Le but de cet exposé est de présenter à la fois la notion de transfert et un livre qui l'explique et l'applique à la vie d'Église : "Des agneaux en habits de loups" par Valerie J. Mclntyre (Ed. Raphaël, 1997). Le transfert constitue le cas d'exception dans les conflits, le cas où les moyens normaux de résolution des conflits par la communication ne marchent pas, et même font plus de mal que de bien. Ces méthodes normales ne marchent pas avec le transfert parce qu'elles supposent que les deux parties sont fondamentalement rationnelles, raisonnables, alors que le transfert est un processus essentiellement irrationnel. Il est important donc de savoir le reconnaître et réagir de façon appropriée.
Dans son livre, Mclntyre dit : "Dans presque chaque Église ou congrégation qui a subi une division ou a dû licencier un pasteur, la dynamique du transfert est à l'œuvre ; mais, à quelques très rares exceptions près, il n'est jamais nommé ou identifié comme tel." Nous verrons plus tard pourquoi les pasteurs sont des cibles toutes trouvées pour le transfert, et comment vous pouvez vous protéger et protéger vos Églises dans le cas où vous deviendriez l'objet d'un transfert.
Qu'est-ce que le transfert ?
"Lorsqu'une souffrance du passé n'a pas été résolue en Christ par le pardon, celui accordé à l'offenseur et celui reçu par l'offensé (pour ses propres offenses), l'âme se cherche un bouc émissaire." (Mclntyre, p. 40). Nous voyons un exemple de cela dans la Bible quand David et ses hommes reviennent à Tsiqlag, où ils vivaient à l'époque, et découvrent que leurs familles ont été enlevées et leur ville brûlée. Ils pleurent, se lamentent et parlent ensuite de lapider David, comme si celui-ci était responsable de la calamité. Ils projettent donc sur David la colère qu'ils éprouvent contre les Amalécites. C'est un cas relativement facile à reconnaître et à résoudre, même si c'était dangereux pour David.
Les blessures reçues dans l'enfance, voire dans la petite enfance, qui se rejouent dans les relations présentes, nous amènent à un vécu plus compliqué. Je cite encore (p.40 ) : "Les gens vivant un transfert croient honnêtement des choses fausses au sujet de la cible de leur transfert. Ces choses vont de l'exagération de certains traits de caractère réels à la pure fiction et à la calomnie envers la personne sur laquelle ils transfèrent. C'est la nature des blessures de la petite enfance liées à des relations primaires (c'est-à-dire avec les parents) qui y contribue."
Il en va ainsi : n'importe quel conflit ou blessure du passé, non résolu, peut être projeté sur quelqu'un d'autre dans une relation présente. C'est ce qui s'est passé à Tsiqlag. C'est là le danger de simplement couper une relation difficile, surtout avec quelqu'un d'important comme un membre de sa famille. Les émotions et blessures ne sont pas guéries par la coupure, elles sont simplement séparées de leur objet, comme un fil électrique dans lequel il ne devrait plus y avoir de courant et qui est toujours alimenté.
Pour un enfant, et encore plus pour un petit enfant ou un bébé, les parents sont si importants et puissants qu'ils sont pour lui comme "des dieux". Sa vie en dépend littéralement. Une blessure ou un manquement important dans ces relations qui sont vitales pour l'enfant vont marquer la vie de cette personne, à moins qu'elle ne trouve la guérison.
Idolâtrie
Les personnes qui font un transfert voient l'autre d'une façon déformée. C'est en partie parce qu'il s'agit de perceptions de l'enfance qui sont plaquées sur l'autre, et l'enfant n'étant pas objectif ne voit qu'à travers ses propres besoins et désirs. Mais cela peut se compliquer, s'amplifier, par une dynamique spirituelle. Satan profite de la situation pour amplifier les blessures émotionnelles par une oppression spirituelle, et dans ce cas, il le fait par le biais de l'idolâtrie. J'ai déjà dit que plus l'enfant est jeune, plus il voit ses parents comme "des dieux". Il les croit tout-puissants, et sa perception ne devient totalement réaliste qu'à l'âge adulte (ce réalisme n'étant pas toujours acquis, même à l'âge adulte).
Cette perception exagérée de l'importance d'un autre s'appelle l'idolâtrie - on lui demande de faire pour nous ce que Dieu seul peut faire. C'est comme si l'enfant avait un vide en lui qui représente un besoin affectif. Tant qu'il reste petit, ses parents peuvent combler ce vide, si ce sont de bons parents. Mais quand la personne grandit, le vide grandit aussi. Le pouvoir des parents de le combler ne grandit pas ; le vide reste, à moins qu'il ne soit comblé par Dieu. Mais le plus souvent les personnes ayant un manque intérieur continuent à chercher dans leurs relations humaines de quoi combler ce vide. Elles se chargent ainsi d'un poids supplémentaire par ces relations qu'elles ne peuvent pas porter. Je pense que cette recherche peut aussi ouvrir la porte à Satan.
Refoulement et projection
Il faut comprendre que la personne qui transfère n'est pas consciente de ce qu'elle fait, et elle ne va peut-être pas se souvenir de blessures de son passé qu'elle serait susceptible de projeter sur l'autre. Notre psychisme a des mécanismes de protection, des sortes de coupe-circuits, qui nous protègent d'une souffrance trop grande à supporter. Tout comme le corps humain ne peut supporter la douleur que jusqu'à un certain point avant de s'évanouir, le psychisme humain, au-delà d'un certain point, va refouler la souffrance, oublier certains épisodes traumatisants - ou tout au moins oublier les émotions qui les accompagnent. Ces souvenirs trop douloureux sont consignés au "sous-sol" de notre esprit, pour ainsi dire, pour nous permettre de continuer à vivre et à fonctionner sans être submergés par la douleur.
Mais, certaines personnes et situations du présent, qui ont une ressemblance avec ces choses douloureuses du passé, peuvent être une clé ; à partir de là nos souvenirs douloureux commencent "à faire du tapage". Ils ne sont pas encore sortis, mais ne dorment pas non plus. Une des façons de "faire du tapage", c'est-à-dire d'influencer le présent, est la projection. C'est simplement prendre nos perceptions (enfantines et déformées) de nos parents ou d'une autre personne, et les plaquer sur une personne dans le présent. Si j'ai eu un problème avec ma mère qui n'a pas été résolu, je risque d'attribuer à la personne avec qui je suis en relation (et qui me rappelle ma mère) les mêmes attributs que je croyais percevoir chez ma mère. Si je me suis senti rejeté par ma mère, je vais être trop sensible à tout ce qui peut être interprété comme un rejet de la part de la femme que je connais maintenant ; je vais peut-être voir le rejet là où il n'y en a pas du tout. Si je me suis senti abandonné par ma mère ou mon père, je vais peut-être avoir du mal à faire confiance à une femme ou à un homme qui sera proche de moi.
Remise en scène
Je vais ainsi remettre en scène les situations douloureuses de mon passé, sans m'en rendre compte, dans l'espoir de trouver une meilleure issue. Et cela peut se répéter au fil des années avec les différentes personnes que je côtoie. Seulement, puisque je suis en train de superposer une situation sur une autre, je suis incapable de gérer objectivement la situation qui se présente devant moi, ou de trouver la guérison du souvenir douloureux de mon passé.
Dans mon expérience, la façon dont Dieu guérit nos souvenirs douloureux est d'abord de les faire remonter du "sous-sol", de les ramener dans le domaine du conscient, malgré toute la souffrance qu'ils apportent, et ensuite de les soigner avec son amour et le désinfectant du pardon - pardon accordé à ceux qui nous ont blessés, et pardon reçu pour nos mauvaises réactions. C'est ainsi que Dieu peut remplir le vide intérieur que personne d'autre ne peut combler.
Le danger de l'orgueil
Un dernier point sur les mécanismes du transfert : l'orgueil. Personne n'accepte facilement de se remettre en question, et encore moins la personne qui a la vive impression d'avoir été lésée dans une relation présente. Il faut une grande dose d'humilité pour accepter la pensée que notre perception d'une situation ou d'une personne peut être déformée par notre passé, et de ce fait manque d'objectivité. Si une personne refuse par orgueil cette remise en question, elle ne peut pas se repentir et guérir de son transfert.
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