Quand je l’ai vu, je ne l’ai pas reconnu. Son visage me disait vaguement quelque chose. Il m’a fallu quelques secondes avant de me rappeler son nom. La dernière fois que nous nous étions vus, il était très mince. Maintenant il était potelé. Je le lui ai fait remarquer ; il a rigolé et m’a dit qu’avant il faisait de la course. Depuis qu’il avait arrêté le sport, il continuait de manger autant et en payait les conséquences.
Une demande inattendue
Tout d’un coup, il m’a demandé pardon pour des événements qui s’étaient passés il y a de longues années. J’étais gêné. Que lui répondre ? Que je lui pardonnais ? Cela me semblait trop condescendant. C’est vrai que nous avions eu des différends dans notre collaboration, mais c’était du passé. Je lui ai souri et lui ai dit que tout allait bien entre nous, que c’était du passé, que j’étais content de le voir.
Peut-être qu’à l’époque du conflit, j’aurais aimé qu’il me demande pardon. Mais maintenant ? Tout cela semblait si loin. Pour lui, c’était un soulagement de me parler ; pour moi, c’était une gêne. J’avais oublié.
Notre société ne prône pas le pardon
Face à l’offense, plusieurs attitudes sont possibles. Constatons que notre société ne prône pas le pardon. Elle met plutôt en exergue la vengeance. Nous aimons le Comte de Monte-Cristo parce qu’il est animé d’un désir de vengeance implacable. Les livres et les films sur le pardon ne font pas recette.
Ceux sur la vengeance ont du succès. Pourquoi ? Parce que nous désirons tous que les méchants soient punis ; cela nous semble correspondre à un sentiment de justice ; mais est-ce le cas ? Nous savons bien que confondre vengeance et justice est un leurre. La vengeance n’est pas la justice.
Pardon et justice
Le pardon n’est pas la justice non plus. Le pardon, c’est la capacité à vaincre le ressentiment envers celui ou celle qui m’a offensé(e). C’est donc apaiser une émotion. Dans ses travaux sur le deuil, le docteur Kübler Ross indique cinq étapes pour arriver à l’acceptation : le déni, la colère, la tristesse, le marchandage, et enfin l’acceptation. Pardonner, c’est sans doute parcourir un chemin similaire. Cela ne se fait pas en un jour.
Pardon sans condition
Peut-on pardonner si l’autre n’en fait pas la demande ? L’exemple de Jésus sur la croix est significatif car il dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Nous avons donc le privilège de pardonner, même si l’autre ne nous le demande pas. Ceci est important. Attendre une démarche de l’autre, qui ne viendra peut-être jamais, nous condamnerait à être dépendants de lui. Pouvoir pardonner quelqu’un, même s’il ne demande rien, nous rend notre liberté. À condition que ce soit une démarche simple, humble, modeste. Si nous sommes dans l’orgueil, la suffisance, la condescendance, nous passerons à côté de la liberté.
Cette parole de Jésus nous fait aussi réfléchir sur nous : existe-t-il des situations où nous avons offensé l’autre sans nous en rendre compte ? Notre sensibilité est différente ; ce qui offense l’un n’offensera pas l’autre. Nous avons donc pu blesser l’autre sans nous en rendre compte.
Pardonner et demander pardon, une libération
Nous voyons souvent le pardon comme une démarche éprouvante, et elle peut l’être, mais nous oublions la puissance de libération qu’elle contient.
Voilà un homme qui a fait du tort à son prochain. Mais finalement, il est perturbé intérieurement. Prendre l’initiative de demander pardon peut lui apporter un sentiment de soulagement immense. La démarche est difficile, mais les conséquences bénéfiques. Même si l’autre refuse de lui pardonner, s’il a fait la démarche sincèrement, il se sentira libéré.
Voilà une personne qui rumine sur le mal qu’on lui a fait. C’est normal. Mais c’est destructeur. Ressasser inlassablement le passé, rester bloqué sur des émotions négatives, caresser des idées utopiques de vengeance ne détruit pas l’offenseur, mais l’offensé. Pourquoi lui donner cette seconde chance de nous faire du mal ? Seul le pardon peut libérer, c’est-à-dire permettre un nouveau départ, avec des émotions positives.
Perdre pour gagner
Nous ne voulons pas pardonner parce que nous avons l’impression de perdre quelque chose. C’est vrai, nous perdrons quelque chose, mais ce quelque chose, c’est du négatif. Comprendre que le pardon remplira ce vide par du positif, du soulagement, voire de la joie, nous aidera à franchir le premier pas.
Pardonner n’est pas cautionner
Je ne nie pas le mal que l’autre m’a fait. Il est bien réel. Dans certains cas, pour de petites choses, je le relativise. Dans d’autres cas, le temps opère son travail de guérison. Dans des cas graves ou très graves, mon pardon peut s’accompagner d’une demande de réparation, voire d’une action en justice. Le violeur, même pardonné par sa victime, doit être jugé.
C’est quoi pardonner alors ?
Comment oublier un événement qui m’a fait souffrir, et qui, quelquefois, me fait encore souffrir ? En réalité, pardonner, c’est surmonter cette souffrance, l’apaiser, c’est ne plus être subjugué par l’émotion, c’est accepter l’autre sans l’identifier à ce comportement qui m’a blessé. Cela ne veut pas forcément dire se réconcilier, mais c’est accepter de regarder l’autre avec distance et laisser à Dieu le privilège de juger.
Cinq réactions possibles face à l’offense
L’indifférence lorsque nous banalisons l’offense, qu’elle ne nous « touche pas » ; ou alors quand le temps a fait son œuvre.
La frustration, voire l’humiliation, quand nous ne pouvons pas réagir.
La rancœur lorsque nous ruminons inlassablement notre douleur.
La vengeance lorsque nous décidons d’agir et de faire du mal à l’autre.
Le pardon quand nous décidons de surmonter notre ressentiment.