«Je chanterai l’Éternel tant que je vivrai», dit la Bible (1). C’est quand le chant cesse que vient la mort, à l’image de la crucifixion de Jésus-Christ, qui se déroule peu après qu’il eut chanté pour la dernière fois des psaumes avec les disciples (2). Ce lien entre le chant et la vie, nulle autre mieux qu’Édith Piaf a su l’incarner.
La « môme Piaf », admirablement interprétée par Marion Cotillard dans le film d’Olivier Dahan (3), n’a pas eu la vie facile. Le film ne nous cache pas grand-chose de ses addictions (à l’alcool, à la drogue), de son milieu social difficile (élevée dans une maison close, proche pendant un temps de la pègre parisienne), de ses drames (mort accidentelle de Marcel Cerdan, l’amour de sa vie), de ses naufrages (déliquescence physique précoce sous l’effet d’un excès de morphine).
Pourtant, ce petit bout de femme, en apparence si fragile, s’est transfiguré par le chant. «Tant qu’elle a vécu», elle a chanté, comme une nécessité intérieure, la misère et l’espoir, la solitude et l’amour, les grandeurs et les faiblesses de l’humaine condition.
Au-delà des paillettes
Dans le dernier quart du film, Marion Cotillard restitue à la perfection la passion avec laquelle Piaf, usée et vieillie, s’empare d’un dernier «tube», la fameuse chanson «Non, rien de rien, non je ne regrette rien». Éteinte et abattue avant qu’on lui présente ce titre, elle s’illumine soudain, quand elle comprend qu’elle dispose là d’une nouvelle occasion de vibrer par le chant, dans l’Olympia de Bruno Coquatrix, au mépris du temps qui la condamne.
Pieuse à sa façon (elle invoquait Sainte Thérèse et le petit Jésus), Édith Piaf n’avait rien d’une chrétienne orthodoxe. Pourtant, la radicalité de son engagement artistique, la force tragique de sa voix font davantage penser à une prière qu’à une performance commerciale. Même si elle aimait se payer du champagne, Piaf ne chantait pas pour gagner de l’argent.
Elle ne chantait pas non plus pour la gloire, même si les applaudissements la rassuraient. Ce que l’écho de son chant nous rappelle, au-delà des paillettes, c’est le mystère de la musique quand elle se fait prière secrète, défiant le silence de la mort.