Un jour, Jésus est questionné, mis à l’épreuve par des spécialistes de la Loi religieuse. Ceux-ci placent devant lui une femme surprise en flagrant délit d’adultère. Selon la Torah, que le maître a souvent invoquée en lui accordant autorité et respect, une telle femme doit être lapidée. Mais pas elle seulement ; le partenaire aussi ! Pourtant, l’homme n’est pas présent. Jean, le narrateur, précise que l’intention des religieux n’est pas en réalité de faire justice, ni d’exercer la loi avec la plus grande rigueur, mais de piéger Jésus. Ils voudraient lui faire dire une parole qui pourrait contredire celle de Dieu, ou la sienne propre.
« Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l’accuser.
La référence à Moïse est inattaquable, garantie implacable de vérité. Même si les pharisiens donnent du « Maître » à Jésus, aucun maître ne peut contester Moïse. Jésus aurait pu s’empresser d’apporter une réponse adaptée à la situation. Il aurait pu faire un discours théologique comme lorsqu’on lui demande ce qu’il faut faire pour divorcer. Il aurait pu rappeler les détails de la Loi et demander où est passé « l’homme adultère ». Non ! Il garde le silence, pas tant pour réfléchir à la réponse à donner que pour obliger ses interlocuteurs à réfléchir eux-mêmes. Le silence et l’attitude de Jésus contraignent les questionneurs à se questionner. Ce qui donne encore le temps aux religieux d’anticiper un argumentaire pour contrer, contester, ferrailler ou critiquer.
Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol.
Que ne donnerions-nous pas pour savoir ce que le Seigneur, qui n’a laissé aucun écrit, a inscrit sur le sol ! Des centaines de propositions ont été apportées par autant de commentateurs, souvent très imaginatifs ! Cependant, Jean ne donne aucune indication. Jésus note-t-il la Loi invoquée ? Dessine-t-il un petit bonhomme pour rappeler l’absent ? Écrit-il en hébreux ou en araméen ? Rien ne peut nous mettre vraiment sur la piste. On consignera surtout l’impatience des accusateurs. Alors, Jésus se relève… D’ordinaire, pour enseigner, comme le veut la coutume, il s’assied toujours. Ici, il se redresse, debout, devant les religieux qui, dans leur rectitude, sont prêts à lapider une femme. De fait, il s’oppose. Il défie. Il dicte non un verdict, mais une implication personnelle dans la justice à accomplir.
« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. »
Cette parole, absolument magnifique, donne raison aux accusateurs. Il est juste de lapider puisque la faute semble avérée. Mais celui qui juge doit être celui qui exécute. Et celui qui exécute la justice doit être irréprochable au regard de cette Loi qui est appliquée ici.
La scène, qui était placée sur le registre dramatique et doublée d’une violence malsaine (puisqu’il s’agit de piéger Jésus), vire d’un seul coup au burlesque.
Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu'aux derniers.
J’imagine le sourire en coin de la foule invitée à la confrontation qui tourne au désavantage de ceux qui l’avaient mise en place. J’imagine le regard fuyant des religieux. J’imagine le soulagement de la femme. Mais je suis surtout émerveillé, pas seulement par l’art avec lequel Jésus désamorce la bombe, mais par la position de juge qu’il s’est soudain octroyé.
En effet, Jésus reconnaît que la femme est coupable et que la Loi doit être exécutée. Mais en réclamant l’innocence pure et parfaite du juge pour accomplir la sanction, il a discrédité tous les hommes présents, tout religieux légalistes qu’ils sont. Or, il ne reste plus, dans ce décor, que Jésus et la femme. Et Jésus remplit le critère exigé : il n’a jamais péché !
Si donc la femme est coupable, si donc la Loi doit être respectée, si donc le verdict tombe, si donc la justice doit être accomplie par celui qui n’a jamais péché, Jésus s’est donné l’autorisation de ramasser la première pierre et la jeter.
Face aux religieux, Jésus n’est plus le charpentier de Nazareth. Il est le Grand-prêtre que Paul discernera bientôt. De part et d’autre de la femme accablée, les spécialistes de la Loi et le Grand-prêtre. Et voici ce qu’il faut découvrir :
« Le grand-prêtre que nous avons est capable de souffrir avec nous de nos faiblesses. En effet, comme nous, il a été tenté en toutes choses, mais lui n’a pas péché. »
Sans commettre de péché ! Il est là, le juste juge irréprochable.
Jésus s’est donc assuré de la légitimité parfaite et probe pour exercer la Justice divine. Tous les hommes sont pécheurs, mais lui n’a jamais péché ! Il peut se saisir de la pierre.
S’il la jette, il est dans son plein droit ; nul ne pourra lui faire de reproche, même en prenant appui sur la Loi de Moïse. Mais surgit une révolution : l’unique qui a le droit d’exercer la Justice décide de ne pas frapper. Non pas la sanction mais le pardon.
« Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t'a donc condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas ; vas-y et désormais ne pèche plus. »
Voilà ce qui est bouleversant : le seul qui est légitime pour exercer le jugement décide d’accorder la grâce. Il y a ici plus que Moïse, il y a le Fils de Dieu, et avec lui, toute la dimension de la grâce, le don gratuit qui sauve et qui fait passer de la mort à la vie.
Quelle bonne nouvelle !