Vingt ans après le rêve de Martin Luther King, qu'en reste-t-il à Harlem, ghetto noir de New York ? Au milieu de la mauvaise graisse, des fumeurs de crack et de parents abusifs, pousse une fleur délicate sous des dehors grossiers : Precious* (« Précieuse » en français).
Difficile de vivre pire
Violée par son père de qui elle attend son second enfant, abusée verbalement et physiquement par sa mère, moquée par tous pour son obésité, Precious, 16 ans, intègre un programme spécialement adapté aux filles-mères.
Tiré de l’histoire vraie de Ramona Lofton, adapté par la romancière Sapphire, le film met en scène quantité d’artistes de la scène noire des États-Unis. Citons Lenny Kravitz en gentil infirmier, Paula Patton en institutrice et, totalement méconnaissable sans strass ni paillettes, Mariah Carey en assistante sociale de l’Amérique de 1987.
Le « salut » de Precious passera d’abord par l’apprentissage de l’écriture, libératrice. Devant la montagne d’impossibilités qui se dresse, Precious s’entend dire que « le voyage le plus long commence par un simple pas », une vérité universelle que nous pourrions nous répéter à nous-mêmes par moments.
C’est lors de la révélation de sa maladie qu’elle nous donne la plus belle leçon, nous dont la vie, somme toute, n’a été qu’un « long fleuve tranquille » en comparaison. Precious, qui vient de quitter la prison familiale avec son fils nouveau-né, voit sa nouvelle vie brisée par la révélation de son sida. Détruite, elle hurle sa douleur d’un amour qu’elle n’a jamais connu : « L’amour a rien fait pour moi. L’amour m’a battue, violée et m’a traitée d’animal, m’a fait sentir inutile et rendue malade ». Et son institutrice, en larmes, de lui répondre : « C’était pas de l’amour, Precious ».
Comme un papillon
Le slam naïf de Precious a bouleversé l’Amérique. Écoutons-là encore exprimer sa reconnaissance à ceux qui l’ont aidée : « Ya des gens qui ont une lumière autour d’eux qui brille surtout pour les autres. C’est comme s’ils avaient été dans un tunnel et, dans le tunnel, peut-être que la seule lumière qu’y avait était à l’intérieur d’eux... » Comme une préfiguration de l’autre monde, Precious, un « monstre » enfermé dans une existence « larvée » ici-bas, est représentée sur l’affiche du film avec les ailes du plus grand des papillons, un monarque. Et l’on pense aux paroles de Jésus : « Heureux ceux qui pleurent, car Dieu les consolera ».
En 1968, ce pasteur noir qu’on finit par assassiner pour le faire taire comme on fait taire la voix de sa conscience, disait : « Ne nous complaisons pas dans la vallée du désespoir. (...) J'ai un rêve qu'un jour, chaque vallée sera levée, chaque colline et montagne seront nivelées (…) et la gloire du Seigneur sera révélée, et tous les hommes la verront ensemble ».