II – OSER ÊTRE UN CORPS
Nous avons parlé de devenir à la suite du Christ, des enfants du Père, une même famille. Et Paul précise le lien de cette réalité avec l’Esprit de Dieu: «C’est dans un seul Esprit que nous tous, pour former un seul corps, avons été baptisés, soit juifs, soit grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit» (1Co 12.13). Nous sommes donc ensemble dans la même solidarité que les membres ou les organes d’un corps.
La centralité du Christ
«Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part» (1Co12.27). Nous sommes un corps, mais pas n’importe lequel; nous sommes le corps du Christ, nous qui sommes ou qui nous voulons ses disciples. Vivre en corps, c’est vivre les uns et les autres dans la proximité de Jésus, dans cette capacité d’être changés par lui en vue de lui devenir de plus en plus semblables. Et pour cela, qui est l’essence même du développement de la vie spirituelle, nous avons besoin du corps, c’est-à-dire les uns des autres. Je voudrais indiquer quelques aspects de cette interdépendance. Il y en a bien d’autres, mais vous verrez que c’est, en quelque sorte, une manière de souligner le caractère communautaire de ce que nous avons développé précédemment.
Oser être vrais
Si nous sommes un corps, il faut que nous puissions être les uns et les autres en relation. Or, la difficulté de cette relation, c’est qu’elle nous expose au moins un peu aux autres. Et notre réaction naturelle est alors de nous protéger et de présenter un visage lisse. Si nous faisons cela, il y a de grandes chances pour que cela marche. Le défaut, c’est qu’en agissant ainsi, nous nous conduisons comme si nous étions non un corps, mais comme un ensemble de spectateurs. Pour être un corps, il y a la nécessité d’une certaine transparence. Je précise «une certaine» pour nous préserver du rêve parfois dangereux de transparence absolue. Nous ne serons jamais complètement transparents les uns aux autres. Et c’est tant mieux; un certain jardin secret est légitime et les frères et sœurs n’ont pas de droit de regard sur notre intimité.
Et cependant… tout cela est vrai mais n‘est que la moitié de la vérité. Car, pour être un corps, il faut aussi que nous acceptions d’être vrais devant les autres membres du même corps. Et être vrai, c’est oser reconnaître ses faiblesses. Nous apprendrons, nous grandirons dans la mesure où nous accepterons d’être nous-mêmes en vérité devant les autres. Nous pouvons penser que cette manière de s’exposer est à craindre et on peut le comprendre, mais elle est indispensable si nous voulons grandir. Le corps qu’est l’Église doit être un lieu où il est possible de partager l’essentiel de nos difficultés, de nos fardeaux, de nos faiblesses. Bien sûr, pas tout le temps ni à n’importe qui. Mais ce partage est le point de départ de la possibilité de guérir. Mais nous reviendrons sur cette dimension dans les pistes de conclusion.
Oser donner et recevoir
Si nous pensons que le corps a un sens, il nous faut accepter ses interactions. Les membres d’un corps ne sont pas des soldats de plomb ou de terre cuite mis côte à côte. Les membres d’un corps reçoivent et donnent les uns aux autres. Il y a des gens qui ne veulent que recevoir. Dans une Église, ils restent des consommateurs, des passants qui restent tant que leur présence dans l’Église leur apporte quelque chose. À ces gens-là, il faut rappeler que l’Église est aussi un lieu où l’on doit donner. Dans une famille, celui qui ne fait que recevoir sans jamais donner devient un peu un pique-assiette. Mais il existe aussi des gens qui ne savent que donner et jamais recevoir des autres. C’est que recevoir peut s’avérer parfois difficile. Lorsque je donne, je me trouve dans une situation de supériorité relative. Or l’Église est un lieu de partage, un lieu où tout membre est à la fois et parfois successivement celui qui donne et celui qui reçoit. Et c’est cette dynamique d’échanges qui est le meilleur rempart contre une relation négative, une relation rendue difficile à cause de la différence de ce que nous sommes. Dans la communauté comme corps, je donne parfois et parfois je reçois. Cela est vrai dans notre relation à Dieu comme dans notre fraternité, les uns avec les autres… Je donne à l’un et je reçois d’un autre; ou je donne à un moment et une autre fois j’ai besoin de recevoir. Nous mettons parfois des barrières pour nous protéger des autres et de Dieu, et même parfois de nous-mêmes.
Donner et recevoir, c’est accepter que j’aie des dons dont les autres doivent profiter et que les autres en ont dont j’ai besoin.
Oser accepter les différences
Nous avons parfois du mal à accepter que nous sommes différents les uns des autres. Or, nous avons besoin de ces différences. D’ailleurs, elles viennent de Dieu lui-même. Après avoir parlé de la diversité des dons et des services, Paul ajoute «à chacun, la manifestation de l’Esprit est donnée pour le bien de tous» (1Co 12.7). Puis, après avoir dressé une liste rapide des dons, il ajoute «toutes ces choses, c’est un seul et même Esprit qui les accomplit, en les distribuant à chacun en particulier comme il veut» (11), et encore un peu plus loin: «en fait, Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il a voulu» (18). «Puisque chacun a reçu un don, mettez-le au service des autres, en bons intendants de la grâce si diverse de Dieu» (1Pi 4.10).
Qu’est-ce que cela nous apprend? D’abord que c’est Dieu qui a créé cette diversité, l’Esprit accordant aux uns et aux autres des dons différents. Il nous faut donc essayer de discerner les dons qui sont les nôtres. Le but de ces dons est le bien de tous (l’utilité commune). Nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir et, mis à part le don des langues selon Paul, pas même pour nous édifier. Non, le but est le bien de tous. Nos dons sont un service pour le bien de l’Église. Et vous avez sans doute remarqué que par 2 fois, Paul insiste: Dieu a accordé des dons «comme il a voulu». Cette diversité des dons est donc voulue de Dieu et à cultiver. Nous avons toujours tendance à avoir du mal à accepter ceux qui ne pensent ou ne vivent pas comme nous. Mais c’est la richesse de l’Église d’être le lieu de manifestation de dons très divers pour le bien de l’Église de Dieu.
C’est alors à nous, en Église de chercher à reconnaître les dons qui nous sont faits, de chercher à les discerner, et de recevoir avec reconnaissance ceux des autres. Or, accepter la différence est chose difficile. De même que nous avons plus de facilité à aimer nos semblables, nous accueillons plus facilement les dons les plus habituels, les plus classiques, ceux qui ne dérangent rien. Mais si nous partons du principe que c’est Dieu qui accorde les dons, il parait naturel de les accepter avec reconnaissance.
La conclusion concerne donc à la fois chacun de nous et l’Église elle-même.
C’est en effet à chacun de se disposer à recevoir et à donner, de s’attendre à recevoir des autres ce qu’ils peuvent lui apporter (alors que nous nous pensons parfois autosuffisants) et d’avoir assez le souci du bien des frères et sœurs pour leur apporter ce que nous avons nous-mêmes reçu.
Mais cela veut dire que l’Église doit être ainsi faite qu’elle permette et facilite ces échanges. Y a-t-il un espace pour cette interaction entre les membres? L’Église facilite-t-elle la recherche des dons de chacun?
Oser se laisser bousculer
Nous aimerions un Dieu qui nous ouvre des horizons nouveaux à condition que nous ayons pu les choisir sur catalogue. Nous voudrions qu’il nous suive sagement sur nos propres chemins. Et nous nous arrangeons pour qu’il n’ait guère la possibilité de venir bousculer nos plans. Or, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Soit nous demandons à Dieu de nous montrer ses plans et de nous ouvrir le chemin, soit nous lui demandons d’avoir la gentillesse de suivre les nôtres. Et comme il est rarement de ceux qui forcent les portes, il attendra patiemment que nous voulions bien lui ouvrir.
Mais ce n’est pas ainsi qu’il veut conduire l’Église. Ses idées ne sont pas nécessairement les nôtres. C’est ce que Paul dit: «Empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la Parole dans l’Asie, Arrivés près de la Mysie, ils se préparaient à entrer en Bithynie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas» (Ac 16.6-9). Et c’est ensuite que Paul aura une vision qui le conduisit en Macédoine. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Esprit nous mène où il veut, pour notre bien et celui du plan (souvent incompréhensible par nous) de Dieu.
Nous voudrions souvent domestiquer le Saint-Esprit, l’assigner à résidence. Nous voudrions nous assurer qu’il nous dira ce que nous souhaitons entendre, mais qu’il ne nous montrera pas de chemins que nous ne souhaitons pas prendre. Cela est vrai en partie sans doute pour beaucoup d’entre nous dans notre vie personnelle. Mais c’est aussi vrai de l’Église. Une communauté peut tout à fait se garder d’écouter la voix et le projet de Dieu. Sommes-nous sûrs de chercher et de former une Église qui accepte d’être bousculée par Dieu ou souhaiterions-nous simplement que Dieu nous aide à aller où nous souhaitons aller?
Je voudrais maintenant souligner simplement deux des moyens accordés par Dieu à son Église et que nous risquons de ne pas recevoir par méconnaissance ou par crainte de ce que d’autres en font. Il s’agit de la guérison et de l’accompagnement.
La guérison ou, au moins, le soin des malades
Qu’est-ce que je veux dire par là? Dans une Église vont se retrouver des gens de toutes sortes. Mais, tout naturellement, un bon nombre de personnes qui auraient besoin d’aide. Rappelez-vous que Jésus ne se contentait pas de prêcher, il guérissait les malades. Je ne crois évidemment pas que tout malade physique doit et peut être guéri. Je crois que nous devons prier pour les malades et que Dieu peut les guérir. Mais nous savons tous par expérience plus ou moins directe que tout le monde ne guérit pas. Les Églises qui prétendent le contraire devraient avoir un nombre de centenaires très supérieur à la moyenne nationale. Et nous savons bien que ce n’est pas le cas. Mais parmi les gens que nous rencontrons, beaucoup ont d’autres soucis, d’autres souffrances que physiques. Des problèmes spirituels ou psychologiques, des souffrances qu’ils traînent derrière eux depuis de nombreuses années. Ces gens-là trouveront-ils de l’aide dans les Églises ou non? Bien sûr, les Églises annoncent le salut et c’est l’essentiel, j’en suis bien d’accord. Mais Jésus, qui annonçait le Royaume, ne s’est pas limité au salut des âmes, il a guéri ceux et celles qui venaient le rencontrer.
Croyons-nous que Dieu peut effectivement quelque chose pour les hommes et les femmes que nous côtoyons, dans l’Église ou à ses portes, et qui espèrent trouver la guérison de leurs maux? Peut-être avons-nous besoin, comme nous le disions précédemment, de permettre aux dons qui sont dans l’Église de se manifester. Prière pour les malades, guérison intérieure, guérison des souvenirs… Nous aurions tort de laisser toutes ces choses aux Églises dites charismatiques. Peut-être nos manières de faire seront différentes, mais lafolie serait de ne rien faire, de nous en remettre simplement à la médecine, la psychologie ou la psychiatrie. Je suis sûr que toutes ces disciplines sont indispensables, qu’elles nous apportent beaucoup. Mais en nous désintéressant des personnes en difficulté, nous faisons de l’Évangile une doctrine – certes bienfaisante – et nous laissons de côté sa puissance de vie.
L’accompagnement spirituel
Souvent, nous le savons bien, nous laissons les gens se «dépatouiller» tout seuls. Ils sont venus dans l’Église car ils étaient en recherche; nous les avons accueillis. Nous les laissons ensuite avec la Bible et la prière. Et, d’une certaine manière, bien sûr que nous avons raison car il s’agit bien des deux éléments essentiels de la spiritualité. Oui, d’une certaine manière, mais d’une certaine manière seulement. Car cet individualisme est beau, mais il ne répond pas aux attentes de la plupart des gens. Si nous sommes des personnalités brillantes, des caractères forts, tout est peut-être pour le mieux. Mais si nous sommes, plus banalement des gens «normaux», nous nous retrouvons tout seul avec notre besoin d’aide, de soutien, auxquels personne n’a répondu. L’Église fournit-elle des soutiens à ceux qui en ont besoin? Mieux, propose-t-elle à ceux qui vont bien, mais qui souhaiteraient aller plus loin ou plus profond des possibilités d’accompagnement? Il ne s’agit pas de proposer des gourous, simplement de permettre à certains d’avoir un vis-à-vis, une personne avec qui partager son cheminement et ses questions, une personne non pas pour nous guider, mais pour nous aider à y voir plus clair en nous.
Vivre dans un corps, l’Église, corps du Christ, c’est apprendre à ne pas vivre seul, à dépasser notre individualisme qui est aujourd’hui soit disantnaturel, pour entrer dans les interrelations d’un corps. Peut-être certains auront-ils besoin d’un véritable accompagnement, avec une personne qui les accompagne régulièrement et sur un assez long terme. Mais combien d’autres qui ont simplement besoin de parler de temps en temps avec une personne qui les aide à faire le point. On va assez naturellement se tourner vers le pasteur et celui-ci ne peut pas toujours faire face, et cela pour deux raisons. D’abord aucun pasteur n’a tous les dons et ne peut répondre à tous les besoins si divers des membres de son Église. Mais surtout, dès qu’une Église devient un peu grande, le pasteur n’a plus les moyens de s’occuper activement de tout le monde. Que faut-il faire alors? Développer le ministère de ceux qui ont le goût et les capacités de s’occuper des autres. Ils peuvent alors se former et se mettre au service de ceux qui en ont besoin. C’est ainsi que la solidarité se manifeste dans le corps que nous formons.
Pour conclure: l’Église comme lieu de développement de la vie spirituelle
Nous avons commencé par parler de la Trinité qui est au cœur de notre foi chrétienne. Or, quelle est l’essence de la Trinité? Elle est relation et don. Relation d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit. Et de cette relation d’amour jaillit une dynamique dans laquelle nous sommes invités à entrer. «Je ne te prie pas pour eux seulement (les disciples), mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole, afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous afin que le monde croie que tu m’as envoyé» (Jn 17.21). La relation du Père et du Fils est le modèle de notre relation entre nous et avec Dieu. Cette relation d’amour est-elle l’essentiel de notre vie d’Église? Si oui, alors celle-ci est un lieu de développement de la vie spirituelle malgré toutes ses insuffisances et ses défauts. Si non, alors elle ne peut pas l’être, même si elle est parfaitement huilée et fonctionne comme une horloge. Une bonne doctrine est nécessaire, mais pas suffisante, une institution efficace est bien utile, mais pas suffisante. Il est possible d’avoir tout cela à la perfection et de continuer d’être un lieu de somnolence paisible. Ce lieu de relations, avec Dieu comme entre vous, cela ne dépend de personne d’autre que vous, que chacun de vous. Ne regrettez pas que l’Église ne soit pas comme vous le souhaiteriez, vivez-la comme elle est effectivement aujourd’hui. Elle n’est sans doute pas parfaite. Aucune ne l’est! Mais elle est la réalité de l’Église pour vous. À vous de la rendre meilleure et d’en faire un corps véritable où les membres sont complémentaires.
Questions pour les groupes
• Comment améliorer cette dimension communautaire du corps?•Comment l’Église peut-elle faciliter la découverte et la mise en œuvre de nos dons?•Avons-nous une idée de la manière dont Dieu dirige notre Église?•Comment l’Église peut-elle accompagner ceux qui le souhaitent et leur venir en aide?