée d'essayer de nous faire changer d'avis, il est presque certain que cette personne est "mal différenciée." C'est peut-être le membre le plus engagé de l'église, qui nous aime comme un frère, et dont l'amour pour Christ est manifeste. Cependant, nous pouvons être sûrs que cela lui coûtera de nous voir prendre des positions différentes des siennes. Par contre, si quelqu'un répond à notre idée simplement en exprimant la sienne qui est différente, il a une capacité plus grande à tolérer la diversité.
Comprendre l'idée de mener en se différenciant apporte un deuxième avantage, celui d'éviter au pasteur l'épuisement, tant physique que moral, qui finira par l’atteindre s'il craint de déplaire aux autres ou qu'il s'efforce de les changer. Il apprend à reconnaître ses limites et à les respecter, et aussi à les faire respecter par les autres.
Un troisième avantage sera d’éviter d'office certains pièges qui guettent tous les pasteurs. La place manque pour en parler ici, mais le fait même de distinguer où s'arrête sa responsabilité en tant que pasteur l'empêchera de tomber dans un certain nombre de guêpiers dans lesquels ses paroissiens pourraient l'inviter (voir Luc 12 : 13,14, où un homme demande à Jésus d'intervenir dans une dispute familiale où il n'a rien à faire ). Si par mégarde il se surprend dans une telle situation, il saura plus vite trouver la sortie.
Enfin, le pasteur trouvera ces principes utiles pour bon nombre de situations pour lesquelles on lui demandera conseil ; si bien qu'il n'aura pas besoin d'être expert dans tous les domaines (les enfants, les ados, les crises de couple...) pour pouvoir aider dans beaucoup de situations.
Se différencier - comment ?
Comment mener en se différenciant ? Il s'agit d'abord de se définir, de réfléchir sur notre position et d’articuler nos convictions, nos responsabilités, dans tel ou tel domaine. Le principe de base est Rm 14. 12 : chacun répondra à Dieu pour lui-même. Or, là où il y a responsabilité, il y a autorité, sinon la responsabilité est injuste. Il n'y a rien de plus stressant que de devoir rendre compte de quelque chose que nous ne pouvons contrôler. Mais Dieu est juste ; il nous demande de rendre des comptes précisément dans les domaines qui sont sous notre contrôle, et rien d'autre.
Nous pouvons imaginer notre vie comme une bulle, dans laquelle nous vivons. A l'intérieur, se trouvent nos idées, nos émotions, notre santé, nos relations avec Dieu, notre famille, et nos proches. Le périmètre de la bulle, là où notre vie touche la vie des autres, peut s'appeler notre influence, et c'est ici que se situe notre ministère.
La chose essentielle à saisir est que tout ce qui est à l'intérieur de la bulle relève de notre responsabilité, à nous seuls et à personne d'autre. Ce n'est la faute de personne d'autre si je néglige ma santé, si je ne fais pas ce qu'il faut pour gérer mes émotions, si je suis mal dans telle ou telle relation et que je ne fais rien, si je n'arrive pas à faire mon ménage ou mon courrier. Personne d'autre ne peut être un père ou une mère pour mes enfants. Personne ne peut écouter Dieu à ma place. Nous ne pouvons rejeter la responsabilité de ces choses sur personne d'autre, même quand nos circonstances sont difficiles.
En ce qui concerne notre santé, un exemple peut éclairer ce principe : supposons qu'un ami me prête sa voiture pour faire une course précise. Je la fais ; mais j'en profite pour lui en faire cinq autres qu'il ne m’aurait pas demandées. Je conduis sa voiture très vite pour racheter le temps ; je prends les virages à toute vitesse et j'érafle la voiture. Je mets de l'essence de mauvaise qualité dans le réservoir, et d’une manière générale, je maltraite sa voiture. A la fin de la journée, je lui rends sa voiture en mauvais état. Mon ami sera-t-il content de moi ? Est-ce qu'il n'aurait pas préféré que je fasse seulement ce qu'il m'avait demandé avec sa voiture ? Je pensais faire preuve de dévouement, mais en réalité c'est une mauvaise gestion des biens d'autrui.
Beaucoup de chrétiens engagés, pasteurs et autres, font la même chose avec leurs corps. Et ils sont admirés (même si d'un autre côté on s'inquiète pour leur santé). Quand nous voulons à tout prix nous rendre utiles, comme s'il fallait justifier le mètre carré que nous occupons sur cette terre, nous perdons de vue le fait que notre corps ne nous appartient pas. Dans l'Ancien Testament, Dieu a ordonné que l'on traite bien ses animaux - même les bêtes avaient le droit de se reposer une fois par semaine. Le Seigneur nous demanderait-il de nous traiter pire que les bêtes ?
Donc la première chose à faire, pour définir notre position et nos responsabilités, est de nous rendre compte que nous avons l'autorité pour gérer notre vie, puisque c'est nous qui devons en rendre compte devant Dieu.
La deuxième chose à faire, est d'apprendre à distinguer entre une charge - que ce soit la nôtre ou celle de quelqu'un d'autre, et un fardeau. Ga 6: 2,4,5 dit que nous devons porter notre charge seuls, mais que nous devons aider les autres à porter leurs fardeaux. Quelle est la différence ? Notre charge consiste en toutes nos responsabilités, nos relations, et nos engagements, tout ce qui est normal et prévisible. C'est comme un sac que Dieu nous a donné à porter, cousu pour ainsi dire sur notre dos. Un fardeau, par contre, est comme un rocher qui tombe sur nous en chemin. Dans ces cas-là nous sommes appelés, en tant que chrétiens, à venir au secours de nos frères et sœurs, de peur qu'ils ne soient écrasés. Des décès, des divorces, des déménagements, des maladies ou même des naissances, bien que ponctuels peuvent être lourds. Ces besoins sont des fardeaux que nous devons aider à porter.
Mais si nous commençons à porter la charge de quelqu'un d'autre, plutôt que son fardeau, nous lui faisons plus de mal que de bien parce que nous l'affaiblissons. L'être humain est fait pour porter une charge. Les astronautes qui restent longtemps dans l'espace en état d'apesanteur ont des os qui se décalcifient et deviennent fragiles. De même, les psychologues savent que trop peu de stress n'est pas meilleur pour la santé mentale que trop de stress. Il y a une zone de stress optimale pour nous, où nous sommes bien. Ce principe est valable aussi pour le stress de nos responsabilités : nous sommes faits pour porter le poids de notre propre vie. Cela fait partie de l'image de Dieu en nous. Nous avons le pouvoir et la responsabilité de choisir.
C'est à nous que Dieu va demander de rendre compte de la façon dont nous portons notre charge, et à personne d'autre. Voilà pourquoi nous devons bien réfléchir avant de prendre un quelconque engagement. Il faut faire comme l'homme dans la parabole de Jésus qui voulait construire une tour, et qui s'est arrêté d'abord pour voir s'il avait tout ce qu'il fallait pour terminer l’ouvrage. Rendons-nous compte que si nous entreprenons quelque chose alors que notre emploi du temps est déjà relativement plein, cela fait autant d'heures qu'il faudra soustraire à d'autres choses. C'est comme un budget : notre argent n'est pas infini, et notre temps et notre énergie non plus. Il faut les utiliser de façon stratégique. Cela s'apprend, même parfois par le biais des échecs.
"L'effet domino"
Mais même si nous avons bien compris quelle est notre charge et limité nos propres engagements, nous pouvons être victimes de ce que j'appelle "l'effet domino." Quelqu'un d'autre s'engage au-delà de ses possibilités, puis il fait appel à nous pour boucher les trous. Ou bien, quelqu'un dans l'église est constamment débordé, et nous nous sentons coupable de le laisser dans cet état sans lui donner un coup de main. Imaginons par exemple qu'il y a dans l'église une femme avec des enfants en bas âge ayant un travail prenant. Son employeur lui demande souvent de faire des heures supplémentaires. La femme du pasteur la plaint parce que la vie chez elle est toujours un peu chaotique. Elle décide d'aller chez cette femme quelques heures par semaine pour lui donner un coup de main jusqu'à ce que sa situation se stabilise. Mais les semaines passent, et notre amie ne rattrape pas le retard ; elle est toujours aussi débordée. Lentement, la femme du pasteur comprend qu'elle est en train de travailler pour l'employeur de notre amie, car celle-ci continue de dire “oui” à son employeur chaque fois qu'il lui demande des heures supplémentaires - alors que d'autres employés disent “non”. Et l'employeur, de son côté, continue de prendre des engagements qui ne sont pas nécessaires, parce qu'il sait qu'il peut toujours compter sur son employée "modèle!" Chaque domino est tombé à son tour, portant la charge de son voisin, jusqu'à ce que la femme du pasteur se trouve en train de travailler pour une personne qu'elle ne connaît même pas ! Et qui va s'occuper des choses que la femme du pasteur est en train de négliger chez elle.
Ce genre de choses arrive quand les limites entre les personnes ne sont pas nettes. Une personne vous "envahit" en vous demandant ou imposant de faire des choses que vous n'avez pas envie de faire, et vous ne vous sentez pas libre de refuser. Ou quelqu'un vous invite à “ l'envahir ”, en abdiquant ses responsabilités et en essayant de vous les donner. Dans chaque cas, les limites de responsabilités entre les personnes sont trop "poreuses" - une personne essaie de porter la charge d'une autre ou de donner sa charge à une autre. Or, quand une personne est en train de porter la charge de son prochain, elle n'arrive pas complètement à porter la sienne. Cependant, normalement, les personnes qui vivent comme cela ne sont pas conscientes d'être négligentes - pour elles c'est de la compassion ou de la solidarité.
Nous touchons ici un problème très répandu dans la société en générale. La définition même de l'amitié est floue sur ce point, celui des limites des responsabilités. Dans un passage sur l'amitié du " Petit Prince" de St. Exupéry, le renard explique au petit prince, "Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé." C'est une image très jolie - mais au fond elle est fausse. Et je suis persuadée que ce manque de définition des limites dans l'amitié est la cause de beaucoup de ruptures entre amis quand le poids de l'autre devient trop lourd à porter.
Pensons à la parabole des dix vierges en Mt.25. 1-13. Les cinq sages ont bien porté leur charge : elles avaient pris leurs dispositions et apporté assez d'huile pour un retard éventuel de la part du marié. Cette éventualité était prévisible. Les folles auraient pu en faire autant - elles avaient les mêmes capacités et les mêmes informations que les sages, mais elles ne l'ont pas fait. Et comme on pouvait s’y attendre, quand elles sont à court d'huile, elles demandent aux sages : “ Donnez-nous de votre huile, bouchez les trous pour nous ”. A la place des sages, qu'aurions-nous fait ?
Il est intéressant de voir leur réponse : "Non, car il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous." Et elles avaient raison. Elles n'en avaient pas trop, elles en avaient assez pour attendre l’époux. Ce sont deux choses très différentes. Si elles avaient donné de leur huile, les dix lampes se seraient éteintes ensemble un peu plus tard. Elles ont résisté à la pression, à l'effet domino, et protégé leurs limites. Elles se sont occupées correctement de leurs responsabilités. Il y a eu sûrement de la grogne parmi les folles pendant qu'elles allaient acheter de l'huile. Les sages ne pouvaient pas éviter cela en leur disant “ non ”, mais au moins elles pouvaient faire ce pourquoi elles étaient venues, ce que le marié attendait d'elles.
Il y a peut-être des personnes dans nos églises qui ne voient pas clairement où s'arrêtent leurs responsabilités et où commencent les nôtres. Elles nous envahissent et nous invitent à les envahir, elles nous demandent de porter leur charge. Comment savoir que quelqu'un est en train de nous envahir ? Quand nous nous sentons irrités ou même en colère. C'est une réaction tout à fait normale, et c'est un signal auquel il est très important de faire attention. Notre peau sert à délimiter notre être physique, et si quelque chose la transperce, la douleur nous signale qu'il y a un problème. De même, si nous nous sentons irrités envers quelqu'un, il y a de bonnes chances qu'il y ait un problème de limites entre nous. Ce principe s'applique aussi entre nous et nos enfants, ainsi qu’entre mari et femme. Nous sommes une même chair, mais chacun reste responsable devant Dieu pour lui-même.
Tenons donc ferme, et n'acceptons pas que l'on fasse pression sur nous pour porter la charge de quelqu'un d'autre, même si nous sommes critiqués pour avoir dit non. Il faudra expliquer gentiment, plusieurs fois si nécessaire, que si nous faisons ceci nous serons obligés de négliger autre chose. Ce n'est pas parce que d'autres dominos sont tombés que nous sommes obligés de tomber aussi.
Allons même plus loin : protégeons nos priorités, protégeons aussi nos familles. Ne les proposons pas pour quelque tâche qu'ils n'auraient pas librement choisie. N'acceptons pas qu'on leur impose des attentes qu'on n'aurait pas s’ils n’étaient pas la femme ou les enfants du pasteur. Si quelqu'un veut leur demander un service, envoyons-les parler directement à la personne concernée, et donnons à notre famille la même liberté de dire “non” qu'aurait n'importe qui d'autre dans l'église.
Un nouveau légalisme
En Col 2: 20-23, Paul parle de l'attitude de jugement et de pression que certaines personnes essayaient d'imposer aux chrétiens à Colosses. De nos jours, c'est moins une question de "ne prends pas, ne goûte pas !" mais plutôt de "il faut faire ceci ou cela puisque c'est pour le Seigneur !" Mais l'activisme peut devenir un nouveau légalisme, qui a une apparence de piété, mais qui sert à satisfaire la chair. "Plus engagé que moi, tu meurs !" La seule personne qui peut nous dire "Il faut", c'est nous-mêmes, en écoutant Dieu pour nous-mêmes.
Respecter les limites des autres>
Evidemment, si nous faisons respecter nos limites et celles de nos familles, il va de soi que nous ne pouvons pas faire pression sur les autres non plus. Comme nos engagements sont librement choisis et assumés, nous devons laisser aussi à nos membres d'église le libre choix de s'engager dans tel ou tel service aussi. Nous ne connaissons pas aussi bien qu'eux leurs responsabilités, le temps et l'énergie dont ils disposent. Nous ne devons ni nous laisser envahir, ni envahir les autres. S'il y a un besoin, nous en informons les autres. Ils ont besoin de ces informations, y compris de celle qui soulignera peut-être que la solution est urgente. Eventuellement nous pourrons aller jusqu'à leur demander instamment de prier quant à leur engagement. Mais c'est à eux de décider ce qu'ils vont en faire, sans que nous les jugions. Souvenons-nous de Rm 14 : ce n'est pas à nous de juger le serviteur de quelqu'un d'autre.
Je dirais que cette conception des relations dans l’Eglise, qui souligne l’importance des limites nettes, même dans les relations les plus intimes, peut être appelée simplement le respect. Je fais respecter mes limites et je respecte celles des autres. On peut même définir le respect comme "ne pas enfreindre les limites des autres." Il s'agit de reconnaître non seulement la valeur de l'autre, mais aussi ses capacités, notamment sa capacité de porter sa charge. Qu'il ait l'habitude de l'exercer ou non, chaque adulte normalement constitué a la capacité et les compétences pour porter sa charge ou au moins il peut apprendre à le faire. Même les enfants ont des capacités appropriées à leur âge, et peuvent les utiliser s'ils sont motivés pour le faire. C'est ici que se situent souvent les conflits entre parents et enfants : l'enfant ne prend pas ses responsabilités (partir à l'heure pour l'école, prendre un parapluie quand il pleut, faire correctement ses devoirs), et le parent les assume à sa place, en criant, poussant, stressant. Le comble, c'est que l'enfant résiste, tout en ayant du ressentiment parce qu'on est en train de le traiter comme un bébé. Et il a raison de le penser, nous le traitons en effet comme un bébé !
Comment faire pour apprendre à quelqu'un - enfant ou adulte - à se prendre en charge ? Il faut le laisser subir les conséquences de ses actes, calmement et sans esprit de blâme. C'est souvent beaucoup plus difficile que de crier. Mais c'est efficace si nous pouvons maintenir le cap. Agir ainsi, déplaire à notre proche pour son plus grand bien à long terme, va nous valoir d'être critiqué et jugé. Mais c'est “ l'agapé ” qui est en œuvre. L'agapé est l'amour qui ne trahit jamais la justice ni la vérité. Il est le contraire de l'éros, qui cherche l'union et la fusion. L'agape est l'amour qui ne viole jamais l'intégrité de l'autre, qui le laisse libre de répondre même si la réponse n'est pas celle qui est souhaitée. C'est exactement comme cela que Dieu agit avec nous quand il nous dit la vérité, qu'elle nous plaise ou non, et quand il nous laisse récolter les conséquences de nos actes. A long terme cette façon d'agir est celle qui a le plus de chance de nous apprendre à assumer nos responsabilités.
Rester connecté
Revenons maintenant à l'idée de mener en se différenciant. Nous avons exploré la première exigence : comment se différencier. Et mener en se différenciant ? C'est une chose simple à expliquer, mais pas plus facile à vivre que la première partie : se différencier. Il s'agit simplement de rester connecté “ émotionnellement ”. Cela veut dire, ne pas nous retirer ou nous protéger en prenant nos distances, même quand les autres nous critiquent et ne nous comprennent pas. Rester présents et calmes. Il faut comprendre que, quand nous protégeons nos limites, certaines personnes vont se sentir menacées. Elles ne se sentiront pas aussi proches de nous, parce que pour elles, être proches veut dire ne pas avoir de limites. Dans certains groupes, être proches veut dire avoir les mêmes opinions, faire les mêmes choses, agir de la même façon dans des situations semblables. Pour ces personnes, il va de soi que si nous comprenions leur situation, nous ferions la même chose qu'elles.
Si nous voulons un modèle de quelqu'un qui a beaucoup travaillé dans son ministère sans pour autant prendre la responsabilité pour quelqu'un d'autre, nous pouvons regarder l'apôtre Paul. Dans Ac 20. 17-35, Paul est en train de dire au revoir aux anciens d’Ephèse. Il décrit le genre de ministère qu'il a eu auprès d'eux - il avait enseigné en public et de maison en maison, il a prié et pleuré. Mais ayant fait tout cela, il pouvait dire, "Je suis pur du sang de vous tous." J'ai fait ma part. De même, devant le Sanhédrin il pouvait dire, "C'est en toute bonne conscience que je me suis conduit jusqu'à ce jour devant Dieu." Il pouvait dire cela parce qu'il était au clair sur ce que Dieu voulait de lui, et par conséquent, ne se chargeait pas de responsabilités autres.
Une bonne conscience
Mais bien sûr, pour avoir dit cela, il a été frappé par les légalistes ! Une bonne conscience est presque un scandale pour quelqu'un qui veut vous rendre responsables des autres. Un légaliste a très rarement une bonne conscience, parce qu'il se sent responsable de beaucoup de choses qu'il ne peut contrôler. Mais "c'est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude".(Gal. 5:1) En faisant cela, nous serons un modèle pour les croyants; nous “ veillerons sur nous-mêmes et sur notre enseignement ”, comme nous y exhorte l'apôtre Paul.