Les innovations juridiques et techniques nous donnent toutes sortes de moyens pour nous dispenser des échanges avec les autres. Nous pouvons, par exemple, acheter en ligne des produits qui arrivent, ensuite, dans notre boîte aux lettres, sans que nous ayons rencontré personne. On économise, ainsi, du temps, des discussions, voire des négociations.
Des échanges toujours plus brefs
Depuis longtemps, les assurances sociales autant que les assurances privées nous donnent le moyen de ne plus dépendre des autres s’il nous arrive un ennui. Dans le travail, chacun poursuit sa carrière comme il peut ou comme il l’entend. Les employeurs ne font plus tellement attention aux collectifs de travail. Les équipes évoluent au gré des projets, ou des délocalisations. Et les salariés voguent (de plein gré ou contre leur gré) d’un emploi à l’autre. Dans le domaine économique, on préfère souvent passer des contrats écrits, plutôt que de devoir négocier avec des équipes stables, éventuellement récalcitrantes. Dans bien des domaines, les relations verbales sont considérées comme peu efficaces. Et même sur les réseaux sociaux, beaucoup préfèrent exprimer leur opinion par des phrases brèves, plutôt que de devoir argumenter longuement avec quelqu’un qui leur fait face.
Une perte de sens
Nous sommes seuls, nous sommes réputés autonomes, mais beaucoup perdent le fil de leur vie. Le fait que chacun soit face à une tâche, avec peu de possibilités d’échange, engendre des burn-out. Pour qui, pour quoi, comment travaille-t-on ? On perd le sens de ce que l’on fait, soit parce qu’on perd de vue l’utilisateur final de son travail, soit parce qu’on a en face de soi un bénéficiaire que l’on n’a pas les moyens d’aider comme on le souhaiterait. Qui dit isolement dans le travail, dit souffrance.
Il y a peu de lieux où nous sommes reconnus comme des personnes dignes d’intérêt, quel que soit ce que nous faisons dans le moment présent. Il faut générer des « likes » à jet continu. Même les couples sont vulnérables et doivent sans cesse faire leurs preuves. Cela engendre des personnalités fragiles et continuellement sur le fil du rasoir.
Compter pour les autres
Or, il arrive à beaucoup d’entre nous de vivre des situations de souffrance et de détresse. Il est très difficile de les traverser si nous pensons que personne ne s’intéresse à notre sort et que nous ne sommes, au fond, utiles à personne si ce n’est à nous-mêmes. Les personnes âgées se laissent glisser lorsqu’elles perdent leurs relations sociales les unes après les autres. Et même des adultes chutent lorsque les ruptures familiales et professionnelles s’enchaînent.
Les relations humaines sont compliquées, souvent, mais ce sont pourtant elles qui nous aident à vivre. Alors c’est peut-être le moment d’investir à nouveau dans des cercles où nous nous apprécions les uns les autres quelles que soient les péripéties que nous traversons.