Pasteur, j'ai croisé un certain nombre de déçus des Églises qui, sans avoir forcément abandonné toute foi, se tenaient à distance des communautés chrétiennes pour les motifs les plus divers. L'un d'eux revenait plus souvent que d'autres, à savoir la déception causée par le ou les responsables, pasteur ou anciens, de l'Église qu'ils avaient un jour fréquentée. L'ennui, c'est que cette déception recouvrait des motifs allant de la faute lourde, morale ou financière, à la peccadille. Ce qui était implicite dans leur jugement, c'est que les responsables se devaient d'être exemplaires. Ce qui correspond bien à ce que dit le texte de 1 Pierre 5.1-4 en parlant de "modèles du troupeau". Mais ce qui n'était pas toujours clair dans leurs propos, c'est ce que l'exemplarité impliquait exactement : un comportement globalement acceptable ou une vie absolument impeccable. Entre les deux, il y a plus qu'une nuance ! Il n'est pas jusqu'à nos hommes politiques, même peu concernés par nos impératifs moraux, qui ne se posent la question du modèle, de l'exemple qu'ils donnent dans leur vie publique !
Mais revenons à nos "moutons" pour dire que, sur ces questions de comportement, les membres et sympathisants de nos Églises locales peuvent être terriblement exigeants et nos pasteurs parfois trop insouciants. Pour y voir plus clair, essayons de comprendre l'impératif de l'apôtre Pierre : "Soyez les modèles du troupeau !" Et notons d'emblée que si le terme original rendu par "modèle" ou "exemple" selon les traductions apparaît seulement cinq fois dans le Nouveau Testament en relation avec Paul ou les responsables d'Église, l'exigence est néanmoins incontournable pour celui qui aspire à une telle charge. À la fois parce que les passages sont forts — Paul dit par exemple à Timothée : "sois un modèle pour les fidèles, en parole, en conduite, en amour, en foi, en pureté"(1) — et parce que l'usage du mot en tant que tel n'épuise pas la réalité qu'il recouvre. Pensez à ce que Paul dit à celui qui aspire à la charge d'évêque : "qu'il dirige bien sa propre maison... car si quelqu'un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l'Église de Dieu ?"(2) Ceci étant précisé, efforçons-nous de comprendre ce que Pierre veut dire par "soyez les modèles du troupeau" et gageons que chacun, étudiant, professeur, pasteur et brebis du troupeau, y trouvera matière à réflexion, prière et action.
Je crois discerner que le modèle dont il est question est d'abord un modèle de vie, pas de performance, ensuite un modèle de soumission, pas de perfection, enfin un modèle de grâce, pas de puissance.
1. Un modèle de vie, pas de performance
L'apôtre Pierre s'adresse à des compagnons d'œuvre, responsables comme lui du troupeau de Dieu. Et s'il les interpelle sur le ministère de responsable d'Église, ce n'est pas parce qu'il est spécialiste des questions de leadership, mais parce qu'il est témoin des souffrances du Christ. Souffrances qu'il a, dans une certaine mesure, partagées tout au long du ministère de Jésus. Souffrances qu'il a lui-même causées — pensez à l'amère expérience du triple reniement alors qu'il avait juré qu'il n'abandonnerait jamais le Seigneur. Souffrances qu'il a en partie observées lors du procès de Jésus. Et surtout, souffrances rédemptrices sur la croix dont il a été très concrètement bénéficiaire : lors du mémorable pardon accordé par Jésus sur les rives du lac de Galilée, lors du don de l'Esprit à la Pentecôte qui l'a profondément transformé, qui, du beau parleur versatile, a fait un prédicateur puissant et courageux. Et c'est de ces deux événements que Pierre tire son appel à faire paître le troupeau de Dieu. Le modèle, donc, qu'il livre aux autres responsables n'est pas du côté de la performance, du nombre de convertis que sa prédication a suscités, de la prison qu'il a endurée ou des réunions qu'il a présidées, mais bien de la vie que Christ a régénérée, du caractère que le Saint-Esprit a transformé......