Merci aux exégètes juifs qui ont bataillé pour que le Cantique des cantiques figure parmi les livres saints. Dans la Bible, contrairement à ce qu’on croit, ce petit texte érotique n’est pas isolé dans son genre. Par exemple, l’éloge de la fidélité conjugale de Proverbes 5.15-23 est plein de délicieux sous-entendus célébrant le plaisir charnel :
« Fais ta joie de la femme que tu as aimée dans ta jeunesse, (...) que ses charmes t’enivrent toujours et que tu sois sans cesse épris de son amour ! »
La chair dérange
Pourtant, le corps n’a cessé d’embarrasser toutes les spiritualités. Certaines ont spiritualisé, voire divinisé le corps ; d’autres l’ont méprisé jusqu’à le maltraiter. Dans la Bible, Adam et Ève sont des êtres de chair, et leur création homme-et-femme précède l’arrivée du péché : la sexualité fait partie de la création « très-bonne » !
Mais sur ce terrain, le Cantique des cantiques ne nous éclaire pas beaucoup. On n’est même pas sûr du nombre de personnages qui s’y expriment. Les théologiens, gênés par les descriptions torrides du texte (« mon bien-aimé est pour moi comme un sachet de myrrhe, entre mes seins il passera la nuit », etc.) y ont cherché des allégories sacrées. Il n’empêche que les images sont là, incontournables, et il s’agit bien d’un poème amoureux sur le mode sensuel. À cet égard, « le plus beau des Chants » est un rempart contre la dévalorisation de la relation sexuelle qui a fait tant de mal dans la chrétienté.
Dieu, l’inventeur de la sexualité
C’est le mérite de la Réforme d’avoir redécouvert que, si Dieu nous a créés avec un corps, celui-ci est donc à honorer. Pensant que la sexualité est soumise à des désirs impurs, Luther l’a cependant réhabilitée jusque dans sa vie personnelle puisque ce moine épousera Katharina von Bora, une ancienne religieuse, avec qui il aura une belle vie amoureuse et six enfants, et qu’il traitera comme son égale. Dans le protestantisme, la virginité est désacralisée. Un peu plus tard, les Puritains (qu’on assimile à tort à des gens coincés) iront jusqu’à prêcher dans leurs Églises la pratique d’une vie sexuelle fidèle dans laquelle le mari doit procurer du plaisir à sa femme !
Le Cantique des cantiques, c’est à remarquer, est parcouru par une inquiétude latente. L’amour n’est pas quelque chose dans quoi on serait installé : il est toujours à renouveler, à entretenir, à conquérir. De ce point de vue, la vie conjugale est, ici comme ailleurs dans la Bible, une parabole des relations d’amour entre Dieu et les humains : pas faciles, mais belles.
Vivre à fond
Enfin, dans notre époque qui oscille entre le goût de son petit confort et l’aspiration à vivre dans les extrêmes, le feu qui embrase les amoureux est une image du jusqu’au-boutisme de l’amour biblique. Certain(e)s donneraient tout pour l’élu(e) de leur cœur ; d’autres donnent leur vie entière à leur prochain avec ce même élan. Dans le film Des hommes et des dieux, une jeune fille demande à un moine s’il a déjà été amoureux : « Oui, plusieurs fois. Puis après il est arrivé un autre amour, plus grand encore, et j’ai répondu à cet amour-là. »