Introduction
Au moment où l’on doit prendre une décision en Église, comment faire pour discerner ensemble la volonté du Christ ? Que ce soit avec toute l’assemblée, ou en plus petit groupe (en conseil par exemple), quelles étapes suivre et quelles règles se donner ensemble pour entendre l’Esprit ? L’Église étant une christocratie (où règne le Christ), et non une simple démocratie, comment faire en sorte que les délibérations de nos communautés ne ressemblent pas à des assemblées générales de copropriété ? Comment se mettre ensemble à l’écoute de la volonté de Dieu pour prendre une décision commune qui engage le groupe ?
Les délibérations du livre des Actes nous suggèrent des pistes intéressantes. Le « concile » de Jérusalem, notamment, aboutit à une décision (« il a plu au Saint-Esprit et à nous » ; Ac 15.28), après de vifs débats entre les participants (Ac 15.7), par l’écoute des ministres de la Parole qui exercent dans les Églises (Ac 15.7-11 ; 12 ; 13-21), et au moyen de la méditation de l’Écriture (Ac 15.15-18). Un autre texte, où l’Esprit demande à l’Église d’Antioche de mettre à part Barnabé et Saul pour la mission, montre l’importance du culte et de la prière dans l’écoute du Christ (Ac 13.2-3).
Nous allons essayer de dégager quelques jalons d’un processus de discernement communautaire chrétien à partir de ces pistes, et à partir d’une réflexion sur un texte historique, le compte-rendu des délibérations des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, au moment où ils ont fondé la Compagnie de Jésus. Ce texte date de 1539. Juste avant, fin 1538, les premiers compagnons s’étaient offerts au pape, à titre personnel puisque la Compagnie n’existait pas encore. Deux d’entre eux, Paschase Broët et Simon Rodriguez, sont envoyés par le pape dans la ville de Sienne en Italie alors que les autres vont demeurer à Rome. Ils vont donc être séparés physiquement. Deux questions se posent alors à eux et nécessitent un discernement de leur part :
- Doivent-ils rester unis malgré la distanciation géographique ?
- S’ils restent unis, doivent-ils obéir à l’un d’entre eux ?
Pour ces deux questions, les délibérations durèrent trois mois. Elles ont été nourries de prière, de réflexion et d’échanges entre eux. Ce texte nous fournit un exemple intéressant d’un discernement chrétien. Le lecteur qui voudra approfondir sur ce sujet pourra lire directement ce compte-rendu historique(1) (et les commentaires qu’en fait Jean-Claude Dhôtel), mais sa lecture n’est pas indispensable à la compréhension de ce qui suit.
Je propose ci-après des jalons à propos des trois moments clés de tout processus de discernement : les préalables au discernement, le discernement lui-même, et la prise de décision.
Discerner ensemble. Quelques jalons
Les préalables
C’est peut-être évident, mais ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant : puisque l’on se situe dans le cadre d’un discernement communautaire chrétien, il est important que ceux qui participent à ce discernement soient chrétiens, c’est-à-dire qu’ils soient régénérés par l’Esprit. C’est pour cela qu’en général, les délibérations dans nos Églises sont réservées aux membres, à celles et ceux qui confessent le Christ comme leur Seigneur et Sauveur, et il est bon qu’il en soit ainsi.
Un autre préalable important est que la communauté soit formée et façonnée par les Écritures, à travers un enseignement régulier et solide, et exercée à l’écoute de Dieu, par la prière. En contexte évangélique en tout cas, la Bible constitue la seule norme normante de tout discernement communautaire chrétien. L’écoute commune du Christ pourra produire d’autres normes pour la vie de la communauté (comme une confession de foi par exemple), mais qui seront toujours relatives. Ce seront des normes normées par l’Écriture.
Évidemment, tout le monde n’a pas besoin d’être ...