1965 Harlem. Une dizaine de jeunes Français, arrivés le matin même sur le sol américain, déambulent en soirée. Entendant chanter du gospel, ils entrent dans une petite salle où ils sont invités à s’asseoir. Une petite communauté de Noirs chantent, prient et offrent quelques aliments quand les Français quittent les lieux.
Excités par l’invitation improvisée, les jeunes commentent à voix forte. Il est 20 h, il fait chaud. De jeunes Noirs sont affalés sur des voitures garées le long du trottoir. Une canette de soda lancée d’un étage atterrit aux pieds des jeunes Blancs. C’est le signal : les Noirs les encerclent et le climat commence à chauffer. Des adultes du quartier interviennent rapidement et les accompagnent jusqu’au métro. Ouf, les Français ont l’impression de l’avoir échappé belle !
1967 San Francisco. Je loue une chambre selon la pratique nord-américaine. Ici, cinq chambres sur le même étage partagent cuisine, toilettes et salle de bain.
Mes voisins et voisines : Luis, un Mexicain gardien dans un palace non loin, Lynn, une Chinoise, Gloria, une Afro-américaine, et Rosy, aux fossettes blanches est étudiante aux Beaux-Arts. Nous faisons bon ménage et partageons parfois un repas aux spécialités des uns ou des autres. Un beau souvenir de cohabitation multicolore et apaisée.
1969 Abidjan. Débarquée le matin même, je quitte l’hôtel et prends le bus pour me rendre au centre-ville. Le bus est plein et des voix s’élèvent : « Que fait donc une Blanche dans un bus pour les locaux ? Les Blancs, ça prend le taxi ! » J’ai compris, c’est ce que je ferai au retour.
Par contre, j’ai sillonné le pays en taxi-brousse et on ne m’a jamais fait remarquer que j’étais la seule Blanche à bord.
1971 Tripoli. Une escale de la croisière permet de visiter le site de ruines romaines de Leptis Magna. La visite des souks, elle, nous met mal à l’aise. On nous ignore, on répond à peine à nos questions, on ne se sent pas les bienvenus… Ce n’est pas en Lybie que nous ferons le plein de nos achats de souvenirs.
1983 France. Un jeune couple de Sri-Lankais est employé dans le centre de séminaires et loge au-dessus du restaurant. L’année suivante s’ajoutent les deux enfants et la belle-mère. À la fermeture du week-end, de nombreux amis les rejoignent. De fortes odeurs d’épices subsistent encore le lundi à l’ouverture des salles de réunion. Le trop plein de visites et d’odeurs devient difficile à supporter. Le jeune couple s’intégrait bien ; par contre famille et amis sont devenus envahissants.
1984 Inde. Nous sommes deux blondes, trentenaires, venues visiter le Rajasthan. Un essaim de jeunes Indiens fait cercle autour de nous, sans agressivité, juste pour nous approcher. Leur nombre fait écran et nous respirons mal d’autant que le mercure affiche 38°C. Pour nous deux, de l’inconfort mais aucun danger.
1998 Paris. Solange trébuche dans le couloir du métro et s’affale. Arrivent des jeunes qui se penchent et elle entend : « C’est une vieille, laisse tomber ! »
2000 Paris. Anissa arrive d’Alger pour ses vacances. Après avoir voyagé en métro, elle confie : « Mais on ne se sent plus en France ! »
2008 Paris. Réaction semblable de Raja, jeune Indien de retour pour ses études après trois ans d’absence : « Il y a trop d’étrangers à Paris ! »
2016 Inde. Raja emmène sa blonde épouse au Taj Mahal, à Delhi. Ils sont assaillis par des hommes qui s’approchent d’elle pour prendre des selfies. Cilla et Raja interprètent ceci comme du sans-gêne. Raja a beau s’énerver, les locaux ne voient pas où est le problème. Raja, lui, est blessé par les remarques désobligeantes à son encontre sur les hypothèses de son mariage avec une Blanche !
Réflexions personnelles
J’ai beaucoup apprécié toutes mes rencontres dans des pays si différents. Quelle belle diversité ! Aujourd’hui, j’accueille avec plaisir des personnes venant de l’étranger.
Cependant, je dois reconnaître ma difficulté lorsqu’ils amènent dans l’entourage toute leur large famille et qu’ils débordent les limites de nos us et coutumes. Comment faire ?
Le racisme : une affaire de couleur, d’odeurs, d’âge, d’ethnie, de sexe, de nombre… ? Ou parfois un subtil mélange de tout ça ?
Jusqu’aux années 1990, on pouvait dire, ici et là, un noir, un blanc, un arabe, un jaune… sans que cela prête à conséquence. Depuis lors, ces termes sont devenus beaucoup plus sensibles au point d’avoir peur de les utiliser.
Retourne chez toi !
Dans la file d’une caisse, au supermarché de Phoenix, en Arizona, une femme parle au téléphone. Son voisin s’agace et lui dit vertement : « Si tu ne parles pas anglais, retourne au Mexique. » Ce à quoi la dame répond dans un accent impeccable : « Si tu ne parles pas Navajo, retourne en Angleterre car tu foules ici la terre de mes ancêtres. »
Mon expérience avec les Roms
2007. J’arrive au camp de Roms en me tordant les chevilles sur les morceaux de briques cassées qui atténuent la glissade dans le passage boueux. Des enfants accourent, tendent la main pour un bonbon et me précèdent jusqu’à la cabane en tôle d’Anka. Je suis accueillie par un large sourire.
2015. Un autre camp, plus éloigné de la ville. J’arrête la voiture non loin et sors le portable pour appeler Alina qui vient à ma rencontre. Cette fois, les enfants et tout ceux qui traînent aux abords sont dissuasifs. Je n’ose pas aller plus loin.
2017. Quand j’arrive à la caisse du supermarché avec Anka et ses amies Roms, j’observe les gens qui lorgnent sur leurs jupes bariolées et sur le caddie plein. Pour quelques regards compatissants, combien d’autres réprobateurs, voire quelques-uns assassins ! Et sur le parking, un homme m’invective : « Il ne faut pas aider ces gens-là ! »
L’autre jour, mes amies Roms ont amené la petite Irina, si jolie et si câline. Des clients ont souri des bisous qu’elle me donnait. Sa maman, elle, m’a offert un visage débordant de reconnaissance. Son sourire bienfaisant, malgré la situation qu’elle endure, m’a accompagnée sur le chemin du retour !
Je n’ai pas de solution, pas même de réponse valable aux questions que d’aucuns se posent sur les Roms. La seule chose que j’oppose à mes détracteurs, policiers compris, est la parole de Jésus : « Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites » (Matthieu 25.40).