1 Pierre 3.21 est un verset souvent cité lorsque l’on cherche à définir le baptême(1). D’une part, en affirmant que le baptême implique « l’engagement d’une bonne conscience », ce texte est un argument fort en faveur du baptême de « professant ». D’autre part, si l’on suit la plupart des traductions françaises, le texte stipule : « le baptême qui vous sauve maintenant » ; une affirmation qui interroge sur le lien entre le baptême et le salut.
Si ce verset est souvent cité, son interprétation est particulièrement discutée. La syntaxe du texte grec n’est pas simple et on peut hésiter sur le sens exact de certains mots. De plus, ce verset forme une sorte de « digression » à l’intérieur de la péricope qui couvre les versets 18 à 22. Or, au sein de la Première lettre de Pierre, cette péricope est certainement la plus difficile et la plus discutée par les commentateurs.
Dans le cadre de cette contribution exégétique, on proposera, dans un premier temps, quelques éléments généraux d’analyse de la péricope. Dans un deuxième temps, on se focalisera sur l’apport de ce passage au sujet qui est au cœur de ce volume, à savoir le sens du baptême.
1. Éléments généraux sur 1 Pierre 3.18-22
Texte et traduction
La traduction ci-dessous se veut littérale, la mise en forme cherchant à reproduire le plus possible la syntaxe du texte grec.
18 Car le Christ souffert (α) une fois pour toutes pour les péchés (β),
juste pour les injustes,
afin de vous(γ) conduire à Dieu
mis à mort dans la chair,
mais vivant dans l’Esprit (a),
19 quand (b) aussi, étant allé, il prêcha aux esprits en prison,
20 ceux qui avaient désobéi autrefois
quand la patience de Dieu était en attente,
aux jours où Noé construisait l’arche dans laquelle un petit
nombre – huit personnes – furent sauvées à travers l’eau,
21 ce qui vous (γ) sauve aussi maintenant, en tant qu’antitype, le baptême (c),
– non un dépouillement des saletés de la chair,
mais un engagement (d) envers Dieu d’une bonne conscience –
à travers la résurrection de Jésus-Christ
22 qui est à la droite de Dieu,
étant allé au ciel,
lui ayant été soumis : anges, autorités et puissances.
Notes de critique textuelle : |
(α) Au lieu de « souffert (épathén) pour les péchés », un grand nombre de témoins a « mort (apéthanén) pour les péchés ». La majorité des spécialistes estiment que la leçon « souffert » est plus probablement originale. |
(β) Les manuscrits témoignent d’autres variantes sur la formulation de la première phrase : « souffert/mort […] pour nos péchés », « souffert/mort […] pour nous en rapport au péché ». |
(γ) Certains témoins ont « nous (èmas) » à la place de « vous (umas) » au verset 18 (« afin de vous/nous conduire à Dieu ») et/ou au verset 21 (« ce qui vous/nous sauve maintenant »). |
Notes de traduction : |
(a) On pourrait aussi traduire « vivant par l’Esprit », ce qui serait une manière de souligner le rôle du Saint-Esprit dans la résurrection ; ou « vivant en esprit », ce qui serait une évocation de l’état intermédiaire de Jésus entre sa mort et sa résurrection. Néanmoins, lorsque l’on regarde l’emploi de ces termes dans le reste de la lettre, il est plus probable que l’opposition entre la « chair » et l’« e/Esprit » fasse référence à deux sphères distinctes, deux modes de vie. La sphère de la « chair » se réfère à la condition présente de l’être humain (1 P 4.2 : « le temps restant à vivre dans la chair »), marquée par la souffrance (1 P 4.1 : « ayant souffert dans la chair ») et la lutte contre le péché (1 P 2.11 : « s’abstenir des désirs de la chair », cf. 2 P 2.18). La sphère de « l’Esprit » est, par opposition, celle de la vie victorieuse et éternelle rendue possible par l’Esprit vivificateur de Dieu lors de la résurrection (1 P 4.6 : « afin que [les morts] vivent selon Dieu dans l’Esprit »). On est probablement assez proche de ce que Paul explique en 1 Corinthiens 15 concernant le corps de résurrection en tant que « corps spirituel » (1 Co 15.35-54). |
(b) Le relatif « én ô » est traduit ici comme un relatif temporel (« quand ») faisant référence à l’époque où Jésus est ressuscité. Mais il pourrait aussi être traduit comme un relatif instrumental en rapport à « l’Esprit » : « l’Esprit par lequel il est allé prêcher ». |
(c) La traduction de cette ligne est volontairement rendue de façon assez littérale. Les différentes possibilités de traduction seront évoquées plus loin. |
(d) Le terme épérôtoma peut aussi être traduit par « question » ou « demande » : « une demande à Dieu d’une bonne conscience ». Voir la discussion plus loin à ce sujet. |
Le texte dans le contexte de la Première lettre de Pierre
Si une majorité des exégètes historico-critiques actuels considère 1 Pierre comme étant un pseudépigraphe – l’auteur réel ne serait pas l’apôtre Pierre –, l’attribution traditionnelle a encore de bons défenseurs(2). Il est probable que Pierre ait écrit cette lettre vers la fin de sa vie, vers l’année 60.
La lettre est adressée aux chrétiens de plusieurs provinces romaines situées sur le territoire de la Turquie actuelle (voir 1 P 1.1). L’apôtre les exhorte à persévérer dans la sainteté et le témoignage chrétien, malgré les souffrances qu’ils endurent injustement. Ces souffrances correspondent probablement à l’hostilité d’une société païenne face au refus des chrétiens de prendre part aux cérémonies religieuses qui jouaient un rôle important dans l’organisation de la vie sociale. Leur renonciation à certaines pratiques qu’ils considèrent désormais comme immorales a pu également contribuer à des moqueries et « calomnies » de la part de leurs contemporains (1 P 4.3-4). Dans ce contexte difficile, Pierre les invite à regarder à « l’espérance vivante » qu’ils ont en Jésus-Christ (cf. 1 P 1.3-4). Les exhortations éthiques sont ainsi ponctuées de rappels de ce qui est au cœur de la foi chrétienne : l’œuvre du salut accomplie en Jésus-Christ.
Les commentateurs distinguent généralement trois grandes parties dans l’épître : 1) 1.3-2.10 ; 2) 2.11-4.11 ; 3) 4.12-5.1. La péricope étudiée (3.18-22) se situe donc vers la fin de la deuxième section. Comme l’indiquent les deux premiers versets (2 11-12), cette section a pour but principal d’exhorter les croyants à avoir un « bon comportement » parmi les païens afin que ceux-ci « observant leurs bonnes œuvres » puissent « glorifier Dieu au jour de la visite ». Cela implique notamment :
-
une bonne conduite marquée par la « soumission » et « l’honneur » (2.13-3.7),
-
la bienveillance envers son prochain (3.8-12),
-
le « zèle » pour le bien (3.13-17).
Vient alors la péricope dont l’étude est l’objet de cette contribution. La deuxième section s’achève ensuite avec :
-
une invitation à persévérer malgré la souffrance durant le temps qu’il reste à passer dans la « chair » (4.1-6),
-
une exhortation à vivre en Église dans l’attente de la fin (4.7-11).
Un hymne au Christ exalté
La péricope étudiée (3.18-22) constitue la justification christologique de l’exhortation qui précède (3.13-17). Les chrétiens sont invités à devenir des « zélés du bien » (vv.13-17), même si cela implique de « souffrir » pour la « justice » (v.14) ou « en faisant le bien » (v.17). Pourquoi ? « Car le Christ a souffert une fois pour toutes pour les péchés, juste pour les injustes […]. » (v.18)
Comme à d’autres emplacements de la lettre, Pierre justifie ses exhortations par le rappel de l’œuvre de Jésus-Christ. L’impératif éthique a pour fondement l’indicatif du salut. En plus de la péricope étudiée, on trouve de tels rappels en 1.18-21 et 2.21-25. Chaque fois, ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne est célébré dans un langage poétique. En 3.18-22, ce caractère poétique s’observe en particulier dans les parties placées en italique dans la traduction ci-dessus. Ainsi, ces rappels de l’œuvre du Christ ne sont pas écrits à la manière d’un exposé doctrinal mais à la façon d’une prière ou d’un hymne. On est dans le registre de la célébration !
Certains commentateurs ont pensé que ces passages reprenaient des paroles tirées d’hymnes chrétiens chantés ou priés dans l’Église de l’époque de Pierre. Marie-Émile Boismard y voit plus spécifiquement la trace d’« hymnes baptismales » qui, à l’occasion des baptêmes chrétiens, permettaient de confesser ce qui est au cœur de la foi chrétienne(3). Il est vrai que la péricope étudiée évoque le baptême. De plus, « l’engagement à Dieu d’une bonne conscience » en lien avec le baptême (3.21) pourrait être une référence à la confession de foi baptismale(4).
La dimension « baptismale » de l’ensemble des sections hymniques est toutefois discutable. En effet, la question du baptême n’est pas centrale en 1 Pierre puisqu’elle n’est évoquée que dans un seul verset de la lettre (3.21). En revanche, l’hypothèse d’une allusion à des hymnes connus des premiers lecteurs est plus probable. Les sections hymniques de l’épître sont assez proches d’autres hymnes au Christ que l’on trouve dans le Nouveau Testament. Cela montre que, très tôt dans l’Église primitive, on a développé des prières et des chants qui célèbrent Christ mort, ressuscité et élevé à la droite de Dieu.
Dans la section hymnique précédente (2.21-25), c’est avant tout l’exemple du Serviteur souffrant (cf. Es 53) qui était rappelée. En 3.18-22, l’hymne attire les regards vers l’exaltation du Christ : celui qui a souffert injustement jusqu’à la mort est ensuite ressuscité, il a été élevé à la droite de Dieu et là, dans le ciel, sa victoire se manifeste pleinement. Les chrétiens sont appelés à souffrir « en faisant le bien » non seulement parce qu’ils suivent l’exemple du Serviteur souffrant, mais parce qu’ils ont une espérance qui voit au-delà de la vie « dans la chair ».
L’orientation eschatologique se prolonge dans les péricopes suivantes. S’il convient de « souffrir dans la chair » comme le Christ a « souffert dans la chair » (4.1), cette souffrance est limitée au « temps qu’il reste à vivre dans la chair » (4.2). Celui qui a les yeux fixés sur l’œuvre du Christ sait que « la finalité de toutes choses est proche » (4.7).
La « prédication aux esprits en prison » ?
Après avoir célébré la vie du Christ « dans l’Esprit » (v.18), le texte indique qu’il est allé « prêcher aux esprits en prison » (v.19). Ces « esprits » sont ceux qui ont « désobéi autrefois » à l’époque où Noé construisait l’arche (v.20). Depuis la période des Pères de l’Église, l’interprétation de ces versets a fait l’objet de grands débats parmi les commentateurs de la lettre. Comme ce n’est pas l’objet de la présente contribution, on se contentera ici de résumer le débat.
Trois interprétations principales s’affrontent.
- Une interprétation très ancienne y voit une allusion à la « descente de Jésus aux enfers » durant la période située entre sa mort et sa résurrection. Jésus, « vivant en esprit », serait allé prêcher aux « esprits » des personnes décédées avant sa venue, notamment à celles qui ont péri dans le déluge. En faveur de cette interprétation, on souligne la mention, quelques versets plus loin, de « l’évangélisation aux morts » (4.6). La prédication de l’Évangile dans le séjour des morts par Jésus et/ou les apôtres est une idée très ancienne dans le christianisme, attestée dès le 2e siècle dans le Pasteur d’Hermas (Similitudes IX.16.5-6) puis par Clément d’Alexandrie (Stromates II.44.1-3 ; VI.45.6-46.5).
- Pour Augustin (Lettre 164), suivi par Thomas d’Aquin (Somme théologique IIIa, q°52, art. 2), certains Réformateurs et, plus récemment, Wayne Grudem(5), le texte ferait référence à la prédication par le Christ préexistant aux incrédules vivants à l’époque de Noé. Avant son incarnation, le Christ existait « en Esprit » et était déjà à l’œuvre dans le monde. Il aurait ainsi inspiré la prédication de Noé à ses contemporains. Étant donné le rejet de cette prédication, ses destinataires seraient désormais des « esprits en prison », c’est-à-dire des âmes en enfer.
- Une troisième interprétation est majoritairement retenue par les commentateurs contemporains(6). Les « esprits en prison » ne seraient pas des humains décédés mais des êtres spirituels : des anges ou des démons. La « prédication (verbe kèrussô) » de Jésus serait à comprendre comme une « proclamation » de sa victoire. Lors de sa résurrection et de son élévation, Jésus serait allé proclamer sa victoire dans le monde spirituel. La référence à l’époque de Noé est éclairée par les traditions juives anciennes, développées à partir de Genèse 6, qui ont vu dans l’union entre les « fils de Dieu » et les « filles des humains » (Gn 6.2) les traces d’une rébellion angélique. Le déluge, raconté dans les versets qui suivent, serait une conséquence de ce chamboulement majeur dans le monde spirituel. Plusieurs textes juifs anciens se réfèrent au jugement divin et à « l’emprisonnement » des esprits rebelles à cette époque (voir, par exemple, Jubilés 5.6-11 ; 1 Hénoch 6-16 ; 18.12-19 ; 21.1-10).
Si cette interprétation a convaincu tant de commentateurs modernes, c’est parce qu’elle a de bons arguments en sa faveur.
- Dans la logique du texte, la « prédication aux esprits » est située après que Jésus soit revenu à la vie, donc après sa résurrection. De plus, le texte n’évoque nullement une « descente » de Jésus dans le séjour des morts mais plutôt son « élévation ». Le participe « étant allé (poreuthéis) [il prêcha aux esprits en prison] » (v.19) est repris au début du verset 22 pour se référer à l’ascension au ciel : « étant allé (poreuthéis) au ciel ».
- Le verset 22 fait explicitement référence à la « soumission » des « anges, autorités et puissances » lors de l’élévation du Christ au ciel.
- Dans le Nouveau Testament, le pluriel « esprits (pneumata) » est rarement utilisé pour désigner les esprits humains(7), alors qu’il est souvent utilisé pour se référer aux êtres spirituels, anges ou démons(8).
- 2 Pierre 2.4-5 fait explicitement référence à l’emprisonnement passé des anges, puis enchaîne par un rappel de l’épisode du déluge. Si 2 Pierre a bien pour auteur le même apôtre Pierre, ce texte montre qu’il avait connaissance d’une tradition similaire à celle évoquée par d’autres textes du judaïsme ancien (voir aussi Jude 6).
- Plusieurs textes du Nouveau Testament associent la résurrection et l’élévation du Christ à sa domination et son autorité sur les puissances spirituelles (cf. Mt 28.18 ; Ep 1.20-22 ; Ph 2.9-11).
Ainsi, selon cette interprétation, les versets 19 et 20 célèbrent la victoire du Christ après sa résurrection, y compris sur les puissances spirituelles qui s’étaient opposées aux quelques « sauvés » de l’époque de Noé. De la même manière, les « sauvés » (v.21) à qui s’adresse la lettre ont peut-être l’impression d’être un « petit nombre » et de faire face à une opposition massive. En leur rappelant l’exaltation victorieuse du Christ, Pierre encourage ses lecteurs à fixer les yeux sur la domination ultime de celui qui les a sauvés.
2. Apports du texte sur la question du baptême
Ces éléments d’analyse et d’interprétation établis, il convient de s’arrêter sur l’apport de ce passage pour la compréhension du baptême.
Syntaxe du verset 21
Nous reportons ici la traduction proposée plus haut avec des observations supplémentaires sur la syntaxe.
Type (v.20) |
… autrefois […] aux jours de Noé […] quelques-uns […] furent sauvés à travers l’eau, |
Antitype (v.21)
|
ce qui vous sauve aussi maintenant, en tant qu’antitype, le baptême, |
[Parenthèse (correctio)] |
(non un dépouillement des saletés de la chair, mais un engagement envers Dieu d’une bonne conscience) |
à travers la résurrection de Jésus-Christ, |
Le verset 21, au sujet du baptême, est construit de manière à montrer que le déluge (« le type ») préfigure le salut et le baptême chrétien (« l’antitype »). Cette comparaison est construite à partir de la reprise du verbe « sauver » et par l’opposition entre « autrefois » et « maintenant ». On peut remarquer aussi un parallèle entre le « à travers (dia) l’eau » et le « à travers (dia) la résurrection de Jésus-Christ » comme « lieu » du salut.
La première partie du verset 21 est difficile à traduire. En grec, la phrase possède trois mots au nominatif (qui est le cas utilisé pour le sujet d’un verbe) : le pronom relatif neutre « o » traduit par « ce qui », le terme traduit par « antitype » et celui correspondant à « baptême ». Quel est donc le sujet du verbe « sauver » ? La solution la plus simple est de considérer que le pronom relatif (« ce qui ») est le sujet du verbe et que les mots « antitype » et « baptême » sont des appositions explicatives (épexégétiques) : « ce qui vous sauve aussi, vous, en tant qu’antitype […], en tant que baptême » (Bénétreau(9)) ; « qui, maintenant, vous sauve vous aussi, à titre d’antitype, en tant que baptême » (Schlosser(10)). On peut également hésiter sur le sens du pronom relatif neutre traduit par « ce qui » : est-ce « l’eau » qui est la préfiguration du baptême ou est-ce l’épisode du déluge en général ? On peut enfin se demander si ce qui est préfiguré – « l’antitype » – est : 1) le salut en Christ ou 2) le baptême dans son rapport au salut en Christ.
Dans ce contexte, l’auteur a jugé bon d’introduire une parenthèse visant à préciser le sens du baptême. Pour cela, il utilise un procédé littéraire fréquemment employé au fil de la lettre, celui de la correctio qui « consiste à opposer à un énoncé négatif [« non un dépouillement... »] une affirmation positive [« mais un engagement… »](11) ». Le texte grec est construit de telle manière à opposer les mots « dépouillement » et « engagement », ainsi que le mots « chair » et « bonne conscience ».
Cette parenthèse a pour effet de couper la phrase du verset 21 en deux. En effet, la précision « à travers la résurrection de Jésus-Christ » doit se lire comme le complément du verbe « sauver ». Les destinataires de la lettre sont sauvés « maintenant » « à travers la résurrection de Jésus-Christ ».
La place du baptême dans l’histoire du salut
En reliant le baptême chrétien au récit du déluge, le texte a pour premier effet de situer le baptême dans l’histoire du salut, une histoire qui remonte aux premiers temps de l’humanité.
Au-delà des difficultés de traduction, on comprend le sens général de l’image. Pierre présente le salut de Noé et de sa famille comme une préfiguration (un type) du salut des chrétiens (l’antitype). L’apôtre souligne aussi le lien entre les eaux du déluge « à travers » lesquelles furent sauvés ceux présents dans l’arche (le type) et les eaux que traverse le baptisé (l’antitype). Tout comme Noé a échappé au jugement du déluge, le baptisé échappe à un plus grand jugement, celui manifesté par l’exaltation du Christ, victorieux sur les puissances spirituelles rebelles. Il est possible aussi que l’obéissance de Noé – par opposition à la « désobéissance » des esprits – préfigure « l’engagement d’une bonne conscience » du baptisé(12).
Ainsi, le baptême chrétien s’inscrit dans une histoire qui remonte aux temps des origines. En étant plongé dans les eaux du baptême, puis en étant « relevé » hors des eaux, le baptisé se situe dans la lignée de ses lointains ancêtres dans la foi (cf. Hé 11.7) qui sont aussi passés « à travers les eaux ». En 1 Corinthiens 10, l’apôtre Paul présente le baptême comme l’antitype d’un autre épisode majeur de l’histoire du salut : la traversée de la mer Rouge. Paul indique que les Israélites « ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer » (1 Co 10.2) et que ces événements sont des « types » pour les chrétiens (1 Co 10.6).
Le baptême chrétien est donc relié par le Nouveau Testament à deux épisodes majeurs de l’histoire du salut dans l’Ancien Testament. Si le baptême est, avant tout, ancré dans l’œuvre de Jésus-Christ, la catéchèse baptismale doit montrer que cette œuvre est l’achèvement parfait d’une histoire qui débute bien avant l’incarnation du Christ. Le baptême est aussi l’accomplissement du passage à travers les eaux du déluge, la traversée ultime de la mer Rouge.
Le baptême et l’œuvre du Christ
Comme l’analyse des versets 18 à 22 l’a montré, l’évocation du baptême se situe dans le cadre d’une section hymnique qui célèbre l’œuvre de Jésus-Christ, mort, ressuscité et exalté victorieusement. De façon plus explicite, le verset 21 indique que le salut, en lien avec le baptême, est opéré « par la résurrection de Jésus-Christ ». Si le texte ne propose pas de développement à ce sujet, il laisse clairement entendre que c’est l’œuvre du Christ qui donne son identité propre au baptême chrétien. Il y a, en particulier, un rapport entre la résurrection et le baptême.
Cela fait écho à la façon dont Paul présente le baptême comme un lieu où le chrétien expérimente l’appropriation de l’œuvre du Christ. « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtus Christ », écrit-il en Galates (Ga 3.27). En Romains 6, l’apôtre précise sa pensée en indiquant que, par le baptême, le croyant « est enseveli dans la mort » avec Christ pour ensuite commencer une « vie nouvelle » avec le ressuscité (Rm 6 3-4). Cette même image de la mort et de la résurrection en lien avec le baptême est encore reprise en Colossiens 2.12. Ainsi, le texte de Pierre se situe vraisemblablement dans la lignée de cette conception du baptême.
Le baptême et le salut
Dans plusieurs traductions françaises de la Bible, le début du verset 21 est traduit dans une formulation proche de celle-ci : « le baptême qui vous sauve maintenant » (= TOB, cf. Segond, Colombe, NBS, Segond 21, Parole de Vie). En première lecture, un tel énoncé pourrait être compris comme se référant à une conception réaliste du baptême, celui-ci « causant » le salut du baptisé du fait de son lien avec l’œuvre du Christ. C’est, rappelons-le, la conception catholique classique du baptême, mais certainement pas celle de la plupart des évangéliques qui ont une conception plus symbolique du baptême. Comment comprendre le lien entre le salut et le baptême dans ce verset ?
Tout d’abord, comme le fait remarquer Samuel Bénétreau, une traduction du type « le baptême qui vous sauve » n’est probablement pas la meilleure : « D’autres solutions syntaxiques sont non seulement possibles mais préférables(13). » Ces solutions ont été évoquées plus haut.
Deuxièmement, la fin du verset précise que le salut en lien avec le baptême est opéré « par la résurrection de Jésus-Christ ». Ainsi, la source du salut chrétien n’est pas l’eau du baptême, mais bien l’œuvre opérée « une fois pour toutes » (v.18) par Jésus-Christ lors de sa mort et de sa résurrection. Ce n’est pas « à travers l’eau » que le baptisé est sauvé mais « à travers la résurrection de Jésus-Christ ». On peut signaler que Pierre a introduit sa lettre en rappelant que « Dieu […] nous a fait naître de nouveau dans l’espérance de la vie par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts » (1.3). Du fait de ce rapprochement entre la résurrection du Christ et la régénération du croyant, on peut en déduire que le baptême a quelque chose à dire de la nouvelle naissance du baptisé, celle-ci trouvant sa source dans la résurrection de Jésus-Christ.
Troisièmement, afin d’éviter les malentendus, Pierre a jugé bon d’introduire dans son propos une parenthèse explicative sur ce qu’il entend par « baptême ». Le baptême n’est pas un « dépouillement des saletés de la chair mais un engagement envers Dieu d’une bonne conscience ». Cette explication nécessite… quelques explications, ce qui sera l’objet des deux prochains points. Néanmoins, il semble assez clair que la précision a pour effet d’écarter toute conception « magique » du baptême(14) : « l’eau » n’a pas d’efficacité propre et « l’engagement » du baptisé est indispensable.
« Pas un dépouillement des saletés de la chair »
L’énoncé négatif de la parenthèse explicative emploie des termes dont le sens est ambigu. Le nom apothésis traduit par « dépouillement » est rare dans le Nouveau Testament mais son sens est relativement transparent : l’action est celle qui consiste à « déposer », « enlever » ou « retirer » quelque chose, à la manière dont on enlève un vêtement ; d’où le sens « dépouillement ». Le dépouillement évoqué ici est celui des « saletés » ou « impuretés » de la « chair ».
Étant donné que le baptême se pratique en étant plongé dans l’eau, Pierre pourrait simplement préciser qu’il ne s’agit pas d’un bain ordinaire servant à « se débarrasser des saletés du corps ». Cependant, les mots employés ne sont pas typiques du vocabulaire du bain. Pierre ne parle pas d’un « lavement » mais d’un « dépouillement » et il n’emploie pas le mot « corps (sôma) » mais le mot « chair (sarx) » qui est plus ambigu. Ainsi, le sens pourrait être métaphorique et désigner un « dépouillement » du péché avec lequel lutte celui qui vit « dans la chair ». En 2.1, Pierre encourage ses lecteurs à « se dépouiller (verbe apotithèmi) de toute malfaisance ». En 2.11, il les exhorte à « s’éloigner des désirs de la chair ».
La difficulté avec l’interprétation métaphorique est que Pierre dit justement que le baptême n’est pas ce « dépouillement des saletés de la chair ». Veut-il simplement préciser que le baptême ne permet pas au chrétien de se « débarrasser » définitivement du péché, le « dépouillement » étant un processus qui se prolonge tout au long de la vie « dans la chair » ? On a cependant du mal à envisager que Pierre s’oppose ici au sens du baptême comme « mort au péché », tel que Paul l’envisage notamment (cf. Rm 6.2-5).
Certains commentateurs ont parfois vu ici une allusion à la circoncision juive qui consiste à « enlever » une partie de la « chair » humaine considérée comme « sale » ou « impure ». Dans ce cas, Pierre souhaiterait distinguer le baptême de la circoncision(15). Néanmoins, une telle allusion semble assez peu probable, surtout si l’on estime que les premiers destinataires de la lettre étaient majoritairement d’origine païenne(16).
Face aux difficultés posées par les explications alternatives, bon nombre de commentateurs préfèrent en rester à un sens très concret : le baptême n’est pas un bain servant à se débarrasser des saletés du corps(17). L’opposition syntaxique entre « la chair » et la « bonne conscience » suggère en effet une opposition entre un rite extérieur et un « engagement » impliquant l’être intérieur du baptisé.
« Mais un engagement envers Dieu d’une bonne conscience »
Le sens de la partie positive de la correctio est également discuté. Le terme épérôtèma traduit ici par « engagement » est un mot rare qui n’est pas employé ailleurs dans le Nouveau Testament, ni même dans la Septante, l’antique et populaire traduction grecque de l’Ancien Testament. Le sens « question » est attesté dans des textes grecs classiques et dans le Pasteur d’Hermas (Préceptes XI.2), ce qui s’accorde avec le verbe correspondant (épérôtaô) qui signifie « poser une question » ou « interroger ». Comme on voit mal comment le baptême pourrait consister en une « question à Dieu (eis théon) », certains commentateurs en ont déduit que le verset évoquait plutôt une « demande » adressée à Dieu par le baptisé. Néanmoins, le sens de « demande » – compris comme une « requête » – ne semble pas attesté en grec ancien(18). La version grecque de Théodotion sur Daniel 4.17 ainsi que plusieurs manuscrits grecs du 2e siècle (non bibliques) attestent toutefois un autre sens : celui d’un « engagement » ou d’une « décision ». Le mot est employé de cette manière dans des documents juridiques pour formuler l’accord entre les contractants(19). C’est ce sens qui est retenu par les traductions françaises récentes de la Bible ainsi que par la plupart des commentateurs contemporains.
Il s’agit d’un « engagement envers Dieu d’une bonne conscience ». L’expression « bonne conscience » est employée quelques versets plus tôt lorsque Pierre exhorte ses lecteurs à témoigner de leur « espérance » mais de le faire « avec douceur et crainte, en ayant une bonne conscience » (3.16). Encore un peu plus tôt, il mettait à l’honneur celui qui souffre « par conscience de Dieu » (2.19). Comme ces autres occurrences le laissent entrevoir, la notion de « bonne conscience » implique à la fois une attitude intérieure résolue – le croyant agit « en âme et conscience » – et une dimension morale qui a des conséquences pratiques – une attitude « consciencieuse ». Selon Jacques Schlosser, il s’agit de « la juste disposition fondamentale qui mène à la pratique du bien(20) ». L’engagement est-il fait « avec une bonne conscience » (génitif subjectif) ou « en vue d’une bonne conscience » (génitif objectif) ? La première option est généralement retenue car elle correspond mieux au sens de l’expression.
Ainsi, Pierre indique que le baptême implique un engagement « en âme et conscience » envers Dieu. Cet engagement implique probablement une disposition de cœur orientée vers une vie conforme à la sainteté à laquelle les baptisés ont été appelés (1.14-17). Ainsi, ces notions d’« engagement » et de « conscience » sont parties intégrantes du baptême selon 1 Pierre 3.21. Elles impliquent que le baptisé soit suffisamment « conscient » pour pouvoir « s’engager envers Dieu ». On pourrait nuancer l’apport du texte en rappelant que cette réflexion sur le baptême n’est qu’une courte parenthèse dans la lettre. Néanmoins, cette parenthèse a précisément pour objet de définir les modalités du baptême. 1 Pierre 3.21 constitue donc un appui biblique majeur en faveur de la conception « professante » du baptême.
Le baptême et la souffrance du croyant
Pourquoi Pierre fait-il cette digression sur le baptême au sein d’une section qui vise à encourager les croyants à fixer leurs regards sur Christ au milieu de leurs souffrances ? Probablement parce que le sens du baptême contribue à cette exhortation.
D’une part, le baptême étant intimement lié à ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne – l’œuvre du salut opéré par Jésus-Christ –, il permet au baptisé de s’identifier davantage à celui qui a souffert mais qui est ensuite revenu à la vie et est allé au ciel. Le baptême lui fait réaliser et expérimenter dans sa chair et sa conscience que c’est « à travers la résurrection de Jésus-Christ » qu’il est sauvé et qu’il a part à une vie nouvelle. Le baptême est un sacrement qui permet d’expérimenter d’une manière spéciale le lien intime qui existe entre le croyant et son sauveur. Lorsqu’il doit persévérer dans un contexte d’opposition, il peut ainsi se rappeler que son espérance n’est pas fondée sur un avenir « rêvé » mais sur ce que Christ a déjà accompli historiquement.
D’autre part, en rappelant le baptême, Pierre encourage ses lecteurs à se souvenir de « l’engagement envers Dieu » qu’ils ont pris « d’une bonne conscience ». Cette ferme résolution peut les aider à conserver cette « bonne conscience » dans leurs relations avec les non chrétiens, même si cela implique des souffrances. La Bible donne une belle place aux cérémonies d’engagement, notamment dans le cadre de l’alliance. Ces cérémonies sont un moyen d’ancrer l’engagement dans la mémoire des partenaires d’alliance, ce qui est censé les motiver à vivre une vie conforme à leur engagement. La cérémonie du baptême se situe vraisemblablement dans cette optique. Rappelons cependant que l’engagement du baptisé ne repose pas sur son œuvre propre. Le croyant n’a aucun mérite à faire valoir lorsqu’il s’engage dans le baptême. Il s’agit d’une réponse de foi à l’œuvre gracieuse de salut accomplie par Jésus-Christ, lui qui a « souffert une fois pour toutes pour les péchés afin de vous conduire à Dieu » (v.18). C’est là le fondement inébranlable de l’engagement du baptisé dans une vie présente marquée par la souffrance : l’œuvre accomplie « une fois pour toutes » par Jésus-Christ.