La maternité (humaine) serait-elle en train de devenir une affaire de plus en plus compliquée ? Une sage-femme expérimentée me racontait dernièrement qu'elle ne met plus le nouveau-né sur le ventre de sa mère sans en avoir reçu la permission (Les gestes « naturels » se perdraient-ils ?). Elle voit de moins en moins de couples se réjouir à l'occasion de l'accouchement... ce sont plutôt le stress et l'inquiétude qui dominent !
Cette évocation d'un « défi » de la maternité n'est pas inspirée par la nostalgie de la politique du gouvernement de Vichy des années 1940 (« Famille, travail, patrie ») et les discours natalistes de l'extrême droite. Elle est plutôt motivée par l'expérience passionnante (avec ses hauts et ses bas) d'un père de famille nombreuse, et d'un pasteur ayant eu le privilège d'être témoins de la naissance d'une Église en banlieue populaire.
La maternité humaine est une chose, mais cette notion de « maternité d'Église » d'où vient-elle ? Est-elle bien biblique ? Le modèle biblique de la création d'Églises n'est-il pas plutôt celui d'un homme investi d'un appel et d'une mission ? Commençons par essayer d'y répondre...
FONDEMENTS BIBLIQUES
Il y aurait tout d'abord de bonnes raisons pour appliquer les premiers commandements de Dieu (« Ayez des enfants, devenez nombreux. Remplissez la terre... » Gn 1.28) à toute forme de vie. Ensuite, au départ de l'aventure du peuple de Dieu, il est déjà question de maternité. Abram et Sara prennent de l'âge, mais ils ne voient pas venir l'accomplissement de la promesse de Dieu, celle d'une descendance nombreuse qui sera une bénédiction pour toute la famille humaine. La vieillesse et la stérilité seraient-elles des obstacles incontournables ? Pas du tout !
L'exemple d'Anne est-encore édifiant. Elle consacre à Dieu ce qu'elle a de plus précieux, le fils que Dieu lui a donné en exaucement de sa prière. (Et on peut noter que son fils, Samuel est animé par une vision comme celle d'un pionnier-implanteur d'Église. Il va chaque année faire un circuit par Béthel, Guilgal et Mispa, et il rend justice à Israël dans ces trois endroits, 1 S 7.16).
Dans la période intertestamentaire, le modèle de la synagogue est potentiellement riche en enseignements. Il suffisait de réunir dix hommes adultes pour créer une maison de prière, et après l'exil à Babylone, la diaspora juive a multiplié les « naissances » de synagogues partout dans le monde « civilisé » de l'époque.
Le projet (« Je bâtirai mon Église », Mt 16.18) et le mandat de Jésus aux Onze (« Faites de toutes les nations des disciples », Mt 28.19-20) impliquent la multiplication des naissances d'Églises locales. L'Église de Jérusalem (une sorte de « méga-Église » primitive, sous l'autorité des apôtres, avec un réseau de « groupes de maison ») ne semble pas y songer, cependant, car elle est beaucoup accaparée par des questions internes. La persécution serait à l'origine de la multiplication de naissances d'Églises (Ac 8.4), et les apôtres en ouvrent la voie. Si l'évangélisation est la principale préoccupation de Pierre et de Jean à Samarie (Ac 8.14-17, 25), et qu'il n'y a aucune précision sur la mise en place de structures d'Église à Antioche (Ac 11.19-26), Paul et Barnabas saisissent toute l'importance d'organiser les disciples en Églises à l'occasion du retour de leur premier voyage missionnaire (Ac 14.22-23).
Il y a de bonnes raisons de considérer Antioche comme la première « Église-mère ». Au moment où un groupe de prophètes et de docteurs jeûnent et prient ensemble, l'Esprit Saint leur dit : « Mettez à part Barnabas et Saul pour faire le travail que je veux leur demander. ». Ils imposent les mains sur la tête de Barnabas et Saul et les laissent partir. L'Esprit les envoie d'abord à Chypre, et ensuite en Asie mineure, où ils fondent plusieurs Églises. De retour à Antioche, Paul et Barnabas réunissent les chrétiens et leur disent tout ce que Dieu a fait avec eux, « comment il a ouvert la porte de la foi à ceux qui ne sont pas juifs », (Ac 14.27). Cette expérience de « maternité » commence très bien, mais on peut se demander si la relation a tenu, car il n'y a pas d'autres indications sur la relation entre Antioche, l'équipe d'implantation et les Églises. Plus tard, Paul écrit aux Philippiens : « Quand on commençait à annoncer la Bonne Nouvelle (au moment où j'ai quitté la Macédoine) aucune autre Église ne s'est occupé de mon salaire et de mes dépenses, vous avez été les seuls à m'aider » (4.15).
Actes 19.8-10 laisse entendre que l'Église d'Éphèse serait la « mère » de nombreuses Églises de la province d'Asie, mais ne nous présente que très peu d'aspects des modalités de la naissance de ces Églises. De ce rapide survol, on peut conclure que la notion de « maternité d'Église » ne reçoit pas de développement dans les pages du Nouveau Testament, mais qu'elle y existe dans une forme embryonnaire.
LES PARALLÈLES AVEC LA MATERNITÉ HUMAINE
Y aurait-il aujourd'hui une « crise de la maternité » ? En France, entre 1904 et 1994, la natalité baisse de 21,4 à 12,3 naissances pour 1.000 habitants, et la fécondité moyenne des femmes de 2,90 à 1,66 enfants. Entre 1976 et 2004, l'âge moyen des femmes à l'accouchement augmente de 26,6 à 29,6 ans. Depuis un siècle, les femmes françaises de 27 ans n'ont jamais fait si peu d'enfants ! La crise économique de la fin du 20ème siècle augmente le chômage des femmes et la précarité de l'emploi, mais le taux de l'activité féminine et la durée des études continuent à progresser, faisant reculer l'âge de la maternité et baisser le taux de natalité. On parle de « baby krach » ! Entre 1994 et 2006, cependant, la France a connu un certain redressement du taux de la fécondité, de 1,66 à 2 enfants par femme (le taux le plus élevé d'Europe), mais 12% de ces enfants naissent d'une mère de nationalité étrangère, et en 2007, il n'y a toujours pas plus de 11,8 naissances pour 1.000 habitants.
De nombreuses images populaires de la maternité sont peu glorieuses : la marâtre transforme les enfants confiés à sa charge en souffre-douleur ; la mère indigne ne pense qu'à elle-même ; la mère abusive inflige des violences verbales et physiques ; la mère râleuse est comme un robinet qui fuit (cf. Pr 27.15) ; la mère castratrice réduit ses fils en « femmelettes » ; la caricature de la mère juive ne laisse guère de place à ses enfants pour s'épanouir ; et ce serait relativement facile d'allonger la liste. Les mêmes comportements existent probablement chez des « Églises-mères ». Il y aurait certainement aussi des parallèles dans les figures de la mère nourricière, de la mère-enfant, de la mère-célibataire, ou de la mère-porteuse, et ainsi de suite.
Il y a des enfants qui ne viennent jamais, malgré toutes les avancées de la technologie médicale, comme il y a des prodiges de la procréation assistée. Il y a des espoirs de maternité qui sont anéantis par de fausses couches, des avortements naturels ou la mortinatalité, comme il y a des grossesses sans nausées et sans histoires. Il y a des enfants qui arrivent « comme des lettres à la poste », comme il y a des naissances prématurées nécessitant des soins intensifs sous couveuse, et des accouchements compliqués et douloureux.
De brefs entretiens avec des mères de famille font ressortir diverses tendances dans la maternité... Pour la mère épanouie, la maternité est désirée et considérée comme naturelle. Elle est souvent mère de famille nombreuse. Elle renonce à ses ambitions professionnelles ou arrête de travailler pour un temps afin de donner la priorité à l'éducation de ses enfants, et sa plus grande joie est de réunir sa famille autour d'elle. Pour la mère usée, la maternité était plus ou moins désirée, et devient souvent révélatrice de limites ou de fragilités. Elle est dépassée par les besoins de ses enfants et se fait du souci excessif pour leur avenir. Elle risque de sombrer en cours de route et de s'aigrir. La femme privée d'enfants n'a pas trouvé de partenaire, ou elle est frappée de stérilité. La mère indépendante a une carrière et des ambitions personnelles. Après le travail, elle donne la priorité à la vie de couple et aux loisirs. Elle est femme avant d'être épouse, et épouse avant d'être mère. Elle est peut-être très efficace dans l'organisation matérielle, mais pas toujours disponible pour la relation.
Certaines jeunes filles rêvent de bébés, mais ne se projettent pas au-delà de l'époque où elles vont pouponner. Elles oublient que, dans quelques années, le charmant petit bambin aura des boutons sur le nez et des poils au menton, et qu'il y aura bien plus que des biberons et des changements de couche à gérer ! La maternité (si un homme a vraiment le droit d'en parler !) est un gros engagement, un engagement à vie ! Les joies de la maternité peuvent être nombreuses. Elles commencent par une « explosion » de vie à la naissance, se poursuivent par le constat des progrès de l'enfant vers la maturité, et débouchent sur la complicité de la mère avec des enfants adultes. « Ce serait à refaire !... Un ou deux de plus ne m'auraient pas dérangée ! ». À tout cela, cependant, viennent se mêler des douleurs, des sacrifices, des incompréhensions, et des séparations. « J'ai sous-estimé les difficultés. » « Sans l'aide de Dieu, je n'aurais jamais fait d'enfants ! »...
Il ne faut pas se voiler la face. Il convient de parler de « maternité d'Église » sur cette toile de fond bigarrée de l'expérience humaine de la maternité.
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