La clé d’un sacramentalisme évangélique baptismal(1)
Introduction
Georges Beasley-Murray fut le spécialiste britannique du Nouveau Testament le plus éminent du 20ème siècle et la plupart des baptistes sont prêts à dire que sa contribution à l’étude du baptême est son oeuvre de recherche la plus importante. Ses conférences Whitley de 1959-1960(2), devenues des classiques publiées sous le titre “Baptism in the New Testament”, sont toujours réimprimées même après quarante ans. Toutefois, l’ironie veut que l’un des historiens de la théologie baptiste a remarqué que bien que Beasley-Murray et R.E.O. White(3) “aient produit ce qui est sans nul doute l’examen le plus important, le plus détaillé et le plus éloquent de la question du baptême, “leur retentissement fut limité”. Il avance la raison suivante : “une grande partie de ce qu’ils ont dit, soit n’a pas été lue par beaucoup de baptistes..., ou a été lue mais pas comprise, ou a été lue mais laissée dans l’ombre”(4). C’est une triste accusation portée sur des baptistes qui tirent leur nom du rite de l’initiation chrétienne. Très souvent dans ses écrits, Beasley-Murray renvoie aux critiques baptistes à l’égard d’autres traditions dont la théologie baptismale ne concorde pas avec l’enseignement du Nouveau Testament, puis il mentionne que faire cela implique obligatoirement que les baptistes soumettent aussi leurs croyances et leurs pratiques à l’épreuve de la Parole de Dieu. Par exemple :
n’avons-nous pas, nous baptistes, le devoir de balayer devant notre porte ? Pendant trop longtemps, nous avons considéré comme notre vocation de démontrer qui sont les bons bénéficiaires du baptême mais nous avons été incapables de rendre compte de manière cohérente de ce qu’est ce baptême à administrer aux personnes appropriées. Quiconque est familier de nos Églises sait qu’il existe en elles des traditions aussi stéréotypées que celles qu’on peut trouver dans n’importe quelle autre Église et nous courons le danger de prendre nos propres traditions populaires pour la Parole de Dieu comme le font les autres. Nous baptistes, nous nous glorifions d’être des Églises du Nouveau Testament. Ceci nous oblige à nous placer sous le même régime - à rejeter notre fierté, à sonder de nouveau les Écritures, à nous soumettre à leur enseignement et à être prêts à réformer ce qui doit l’être selon la Parole(5).
Les problèmes
Les problèmes qui se posent sont éclairés dans deux brefs essais. Le premier fut une réponse à la brève discussion de Louis Read des “Ordonnances”. Ici, Read rejette l’usage du terme “sacrements”, compris comme “moyen de grâce”, pour la raison qu’il ne s’applique pas de façon pertinente à la conception baptiste du baptême et de la Sainte Cène. “Les choses étant comme elles sont, déclare-t-il, le terme recouvre généralement un sens étranger à notre pensée” ou “un sens si nébuleux qu’il ne signifie rien”. Ensuite, il conteste la notion de sacrement moyen de grâce “transmettant un bénéfice à ceux qui y prennent part”. En revanche, il prétend que l’“ordonnance” se comprend de soi sans présenter l’ambiguïté du “sacrement”, tout en impliquant l’institution des deux ordonnances par le Christ et ceci “est une raison suffisante pour continuer à les pratiquer”(6). Pour Read et la majorité des baptistes - à l’époque et maintenant - le but et le sens des ordonnances résident dans le fait qu’en elles, les croyants se consacrent au Seigneur, elles sont réponses à la bonté de Dieu, elles représentent les moyens de rédemption et elles évoquent la louange et l’adoration(7).
Beasley-Murray répondit dans “The Sacraments”. Son objectif n’est pas de défendre l’usage de mot “sacrement”, bien qu’il remarque que son emploi inconsidéré n’est pas une raison pour le rejeter. Mais sa critique la plus sévère de Read souligne que dans une discussion des sacrements un collègue baptiste puisse écrire avec pratiquement aucune référence à l’Écriture. Pas moins que les pédobaptistes, les baptistes ont besoin de “revenir aux documents de notre Foi” afin d’être sûrs qu’eux non plus ne bâtissent pas “sur le sable de la tradition”. Il décrit la position baptiste de l’époque qui, à notre honte, n’a pratiquement pas changé en plus de cinquante ans : “on souligne généralement, parmi nous, la valeur du baptême en tant que moyen de confession et les autres significations sont subordonnées à cette idée principale. On pense généralement que le baptême ne change rien à la condition de la personne baptisée ; la seule vertu du baptême réside dans l’expression de réalités spirituelles que le baptisé s’est déjà appropriées. Ce point de vue est conforme à celui de Read : “Le baptême est notre action pour Dieu, notre réponse à son appel à l’obéissance”. Beasley-Murray ne nie pas la nature confessionnelle du baptême et il est important de ne pas l’oublier. Cependant, dans cet article et d’autres écrits, il affirme que “la valeur confessionnelle du baptême... est un sens second et non premier du rite” et que la conclusion supplémentaire (à savoir “le baptême est notre action pour Dieu, notre réponse à son appel à l’obéissance”) est “pure rationalisation” qu’il est impossible de concilier avec les données du Nouveau Testament sur le sujet. Il résume donc l’enseignement du Nouveau Testament de cette façon : “Chaque mention explicite du baptême le considère comme le sommet de notre union avec le Christ dans ses actes rédempteurs pour nous et notre réception de la vie de l’Esprit qui en découle”(8).
Après son bref résumé de l’enseignement du Nouveau Testament, Beasley-Murray pose la question : “Si cette exégèse est valable, comment peut-on affirmer que l’important dans le baptême, c’est ce qu’on donne à Dieu ?”. Il ajoute alors que les objections à un sacramentalisme biblique “reposent d’habitude sur des raisons autres qu’exégétiques”. Les croyants des Églises évangéliques, remarque-t-il, sont peu enclins à maintenir un tel point de vue, parce qu’il semble contredire la conviction profonde que l’on est “renouvelé dans son esprit et rendu héritier du salut par l’exercice de la foi”. Il semble aussi rendre le baptême “opérant - au lieu d’être symbole - d’une crise déjà accomplie chez le croyant”, car il “diffère l’opération et le don de l’Esprit de la soumission de la foi à la réception d’une ordonnance extérieure”. Tel est justement le point de Beasley-Murray. La clé du problème réside dans ce “diffère” car le Nouveau Testament ignore tout retard du baptême après la conversion”. Ceci, nous le verrons, est la clé de l’argumentation de Beasley-Murray : le baptême est un baptême de conversion(9). Dans l’Église primitive, la conversion et le baptême étaient si “étroitement liés” qu’on peut les considérer comme une unité. Dans un tel contexte, ajoute-t-il, parler d’un Chrétien qui meurt et ressuscite avec le Christ et qui reçoit l’Esprit de Pentecôte dans le baptême n’a rien d’un concept magique, car la soumission au rite était l’occasion de s’abandonner au Christ. Il ne s’agit pas là d’opposer un sacrement à la repentance et la foi, comme si le baptême rendait la conversion superflue, mais il s’agit de considérer l’imbrication des deux, de telle sorte que le baptême fasse partie de la conversion. C’est seulement lorsqu’on sépare cette relation originelle que s’infiltre le sacerdotalisme et que l'opus operatum devient le mot d’ordre à la place du principe néotestamentaire nullum sacramentum sine fide”(10).
Mais les baptistes se sont éloignés de la pratique baptismale du Nouveau Testament et, de ce fait, “ont négligé le fait qu’ils sont presque aussi coupables que les autres de la rupture de l’unité entre conversion et baptême”(11). Ce qu’il entend par là, nous pouvons l’exprimer ainsi : alors que les pédobaptistes ont mis le baptême avant la conversion, les baptistes l’ont placé après elle, parfois bien des années après, et même des décennies.
Beasley-Murray poursuit : “Les baptistes ne sont toujours pas habitués au fait que dans le Nouveau Testament le kerygma précède la didache, la prédication précède l’enseignement”(12) et, bien qu’il ne le rende pas explicite dans ce texte, nous devons remarquer que c’est l’ordre dans lequel ils apparaissent en Mt 28.19. C’est alors qu’il constate que “si dans notre environnement moderne, nous craignons de baptiser immédiatement des convertis, il nous faut alors reconnaître que nous avons changé la nature du baptême”. Par conséquent, à la place de cette tradition baptiste du baptême, Beasley-Murray a défié les baptistes de son époque, et puisque peu de choses sinon rien n’a changé de façon générale, nous aussi, nous lançons ce défi : “Considérons de nouveau le baptême comme faisant partie de la conversion, comme le moment de l’abandon suprême plutôt que celui de l’expression de l’obéissance du croyant, et nous aurons recouvré la liberté d’enseigner la doctrine du baptême selon le Nouveau Testament”(13).
Le deuxième essai de Beasley-Murray est une brève étude exégétique du “baptême dans les Épîtres de Paul” parue en 1959 dans le volume “Christian baptism”, oeuvre collective de quelques-uns des meilleurs spécialistes baptistes britanniques des deux générations suivantes(14). Publié sous la direction d’Alec Gilmore, Christian baptism fut l’ouvrage d’un baptiste sur le baptême le plus controversé au cours du vingtième siècle(15), victime d’une attaque en règle de la part des anti-sacramentalistes(16). En très peu de temps, on dénonça l’ouvrage comme contraire à la Bible et aux principes baptistes et ce fut Beasley-Murray qui tenta de répondre aux critiques. Il est important de remarquer ceci : Beasley-Murray constata que les discussions exégétiques portant sur les textes suspects(17) avaient trait au “baptême dans l’Église apostolique”, et non pas au baptême dans une église baptiste moderne. Là où le baptême est séparé de la conversion, d’une part, et de l’entrée dans l’Église, d’autre part, ce vocabulaire ne peut pas s’y appliquer ; un tel baptême est un baptême réducteur... Mon souci, comme celui de mes collègues, c’est de présenter aux baptistes l’image idéale du baptême, telle qu’elle ressort des écrits apostoliques, dans l’espoir de pouvoir le recouvrer ou de s’en approcher le plus près possible. Insister pour tenir à notre version appauvrie du baptême serait une tragédie pour un peuple qui se targue d’être le peuple du Nouveau Testament”(18).
Sens du mot “sacrement”
Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, la compréhension baptiste du terme “sacrement” a été obscurcie par une antipathie envers le genre de sacramentalisme caractéristique du Mouvement d’Oxford, que ce soit à cause d’expressions telles que “régénération baptismale” ou de l’ancienne formule ex opere operato avec son aspect d’efficacité magique. Cependant, ce que la vaste majorité des baptistes ignoraient et ignorent encore, ajouta Beasley-Murray(19), c’est que nombreux furent les premiers baptistes à comprendre le baptême et la Cène de façon sacramentelle. C’est seulement au cours du dix-neuvième siècle que ce terme fut largement décrié et rejeté, usité uniquement par une petite minorité de baptistes(21). De plus, beaucoup de baptistes semblaient et semblent toujours ignorer qu’il n’existe pas de définition reconnue du terme “sacrement”. Le terme “sacrement”(22) doit être défini par l’auteur qui l’utilise et non pas interprété par le lecteur. L’intention de l’auteur prend ici toute son importance. Qu’il n’en fut pas ainsi se voit dans la controverse autour de “Christian baptism”, quand des anti-sacramentalistes répétaient à l’envi que Beasley-Murray, en particulier, se servait du terme mais dans un sens, en fait, qui n’était pas le sien(23).
Beasley-Murray est bien conscient que le “terme ‘sacrement’... peut s’employer dans divers sens”(24), et il est intéressant de constater qu’il ne le définit nulle part de façon formelle. À la place, il laisse l’enseignement du Nouveau Testament sur le baptême donner son sens au terme - à la fois action divine et action humaine(25).
Les seules définitions de “sacrement” qu’il agrée sont “moyens de grâce” et sacramentum, toutes deux considérées comme en accord avec l’enseignement du Nouveau Testament. Par l’expression “moyen de grâce”, il implique plus que ce qu’on admet généralement, parce que “dans l’ Église des Apôtres (veuillez noter la limitation), c’est toute la hauteur et la profondeur de la grâce qui est liée à l’expérience du baptême. En effet, pour les auteurs du Nouveau Testament, le baptême n’était rien moins que “l’apogée de l’action de Dieu envers le chercheur repentant et du retour à Dieu du converti”(26). Un sacrement, c’est “la Parole de Dieu en action” qui exige une réponse par la participation.
Pour lui, l’idée de Pierre qui se sert des mots “demande” ou “engagement” comme une déclaration de foi et de fidélité à Dieu, n’est pas très éloignée de l’usage du terme sacramentum, serment militaire. Car par le baptême, “le converti est enrôlé dans l’armée du Seigneur et le baptême représente son engagement d’obéissance à Dieu”. De plus, il note que les credo de l’église ancienne émanent de la plus ancienne confession baptismale “Jésus est Seigneur” (Rm 10.9), et qu’ils étaient des confessions employées par les convertis quand ils faisaient leur allégeance au Seigneur-Sauveur(27).
Beasley-Murray affirme que Col 2.12 et 1 P 3.21 permettent de rejeter l’idée qu’un sacramentalisme fondé sur la Bible ouvre la porte à une compréhension automatique, ex opere operato du baptême. En Colossiens, figure l’expression “par le baptême, vous avez été aussi ressuscités à la vie avec lui par votre foi en la puissance active de Dieu”, tandis que l’autre texte précise “...baptême qui vous sauve à présent, par lequel on ne se débarrasse pas de la souillure de la chair, mais qui est la demande adressée à Dieu d’une bonne conscience, par la résurrection de Jésus-Christ”(28).
Le baptême en tant que symbole
Il est important de reconnaître que Beasley-Murray ne supprime ou diminue en rien l’importance de la nature symbolique du baptême. Ce qu’il veut faire, c’est éviter, d’une part, l’interprétation purement symbolique si caractéristique des baptistes, surtout depuis le milieu du dix-neuvième siècle, et, d’autre part, une compréhension magique du rite. La force de la dimension symbolique, il l’admet, réside dans l’immersion qui symbolise l’élément le plus évident du symbolisme baptismal, à savoir la purification du péché (Ac 22.16). Se dépouiller de ses vêtements pour en revêtir d’autres symbolise le rejet de la vie passée loin de Dieu et qu’on a revêtu la vie nouvelle en Christ (Ga 3.27 ; Col 3.9,12). S’immerger sous l’eau et en émerger est tout à fait approprié à une action dont le sens dérive de l’identification au Christ qui est mort, a été enseveli et est ressuscité pour le salut de l’humanité. Cependant, ce qu’il veut souligner, c’est qu’il n’est pas suffisant pour le non-sacramentaliste de dire que ce qui est arrivé à la personne ainsi baptisée, c’est qu’elle a reçu la bénédiction que Dieu accorde toujours à l’obéissance de la foi ; et il en donne la raison de façon très claire : c’est parce que ce n’est pas ce que le Nouveau Testament dit qu’il se passe dans le baptême(29). Il écrit ailleurs : “le baptême signifie renoncer à dépendre de son moi au profit de la foi en Dieu, se détourner radicalement du péché pour se tourner vers Dieu, autrement dit se repentir, mourir au péché et ressusciter à la vie nouvelle en Christ, abandonner la vie de ce monde pour choisir la vie dans la communion de l’Église, Corps du Christ”(30). Tout simplement, “tirer la conclusion que le baptême est un symbole magnifique et très expressif et rien de plus n’est pas conforme au Nouveau Testament”(31). De plus, quand on considère le baptême comme rien de plus qu’un symbole, en soulignant l’obéissance et le témoignage qu’il exprime, “il en résulte un rite qui n’a pratiquement aucun contenu - qu’est-ce alors sinon du ritualisme ?”
Le sacramentalisme baptismal du Nouveau Testament : le baptême dans la foi(33)
Toute la question de la nature du baptême, écrit Beasley-Murray, “peut difficilement se résoudre sans référence à l’enseignement du Nouveau Testament sur le baptême”, et, comme nous l’avons vu, ses critiques de la position non sacramentaliste reposent sur l’insuffisance de l’exégèse du Nouveau Testament menée par ses défenseurs(34). Comme nous l’avons déjà constaté, le sacramentalisme de Beasley-Murray est “défini” par l’exégèse et celle-ci constitue la plus grande partie de ses écrits sur le baptême.
Tout au long de leur histoire, les baptistes ont considéré le texte de Mt 28.19 comme faisant autorité pour ce qui est du baptême des croyants. Ici, faire des disciples implique la proclamation de l’Évangile qui inclut un appel à la repentance (comprise comme se tourner vers Dieu(35) et la foi, et le fait que ceux qui reçoivent la Parole avec foi doivent être baptisés et enseignés plus avant dans la doctrine et la vie chrétiennes. Mais Beasley-Murray remarque que cette compréhension fréquente du commandement de Jésus dans le but de faire des disciples “en les baptisant”, n’est acceptable que sur la prise de conscience que ce sont ceux qui reconnaissent Jésus comme Sauveur dans la Trinité, c’est-à-dire sur profession de foi en réponse à l’écoute de l’Évangile, qui deviennent “disciples” dans le baptême.
Cette conception de l’ordre missionnaire de Mt 28 est corroborée par les plus anciens récits de la mission de l’Église rapportés par le livre des Actes. Là, proclamation de l’évangile, écoute avec foi et baptême sont constamment liés (Ac 2.37-38 ; 2.41 ; 8.31 ; 8.35-36 ; 16.14-15 ; 16.32-33 ; 18.8 ; 19.50). Cependant, il y a plus important encore que ces discussions d’ordre historique : la nature même du baptême telle qu’elle est décrite dans tout le Nouveau Testament et particulièrement dans les Lettres, dans des passages tels que Gal 3.26-27 ; Rm 6.1-11 ; Col 2.12 et 1 P 3.21.
Il constate qu’il est significatif que des passages du Nouveau Testament qui fournissent l’éclairage le plus important sur la signification du baptême “allient foi et baptême comme si les deux faisaient partie intégrante l’un de l’autre”. Pour les baptistes, cette remarque constitue le centre du problème : “le baptême se comprend et s’explique en de tels termes qu’ils ne font sens que si le baptême est reçu avec la réponse de la foi à la Bonne Nouvelle”(36).
Gal 3.26-27 est d’une importance fondamentale car ce texte explique l’élément fondamental du baptême en rapport à l’union avec le Christ : “En Christ Jésus, vous êtes tous fils de Dieu par la foi. Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ”. Ici, on présente le baptême comme l’action de “revêtir” Christ, comme on met un vêtement et, en Christ, on devient enfants de Dieu par la foi. “De façon évidente, dit-il, nul ne peut être en Christ sans avoir part à sa filiation ; ce qui suggère que c’est la foi qui reçoit Christ dans le baptême ; par conséquent, c’est l’être humain qui exerce sa foi qui est l’objet de l’œuvre divine dans le baptême”(37). Plus simplement,“selon la conception de Paul, l’expérience du baptême et celle de la foi sont une”(38).
En conséquence, “si la foi doit être prise au sérieux, il en va de même pour le baptême” et il rejette la tendance de nombre d’exégètes qui “exaltent le baptême aux dépens de la foi ou la foi aux dépens du baptême”.
Ceci conduit à la conclusion suivante :
Le baptême est un baptême de foi et de grâce, de sorte qu’en lui la foi reçoit ce que donne la grâce. Surtout, la grâce donne le Christ, car Christ est la plénitude de la grâce ; donc la foi reçoit le Christ dans le baptême. Si l’on forçait Paul à définir la relation entre les deux affirmations des versets 26-27, je ne vois pas comment il pourrait conserver la puissance des deux phrases sans affirmer que le baptême est le moment de la foi dans lequel se réalise l’adoption - dans les deux sens d’effectuée par Dieu et saisie par l’homme - ce qui revient à dire que, dans le baptême, la foi reçoit le Christ en qui se produit l’adoption. La signification du baptême sont les faits objectifs auxquels il rend témoignage, l’événement historique de la rédemption et le don présent qu’il rend possible, embrassés par la foi dans ce Dieu qui a agi et qui continue d’agir. À travers une telle alliance de foi et de baptême, le Christianisme est empêché de s’évaporer dans un subjectivisme éthéré, d’un côté, et, de l’autre, de se durcir en un objectivisme fossilisé. Les deux aspects du Christianisme apostolique sont maintenus dans le baptême-foi(39).
Alors que Rm 6.1-11 “contient le traitement du baptême le plus profond de tout le Nouveau Testament”(40), la nature de la relation entre foi et baptême n’est pas la préoccupation première de Paul qui s’intéresse davantage à l’aspect éthique du baptême, ce qui lui permet de s’opposer à la prétention antinomique : “Continuons à pécher afin que la grâce abonde” (Rm 6.1)(41). Beasley-Murray est d’accord avec les théologiens qui pensent qu’il faut présupposer la foi en Dieu derrière tout ce passage à partir du verset 2. Ceci est indéniable si l’on tient compte de l’enseignement de Paul par ailleurs, dans Romains et tout au long de ses lettres. Bref, “Ce chapitre vise le converti, et tout ce que dit Paul au sujet du baptême présuppose la réponse de la foi à la grâce de Dieu qui opère en lui”(42). Par conséquent, dans la théologie (paulinienne) du baptême, l’action de Dieu et la réponse de l’homme sont inséparables et permettent au baptême d’être ce qu’il est(43).
Ce qui est exposé en Gal 3.26-27 est encore plus clair en Col 2.12, texte que Beasley-Murray considère comme “un commentaire authentique de Rm 6.3-4”(44). Cette fusion des éléments objectifs et subjectifs dans le baptême se trouve soulignée par l’expression “dans lequel vous avez été ressuscités par la foi en l’action de Dieu qui l’a ressuscité des morts”(45). Beasley-Murray s’accorde avec la traduction du verset 12 de la Revised Standard Version selon laquelle l’antécédent de “en lequel” (en ho) est “baptême” et non “Christ” ; ce qui donne : Ensevelis avec lui dans le baptême, dans lequel vous avez été aussi ressuscités avec lui par la foi en l’action de Dieu”(46). Cela aussi rapproche la phrase de Gal 3.26-27, car là comme ici, la foi fait partie intégrante de l’événement baptismal. Dans le baptême, le baptisé est ressuscité par la foi. Les aspects divins et humains reçoivent pleine attention. Non pas que la foi effectue sa propre résurrection ; la foi se réjouit dans la grâce révélée en Christ et s’oriente totalement vers le Dieu dont la toute-puissance a ressuscité le Christ et relève des pécheurs désemparés(47). Le cheminement de la pensée de Paul est simple : “Vous avez été ensevelis avec (Christ) dans le baptême et vous avez été relevés avec (Christ) dans le baptême”, mais il est important de noter l’ajout significatif : “relevés avec lui dans le baptême par la foi en l’action de Dieu”. Le langage ici “présuppose la foi opérante dans le baptême”, en fait, “du côté de l’homme, la foi se comprend comme la puissance opérante du baptême”(48). Interprétation qui s’accorde pleinement avec Ac 2.38 où se tourner vers le Seigneur s’exprime avec le baptême et en lui. Beasley-Murray affirme : “Dans une telle circonstance, le baptême est moins un témoignage à une foi reçue précédemment qu’une déclaration de foi embrassée ici et maintenant, une incorporation de la conversion au Christ et une soumission à celui qui a le pouvoir de sauver”(49).
Le verset 12 explicite “la part vitale que la foi joue dans le baptême”. “Une fonction si importante est attribuée à la foi (en Col 2.12) qu’il est difficile de voir comment l’expérience décrite peut s’imaginer être présente sans l’exercice de la foi de la part du baptisé”.
On trouve une conception similaire du baptême en 1 P 3.21 : “Le baptême ... vous sauve maintenant, par lequel on ne se débarrasse pas de la souillure de la chair, mais qui est la demande adressée à Dieu d’une bonne conscience par la résurrection de Jésus-Christ”. Dans ce texte, l’essentiel du baptême n’est pas la purification du corps mais la transaction spirituelle dans laquelle le baptisé fait appel à Dieu dans la foi et la prière et fait l’expérience de la puissance salvatrice du Seigneur(50). Beasley-Murray tire la conclusion suivante de son étude de ce verset qu’il vaut la peine de citer intégralement comme le sommet de son étude exégétique.
La leçon principale de ce passage réside dans sa dénégation catégorique que des éléments extérieurs du baptême puissent constituer son essence ou sa puissance. La purification dans le baptême s’obtient non par l’application d’eau sur la chair mais par l’engagement de la foi et l’obéissance à Dieu qu’elle implique, engagement sur lequel la résurrection de Jésus-Christ devient puissance de salut pour l’individu concerné. Cependant, la réponse est le cœur du baptême dans lequel le Seigneur rend la résurrection efficace.(51)
Le poids combiné de cette exégèse conduit Beasley-Murray à conclure que “le lien inextricable entre baptême et foi est observable non seulement dans les affirmations baptismales mais aussi en comparaison de celles-ci avec l’enseignement apostolique sur la foi”. En bref, “les auteurs du Nouveau Testament associent tous les effets du salut, d’une part avec le baptême et, de l’autre, avec la foi”. Donc, s’il reste le moindre doute que le baptême du Nouveau Testament ne se comprend correctement qu’en tant que baptême-foi, le tableau ci-dessous se chargera de le dissiper.
Nous voyons ici que, selon le Nouveau Testament, les dons de la grâce accordés à la foi sont pratiquement identiques à ceux donnés dans le baptême(52). Quand on examine de près les passages du Nouveau Testament qui ont trait au baptême, “il apparaît une dualité extraordinaire dans les moyens par lesquels Dieu accorde sa grâce qui sauve”(53). Nous découvrons que toute la gamme des éléments du salut est promise à la foi, mais qu’elle est aussi associée au baptême. Le pardon est promis à la foi en Rm 4.5-7 et 1 Jn 1.9 mais au baptême en Ac 2.38 et 22.16. En Rm 3- 5 et Gal 2-3, la justification se fait par la foi seule, par exemple, Rm 3.28, mais en 1 Co 6.11, elle est attribuée au baptême. En Ép 3.17, l’union avec le Christ se produit par la foi, tandis qu’en Gal 3.27, elle s’enracine dans le baptême. En Gal 2.20, on est crucifié avec Christ par la foi seule, mais en Rm 6.2-11 cela s’opère dans le baptême. Avoir part à la mort et à la résurrection du Christ résulte de la foi selon Rm 8.12-13 mais en Rm 6.2-11 et Col 2.12, c’est dans le baptême. En Jn 1.12, la filiation est promise à la foi alors qu’en Gal 3.26-27 elle est reliée à la foi et au baptême. En Gal 3.2-5 et 14, l’Esprit est donné à la foi, mais en Ac 2.38 et 1 Co 12.13, c’est par le baptême. L’entrée dans l’Église s’opère par la foi en Ac 5.14 et Gal 3.6-7, mais par le baptême selon Gal 3.27 et 1 Co 12.13. La régénération et la vie sont données à la foi en Jn 3.14-16 et 20.31, mais au baptême en Tt 3.5 et Jn 3.5. Le royaume et la vie éternelle sont promis à la foi en Mc 10.15 et Jn 3.14-16, alors qu’en 1 Co 6.9-11 ils sont donnés à ceux qui ont abandonné les péchés qui les excluent de la foi, car ils ont été lavés dans le baptême, ce qu’on voit aussi en Ac 22.16. Enfin, le salut est donné à la foi en Rm 1.16 et Jn 3.16 mais au baptême en 1 P 3.21.
Par conséquent, il est évident qu’il s’agit d’un même don de Dieu fait à la foi comme au baptême : le salut en Christ. “Il n’est pas question de donner une partie au baptême et l’autre à la foi, que ce soit dans cet ordre ou dans l’ordre inverse. Il accorde tout dans le baptême et tout à la foi... Le don gratuit de Dieu à la foi relève du contexte du baptême tout comme le don gratuit de Dieu dans le baptême relève de la foi. La foi n’a aucun mérite pour revendiquer ces dons et le baptême n’a aucun pouvoir de les produire. Tout vient de Dieu, lui qui conduit un individu à la foi et au baptême et qui a trouvé bon d’accorder ses dons dans cet ordre”. Cette théologie néotestamentaire du baptême se fonde sur l’axiome qu’on administre le baptême à des convertis. “On considère tout autant axiomatique le fait que conversion et baptême soient inséparables, sinon impossibles à distinguer” parce que pour “l’Église apostolique primitive, le baptême était un baptême de conversion”(54). Tout ceci peut se résumer comme suit : “Si Dieu accorde ses dons précieux à la foi et au baptême, il les donne en association, c’est-à-dire qu’il les donne à la foi dans le baptême, ou bien (ce qui revient au même) au baptême dans la foi”(55). Le Nouveau Testament n’a jamais conçu le baptême séparément de la foi qui se tourne vers Dieu pour le salut et toute interprétation du baptême qui réduit “la signification cruciale de la foi est infidèle à l’Évangile apostolique”(56).
Réforme de la pratique du baptême
Alors, qu’est-ce que propose Beasley-Murray aux baptistes pour réformer leur théologie et leur pratique concernant le baptême ?
D’abord, “il faudrait s’efforcer davantage de rendre le baptême partie intégrante de l’Évangile”. Exactement comme dans Ac 2.38 : “Repentez-vous et soyez baptisés”. Dans la repentance, la foi est supposée, mais la réponse de Pierre dit à la foule comment devenir chrétien : « la foi et la repentance doivent être exprimées dans le baptême et c’est ainsi qu’ils doivent venir au Seigneur. Le baptême est ici une partie de la proclamation du Christ… Un effort doit être fait pour remettre en valeur ce point dans notre prédication »(57). Le baptême est un sujet tout à fait approprié à être expliqué dans les groupes de personnes en recherche spirituelle. En bref, il nous faut “retrouver le concept apostolique de conversion-baptême”(58).
En second lieu, et suite logique du premier point, “il faudrait un sérieux effort pour rendre le baptême partie intégrante de la conversion... La prédication de l’Évangile est dirigée vers la conversion d’hommes et de femmes” et ceci implique “non pas simplement l’acceptation d’une idée mais une réception et une soumission dans l’action. Le baptême et la conversion sont ainsi deux inséparables ; l’un exige l’autre car aucun n’est complet sans l’autre”.
D’aucuns objecteront que le baptême doit être remis à plus tard car il faut s’assurer du sérieux du candidat. Cependant, il faut nous rappeler ce que disait Beasley-Murray sur ce sujet : en agissant ainsi, nous altérons le baptême néotestamentaire. Il ne diminue en rien l’importance de l’instruction qu’il considère “toujours nécessaire” mais il remarque qu’elle “ne doit pas forcément précéder le baptême” car “une grande partie de l’instruction peut s’appliquer plus facilement après le baptême”, et il ajoute : “et de toute façon, la formation ne devrait jamais cesser après le baptême”. Si l’on appliquait ce qu’il a déjà dit, “et si l’on donnait leur juste place dans la prédication à la nature et au sens du baptême, les auditeurs comprendraient ce qu’est le baptême et que la réponse de la foi devrait trouver sa place dans le sacrement. Par-dessus tout, que le temps entre baptême et conversion soit long ou bref, le baptême doit être considéré comme la ratification ultime et sans réserve du fait que l’individu se tourne vers Dieu et que, dans sa grâce, Dieu se tourne vers lui, avec tout ce que cela comprend de consécration d’un côté et de grâce, de l’autre”(59).
En troisième lieu, suite à sa conviction que les “éléments les plus significatifs dans le sens du baptême devraient s’exprimer dans le service de baptême” et dans sa préparation, le croyant devrait voir dans le baptême l’instrument de sa soumission au Seigneur et l’assurance d’être accepté par Dieu en Christ. “Le baptême devrait donc être un acte de prière dans la foi”, comme Jésus a prié lors de son baptême. Ceci “est lié tout naturellement à l’élément de confession dans le baptême - confession au Seigneur et à l’assemblée”. Ceci pourrait se passer, au minimum, grâce à un échange sous forme de question-réponse, mais quand c’est possible, sous forme d'un bref témoignage devant l’assemblée(60).
Pour finir, il est convaincu que nous devrions tendre à rendre le baptême partie intégrante de l’intégration à l’Église en en devenant membre et il fait remarquer que “notre pratique a tendu à obscurcir le fait que, selon le Nouveau Testament, le baptême est en même temps en Christ et dans le Corps”. Ceci s’opère très facilement avec un service de baptême qui s’achève par la Cène à laquelle le nouveau baptisé est accueilli dans l’Église et participe à la communion. À cela, il ajoute qu’il juge souhaitable que l’imposition des mains fasse partie intégrante du culte, ce qui souligne “l’aspect du symbolisme du baptême en tant qu’initiation en Christ et dans l’Église par l’Esprit”(61).
Ceci dit, Beasley-Murray était conscient de la confusion actuelle au sujet du baptême qui est résultée des deux formes du rite - baptême du croyant et baptême d’enfant(62). Dans ce but, il est favorable à l’“open membership” “uniquement pour des membres d’autres Églises qui sont transférés dans une Église baptiste”(63), tandis que “les jeunes qui confessent leur foi et les convertis de l’extérieur ne devraient jamais mettre en doute la nécessité du baptême ; ils devraient s’abstenir d’être membres de l’Église et de participer à la Cène jusqu’à ce qu’ils se soumettent au baptême”(64).
Conclusion
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, les Baptistes n’ont pas perdu de temps avant d’attirer l’attention sur les faiblesses des traditions tendant à justifier bibliquement le baptême d’enfant ; il existe cependant le revers de la médaille auquel les Baptistes ne doivent pas se soustraire. “L’exigence baptiste que les autres dénominations examinent sans passion l’enseignement du Nouveau Testament, avec la volonté de ne pas rester enchaînés à des traditions anciennes, et d’être ouverts à se réformer selon la Parole de Dieu, implique naturellement en corollaire, qu’ils prennent le même chemin et examinent les Écritures avec la volonté de réformer leurs propres habitudes en accord avec cette même Parole de Dieu”(65). Je crois que cela, nous avons singulièrement omis de le faire. Nous n’avons pas éprouvé nos convictions et pratiques sur le baptême à la lumière de l’Écriture, pas plus que nous avons pris en compte nos spécialistes qui ont consacré tant d’efforts de leur vocation scientifique à étudier la Parole de Dieu, à écouter le Peuple de Dieu - de toute tradition - et à mettre à notre disposition une nourriture solide dont nous avons à peine profité. Si cette conférence en honneur de l’un de nos plus grands spécialistes de la Bible nous met l’eau à la bouche pour retourner à la Parole de Dieu, alors cela nous aidera considérablement à une reconnaissance approfondie de la richesse de l’Évangile pour lequel nous sommes appelés à témoigner. Nous savons tous que nous vivons dans une culture post-chrétienne et, au fur et à mesure que nous annonçons la Bonne Nouvelle du salut par la vie, la mort et la résurrection du Seigneur Jésus-Christ, nous ne perdons pas de vue le fait que l’appel est le même que celui qui fut proclamé par Pierre, le jour de Pentecôte : “Repentez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit” (Ac 2.38).
L’importance de tout ce qui précède pour l’Église d’aujourd’hui, j’en suis persuadé, ressort nettement de l’une des remarques de Beasley-Murray qui concluent son ouvrage Baptism Today and Tomorrow :
Le monde ignore l’Évangile. L’Église est donc en mission dans le monde entier, ou elle devrait l’être. La proclamation de l’Évangile sera beaucoup plus efficace si elle amende sa pratique du baptême selon le modèle du Nouveau Testament. Dans ce cadre, le baptême est la conclusion de la proclamation de l’Évangile. Toute initiative favorable à cette relation doit être saluée(66).