La translocalité de l’Église et des ministères en congrégationalisme

Complet Vie et gestion de l'Église
En contexte congrégationaliste, les Églises locales sont la manifestation normative, dans l’espace et le temps, de l’Église universelle. Cependant, la question du statut ecclésiologique des structures translocales, qui favorisent la communion et la collaboration entre les Églises locales, est bien souvent impensée. C’est typiquement le cas pour les unions d’Églises ou les structures qui les fédèrent au niveau national ou international. C’est à cet impensé que s’est attelé le Comité de réflexion théologique(1) de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF), à la demande du Conseil national de cette union. Ceci afin de mieux penser et mieux vivre les rapports de communion entre les Églises de cette fédération, ensemble désireuses d’être au clair sur ce qui fonde leur alliance et leur vocation commune, dans le respect de la responsabilité et de l’identité propre de chacune d’entre elles. Si une union comme la FEEBF n’est pas autre chose que l’Église, en quoi l’est-elle autrement qu’une Église locale ne l’est ? Qu’est-ce que cela induit concrètement dans les rapports d’identité et d’autorité entre ces deux dimensions, et comment appréhender et recevoir, en congrégationalisme, l’ecclésialité des ministères qui se déploient dans cette dimension translocale ? C’est à toutes ces questions que les auteurs de cet article se proposent de réfléchir, conscients de n’offrir ici qu’un jalon dans une réflexion qui devra continuer.

Abonnement aux Cahiers de l'École pastorale

Je m'abonne

presence monde Introduction. Le(s) congrégationalisme(s) : un état des lieux

Définir le congrégationalisme n’est pas une tâche aisée. Beaucoup de traditions se reconnaissent dans une ecclésiologie dite congrégationaliste sans pour autant être en accord sur les contours de ce que cette notion recouvre. Afin de mieux circonscrire le sujet, nous nous intéresserons ici en particulier aux tensions d’un congrégationalisme de type baptiste (ou professant), bien qu’un certain nombre d’éléments développés dans le texte qui suit pourrait également être pertinent pour un congrégationalisme pédobaptiste.

Dans une définition courante, le congrégationalisme a souvent été entendu comme « l’autonomie de l’Église locale ». Cette formule est cependant trop vague et ambiguë. Elle ne précise pas en quoi consiste l’autonomie (s’agit-il d’une autonomie de moyens et de ressources, d’une autonomie théologique, relationnelle ?) ni par rapport à quoi elle s’exerce (par rapport à l’État, une Église officielle, les autres Églises locales ?).

En plus d’être lacunaire, cette compréhension ne correspond pas dans la pensée des premiers baptistes à un principe fondamental, mais résulte de deux affirmations premières que nous aimerions examiner dans cette introduction.

Deux principes fondamentaux

Nous sommes redevables à Alain Nisus qui a formulé ces « deux affirmations fondamentales :

  1. l’Église locale est pleinement Église ;
  2. l’autorité du Christ sur son Église est médiatisée par l’ensemble de la communauté locale(2). »

Si ces deux affirmations font globalement consensus, leurs implications et conséquences peuvent faire débat et nous questionner sur le congrégationalisme que nous voulons assumer dans une union d’Églises de type congrégationaliste.

L’Église locale est pleinement Église

Principe

C’est ici la principale conviction du congrégationalisme : de l’affirmation de la pleine ecclésialité de l’Église locale. Une conviction que portait déjà la première confession de foi baptiste en 1611 :

« Quoique, eu égard au Christ, l’Église soit une (Ep 4.4), pourtant, elle consiste en différentes communautés ; aussi nombreuses qu’elles puissent être dans le monde, chacune de ces communautés, même si elles ne sont faites que de deux ou trois personnes, ont Christ qui leur est donné, avec tous les moyens de leur salut (Mt 18.20; Rm 8.32; 1 Co 3.22). Elles sont le corps du Christ (1 Co 12.27), et pleinement Église (1 Co 14.23). Ainsi donc, [les croyants] peuvent et doivent, quand ils se rassemblent, prier, prophétiser, rompre le pain, et administrer toutes les saintes ordonnances, même s’ils n’ont pas de ministres ou que leurs ministres soient en prison, malades, ou pour une raison quelconque retenus hors de l’Église (1P 4.10 ; 2.5)(3). »

Nous le voyons ainsi dès 1611, le principe fondamental du congrégationalisme est affirmé : chacune des communautés locales, « même si elles ne sont faites que de deux ou trois personnes », est pleinement Église, parce que le Christ leur est pleinement donné (les deux principes sont ordonnés l’un à l’autre). La promesse du Christ est évoquée : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. »  (Mt 18.20) Ce texte biblique de l’évangile de Matthieu joue, en effet, un rôle clé dans la compréhension ecclésiologique congrégationaliste, il est régulièrement cité par les auteurs de cette tradition(4). Lorsque des croyants se réunissent pour confesser leur foi (par la prédication, les sacrements, la louange, etc.), le Christ est pleinement présent au milieu d’eux, et leur communauté est pleinement Église.

Des Églises locales en relations

Cependant, si l’Église locale est Église seule, elle n’est pas Église toute seule(5). En effet, chaque Église locale doit reconnaître que ce qui la fonde est aussi ce qui fonde les autres. Alors, elle ne peut ignorer qu’elle n’est pas seule à être Église. Cette réalité oblige, dès lors, l’Église locale à se positionner vis-à-vis des autres Églises et à définir ses rapports avec elles.

Ainsi l’exprime la seconde confession de foi baptiste historique, la Confession de foi de Londres, 1644 :

« Bien que [although] les différentes communautés forment des organismes distincts et séparés, chacune étant en elle-même une cité complète et bien coordonnée, cependant [yet] elles doivent toutes, en tant que membres d’un seul corps, marcher selon une même règle, et rechercher par tous les moyens possibles les conseils et l’aide des Églises sœurs, pour toutes les affaires relatives à la vie de l’Église, dans une foi commune et une même soumission à Christ, leur chef(6). »

Dès son origine, le congrégationalisme baptiste admet ainsi la nécessité d’un lien entre les Églises. Cependant, comme la syntaxe peut le suggérer (« although […] yet » dans l’original), ces relations vont souvent être pensées comme un équilibre, voire un compromis, à trouver entre son autonomie (chacune est une « cité complète ») et son rapport aux autres communautés (« marcher selon une même règle », etc.).

Cette volonté de tenir ensemble les deux pôles de la tension (autonomie et relations entre communautés) conduit naturellement à tout un éventail de positions quant à la nature des relations entre Églises locales.

Développement historique du baptisme français

Sébastien Fath rapporte ces questionnements chez les pionniers baptistes, en France dans les années 1830, qui soulignaient « l’importance des liens entre Églises, contrepoids indispensables de l’indépendance affirmée de l’assemblée locale(7) ». Le sociologue constate que trois modes de congrégationalisme baptiste différents se sont développés et implantés en France au cours du 20e siècle : le mode « fédératif souple », « associatif intégré » et celui de « l’Église insulaire »(8).

Ces trois traditions baptistes manifestent les types de liens que développent les Églises locales en congrégationalisme. Avec des degrés d’intégration et d’institutionnalisation plus ou moins marqués, elles vont se mettre en relation pour : partager des besoins et des ressources ; exercer une solidarité entre elles ; implanter des Églises nouvelles ; reconnaître à l’échelon dénominationnel (translocal) des ministères pastoraux pour la desserte des Églises locales et l’accomplissement de la mission commune. Et pour permettre tout cela, elles vont se doter de textes pour établir la vie commune : confession de foi, principes ecclésiastiques, textes-cadre.

Même celles qui plaident que l’Église est complètement indépendante et autonome (modèle de l’Église insulaire) dépendent bien souvent, dans les faits, d’un financement extérieur, au moins au temps de leur implantation. Ainsi nouent-elles des liens à l’international (parfois au détriment des Églises voisines). Quant aux autres, comme dans la confession de 1644, elles définissent les relations translocales dans leurs textes-cadres dans une syntaxe de compromis entre autonomie et relations(9).

À lui seul, le terme d’autonomie ne saurait ainsi rendre justice ni à la pensée théologique (quid de l’affirmation de la nécessité des relations inter-Églises ?), ni aux fonctionnements concrets des communautés qui se réclament du congrégationalisme (y compris celles qui mettent le plus l’emphase sur l’autonomie). Nul ne s’y trompe puisque, lorsqu’il est convoqué dans les affirmations, il est rapidement nuancé. Ne faudrait-il pas alors abandonner ce terme d’autonomie pour formuler les choses autrement ? Déjà en 2009, Alain Nisus nous invitait à ce questionnement(10)

En plaidant l’autonomie de l’Église locale comme conséquence de sa pleine ecclésialité, on peut également se demander comment les Églises congrégationalistes entendent manifester l’unité et la catholicité de l’Église.

L’unité et la catholicité de l’Église

La catholicité de l’Église ici n’est pas à comprendre comme une référence à l’Église catholique romaine. Il s’agit d’un terme issu du grec, quasiment synonyme d’universel (étymologiquement : « selon le tout »), utilisé très tôt dans l’histoire de l’Église pour dire que celle-ci est « disséminée partout [dans le monde], présente à l’ensemble de l’humanité [sans distinction de sexe, d’origine, de classe sociale, etc.], et qu’elle enseigne une vérité universellement recevable et reçue(11) », se distinguant des fausses Églises, prêchant de faux Évangiles. On peut ajouter aussi le lien à sa mission : s’étendre jusqu’aux extrémités de la terre.

Or, affirmer la pleine ecclésialité de l’Église locale implique que l’Église vraie, telle que définie dans le Symbole de Nicée-Constantinople (381) : « une, sainte, catholique et apostolique », existe concrètement sous forme d’Églises locales. L’Église locale devrait alors rendre visible ces marques et ne pas seulement les confesser pour l’Église invisible. Dès lors, des « affiliations coopératives », « strictement volontaires », pour des raisons « principalement pragmatiques » sont-elles suffisantes pour « manifeste[r] de manière visible l'unité présente au sein de l'Église universelle ou invisible » (12) ? En effet, cela implique qu’il serait du bon vouloir d’une Église de manifester une des marques de l’Église véritable. Mais est-ce possible de se considérer pleinement Église sans « catholicité visible de l’Église(13) » pour utiliser les termes de la confession de foi baptiste, The Orthodox Creed (1678) ?

Stephen R. Holmes suggère que les marques de l’Église véritable énoncées lors de la Réforme (la parole purement prêchée, la convenable administration des sacrements et l'exercice de la discipline ecclésiastique) ont plus marqué la réflexion des baptistes que les marques de l’Église du Symbole des Apôtres (« la sainte Église catholique/universelle ») ou de celui de Nicée-Constantinople (« l’Église une, sainte, catholique et apostolique »)(14).

Les congrégationalistes baptistes ont trop peu souvent pensé la catholicité de leurs Églises, faisant généralement de l’Église locale la seule manifestation de l’Église universelle, indépendamment de ses relations avec ses Églises sœurs. Même s’il existe une diversité chez les théologiens, cette thèse exclusiviste est la plus répandue(15). C’est aussi ce qu’assume le congrès de la FEEBF en 1961 en l’exprimant ainsi : « entre l’Église invisible universelle et l’Église locale visible, il ne peut exister que des institutions humaines, utiles sans doute, mais non indispensables(16) ». Ainsi, lorsque les relations inter-Églises sont pensées, elles le sont d’abord en termes pragmatiques, fonctionnels et non pas théologiques. Paul Harrison montrait déjà en son temps à propos des baptistes du sud aux États-Unis(17) que le champ lexical utilisé pour parler de l’union d’Églises emprunte au seul registre associatif (secrétaire général, congrès, assemblée générale, etc.) et non au vocabulaire biblique (ministre, diacre, pasteur, etc.). Le constat vaut aussi pour le contexte français. Cela confirme que le registre théologique n’est pas investi pour penser l’union. Cela doit déjà nous questionner : même si elle n’est qu’une institution fonctionnelle, non indispensable, n’est-il pas utile néanmoins de poser un regard théologique sur elle, d’en avoir une lecture ecclésiologique (a minima celle du bene esse, c’est-à-dire de son bien-être) ?

Des paradoxes

Dans la plupart des situations, des paradoxes apparaissent dès lors que l’on constate que ces Églises congrégationalistes ne renoncent pas complètement ni à avoir des relations entre Églises sœurs, ni même à accorder des missions spirituelles à leur union. Si la FEEBF, pour prendre son exemple, semble tendre vers des liens pragmatiques et utiles dans l’intention énoncée en préambule de ses statuts, dans les faits, elle répond à des besoins qui sont éminemment spirituels et de l’ordre de la mission de l’Église (évangélisation, formation, etc.). Qui peut dire, par exemple, que la proposition d’un pasteur à une Église est une décision purement administrative et nullement spirituelle ? Ou encore, les cultes vécus lors des congrès, avec partage du repas du Seigneur, ne montrent-ils pas qu’il y a bien une réalité ecclésiale de l’union implicitement assumée, bien que niée dans le discours ? N’est-ce pas là un paradoxe qui révèle une aporie dans l’ecclésiologie congrégationaliste ?

Plus encore, si l’Église est là où deux ou trois sont rassemblés au nom du Christ, alors comment refuser cette réalité ecclésiale à ceux qui se réunissent en son nom pour marcher ensemble dans une foi commune et une même soumission à Christ, leur chef, en faisant alliance pour cela, vivant une certaine communion de biens, cherchant ensemble à discerner le Christ, sous prétexte qu’ils se réunissent « en congrès » ou « en synode » ?

Ne pourrait-on pas, tout en restant congrégationaliste (c’est-à-dire en maintenant les deux affirmations fondamentales présentées ici) affirmer la pleine ecclésialité de l’Église locale et affirmer aussi l’ecclésialité des unions d’Églises ? Pourrait-on affirmer en ce sens que l’Église locale est la manifestation normale, principale, de l’Église universelle et que « quelque chose » (qu’il faudrait définir) de l’Église universelle se vit dans la communion entre congrégations ? À la lumière des données bibliques (sola Scriptura !), nous tâcherons d’esquisser des éléments pour penser l’ecclésiologie des relations ecclésiales translocales en contexte congrégationaliste.

L’autorité du Christ sur son Église est médiatisée par l’ensemble de la communauté locale

Principe

Toutes les ecclésiologies chrétiennes le professent : l’Église est une christocratie. Cependant les congrégationalistes affirment que l’autorité du Christ est médiatisée dans l’Église locale par le discernement de l’ensemble des membres (professants) de la congrégation.

Théocratie et expression démocratique

Parce que c’est l’autorité du Christ qui est centrale et nullement celles des membres d’Église, il est toujours question de discerner ce que le Christ donne à son Église par le Saint-Esprit (il donne sa volonté, des ministres, des charismes, etc.).

Rappelons ici que le discernement communautaire ne doit pas se limiter à un vote. Il se peut, souvent, que ce soit le moyen de sanctionner une décision, mais il doit forcément être précédé de discussions fraternelles pour discerner ensemble la volonté du Christ, seul chef de l’Église, afin de ne pas trancher des questions complexes uniquement par une décision majoritaire non éclairée.

Diversité de dons

Le sacerdoce universel des croyants doit se penser aussi avec la diversité des dons que Dieu fait à son Église par l’Esprit Saint qu’il répand librement.

La spécificité des dons et des charismes doit aussi être acceptée dans les discussions. Ainsi, chacun doit être particulièrement attentif à la parole de ceux qui ont des compétences reconnues dans les débats. On sera plus vigilant à la remarque du trésorier ou d’un comptable sur des questions budgétaires et plus vigilant à la parole d’un conseiller ou d’un pasteur sur des enjeux de conduite d’Église.

Autorité de tous et de quelques-uns

En ce sens, Christ donne aussi à l’Église locale des ministres (pasteurs) qui ont un rôle spécifique dans la conduite et le discernement communautaire de la pensée du Christ. Ils sont institués et reconnus. Cette nuance conduit à une articulation entre « tous » et « quelques-uns » dans les processus de direction et d’autorité dans l’Église. Le rôle de ces ministres n’étant pas de se substituer à l’assemblée, mais de se placer à son service pour que celle-ci soit apte à servir et discerner la volonté de Christ. Établis dans leur charge par la communauté, ils ont ensuite la charge de mettre en œuvre les décisions de l’assemblée, en lien avec les responsables de la communauté, sans forcément passer par un discernement de toute l’assemblée(18).

Ainsi, ces ministres sont appelés par le Christ, discernés par la communauté, au service de celle-ci, et tous sont au service du Christ. Mais, bien souvent, ces ministres ne sont pas discernés par la seule communauté locale au sein de laquelle ils serviront. Non seulement le discernement de leur appel n’est pas remis sur le métier à chaque fois qu’ils changent de communauté, mais cette reconnaissance se fait bien souvent, en contexte congrégationaliste, à l’échelon translocal. Pour le cas de la FEEBF par exemple, les reconnaissances de ministère ont lieu lors du culte de clôture du congrès. N’y a-t-il pas là reconnaissance implicite que les ministres ne sont pas donnés à une Église locale seulement, mais qu’ils sont donnés à l’Église une, à travers les Églises locales qu’ils serviront ? Comment articuler cela avec l’autorité de la communauté locale ?

Autorité de l’union ?

La question se pose dans des termes similaires quant à l’autorité accordée à l’union d’Églises (à ses textes et à ses instances). Si l’autorité d’une Église locale se fonde sur le règne du Christ en son sein, le même Christ ne règne-t-il pas aussi sur ses Églises sœurs et, par extension, sur la communion entre ces Églises ? Dès lors, comment articuler l’autorité de l’Église locale avec celle de l’union d’Églises ?

À nouveau, l’exemple des statuts de la FEEBF révèle des contradictions qui nous semblent symptomatiques de la recherche de compromis identifiée plus haut. Alors qu’ils affirment, nous l’avons vu, l’autonomie des Églises locales et leur libre administration dans le préambule, les mêmes statuts donnent des pouvoirs relativement forts au conseil d’administration, au premier desquels un pouvoir de « surveillance »(19). Si les intentions énoncées semblent pencher vers une certaine autonomie de l’Église locale et des liens translocaux d’ordre pragmatiques et fonctionnels, nous constatons que, dans ses dispositions, les statuts définissent aussi des structures actives avec une autorité réelle sur les Églises locales et une dimension spirituelle forte.

D’une manière générale, on peut faire remarquer qu’une communauté locale n’invente jamais sa propre foi ; elle la reçoit, et elle serait inconséquente de penser pouvoir la trouver toute seule. A minima, toute Église se réfère aux Écritures, dont le canon n’a pas été décidé en son sein. « Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie, ou est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue ? » (1 Co 14.36) Et il est à noter qu’au moins les fondateurs de la communauté sont issus d’une tradition qui les précède, d’une autre Église locale qui les a envoyés.

L’Écriture elle-même nous donne l’exemple de décisions qui ont été prises au cours d’un rassemblement inter-Églises en Actes 15. Le bon sens pointe dans la même direction : chaque communauté locale n’a pas en son sein un éthicien, un exégète compétent, un juriste, etc. Elle a donc besoin de ministères et de ressources que le Seigneur a donnés à d’autres communautés.

La Confession de Londres affirmait déjà la nécessité pour les Églises locales de « marcher selon une même règle, […] dans une foi commune et une même soumission à Christ, leur chef(20) ».

Dans la suite de notre réflexion, nous aimerions interroger l’ensemble des tensions pointées dans cette introduction afin d’aborder les questions théoriques et pratiques qu’elles impliquent : quel statut ecclésiologique donner aux unions d’Églises dans un paradigme congrégationaliste ? Sont-elles l’Église ou autre chose que l’Église ? Et si oui, en quoi le sont-elles autrement qu’une Église locale ne l’est ? Dès lors, comment articuler l’autorité de l’Église locale et l’autorité de l’union d’Églises, de ses textes et de ses instances ? Et enfin, comment penser la nature des ministères qui se déploient à l’échelle de l’union et leur lien avec les ministères qui s’exercent localement ?

I. Quel statut pour les unions d’Églises ? Dossier biblique et théologique

A. L’Église et les Églises dans le Nouveau Testament

On s’accorde généralement pour dire que, dans le Nouveau Testament, le mot ekklesia désigne soit une réalité locale(21), soit une réalité beaucoup plus large que l’on désigne souvent par les expressions « Église universelle », « Église invisible(22) ». Cette classification exige quelques commentaires.

Quand on parle de dimension locale, il faut s’interroger sur la réalité sociologique en question : est-ce une Église rassemblée en un seul lieu ? Ou bien plusieurs communautés situées dans une même ville, conscientes du lien qui les unit ? En effet, au premier siècle, les Églises locales se réunissaient dans des maisons. Lorsqu’une communauté dépassait une petite centaine de personnes, les lieux de rencontres devaient se multiplier(23). Quand le Nouveau Testament évoque l’Église qui est à Corinthe ou à Éphèse, il peut potentiellement désigner plusieurs groupes d’une même localité reliés entre eux.

Il faut aussi garder en tête que la distinction Église locale/Église universelle est d’ordre exégétique et dogmatique, mais elle n’est ni présente ni enseignée en tant que telle dans le Nouveau Testament. Émile Nicole attire l’attention sur ce point :

« Je ne vois aucun passage du Nouveau Testament qui nous enseignerait à distinguer ces deux dimensions de l’Église, qui nous mettrait en garde contre une confusion des deux. C’est nous qui distinguons par commodité, par souci de clarté, par intérêt pédagogique ; la vigilance est donc indispensable(24). »

Et de fait, il faut reconnaître que la distinction n’est pas toujours simple à faire :

  • L’apôtre Paul parle souvent de : « L’Église de Dieu, celle qui est à… » (1 Co 1.2 ; 2 Co 1.1…). Quelle nuance faut-il donner à cette expression ? Prenons l’exemple de 1 Corinthiens 1.2 :

« Paul… à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été consacrés en Jésus-Christ et qui sont saints par appel, avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est leur Seigneur comme le nôtre. » (NBS)

  • L’expression désigne-t-elle l’Église de Corinthe qui a, en elle, intrinsèquement, toutes les caractéristiques de l’ecclésialité ? Et donc qui pourrait se permettre de vivre dans une forme d’autarcie, d’indépendance par rapport aux autres Églises ?
  • Ou bien cette expression veut-elle dire que l’Église de Corinthe est porteuse d’une réalité qui la dépasse : étant Église de Dieu à Corinthe et pas seulement Église de Corinthe, elle est, d’une certaine manière, en lien avec toute l’Église dans sa dimension universelle ?
  • Lorsque l’on considère la totalité du verset, la deuxième nuance paraît bien présente. En effet, la fin du verset établit un lien fort entre les sanctifiés de Corinthe et tous les autres, tous ceux qui invoquent le nom de Jésus-Christ en tout lieu. Comme si toute la communion des saints était représentée dans l’Église de Corinthe parce qu’elle est Église de Dieu, comme si l’Église de Corinthe n’était pas Église de Dieu sans les autres.
  • On note qu’une précision similaire se retrouve en 2 Corinthiens 1.1, mais pas dans les autres introductions des épîtres. Paul a-t-il jugé utile de rappeler cette réalité aux Corinthiens qui semblaient faire peu de cas de la communion des Églises ou qui manifestaient un esprit d’indépendance très marqué(25) ?
  • L’ambiguïté entre Église locale et Église universelle se trouve aussi dans la suite. En 1 Corinthiens 10.32, on a le sentiment que l’expression « Église de Dieu » désigne quelque chose de plus large que la seule communauté locale.
  • En 1 Corinthiens 12, l’image du corps du Christ se réfère-t-elle au fonctionnement de l’Église locale ou de l’Église universelle ? L’emploi de l’image dans d’autres lettres de Paul, ainsi que la fin du chapitre (vv.27-28 : « Vous êtes le corps du Christ… Or, Dieu a placé dans l’Église, premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes… ») plaide plutôt pour la deuxième solution(26).
  • Plus largement, en Actes 5.11 – première attestation du terme ekklesia dans le livre des Actes – le mot désigne-t-il la communauté locale de Jérusalem ou bien l’Église « universelle » de cette époque qui, certes, se réduisait à peu près à l’Église de Jérusalem à ce moment de l’histoire ? Et qu’en est-il en Actes 9.31, avec une extension plus large « l’Église, dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie » : est-ce une manière de désigner les Églises locales de cet espace géographique ou bien l’Église « universelle » dans son extension géographique d’alors ?
  • L’Apocalypse fournit aussi un exemple intéressant sur ce rapport complexe entre Église locale et Église universelle. Le livre se présente comme une lettre circulaire adressée aux « Églises » de sept villes d’Asie Mineure. Les chapitres 1 à 3 montrent que chaque Église locale est un « chandelier » devant Christ (Ap 1.20). Ce dernier s’adresse distinctement à « l’Église (qui est) à Éphèse », puis « à Smyrne », etc. Il souligne les réalités, les difficultés, les fautes ou les défis qui sont propres à chaque Église locale. Pourtant, chaque message adressé spécifiquement à une Église locale doit être lu par les autres Églises auxquelles s’adresse l’Apocalypse, de telle sorte que tous doivent « écouter ce que l’Esprit dit aux Églises » (pluriel). Ainsi, ce qui est dit à une Église locale semble concerner toutes les Églises de la région, et même peut-être l’ensemble des Églises si le chiffre « sept » doit être pris symboliquement. De plus, l’Apocalypse souligne, dès l’introduction, que tous les croyants forment, grâce à l’œuvre du Christ, un seul « royaume » (Ap 1.6). La suite du livre va souligner la grandeur du peuple du Christ, composé de gens de « toute tribu, toute langue, toute nation » (Ap 5.9). Les visions de Jean donnent à voir la beauté, la grandeur et l’immensité de l’unique Église eschatologique : elle est l’épouse de l’Agneau, la nouvelle Jérusalem glorieuse. Et, à la fin du livre, c’est l’unique « épouse » qui dit : « Viens, Seigneur Jésus. » Ainsi, l’Apocalypse souligne à la fois que le Seigneur tient compte des réalités spécifiques à chaque Église locale, tout en l’invitant à s’intéresser aux autres Églises locales et à garder toujours à l’esprit le projet que Dieu a pour sa glorieuse Église universelle.

Ces différentes observations invitent à penser qu’une Église locale ne peut avoir en elle toutes les caractéristiques de l’ecclésialité que dans la mesure où elle ne se pense pas sans les autres. Elle n’est pas « Église de Dieu » toute seule, elle l’est avec les autres ! La remarque d’Émile Nicole ci-dessus apparaît donc judicieuse.

Les différentes citations suivantes vont dans le même sens :

  • « Chez Paul, l’usage même d’ekklesia trahit sa conception de l’Église. La congrégation locale est l’Église ; la totalité des croyants également. Nous pouvons donc en conclure que Paul ne pense pas l’Église numériquement, mais organiquement. L’Église universelle n’est pas conçue comme la totalité des Églises locales, mais “chaque communauté, si petite soit-elle, représente la communauté globale, l’Église”(27). »
  • « L’Église locale n’est donc pas une partie de l’Église, mais elle est l’Église dans son expression locale. Cela signifie que toute la puissance du Christ est à la disposition de chaque congrégation locale, que chaque congrégation fonctionne dans sa communauté, comme l’Église universelle fonctionne dans le monde entier, et que la congrégation locale n’est pas un groupe isolé, mais qu’elle est solidairement liée à l’ensemble de l’Église(28). »
  • « Dans la pensée du Nouveau Testament, c’est l’Église une qui est la réalité fondamentale. L’Église locale ne se définit et n’a de raison d’être que par rapport à l’Église universelle : elle apparaît comme une manifestation locale de l’Église une(29). »
  • « L’Église locale et l’Église universelle ne sont pas deux réalités distinctes, ce sont deux manières différentes de percevoir et de désigner une seule et même réalité(30). »

B. La dimension translocale de l’Église dans le Nouveau Testament

Comment le Nouveau Testament décrit-il cette réalité de l’Église, de ces communautés locales qui ne sont pas « Église de Dieu » toutes seules, mais avec les autres ? En reprenant des éléments déjà présentés par Sylvain Romerowski(31) et par Émile Nicole(32) et en ajoutant d’autres, nous proposons six points.

a. Des Églises construites sur un seul et même « fondement » posé par les « apôtres »

L’Église est une et… apostolique ! L’Église universelle est construite sur le fondement posé par les apôtres (Mt 16.18 ; Ep 2.20 ; Ap 21.14), c’est-à-dire sur la « révélation » du « mystère du Christ » (Ep 3.5) qui est le cœur de l’Évangile. Cette révélation de Jésus-Christ a été proclamée par la prédication apostolique qui, elle-même, nous est transmise par le Nouveau Testament. C’est aux apôtres, en effet, qu’a été confiée la « révélation » du « mystère du Christ » (Ep 3.5) qui est le cœur de l’Évangile, transmis par la prédication apostolique.

Cette dimension « fondatrice » du ministère apostolique imprime une dimension « translocale » à l’Église. Ainsi, le livre des Actes souligne comment Pierre a joué un rôle dans l’ouverture des portes de l’Évangile vers la Samarie (Ac 8.14-15) et le monde des nations (Ac 10-11)(33). Ce rôle central de Pierre indique que c’est une même Église qui se fonde, celle du Christ. C’est une seule et même Église avant d’être des Églises locales.

De même, les Actes soulignent comment l’apôtre Paul joue un rôle clé dans l’extension de l’Église du Christ vers les nations, en particulier parmi les non-Juifs. En implantant de nouvelles Églises locales puis en allant les visiter, Paul créait du lien entre elles, leur donnait un même enseignement, leur donnait conscience qu’elles étaient membres d’un ensemble plus vaste.

Les lettres ont été un moyen utilisé par les apôtres pour transmettre la parole de Dieu. On peut remarquer que, si certaines lettres sont adressées à une Église locale particulière, d’autres avaient valeur de circulaire. C’est le cas de l’épître aux « Galates » (Paul a fondé plusieurs Églises en Galatie), celle aux Colossiens (qui devait ensuite être transmise aux Laodicéens : Col 4.16), mais aussi probablement la lettre dite aux Éphésiens, mais qui, au départ, devait être une lettre circulaire à destination des Églises d’Asie Mineure(34). Il en est de même pour les lettres de Jacques (Jc 1.1), la première de Pierre (1 P 1.1) et l’Apocalypse (Ap 1.4), qui sont adressées aux Églises de vastes régions. Il faut ajouter que les lettres qui ont intégré le Nouveau Testament ont très tôt été copiées et diffusées bien plus largement qu’aux Églises locales auxquelles elles étaient destinées. Ainsi, ces lettres apostoliques ont probablement contribué à tisser des liens entre les communautés et à leur faire prendre conscience de ce qu’elles appartenaient à une réalité plus large.

Les apôtres comme Paul travaillaient en équipe, accompagnés de nombreux collaborateurs. Ceux-ci pouvaient être envoyés par l’apôtre pour transmettre une lettre et probablement l’accompagner d’une explication : c’est le cas, par exemple, de Tychique porteur de la lettre de Paul aux Colossiens et aux Éphésiens(35), mais aussi peut-être de Phœbé, responsable de l’Église de Cenchrées, que Paul recommande aux chrétiens de Rome (Rm 16.1-2). D’autres, comme Timothée, Tite, Épaphras, Priscille et Aquilas, étaient envoyés par Paul pour intervenir en son nom dans les Églises qu’il avait fondées : par exemple, Timothée, d’abord envoyé à Thessalonique(36)  (1 Th 1.1 et 2 Th 1.1) ; puis en Macédoine ‘Ac 19.22) et enfin à Éphèse (1 Tim 1.3 ; 2 Tim 1.18) où Timothée a reçu l’imposition des mains des anciens (1 Tim 4.14) et de Paul (2 Tim 1.6) ; ou encore Tite à Corinthe (2 Co 7.6-7) ; puis en Crète (Ti 1.5). Ces délégués apostoliques permettaient une organisation cohérente des Églises, leur donnant un sentiment d’unité ; ils rappelaient aussi la doctrine apostolique, donnant ainsi une unité doctrinale essentielle à la communion.

b. Des Églises qui discernent ensemble la volonté de Dieu : le « concile(37) » de Jérusalem

Avec l’extension de l’Église, il a fallu apprendre à vivre ensemble au-delà de l’échelon local. La difficulté s’est posée notamment entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens. Certains judéo-chrétiens voulaient imposer le respect des règles du judaïsme aux chrétiens issus du paganisme, notamment la circoncision. Le cas s’est posé en Galatie, mais aussi à Antioche. Les responsables de l’Église d’Antioche ont géré ce problème avec sagesse. Actes 15 raconte cet épisode.

Paul, Barnabas et quelques autres ont été envoyés à Jérusalem pour trouver une solution avec les apôtres et les anciens. Cette attitude de l’Église d’Antioche traduit son désir de ne pas être Église sans les autres, de ne pas prendre de décision sans concertation, notamment avec l’Église de Jérusalem où se trouvaient ceux qu’on considérait comme des colonnes de l’Église (Ga 2.9), Pierre, Jacques et Jean.

Actes 15 raconte la recherche de solution en plusieurs étapes : d’abord, le problème est clairement énoncé (v.5) ; ensuite les apôtres et les anciens débattent vivement de l’affaire (v.6) et Pierre (en tant qu’apôtre) prend la parole (vv.7-11) ; puis, après le rappel des prodiges accomplis par Dieu par l’intermédiaire de Barnabas et Paul (v.12), c’est Jacques (en tant qu’ancien) qui donne son appui à l’avis exprimé par l’apôtre (v.13-21).

La décision finale est rapportée en ces termes : « il a paru bon aux apôtres et aux anciens ainsi qu’à toute l’Église » (v.22) ; l’Église est associée aux apôtres et aux anciens ; elle n’a pas participé aux vifs débats mais, d’une certaine manière, elle a reconnu dans la décision des apôtres et des anciens une décision à laquelle elle pouvait s’associer. Au verset 28, la formulation va même plus loin : « il a paru bon à l’Esprit saint et à nous-mêmes… », comme si l’on voulait souligner que cet effort de discernement collectif exprimait la volonté même de l’Esprit de Dieu.

On doit noter aussi comment les apôtres et les anciens délèguent l'autorité à Silas et Judas-Barsabbas qui accompagnent la lettre et favorisent sa réception par l’Église d’Antioche (vv.22-33) et ceci jusqu’à ce que ceux d’Antioche les renvoient en paix vers Jérusalem. Une telle démarche officielle permettait de discréditer les opposants (v.24). Notons enfin que la décision de Jérusalem a ensuite été transmise à l’ensemble des Églises fondées par Paul (Ac 16.4).

Le but de ce « concile » était de permettre une cohabitation apaisée entre chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine païenne au sein d’une même Église, sans doute aussi au sein de communautés locales mixtes. Le « concile » a pris le temps de discerner « ensemble » la volonté de Dieu dans le contexte de l’Église du premier siècle. L’objectif était de proposer une règle définissant le minimum nécessaire pour que la communion puisse se vivre dans toutes les communautés locales mixtes et entre Églises : les judéo-chrétiens devaient apprendre à vivre avec les pagano-chrétiens (ne pas imposer des règles trop lourdes), et inversement les pagano-chrétiens ne devaient pas faire des choses rédhibitoires pour les judéo-chrétiens. La démarche d’Actes 15 traduit bien le désir de ne pas être Église sans les autres.

c. Des Églises en réseau dans un monde en mouvement

Il convient aussi de rappeler que l’Église s’est développée dans un monde en mouvement. En effet, les réseaux de routes développés par les Romains, ainsi qu’une certaine sécurité apportée par la pax romana, favorisaient les échanges commerciaux et la mobilité au sein de l’Empire romain.

Ces mouvements ont certainement contribué à développer les relations et les échanges entre les Églises locales. Cela pouvait se faire, notamment, par des responsables envoyés spécifiquement visiter une autre Église (notamment pour apporter un soutien financier : Actes 11.29-30).

Mais, il est aussi probable que certains chrétiens étaient amenés à voyager pour d’autres raisons, notamment professionnelles. Par exemple, Priscille et Aquilas étaient des marchands, fabricants de tentes (Ac 18.3). Bien qu’originaires du Pont (nord de la Turquie actuelle), ils ont vécu à Rome, qu’ils ont dû quitter à la suite de l’expulsion des Juifs par l’empereur Claude : on les retrouve ensuite à Corinthe (Ac 18.2), puis à Éphèse (Ac 18.18-19 ; 1 Co 16.19), puis à Rome (Rm 16.3-4), puis de nouveau à Éphèse (2 Tm 4.19). Ainsi, il est probable qu’une partie des premiers chrétiens voyageaient et déménageaient régulièrement, en particulier les commerçants et les plus fortunés. Une des meilleures preuves de ces nombreux échanges se trouve dans les salutations finales de l’Épître aux Romains : Paul n’est encore jamais venu à Rome, pourtant il connaît personnellement un nombre considérable de chrétiens et de chrétiennes qui s’y trouvent (Rm 16.3-16) !

d. Des ministères translocaux

Au-delà du ministère apostolique, le Nouveau Testament indique l’existence de ministères translocaux. C’est le cas notamment des « prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants » qui, selon Éphésiens 4.11-16, sont au service de l’Église universelle (voir aussi 1 Co 12.28).

Les Actes mentionnent ainsi des prophètes, dont Agabus, qui, venant de Judée, visitent l’Église d’Antioche (Ac 11.27) et de Césarée (Ac 21.10). Philippe « l’évangéliste » fait d’abord le service dans l’Église de Jérusalem (Ac 6.2-6), puis évangélise la Samarie (Ac 8.5) ; plus tard, il semble s’occuper de l’Église locale de Césarée (Ac 21.8-9). Barnabas, originaire de Chypre (Ac 4.36), est d’abord au service de l’Église de Jérusalem, avant d’être missionné pour accompagner la croissance de l’Église d’Antioche (Ac 11.22-24). L’Église d’Antioche l’envoie ensuite en mission, accompagné de Paul (Ac 13.2-3) et d’un « stagiaire » issu de l’Église de Jérusalem, Jean Marc (Ac 13.5 ; voir 12.12).

Comme les textes du Nouveau Testament le montrent, les ministères-dons ne sont pas une propriété de l’Église locale, mais au service de l’Église universelle(38).

e. Une solidarité sans frontières

La solidarité a déjà tout son sens au sein de l’Église locale (cf. Ac 2.44-45) ; elle avait aussi une grande importance entre Églises. L’exemple le plus fort est la collecte organisée dans les Églises d’Asie Mineure, de Macédoine et de Grèce à destination de l’Église de Jérusalem. L’apôtre Paul a accordé une grande importance à cette réalisation (cf. Ac 24.17 ; Rm 15.25-28 ; 1 Co 16.1-4 ; 2 Co 8-9 ; Ga 2.10) ; il l’a menée à son terme au péril de sa vie (Ac 20.22-24). Pour désigner cette offrande, Paul utilise d’ailleurs le mot koïnonia (communion) (Rm 15.26 ; 2 Co 8.4 ; 9.13), un terme qui met en avant le rôle que joue cette collecte dans la « communion » de l’Église universelle. En ce sens, l’apôtre explique aux Corinthiens que leurs dons susciteront les « actions de grâces » des chrétiens de Jérusalem, ceux-ci remerciant Dieu et intercédant pour les Corinthiens (2 Co 9.12-14). Selon Jonathan Cornillon, cette collecte aurait aussi permis aux judéo-chrétiens de Jérusalem d’éprouver la « bonne foi spirituelle et morale des communautés » pagano-chrétiennes fondées par Paul(39) et ainsi de renforcer la communion fraternelle au sein de l’Église universelle.

En plus de la solidarité matérielle et spirituelle, on peut aussi remarquer une forme de « générosité ministérielle ». En effet, le Nouveau Testament laisse entendre que les Églises locales ne gardaient pas « leurs » ministères pour elles, même les plus talentueux ! Nous avons montré comment l’Église de Jérusalem a envoyé plusieurs de ses ministres pour servir d’autres Églises (Agabus, Barnabas) ou pour la mission (Philippe). C’est le cas aussi de l’Église d’Antioche qui a laissé partir Barnabas et Paul, ou de l’Église de Lystre qui a laissé Timothée partir en mission avec Paul (Ac 16.1-3).

f. Ensemble pour la mission

Cela nous amène à un dernier point, concernant la dimension « missionnelle » de l’Église. Cette dimension s’enracine dans le ministère même de Jésus et de ses disciples, un ministère caractérisé par sa « translocalité » puisque Jésus avait un ministère itinérant et qu’il envoie ses disciples parcourir villes et villages. Les évangiles et les Actes soulignent fortement que l’Évangile est une « nouvelle » qui est appelée à être portée par des messagers, de localité en localité, jusqu’aux extrémités de la terre. L’Église du Christ est, par essence, une communauté en mouvement qui ne peut vivre repliée sur le « local ».

Par conséquent, il n’est pas étonnant d’observer la façon dont les Églises locales collaborent en vue de la mission. L’Église d’Antioche « met à part » Barnabas et Paul pour la mission (Ac 13.2-3). Et si l’équipe missionnaire de Paul ne cesse de grandir, c’est parce que d’autres Églises locales ont aussi mis à part certains de leurs membres pour la mission. On peut aussi souligner comment certaines Églises locales elles-mêmes se sentaient partie prenante du ministère de Paul : ainsi les Philippiens qui ont soutenu son ministère à Thessalonique (Ph 4.16) ; ou encore l’association par la prière des Éphésiens à son ministère de proclamation de la parole (Ep 6.19).

Lorsqu’à la veille de son arrestation, Jésus prie le Père, il fait le lien entre la mission et l’unité de l’Église. Le Fils intercède pour ses disciples qu’il a « envoyés dans le monde » (Jn 17.18) et pour ceux qui, à travers leur mission, croiront en lui (v.20) : « que tous soient un […] afin que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (v.21). L’unité de l’Église est une conséquence de la mission, mais elle est aussi une nécessité pour la mission.

Sans que ces données nous obligent à institutionnaliser les liens entre les Églises, ceux-ci nous semblent nécessaires à l’essence même de l’Église au regard du dossier biblique que nous venons de parcourir. Si plusieurs modèles sont possibles, la création d’union d’Églises est une manière contemporaine de vivre ces liens. Nous proposons ainsi de reprendre les données bibliques glanées ci-dessus et de les appliquer aux relations vécues au sein des unions d’Églises aujourd’hui.

C. Quelles implications pour nos unions d'Églises aujourd'hui ?

Le but des apôtres n’était donc pas de fonder des communautés indépendantes les unes des autres, mais de participer à l’édification de l’Église de Jésus-Christ, laquelle, selon l’ordre même du Christ, ne pouvait être autre chose qu’une Église mondiale (Mt 28.18-20 ; Ac 1.8). Cette Église « jusqu’aux extrémités de la terre » ne peut exister qu’au travers des Églises d’Antioche, de Lystre, d’Iconium, de Thessalonique, de Corinthe, d’Éphèse, de Rome… dans la mesure où chacune d’elles accepte de ne pas vivre sans les autres. L’Église universelle ne peut être que par la communion des Églises locales : communion spirituelle, « missionnelle », matérielle.

Comment cette communion s’est-elle maintenue dans les générations postérieures au Nouveau Testament ? Selon Marc Lods(40), aux 2e et 3e siècles, le ministère de l’épiskopè, le baptême commun, l’eucharistie commune, ont permis de maintenir des liens forts entre les Églises de plus en plus nombreuses au point que, bien qu’affirmant une réelle autonomie entre elles(41), elles « vivent dans la conviction fondamentale qu’elles sont en unité de foi les unes avec les autres(42) ». Dès la fin du 2e siècle et aux 3e et 4e siècles, c’est la tenue régulière et de plus en plus fréquente de synodes (rassemblement des délégués des Églises), visant à prendre des décisions communes, doctrinales ou de discipline ecclésiastique, notamment face aux différentes hérésies, ou encore pour la fixation commune de la date de Pâques, qui permet de maintenir l’unité(43).

Qu’en est-il aujourd’hui, dans une situation mondialisée ? Comment les Églises, réalités locales selon notre théologie, peuvent-elles demeurer conscientes qu’elles ne sont pas Églises sans les autres ? Qu’est-ce qui peut leur donner le sentiment de l’unité de l’Église ? Sylvain Romerowski(44) et Émile Nicole(45) plaident que les structures intermédiaires entre Églises locales et Église universelle peuvent jouer ce rôle.

Dans cette partie, nous proposons de voir comment l’échelon dénominationnel(46) permet de vivre la dimension translocale de l’Église.

a. Une réaffirmation commune du fondement apostolique

Dans la perspective des Églises issues de la Réforme, la dimension apostolique de l’Église se manifeste par l’autorité accordée à l’enseignement apostolique tel que nous le transmettent les Écritures. Dans la pratique, vivre l’apostolicité de l’Église, c’est donc discerner ensemble la volonté de Dieu à partir de la Parole de Dieu inscripturée.

b. Des lieux de discernement commun de la volonté de Dieu

Ce discernement commun peut se faire dans le cadre de l’Église locale. Il faut toutefois rappeler que, du fait de son caractère universel, la Parole de Dieu s’adresse à toute l’Église du Christ. Ainsi, nous avons vu que, même si certaines lettres apostoliques ont été adressées premièrement à une Église locale, leur portée a été perçue comme dépassant le cadre de cette seule communauté locale. Par conséquent, l’étude et l’interprétation de l’Écriture en vue de discerner la volonté de Dieu sont appelées à se pratiquer aussi au-delà de l’Église locale.

Cela peut se vivre à travers différents types de dialogues formels ou informels. Le faire dans le cadre d’une union d’Églises, c’est le faire dans un contexte particulièrement engageant. Il ne s’agit pas simplement d’affirmer ce sur quoi l’on est d’accord ou pas d’accord, mais de discerner ce qui constituera le socle de nos relations : des relations fortes, engageantes, structurantes. Ainsi, lorsque des Églises se mettent formellement en alliance les unes avec les autres au travers d’une union, elles se dotent de « textes-cadres » qui leur permettent de vivre ensemble, mais aussi en lien avec l’Église universelle.

Il s’agit, en premier lieu, d’une confession de foi qui les unit autour d’affirmations communes – et cette confession de foi fait alors autorité pour les Églises locales en alliance – mais qui les unit aussi à l’ensemble de l’Église universelle. Confesser le Dieu trinitaire, le Christ Dieu et homme, mort pour nos péchés, c’est à la fois se rattacher à l’Église universelle et, permettre à plusieurs Églises locales de s’unir autour d’une foi commune.

Il peut s’agir aussi d’autres textes sur des questions doctrinales, éthiques ou pratiques qui sont le résultat du discernement commun de la volonté de Dieu. Certaines unions vont définir des principes ecclésiastiques communs qui sont censés orienter la vie de chaque Église locale. Il y a également les textes qui régissent les relations entre les Églises qui s’engagent au sein d’une même union : statuts, règlement intérieur, règlement financier, etc. Enfin, au-delà des textes, le discernement commun de la volonté de Dieu se fait aussi dans le but de prendre un certain nombre de décisions qui auront des conséquences pour la vie des Églises locales : reconnaissance des ministères, vote d’un budget commun, etc.

Selon le modèle d’Actes 15, l’élaboration de ces textes et la prise de décisions communes devraient impliquer de se mettre ensemble à l’écoute de la Parole de Dieu sous la conduite de l’Esprit. Comme le montre le texte des Actes, cela peut impliquer des temps de discussion, parfois même de vifs débats. Il est également normal qu’on laisse davantage la parole à certains ministères-dons : les personnes ayant des compétences reconnues dans l’étude de l’Écriture peuvent rappeler quelques principes scripturaires sur le sujet discuté ; ceux que l’on estime capables de « diriger » peuvent orienter et modérer les débats ; d’autres, reconnus pour leur discernement pratique ou pour leur dimension prophétique, peuvent aussi être sollicités plus spécifiquement. Enfin, on veillera à ce que les décisions prises au niveau de l’union soient communiquées de façon efficace aux Églises locales.

c. Un réseau d’Églises dans un monde en mouvement

Encore davantage que l’Empire romain du premier siècle, notre société est caractérisée par la mobilité. Que ce soit pour les études, pour des raisons professionnelles ou même pour suivre un conjoint, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à changer de ville, de région, voire de pays.

Dans ce contexte, l’union d’Églises peut s’avérer un atout. Il faut, certes, que la personne qui déménage puisse trouver, dans son nouvel environnement, une communauté appartenant à la même union ou à une union partenaire(47) que celle qu’elle a quittée. Dans ce cas, son accueil pourra être facilité par les relations existantes entre les deux communautés. L’antique lettre de recommandation sera généralement remplacée par un coup de fil entre deux collègues pasteurs qui ne seront généralement pas des inconnus l’un pour l’autre. L’intégration dans la nouvelle communauté ne devrait pas poser de difficulté, vu qu’elle partage des principes ecclésiastiques similaires. Ces « transferts » au sein d’une même union peuvent aussi contribuer à rendre plus concrètes les relations entre les Églises qui la constituent. En effet, lorsque la personne venant de déménager contactera les amis de son ancienne Église, elle leur parlera certainement de sa nouvelle communauté. Celle-ci ne sera plus alors une Église inconnue d’une autre ville, mais l’Église de leur ami.

d. Des structures pour accompagner et financer des ministères translocaux

Une telle alliance entre Églises oblige à se doter d’un organe directeur : cela peut être un conseil d’administration national qui peut lui-même nommer diverses commissions. Dans certaines unions d’Églises comme la Fédération baptiste (FEEBF), certains permanents font même office de ministères translocaux : secrétaire général, directeur de la formation, directeur enfance et jeunesse. Ces instances centrales et ces ministères spécifiques jouent un rôle assez proche de celui des délégués apostoliques, en créant de la cohésion entre Églises locales, en donnant un sentiment d’appartenance les uns aux autres, en servant les diverses Églises locales. Cet organe directeur crée aussi un lien officiel en direction de l’Église universelle. En effet, c’est généralement par son intermédiaire que l’union des Églises va développer des liens avec d’autres unions : des unions plus larges auxquelles elle appartient (CNEF, FPF (Fédération protestante de France), alliances aux niveaux européen ou mondial), mais aussi d’autres unions, associations ou dénominations avec lesquelles les relations peuvent être plus ou moins proches.

L’union d’Églises peut également jouer un rôle dans la formation, le discernement et la reconnaissance des ministères, en particulier des ministères pastoraux. L’union va contribuer au financement de la formation des futurs pasteurs, que ce soit lors de leurs études théologiques ou de périodes de stage. En lien avec une commission des ministères, elle va les accompagner et les conseiller dans leur cheminement jusqu’à les « reconnaître » comme pasteurs, non seulement d’une Église locale, mais de l’union. Par la suite, l’union facilitera les mouvements pastoraux et pourra accompagner les communautés à la recherche d’un pasteur. Elle pourra aussi aider les Églises locales pour les questions administratives complexes liées à la rémunération des pasteurs. Ainsi, lorsqu’arrive le temps de la « retraite », la plupart des pasteurs n'auront pas été pasteurs d’une seule Église locale, mais bien de plusieurs Églises d’une même union. De la sorte, ce fonctionnement permet de réaliser de façon très concrète que les ministères ne sont pas donnés par Christ à une seule Église locale qui en serait « propriétaire », mais bien à l’Église universelle.

e. Un cadre pour l’expression concrète de la solidarité au-delà de l’Église locale

L’union d’Églises n’est certes pas le seul lieu possible pour l’expression de la solidarité translocale. Néanmoins, une telle alliance constitue une structure relativement efficace pour organiser la solidarité des Églises locales entre elles. Au niveau financier, les cotisations des Églises locales permettent de financer des services et des ministères qui seront au bénéfice de l’ensemble de l’union. Le financement commun de la formation des ministères est aussi une forme de solidarité : cela peut permettre à une communauté locale aux moyens limités d’envoyer tout de même l’un de ses membres se former. Dans certaines unions, comme la Fédération baptiste, les lieux de culte d’une Église locale peuvent être achetés par l’intermédiaire de la fédération pour, notamment, faciliter l’emprunt auprès des banques. Dans ce cas, l’Église locale finance ses bâtiments alors que, légalement, ceux-ci appartiennent à l’union. Si elle choisit de quitter l’union ou si l’association cultuelle locale est dissoute, les bâtiments restent en principe propriété de l’union. N'est-ce pas là une manière de vivre le principe de la « mise en commun » des biens, « personne ne se prétendant propriétaire de ses biens » (cf. Ac 4.32) ?

Les relations fortes entre les Églises d’une même union permettent aussi parfois des gestes de solidarité plus ponctuels, en fonction des besoins. Si une Église subit un événement dramatique qui a des conséquences lourdes au niveau financier, l’union peut relayer l’information et susciter la générosité des Églises sœurs. Par les relations qu’entretient l’union d’Églises, celle-ci va aussi encourager la solidarité en direction de l’Église universelle. C’est le cas, par exemple, lorsque les Églises d’une région du monde subissent une catastrophe naturelle.

Enfin, la vie d’une union d’Églises implique aussi une générosité « ministérielle ». Consciente de ce que les ministères donnés par Christ n’appartiennent pas à la seule Église locale qui les rémunère, cette Église acceptera que son pasteur puisse aussi donner de son temps à d’autres : participation à des commissions ou des rencontres de l’union d’Églises ; prédication ou formation dans une autre Église ; assistance ponctuelle à une Église en difficulté ; etc. Cette générosité « ministérielle » peut même se manifester au-delà de l’union d’Églises vers d’autres unions partenaires ou vers des ministères interdénominationnels ou internationaux (pasteurs détachés, aumôniers, direction d’une œuvre, enseignement théologique, etc.).

f. Des lieux de collaboration dans la mission

Dans l’histoire de la mission chrétienne, le Seigneur a souvent utilisé des associations ou sociétés missionnaires regroupant des missionnaires venant de diverses dénominations. À l’échelon d’une union d’Églises, la collaboration et le soutien des missionnaires peuvent s’appuyer sur un réseau d’Églises déjà existant, partageant un socle commun (confession de foi, principes ecclésiastiques, etc.), et habitué à collaborer concrètement et financièrement. Il s’agit donc d’un cadre pertinent pour encourager, soutenir et mettre en œuvre la mission chrétienne.

Cela se pratique dans le contexte de la mission « intérieure », l’union soutenant l’implantation de nouvelles Églises, une communauté locale pouvant accepter d’envoyer certains de ses membres pour participer à ces projets. Au niveau de la mission vers l’international, l’union peut mettre en œuvre son « réseau social » interne pour encourager le soutien financier de certains projets ou de certains ministères, pour donner des nouvelles et susciter la prière. Elle pourra aussi faire appel à ses relations avec d’autres unions d’Églises au niveau européen ou mondial pour collaborer de façon pertinente dans la mission vers « toutes les nations ».

D. Perspective dogmatique : quelle ecclésialité pour les unions ou fédérations d’Églises ?

Le dossier biblique montre que les Églises du Nouveau Testament vivaient en relation les unes avec les autres. Non seulement il le montre, mais il indique que ces relations inter-Églises sont constitutives de l’être même de l’Église : une Église locale n’est pas Église toute seule, sans conscience du lien qui l’unit aux autres. Elle est pleinement Église, entre autres raisons, parce qu’elle vit en relation avec les autres Églises sœurs.

Cela nous conduit à porter un regard théologique, ecclésiologique même, sur ces relations et notamment sur les unions d’Églises, puisqu’il s’agit de la forme structurée et institutionnelle des relations entre Églises locales en congrégationalisme. Puisque ces relations sont constitutives de l’être même de l’Église locale, une union ne peut pas être considérée seulement comme un simple ajout ou « bonus » à l’ecclésialité de la communauté locale. Comment alors la penser ? Si l’on affirme qu’elle n’est pas autre chose que l’Église, comment penser son ecclésialité sans la confondre avec l’ecclésialité de l’Église locale ?

La notion de mode d’ecclésialité peut nous aider à affirmer ensemble que l’Église locale est pleinement Église, et que nos unions sont aussi des manifestations de l’Église une. Elles ne sont pas autre chose que l’Église, mais elles le sont d’une manière différente de ce qu’est une Église locale.

Nous vous proposons ici cinq critères permettant de définir le mode d’ecclésialité d’une communauté, locale ou translocale, réunie au nom du Christ :

  1. L’unité doctrinale de la communauté en question. L’unité est essentielle, constitutive même de l’Église. L’Église du Dieu vivant est « la colonne et l’appui de la vérité » (1 Tm 3.15), par sa confession du « mystère de la piété » (1 Tm 3.16). Confesser le Christ comme Seigneur unit les chrétiens les uns aux autres (Rm 10.9 ; 1 Co 12.3,13), mais unit également les Églises locales entre elles (voir 1 Co 11.16 ; 14.33,36 : « Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie ? Ou bien est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue ? »). Et ces liens opèrent de manière synchronique (dans le présent), et de manière diachronique (à travers l’histoire)(48). Mais, force est de constater que notre compréhension de la foi varie d’une Église à l’autre, d’une dénomination à l’autre. Cette diversité est en partie le fruit de notre aveuglement pécheur, en partie due aux divers degrés de maturité dans la foi (cf. consommation de viandes sacrifiées aux idoles), et en partie légitime, voulue par Dieu. À cause de ces diversités, en tout cas, le socle théologique commun entre les membres d’une même Église, entre les Églises d’une même union, ou entre différentes dénominations, sera plus ou moins large. Il pourra aller du seul Symbole des apôtres à une confession de foi détaillée de plusieurs pages. Le critère de l’unité doctrinale répond à la question : « qu’est-il confessé en commun ? »

  2. L’étendue géographique de la communauté, parce que l’Église n’est pas éthérée ; elle se manifeste en un lieu donné, et l’étendue de ce lieu qualifie son ecclésialité. L’Église une se manifeste selon des modalités différentes selon qu’il s’agisse d’une Église de maison, de l’Église d’une ville, ou de l’Église de toute une région. L’Église est toujours de « quelque part ». Rien d’étonnant à cela lorsque l’on dit que l’Église est la communauté de ceux qui sont régénérés par le Christ. Le terme grec ekklesia lui-même, qui traduit l’hébreu qāhāl dans la version des Septante (Dt 4.10 ; 1 R 8.14 ; Né 13.1), implique cette idée de communauté de Dieu, qui se rassemble régulièrement pour adorer son Seigneur. Les croyants étant présents dans l’espace par leur corps, l’Église aussi sera localisée, située dans l’espace. Paul écrit « aux Églises de Galatie » (Ga 1.2), il demande de saluer « Nympha et l’Église qui est dans sa maison » (Col 4.15). Il ne s’agit pas de dire que le lieu du rassemblement est important (Jn 4.19‑24), mais simplement que l’Église « doit avoir lieu quelque part(49) ». Elle peut prendre place n’importe où, mais surtout pas nulle part(50). Même lorsqu’elle est dispersée, la communauté est toujours d’un lieu donné, elle ne s’évapore pas en dehors de l’espace. Le critère de localité répond à la question : « quelle est l’étendue géographique de la communauté qui se rassemble, de quel “lieu” est-elle ? »

  3. La fréquence du rassemblement ensuite, qui est corrélée à l’étendue géographique de la communauté. L’Église n’est pas un pur événement, et le rassemblement ecclésial s’inscrit dans une temporalité durable. Les missions de la communauté chrétienne nécessitent en effet une continuation dans le temps. Pour reprendre les termes d’Actes 2, l’enseignement des apôtres et la communion fraternelle ne sont pas des événements qui jaillissent de l’instant et s’évanouissent aussitôt que la foule des premiers chrétiens se disperse. Ce sont plutôt des réalités qui transcendent les rencontres ponctuelles de la première Église de Jérusalem. L’enseignement se bâtit de rencontre en rencontre, et la communion s’approfondit avec le temps, si bien que c’est au même enseignement des apôtres et à la même communion fraternelle que les chrétiens sont dits « assidus » d’une rencontre à l’autre (Ac 2.42,46). La communauté s’inscrit dans une temporalité, ou une « durabilité », qui nécessite une certaine régularité des rencontres. L’analogie de la famille permet d’illustrer cela(51). On comprend que quelqu’un ne renvoie pas exactement à la même réalité familiale lorsqu’il parle du dîner en famille, du repas hebdomadaire en famille ou de la fête de famille annuelle. De même la fréquence des rencontres ecclésiales permet de distinguer différents modes d’ecclésialité(52). Ce troisième critère répond donc à la question : « à quelle fréquence la communauté se réunit-elle ? »

  4. L’objectif de la communauté locale ou translocale. L’Église se caractérise aussi par l’engagement qui lie ses membres les uns aux autres, ce en vue de quoi ils font communauté. Pour que la communauté en question soit comprise comme Église du Christ, il est nécessaire que, d’une manière ou d’une autre, cet engagement à marcher ensemble soit au service de l’adoration du Dieu trinitaire (ce que devraient rappeler les cultes vécus lors des congrès, ou les cultes en commun du CNEF ou de la FPF, qui donnent sens à tout ce qui est vécu ensemble). Cette alliance horizontale, entre les membres, se fonde sur l’alliance verticale et première, entre Dieu et ses rachetés. L’Église, à tous les échelons, est le peuple que Dieu s’est acquis pour que celui-ci lui offre « des sacrifices spirituels, agréés de Dieu, par Jésus-Christ », et pour qu’il annonce ses hauts faits (1 P 2.5,9). Mais cette alliance et cette finalité doxologique de l’Église se déploient différemment d’un échelon à l’autre. L’objectif d’une Église locale est de rassembler ses membres pour l’adoration du Seigneur, l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, l’administration des sacrements, la prière communautaire et le témoignage. L’objectif d’une union, en général, c’est la communion entre les Églises locales, la reconnaissance et l’envoi des ministères, l’entraide entre les communautés, et la collaboration dans la mission.

    L’objectif d’une union d’unions comme le CNEF est de manifester l’unité entre dénominations évangéliques, de représenter les évangéliques français et de favoriser l’exercice du culte dans ce contexte (en fournissant un service juridique, par exemple) et enfin d’inspirer le témoignage des Églises et des œuvres, en paroles et en actes. L’adoration et la confession multiforme de leur foi en Christ demeurent toujours le cœur, sans quoi on ne pourrait pas parler d’Église, mais les modalités de l’engagement à marcher ensemble diffèrent. Le critère de l’objectif du rassemblement répond donc à la question « en vue de quoi les membres d’une communauté font alliance et s’engagent à marcher ensemble ? »

  5. Le statut des rassemblés, qui est corrélé à l’objectif de la communauté. Pour que l’on puisse parler d’Église, il est nécessaire que ceux qui sont en communion soient chrétiens, régénérés par l’Esprit, membres du corps du Christ. Et leur appartenance au Christ doit même être la raison principale de leur appartenance à la communauté. Mais peuvent s’ajouter à cette raison principale des spécificités qui participeront encore à distinguer des modes d’ecclésialité. Si une Église locale réunit des chrétiens d’une zone géographique donnée qui confessent une même foi (et qui se retrouvent dans une manière commune de vivre l’Église), une union rassemble des Églises locales, lesquelles seront représentées lors de la plupart des rencontres de l’union par des délégués d’Église. La dimension personnelle d’une union, et d’une union d’unions, ne doit surtout pas être évacuée. Ce sont aussi des chrétiens qui sont en communion au moyen d’une union d’Églises (et la réalité témoigne de l’importance des relations interpersonnelles dans le fonctionnement d’une union), mais ils le sont à travers leurs Églises locales. Cette dimension plus personnelle se vit à l’échelon translocal par les cultes célébrés lors des congrès, lors de la Semaine universelle de prière pour le CNEF, ou encore lors d’événements organisés par la FPF où les membres des Églises sont invités, comme « Osons lire la Bible ensemble » ou « Protestants en fête », par exemple. Mais, fondamentalement, une Église locale est une communion de chrétiens, alors qu’une union est une communion d’Églises. Le critère du statut des rassemblés répond donc à la question : « qui est là et en quelle qualité ? »

Répondre à ces cinq questions, c’est définir le mode d’ecclésialité d’une communauté chrétienne donnée, sa « carte d’identité ecclésiale », à l’échelon local ou translocal. La notion permet donc, nous semble-t-il, de maintenir l’ecclésialité de l’Église locale et de l’échelon translocal (par exemple, l’union d’Églises), sans pour autant les confondre, ni perdre de vue ce qui fait leur spécificité.

Demeure la question de l’ecclésialité des œuvres, que le Comité théologique du CNEF a déjà adressée ailleurs(53). Comment les critères proposés ici peuvent-ils, ou non, s’appliquer aux œuvres(54) ? Il semble que l’ensemble des critères peuvent être appliqués, d’une manière spécifique en tout cas, qui distinguera justement une œuvre d’une Église locale, et ainsi leur mode d’ecclésialité respectif. En particulier, l’objectif d’une œuvre (critère 4) ne sera pas directement au service de l’adoration du Dieu trinitaire, mais visera un but plus restreint et défini. C’est dire déjà qu’une œuvre n’est pas Église comme l’est une Église locale ou même une union d’Églises. Cela dit, et comme l’écrit le Comité théologique du CNEF, « sans être l’Église, ces œuvres sont de l’Église(55) ». Elles sont de l’Église en effet, car si elles sont chrétiennes, c’est bien au nom du Christ que des chrétiens s’assemblent pour répondre à son appel de soulager les maux de nos prochains, de répandre son Évangile, d’implanter des Églises, de former des ministres, etc. Les autres critères peuvent donc s’appliquer : celui de l’unité doctrinale, celui de l’étendue géographique de la « communauté » formée par les personnes engagées dans l’œuvre, celui de la fréquence de leurs rencontres, et celui du statut des rassemblés(56). Pour revenir sur l’objectif de l’œuvre, on pourra notamment se demander à quel point celui-ci est spécifiquement chrétien, autrement dit comment il s’articule avec le mandat culturel (Gn 1.26-29) ou avec le mandat missionnaire (Mt 28.16-20). Les œuvres ont donc leur mode d’ecclésialité propre, différent de celui d’une Église locale et de celui d’une union. Mais affirmer qu’elles relèvent de l’Église et affirmer ainsi leur ecclésialité, c’est s’interdire de les considérer comme « radicalement autonomes par rapport aux Églises, comme si elles avaient en elles-mêmes la justification de leur existence et de leur permanence(57) ».

Comment les critères s’appliquent-ils à une Église locale ou à une union pour en définir la « carte d’identité ecclésiale » ? Prenons quelques exemples.

D’abord, celui d’une Église locale :

  1. L’unité doctrinale : elle est définie par la confession de foi de l’Église, à laquelle les personnes adhèrent en devenant membres. Si l’Église locale appartient à une union, cette confession est au moins celle de l’union ; la confession peut même parfois être plus précise ou plus développée.

  2. L’étendue géographique de la communauté : elle est relativement limitée, à l’échelle d’une commune et de ses environs. Elle permet aux membres de se voir, que ce soit dans le cadre du culte ou d’une manière informelle, au moyen d’un trajet relativement court.

  3. La fréquence : l’Église locale se réunit de manière hebdomadaire pour le culte, et pour la plupart également en semaine, dans le cadre d’activités spécifiques (étude biblique, activité sociale, groupe de maison, etc.).

  4. L’objectif de la communauté : l’adoration commune du Dieu trinitaire, la prière, l’administration des sacrements, la méditation de la Parole, la communion fraternelle et le témoignage.

  5. Le statut des rassemblés : les membres de l’Église, avec leurs enfants s’ils en ont, et des sympathisants, qui ne sont pas nécessairement membres, mais qui fréquentent régulièrement les rassemblements de l’Église.

Pour une union d’Églises, comme la FEEBF par exemple, on aurait une « carte d’identité ecclésiale » de ce type :

  1. L’unité doctrinale : il s’agit encore d’une confession de foi, et des textes-cadres qui en émanent (par exemple, les principes ecclésiastiques, un texte d’alliance, ainsi que les textes votés en congrès affirmant la foi commune sur des questions particulières, comme sur le Saint-Esprit ou le ministère pastoral « féminin »).

  2. L’étendue géographique de la communauté : celle-ci sera bien plus large que celle d’une Église locale. Pour la FEEBF, il s’agit, bien sûr, de la France.

  3. La fréquence : en général, la fréquence des rencontres d’une union est annuelle, avec le congrès pour la FEEBF, par exemple. À cette rencontre de toute l’union (des représentants de ses membres en tout cas), s’ajoutent aussi les rencontres de comité, les pastorales nationales, les pastorales locales, etc.

  4. L’objectif de la communauté : la communion et la solidarité entre les Églises locales membres, la formation, la reconnaissance et l’envoi des ministres, la mission.

  5. Le statut des rassemblées : il s’agit des Églises locales, représentées à la rencontre annuelle par leurs délégués.

Enfin, prenons un dernier exemple, la « carte d’identité ecclésiale » d’une section locale du CNEF :

  1. L’unité doctrinale : c’est celle de la confession de foi du CNEF, plus succincte que celle d’une union et a fortiori que celle d’une Église locale.

  2. L’étendue géographique de la communauté : c’est, peu ou prou, la même que celle d’une Église locale, une commune et ses alentours.

  3. La fréquence : celle-ci peut varier d’une ville à une autre. Disons qu’en moyenne les pastorales locales du CNEF se rencontrent de manière trimestrielle.

  4. L’objectif de la communauté : la communion entre les Églises et les œuvres locales évangéliques (membres du CNEF national ou non) d’une localité donnée, la prière commune, la mutualisation de certains moyens, la représentation évangélique à l’échelle locale, etc.

  5. Le statut des rassemblées : ce sont les Églises et les œuvres évangéliques de la zone concernée, représentées en général par leurs pasteurs et par les responsables d’œuvres ; parfois aussi, dans certaines régions, par les personnes engagées des communautés (responsable de groupe de jeunes, responsable de louange, etc.). Il arrive aussi, comme lors d’un culte en commun organisé par la section locale, que ce soit l’ensemble des chrétiens des Églises membres qui soient appelés à se rassembler.

On voit bien les différents modes d’ecclésialité se dessiner. Une pastorale locale du CNEF s’étend, peu ou prou, sur le même territoire qu’une Église locale, mais la fréquence de ses rencontres est moindre, ses objectifs différents, et le statut des rassemblés est spécifique (les pasteurs et responsables d’œuvres la plupart du temps). Une union peut avoir une confession tout aussi développée que celle d’une Église locale, mais son étendue géographique est bien plus large que celle d’une assemblée ; de même ses objectifs diffèrent, ainsi que sa fréquence de rencontre et le statut de ceux qui sont en communion à travers elle.
De plus, ces modes d’ecclésialité permettent d’éclairer les distinctions et les spécificités de chaque « communauté ecclésiale », qu’elle soit une Église locale, une union ou une union d’unions. Chacune peut assumer sa vocation et sa responsabilité propre, à son échelle, sans fusion ni confusion avec les autres, sans chercher à absorber les responsabilités de l’autre. Si son mode d’ecclésialité est bien défini, il n’y a pas à craindre qu’une union remplace ou écrase l’existence et la responsabilité des Églises locales qui en sont membres. De même, si leur mode d’ecclésialité est bien défini, il n’y a pas à craindre que des unions d’unions comme la FPF ou le CNEF prétendent devenir des « super-unions » menaçant la vocation propre des unions d’Églises.

L’espace manque dans cet article pour prolonger la réflexion sur la manière de penser et vivre les rapports de communion entre une union (avec les Églises locales qui la composent) et les structures translocales à laquelle celle-ci est rattachée, à l’échelon national ou international. Il serait utile d’approfondir cette question spécifique dans un travail dédié. Dans l’attente, nous proposons dans l’excursus qui suit de dresser un panorama des structures translocales chrétiennes, dont une union comme la FEEBF est membre, afin de nous sensibiliser à ces réalités de l’Église « grand angle ».

Excursus :

Structures translocales chrétiennes dont la FEEBF est membre

Les unions d’Églises, communion instituée entre des communautés locales qui font alliance entre elles, rappellent à ces dernières l’unité de l’Église universelle, le fait qu’elles ne sont pas Églises seules. Les unions le font en manifestant et en organisant les relations entre leurs Églises membres, mais également par les liens qu’elles suscitent avec d’autres structures plus larges, interdénominationnelles, comme la FPF ou le CNEF en France, ou encore l’Alliance évangélique mondiale à l’international.

L’excursus ci-dessous prend l’exemple de la FEEBF et dessine le maillage ecclésial dans lequel elle s’insère.

Au plan national

  • CNEF (Conseil national des évangéliques de France) : la FEEBF est membre fondateur du CNEF (2010), qui regroupe 35 unions d’Églises évangéliques et 185 œuvres en France, autour d’une confession de foi (celle de l’Alliance évangélique mondiale). La vocation du CNEF est : d’« exprimer et approfondir leur unité en Jésus-Christ, rendre davantage visible le protestantisme évangélique dans la société française et promouvoir le témoignage de l’Évangile en paroles et en actes ».

Par le CNEF, la FEEBF est affiliée à l’Alliance évangélique européenne et mondiale.

  • FPF (Fédération protestante de France) : la FEEBF participe à la FPF depuis sa création (1905) et en est membre officiellement depuis 1916. Elle regroupe 27 unions d’Églises, 71 œuvres et 11 communautés en France, autour d’une charte. Le but est d’« être l’instance représentative du protestantisme français auprès des pouvoirs publics et de proposer un témoignage commun au sein de la société par ses services, ses réflexions et ses actions ».

Par la FPF, la FEEBF est membre du CECF (Conseil des Églises chrétiennes en France), créée en 1987, réunissant les responsables d’Églises françaises. Trois objectifs : s’informer sur les événements qui marquent la vie des Églises ; promouvoir des manifestations œcuméniques en les organisant ou en les parrainant ; se concerter sur les questions sociétales ; et exprimer une position commune.

Au plan international

  • La FEEBF est membre direct de la Fédération baptiste européenne (EBF), fondée en 1949, qui comprend 800.000 membres répartis dans 59 organismes membres dans 52 pays d'Eurasie et du Moyen-Orient. Créée en 1949, l’EBF a pour but d’«encourager et d'inspirer les baptistes dans la foi, la communion et la responsabilité partagée, en cherchant dans tous ses efforts à accomplir la volonté de Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur ».
  • La FEEBF est membre direct de l’Alliance baptiste mondiale (BWA), fondée en 1905, regroupant 246 conventions et unions d’Églises de 128 pays ou territoires pour 51 millions de membres (croyants baptisés) dans 176.000 Églises locales.

Une même confession de foi et des principes directeurs pour des relations intra-baptistes régissent l’EBF et la BWA.

  • La FEEBF est membre direct de la Conférence des Églises européennes (CEC) fondée en 1959 qui rassemble autour d’une constitution 114 unions d’Églises (orthodoxes, protestantes et anglicanes) de toute l’Europe pour une réflexion théologique, des actions communes et un dialogue avec les institutions européennes à Bruxelles et Strasbourg afin « d’encourager la paix, la réconciliation et de façonner le futur de l’Europe ».
  • La FEEBF est membre direct de la Conférence des Églises protestantes des pays latins : (CEEPLE), créée en 1948, elle rassemble autour de projets et réseaux 18 unions d’Églises de Belgique, Espagne, Italie, France, Portugal et Suisse d’Europe ; elle est un des groupes régionaux de la Conférence des Églises Protestantes en Europe (CEPE) « qui veut apporter son regard spécifique en tant qu’Églises en dissémination – mais solidaire afin de collaborer au témoignage de l’Évangile pour aujourd’hui ».
  • Par la FPF, la FEEB est également membre du conseil œcuménique des Églises (COE/WCC) qui rassemble 352 unions d’Églises (protestantes, anglicanes, orthodoxes et une collaboration avec l’Église catholique) de plus de 120 pays, représentant 580 millions de chrétiens. Le COE « est une communauté fraternelle d'Églises qui confessent le Seigneur Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur selon les Écritures, et qui cherchent donc à répondre ensemble à leur vocation commune à la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Elle est une communauté d'Églises en marche vers l'unité visible dans une seule foi et une seule communauté eucharistique, exprimées dans le culte et dans la vie commune en Christ. Elle cherche à progresser vers cette unité, comme Jésus l'a demandé à ses disciples, “afin que le monde croie” (Jn 17.21) Le COE est la plus large et la plus inclusive des nombreuses expressions organisées du mouvement œcuménique moderne, un mouvement dont l'objectif est l'unité des chrétiens. »

Fort de cet effort de clarification, aidant à mieux situer les différentes réalités ecclésiales et leur vocation propre, il nous appartient maintenant de réfléchir à la manière d’articuler et vivre concrètement en congrégationalisme l’autorité des Églises locales et celle de l’union d’Églises qui en procède.

II. Autorité de l’Église locale et autorité de l’union d'Églises

Notre culture se caractérise, entre autres, par une crise de l’autorité, et la définition de cette notion s’en trouve, du même coup, bien compliquée à établir. Il ne s’agira pas pour nous ici de développer ce point qui mériterait un traitement spécifique. Mais, pour parler de l’articulation de l’autorité de l’Église locale et celle de l’échelon dénominationnel, il nous faut toutefois en dire quelques mots.

Dans l’évangile de Marc, juste après que Jésus leur ait annoncé sa mort et sa résurrection pour la deuxième fois, les disciples discutent entre eux sur le chemin pour savoir qui est le plus grand (Mc 9.34). Plus loin, juste après que Jésus leur ait annoncé pour la troisième fois sa mort et sa résurrection, Jacques et Jean lui demandent de pouvoir s’asseoir à sa droite et à sa gauche dans sa gloire (Mc 10.37). Dans le premier cas, Jésus leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mc 9.35), et dans le deuxième cas, plus longuement :

« Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. Il n’en est pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Mc 10.42-45)

Jésus ne vide certainement pas ici la notion d’autorité de son sens. En lavant les pieds de ses disciples dans le quatrième évangile, il dira en effet : « Vous, vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis. » (Jn 13.13, nous soulignons). Mais il renverse la question « qui domine qui ? », par « qui sert qui ? », ou « qui se donne pour qui, et en vue de quoi ? ». Comme l’écrit le dogmaticien évangélique Jacques Nussbaumer : « [i]l s’agit d’une autorité qui se définit, non d’abord comme un pouvoir “sur” les hommes ou le monde, mais comme un pouvoir et une responsabilité “de” ou “pour” servir dans un esprit de don de soi(58). » Et c’est également ainsi que sont façonnées les relations d’autorité dans l’Église d’après Paul :

« C’est lui [le Christ glorifié] qui a donné les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme annonciateurs de la bonne nouvelle, d’autres comme bergers et maîtres, afin de former les saints pour l’œuvre du ministère, pour la construction du corps du Christ. » (Ep 4.11-12, nous soulignons)

Dans ce cadre, l’autorité de l’Église locale et l’autorité de l’échelon dénominationnel (une union d’Églises comme la FEEBF, ou même une union d’unions comme le CNEF, la FPF ou la EBF) ne doivent pas être envisagées dans le cadre d’un rapport de force, où l’autorité de l’une est exclusive de l’autorité de l’autre, et où la répartition de l’autorité devrait être un jeu à somme nulle(59). Au contraire, l’autorité de l’Église locale et l’autorité de l’échelon dénominationnel seront christocentriques (christocratiques !), et orientées vers la construction du corps du Christ. Comme l’écrit le théologien baptiste anglais Paul Fiddes, dans l’Église : « l’autorité est une affaire de discernement de la pensée du Christ(60) », et, « [a]insi, l’autorité du pasteur et des assemblées générales [church meeting] proviennent du rôle qu’ils jouent dans la découverte de la pensée du Christ, qui détient l’autorité finale(61). » Il y a donc une certaine fluidité dans l’exercice de l’autorité de l’Église locale et de l’échelon dénominationnel. Comment vivre cette fluidité et exercer l’autorité à ces différents échelons ?

A. Discerner ensemble : la notion de réception

Puisqu’elle est Église aussi, bien que sous un mode différent de l’Église locale(62), l’union d’Églises a la responsabilité, comme l’Église locale, de discerner la volonté du Christ pour elle. Elle le fait en rassemblant, annuellement au moins, des représentants de ses Églises membres, en se dotant d’un conseil national, ainsi que de comités et de commissions auxquels seront confiés une part active dans le discernement communautaire (comme une commission des ministères qui discerne, pour l’union, les vocations pastorales), etc.

Ce discernement communautaire sera guidé et normé par l’Écriture, parole de Dieu donnée à l’Église dans des paroles humaines. À la suite des réformateurs, les unions évangéliques reconnaissent en effet l’Écriture comme la seule norme normante de leur vie et de leur foi. Le discernement et la décision sur une question donnée se font donc toujours dans le cadre plus global du grand récit biblique (l’histoire du salut). La Bible aide les chrétiens à voir le monde avec le regard de Dieu, et à nourrir en eux « une intelligence pratique capable de s’orienter dans la vie vers le bien(63) ». Comme le suggère le théologien systématique Kevin Vanhoozer, l’Écriture est comme un rayon de lumière. Ceux qui cherchent la volonté du Christ sont invités « non seulement à regarder le rayon, mais à se mettre dans son axe et à le suivre des yeux pour regarder ce qu’il permet de voir(64) », c’est-à-dire le monde qui les entoure, les situations qui se présentent à eux, leur propre cœur, etc.

Guidés par l’Écriture, en se plaçant « dans son axe », nourris par la prière et renouvelés par l’Esprit, les délégués des Églises réunis en congrès, les membres d’un conseil national ou d’une commission prendront donc les décisions qu’ils croient préférables dans un contexte et un moment donnés. Mais, comment les Églises locales peuvent-elles reconnaître dans ces décisions des mesures qui font autorité pour elles ? Elles peuvent le faire par voie de réception. De quoi parle-t-on ?

L’ecclésiologue baptiste Alain Nisus définit la réception ainsi :

« Il s’agit d’un consentement de la part d’une communauté, par mode de jugement (de discernement), d’une décision qu’elle ne s’est pas donnée à elle-même, que d’autres qu’elle ont prise, mais où elle reconnaît sa foi ou des mesures qui conviennent à sa vie d’Église et qui scellent l’unité fédérative(65). »

On peut dire, par exemple, que les Églises occidentales ont « reçu » le Symbole des Apôtres. Il s’agit, en effet, d’une confession de foi qu’elles ne se sont pas donnée à elles-mêmes (a priori, ce n’est pas un texte issu d’un concile œcuménique), mais dans lequel elles ont reconnu, après coup, une expression juste de la foi biblique qui est la leur. Plus récemment, on peut également parler de réception pour la Charte contre les violences conjugales, votée par les délégués des Églises locales lors du congrès de la FEEBF de 2020 à Port-Marly. Là encore, des Églises locales ont « reçu » un texte qu’elles ne s’étaient pas donné à elles-mêmes (la charte en question a été rédigée par une commission), mais elles y ont reconnu une mesure qui convient à leurs vies et qui scelle leur unité fédérative. À l’inverse, les Églises protestantes ne « reçoivent » pas les textes du concile de Trente (1545-1563) par exemple, parce qu’elles n’y reconnaissent pas l’expression de leur foi, l’expression de la pensée du Christ.

La notion de réception a davantage été travaillée en milieu catholique. Alain Nisus en propose une réappropriation congrégationaliste, en s’inspirant de la définition proposée par le théologien catholique Yves Congar(66).

À la suite de Congar, il faut souligner que la réception d’une décision ou d’un texte par une communauté locale implique la mise en action de ses « ressources spirituelles originales », notamment « par un processus […] mettant en œuvre la prédication (aspect kérygmatique), la spiritualité, l’élaboration théologique » et la liturgie(67). La réception ne consiste pas simplement à obéir à une décision translocale, mais nécessite plutôt une appropriation locale, une « traduction » du texte ou de la décision adaptée au langage, à la culture, et au vécu de la communauté locale(68). De par la responsabilité qu’elle implique, la réception requiert donc que l’Église locale soit continuellement formée théologiquement afin d’être en capacité d’exercer son jugement et de donner, ou non, son consentement.

Il est intéressant de noter aussi que la réception elle-même ne concerne pas, et ne dépend donc pas de la manière dont un texte a été écrit, ou par qui il l’a été. On a déjà cité l’exemple de la réception du Symbole des Apôtres, dont on ne connaît pas l’auteur. Congar mentionne aussi l’exemple du Quicumque, ou Symbole dit d’Athanase(69) , qui a été reconnu « comme expression […] authentique […] de la foi » alors qu’il n’émane pas d’un concile œcuménique et qu’on ignore qui l’a rédigé(70).

Ce fait est important parce qu’il souligne la place laissée au caractère « organique(71) » de la vie de l’Église dans le domaine de l’exercice de l’autorité des communautés locales et de l’échelon dénominationnel. La réception ne se limite pas à un mouvement descendant, des échelons supérieurs vers les échelons inférieurs, mais peut très bien être transversale. Des communautés locales, ou une union d’Églises, peuvent très bien recevoir un texte rédigé par une Église locale, par un petit groupe de personnes ou même par un seul auteur, etc. La réception ne dépend pas d’une quelconque validité juridique du processus par lequel le texte en question a été émis.

Cela dit, en contexte baptiste, où l’on insiste sur la pleine ecclésialité de l’Église locale, et sur la responsabilité de celle-ci à discerner la volonté du Christ, il nous semble important de viser à ce que l’élaboration d’un texte (dont on souhaite qu’il soit reçu par les Églises) et sa réception soient des processus concomitants, autant qu’il est possible. Lorsqu’on voudra qu’un texte soit reçu par les Églises, on réfléchira alors à la réception de celui-ci dès sa rédaction, et on fera participer, d’une manière ou d’une autre, les pasteurs et les Églises locales à son élaboration. Autrement dit, on mobilisera les « apports propres » des ministres et des communautés locales (leur théologie, leur spiritualité, leur liturgie, leur culture, etc.) avant même que le texte soit achevé, par des discussions, des consultations, des jeux d’aller-retour entre le ou les auteur(s) et celles et ceux qui seront amenés à recevoir le texte. Dans l’idéal et autant que faire se peut, le vote d’un texte en congrès et la réception qui s’ensuit par les communautés locales (voir Ac 15.30-31) ne seront donc que la clôture d’un processus participatif commencé bien en amont.

Paul Fiddes et Alain Nisus soulignent bien cette compréhension spécifique de la réception en ecclésiologie congrégationaliste baptiste, en opérant une distinction stimulante entre trouver et reconnaître ou discerner la pensée du Christ. Fiddes écrit que l’Église locale est responsable de « tester, et d’approuver ou de rejeter, toutes les décisions prises à une échelle plus large(72) ». Ailleurs, il écrit que la communauté locale « demeure toujours responsable de tester les décisions prises à un niveau plus large afin de savoir si elles incarnent effectivement la volonté [purpose] du Christ. Ceci est la contribution baptiste à l’idée de “réception” des décisions synodales(73) ». Cela se fonde sur l’idée que « l’Église locale n’est pas compétente seule pour trouver la volonté du Christ sur certaines questions », mais qu’elle « est toujours elle seule compétente pour reconnaître la vérité une fois qu’une proposition est placée devant elle(74) ». Dans la même veine, Alain Nisus précise qu’« [u]ne communauté locale ne peut se targuer à elle seule de pouvoir 'trouver la pensée du Christ', indépendamment des autres, sur certaines questions qui dépassent ses propres affaires locales ; en revanche, elle peut 'reconnaître la pensée du Christ' dans la décision prise par une communion d’Églises(75) ». En effet, « [l]es Églises étant animées du même Esprit, de la même foi et de la même Parole, certaines questions (par exemple les questions doctrinales) ne pourront être traitées seulement à l’échelle locale, comme s’il s’agissait de questions spécifiques à une seule communauté (voir Ac 15.1-31). Pour plusieurs sujets, la pensée du Christ aura trait à l’universel, et devra être discernée à l’échelon translocal(76). »

Cette compréhension de la réception ouvre la voie à une humble reconnaissance que, bien qu’étant pleinement Église, chaque communauté locale ne dispose pas de tous les dons, et que chacune a besoin de ministères présents dans d’autres Églises(77)). Toutes les communautés locales ne disposent pas d’un bibliste capable de travailler les textes en profondeur. Toutes les Églises locales ne disposent pas d’un éthicien capable de comprendre avec finesse les enjeux éthiques de notre monde contemporain, etc.

La réception est ainsi le moyen d’une ecclésiologie de communion(78), la mise en œuvre concrète d’une théologie où les communautés locales sont invitées à exprimer leur unité et à manifester l’Église une non seulement par leur existence propre, mais également par les relations qu’elles entretiennent entre elles et qui les constituent. Cela signifie que la réception des décisions prises à l’échelon dénominationnel par les différentes Églises locales ne relève pas du seul bon-vouloir de ces dernières(79). En effet, lorsqu’une Église locale ne reçoit pas (ou plus) une décision translocale ou la décision d’une Église sœur, elle doit assumer l’amputation (voire la rupture dans les cas extrêmes) de communion qu’une telle non-réception implique. Cela pose la question de l’autorité des « textes » de l’union d’Églises, en particulier ceux votés en congrès ou en synode.

B. L’autorité des « textes » de l’union

On parlera ici de « textes » dans un sens relativement large, en faisant mention par ce terme de toutes les décisions votées en congrès et mises par écrit : la confession de foi, les principes ecclésiastiques, les statuts, les résolutions, les vœux, les recommandations, etc.

Selon ce qu’on a dit plus haut à propos de l’autorité, les textes votés en congrès font autorité dans le sens que la communion d’Églises a reconnu en eux, par voie de réception, une expression fidèle de la foi et de la pensée du Christ, une mesure qui convient à la vie de l’union et des communautés locales. L’autorité des textes ne se situe pas à côté de l’autorité du Christ. Les textes font autorité dans la mesure où ils sont reçus comme le moyen par lequel s’exprime la volonté du Christ, dans un temps et un contexte donnés. Bien sûr, les textes d’une union ne font pas autorité dans le sens où la Bible fait autorité. L’Écriture, on l’a dit, est la seule norme normante. Mais les Églises et les unions peuvent se munir de normes normées, comme une confession de foi, pour guider leur vie pour un temps et dans un lieu donnés. Ces normes secondaires sont dites « normées », parce qu’elles sont régulées et façonnées par l’Écriture. Les textes des unions font autorité uniquement dans la mesure où ils sont fidèles à la Bible, seule norme sans norme. Mais la fidélité ne consiste pas seulement à répéter ce que dit la Bible.

De plus, l’autorité des textes ne s’impose pas d’en haut aux communautés locales, ou à leurs membres et à leurs ministres. Tout d’abord parce que ce sont les communautés locales en communion qui se dotent de ces textes et scellent leur union à travers eux. Ces textes n’émanent pas d’une institution supra-locale qui se situerait au-dessus des Églises. L’autorité de l’union, c’est l’autorité des Églises locales en communion. De plus, les communautés locales ont un rôle actif à jouer dans la réception des textes, et ce sont donc elles qui accordent, ou non, de l’autorité à un texte en reconnaissant, ou non, que la pensée du Christ s’y exprime.

Ayant reçu un texte après avoir mis en œuvre leurs ressources spirituelles originales (Congar), par de « vifs débats » (Ac 15.7), l’écoute des ministres-dons (Ac 15.7-11,12-13,14-21), la méditation de l’Écriture (Ac 15.15-18), sans oublier la célébration du culte et la prière (Ac 13.2-3), les Églises locales en communion pourront déclarer, comme à Jérusalem : « il a paru bon à l’Esprit saint et à nous-mêmes de... » (Ac 15.28) Commentant ce dernier verset, Marguerat écrit avec justesse :

« Absolutisée, la formule “l’Esprit saint et nous” (aussi Ac 5.32) serait théologiquement risquée ; elle ne confisque pourtant pas l’Esprit, mais préserve d’attribuer la décision au seul arbitraire de l’institution(80). »

Afin de ne pas absolutiser les décisions prises par une communion d’Églises, on se rappellera qu’elles expriment toujours ce qui est préférable en vue de la gloire de Dieu et de la mission qu’il confie à son Église, ici et maintenant, et non pas ce qui est nécessaire pour toujours et partout(81) . Pour autant, ces décisions ne sont pas le fruit du « seul arbitraire de l’institution ». Les textes reçus par une communion d’Églises sont, en effet, bien plus que de simples textes administratifs, ils sont le fruit d’un discernement de la pensée du Christ, et c’est en cela qu’ils font autorité.

Leur autorité tient aussi au fait qu’ils scellent l’union des communautés locales entre elles. Alain Nisus l’exprime ainsi :

« Être en alliance, c’est nécessairement se doter d’une constitution ecclésiastique, c’est-à-dire d’une confession de foi et d’une discipline, qui gère le vivre-ensemble de l’union des Églises. Les différentes Églises locales en communion s’accordent, par conséquent, entre elles sur un ensemble de textes qui scellent leur union et font autorité en leur sein. Ainsi, ces constitutions ecclésiastiques appartiennent, certes, au bien-être (bene esse) des Églises, mais elles ne relèvent pas de leur bene volens (bon vouloir). On ne peut pas être en communion tout en rejetant les textes et les règles qui scellent la relation, et régissent le vivre-ensemble. La communion a aussi une traduction juridique, elle n’est pas qu’un simple thème de spiritualité(82). »

La communion entre les Églises locales se traduit et se fonde sur une adhésion commune à une même confession de foi, un fonctionnement commun, des règles communes, etc., si bien qu’on ne peut pas distinguer trop radicalement l’autorité de ces textes de la communion entre les communautés. Autrement dit, et comme on l’a déjà signalé plus haut, si une Église locale ne reçoit plus, pour une raison ou une autre, la confession de foi de l’union à laquelle elle appartient, ou tout autre texte de ce type, elle sort de facto de la communion d’Églises. Les textes reçus constituent la communion. Ce qui signifie également que le processus de réception n’est pas sans cesse à recommencer pour chaque personne, chaque nouvelle communauté, chaque nouvelle génération.

Les statuts de la FEEBF ont bien enregistré ce fait. On y lit, à l’article 5(83) :

« Toute Église qui fait partie de la présente fédération doit :
[…]
2°) Adhérer aux présents Statuts ainsi qu’aux textes définissant l’esprit de la fédération : textes de 1952 et 1961, ainsi que ceux adoptés comme “textes de base” par l’assemblée générale. »

Dans le même sens, le texte « Églises de Jésus-Christ dans la famille spirituelle de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France » (1986), qui entend préciser ce que signifie la « marche commune » des Églises qui constituent la fédération, réaffirme :

« Être membre de la fédération, c’est donc, pour chaque Église locale, entrer dans cet esprit fédératif en acceptant, cela va de soi :
- Les Statuts de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France et des [sic] textes de base qui lui sont annexes,
- La confession de Foi. »

En pratique, les textes fédératifs devront donc être connus des pasteurs, qui auront la responsabilité à leur tour de les faire connaître aux conseils d’Églises, et aux communautés dont ils ont la charge. Le coutumier, qui a vocation à rassembler l’ensemble de ces textes, est un outil précieux pour cela(84).

Si les textes fédératifs font autorité, en tant que fruit du discernement de la pensée du Christ et en tant que sceau de l’union entre les communautés, ils n’entendent pourtant pas tout régir. À côté des textes, il y a place pour la diversité. On peut, par exemple, considérer que ce qui n’est pas abordé par la confession de foi est implicitement laissé à la libre appréciation des communautés et des ministres. Dire que la communion dépend d’un accord sur les articles de cette confession, c’est dire, comme en « négatif », que la communion n’est pas mise en jeu par une diversité de vues sur les points. D’ailleurs, certains textes fédératifs explicitent et prennent acte de la diversité sur le point qu’ils traitent. On peut citer en exemple « Notre foi commune en ce qui concerne le Saint-Esprit » (1988) :

« Il est vrai que nous constatons aussi quelques différences dans notre compréhension de l’Écriture Sainte en ce qui concerne l’œuvre du Saint-Esprit, mais elles portent sur des points secondaires. Sachant que nous ne connaissons encore que partiellement (1 Co 13.9), nous respectons les frères qui ne partagent pas certaines de nos convictions et nous collaborons loyalement avec eux. »

Nous pouvons signaler ici quelques-unes des questions où l’accord n’est pas total entre nous, bien qu’il le soit sur l’essentiel.

Le texte continue avec quatre grandes questions pour lesquelles il y a diversité quant à l’action de l’Esprit. On peut aussi mentionner le Texte sur les ministères féminins (2005), qui distingue les « Affirmations communes » et les « Interrogations et divergences concernant les ministères de direction et d’enseignement ». De manière plus générale, la Résolution sur l’orientation de nos Églises (1952) précise :

« Si une Église de la fédération, par suite d’expériences spirituelles particulières, croit devoir insister davantage sur un point doctrinal que la confession de Foi ne lui paraît pas mettre suffisamment en valeur, c’est là une position qui la concerne personnellement, mais qui ne peut être incluse dans la confession de base qui sert de principe à l’ensemble des Églises de notre fédération. Sa position est respectée et sa présence dans notre fédération reste acceptée pour autant qu’elle maintient les principes exprimés dans l’ensemble de notre confession de Foi. »

Cela dit, comme le précise le texte sur le Saint-Esprit dans sa conclusion, « [n]otre diversité doit être vécue comme une richesse et une dynamique et non comme un facteur de stagnation » (ce texte a d’ailleurs mis en mouvement les Églises vers un dépassement du clivage charismatique/non-charismatique). Les textes d’une union ne doivent pas se contenter de fixer un état de communion, avec sa diversité propre, mais doivent également viser à approfondir cette communion de manière dynamique.

On peut enfin apporter une dernière nuance à l’autorité des textes fédératifs. En fonction de leur statut exact (confession, textes de base votés en congrès, vœux ou recommandation, etc.), cette autorité n’aura bien sûr pas la même épaisseur. On comprend bien que la confession de foi a un poids d’autorité plus important qu’une recommandation adressée en particulier à la commission des ministères, par exemple, et qui, de facto concernera moins la vie des communautés locales, bien que les deux types de textes aient tous deux été votés en congrès par les délégués des Églises. De plus, un texte ne fait autorité qu’à la mesure de sa nature : une recommandation n’est contraignante qu’en tant que recommandation. Les textes fondamentaux qui scellent l’unité fédérative et dont l’autorité est la plus grande (après l’Écriture) sont, pour la FEEBF en tout cas, la confession de foi, les principes ecclésiastiques et les statuts.

Cela dit, et malgré ces nuances et précisions apportées à la notion d’autorité des textes fédératifs, il nous semble étonnant que cohabitent avec les passages cités plus haut des affirmations nettes de l’autonomie des Églises locales. Par exemple, dans la première phrase du préambule des Statuts : « Toute Église baptiste est un organisme autonome qui ne relève que de lui-même et de Dieu. » Ou bien, dans le texte Résolution sur l’orientation de nos Églises (1952) : « Chaque Église locale est autonome et indépendante, tout en étant cependant en relations libres, fraternelles et affectives, avec les autres Églises. » Si l’on considère que l’Église locale a bien l’autorité de reconnaître ou discerner la pensée du Christ, mais qu’elle n’est pas elle seule capable de trouver la pensée du Christ, le terme autonomie est-il le mieux choisi(85) ? On pourrait par exemple reformuler le préambule des Statuts ainsi : « L’Église une de Dieu, qu’il s’est acquise par son sang, se manifeste pleinement en chaque Église locale, et sur chacune le Christ règne. Chaque communauté est ainsi responsable de discerner la volonté de son Seigneur pour elle, mais elle cherchera à trouver cette volonté dans l’unité et la communion avec ses Églises sœurs, qui sont soumises au même Seigneur et vivent du même Esprit. »

Pour terminer, que faire si un texte-cadre (on ne parle pas ici d’une simple recommandation), ou une partie de celui-ci, n’est plus reçu par une ou plusieurs communautés locales ? Plusieurs raisons pourraient présider à ce fait : la fédération peut prendre de nouvelles orientations, rendant caduques certaines dispositions prises auparavant ; la manière de dire les choses dans un texte n’a plus le même sens aujourd’hui ; etc. Il nous semble alors que la communauté en question devrait en discuter en région et avec le Conseil national. Après quoi, elle pourrait proposer en congrès, à travers une recommandation, d’amender le texte qu’elle ne reçoit plus. Dans le cas d’un texte de base voté en congrès, on pourrait très bien imaginer en voter une nouvelle mouture (idem pour la confession de foi, ou les principes ecclésiastiques), qui remplacerait la précédente ; ou bien, si le texte pose problème, on pourrait voter sa sortie du coutumier (même si, à notre connaissance, cela n’est jamais arrivé). Si la recommandation n’est pas acceptée, le texte en question demeurera une manifestation de la communion entre les Églises de l’union, et demeurera à ce titre contraignant. La communauté qui ne le reçoit plus devra alors, au nom de la communion entre les Églises, soit travailler tout à nouveau sa réception soit, après avoir épuisé toutes les voies de dialogue, réfléchir à quitter la fédération. Là encore, tout cela doit se faire avec prudence, sagesse et amour, et l’union et toutes ses parties peuvent assumer que certains processus de discernement et de réception prennent du temps. Un point d’attention particulier portera sur la vérification du fait que l’ensemble de la communauté est partie prenante du discernement et en possession de l’ensemble des moyens de discernement.

C. L’autorité des instances de l’union

Par instances de l’union, on désigne ici les différentes structures mises en place par une union pour faire vivre la communion entre les Églises, animer les travaux auxquels elle choisit de s’atteler, suivre et appliquer les décisions prises par l’union. Leurs missions organisationnelles, administratives ou spirituelles sont, dès lors, indispensables à la vie d’une union pour lui permettre de mettre en œuvre concrètement et matériellement ce que les Églises, par leurs délégués, auront décidé. Ces instances recevront un mandat qui leur conférera l’autorité nécessaire pour agir au nom de l’union, une autorité entendue dans le sens défini plus haut, à savoir celui d’un service de tous pour le Seigneur.

Autorité définie par la « constitution ecclésiastique »

Cette autorité leur est ainsi reconnue parce que la mission qu’elles effectuent leur a été confiée par ceux envers qui elle s’exerce : la communion des Églises les reconnaît comme une mesure qui convient à la vie de l’union et voulue par le Christ. Autrement dit, ces instances ne s’auto-missionnent pas, mais sont établies au service de la communion translocale.

L’autorité des instances est définie dans « la constitution ecclésiastique », un corpus de textes fondateur qui fait lui-même autorité (non pas sur, mais entre les Églises). Nous rappelons le principe posé plus haut : « cette autorité ne s’impose pas d’en haut aux communautés locales ou à leurs membres et leurs ministres. […] L’autorité de l’union, c’est l’autorité des Églises locales en communion(86). »

Concrètement, les unions se dotent d’une organisation, de structures, de groupes, de personnes (permanentes ou bénévoles) pour répondre aux besoins organisationnels ou spirituels qu’elles discernent. Ces instances peuvent ainsi s’appuyer sur une autorité déléguée par la communion des Églises pour mener à bien leur mission, selon le mandat qu’elles auront reçu. Tout cela est normalement clarifié dans des textes qui eux-mêmes font autorité.

À titre d’exemple, le Conseil national de la FEEBF est l’instance qui reçoit dans cette union l’autorité de mettre en œuvre les décisions du congrès. Il le fera soit de manière directe, soit par la mise en place d’instances (par exemple la Commission des ministères, ou CDM), ou de ministères (par exemple le secrétaire général) qui recevront de sa part une autorité déléguée pour agir en son nom. La CDM demeurera ainsi redevable devant le Conseil national qui la nomme, lui-même redevable devant le congrès qui l’élit.

Autorité congrégationaliste

Cependant, comme nous l’avons plaidé plus tôt, en considérant l’union non plus seulement comme une institution humaine obéissant à des logiques pragmatiques, mais comme une manifestation de l’Église une, nous pouvons aussi investir la théologie des ministères pour réfléchir à la réalité de ces instances.

Nous pouvons ainsi considérer que les ministres évoqués plus hauts sont appelés par le Christ, discernés par la communauté, placés au service de celle-ci, tous étant au service du Christ.

Ainsi, la nature de l’autorité des instances, tels un conseil d’administration, une commission, une assemblée de délégués d’Église, devra être réfléchie en pensant l’articulation, le rôle de chacun dans la médiatisation de l’autorité du Christ sur son Église.
Reprenant la seconde affirmation du congrégationalisme, nous pouvons dire que l’autorité du Christ sur son union d’Églises est médiatisée par l’ensemble des communautés locales en communion. Rappelant ce principe en début d’article, nous avions en effet évoqué l’importance du discernement par l’Esprit pour que le Christ ait effectivement autorité sur son Église.

De la même manière qu’une assemblée générale d’Église cherche toujours à discerner la volonté du Christ, ce discernement, même lorsqu’il est sanctionné par un vote, ne s’y limite pas. Au risque sinon de quitter la christocratie pour la démocratie, avec ses jeux de pouvoirs et de manipulations. Ce risque est sans doute même augmenté à l’échelle d’une union où les participants se connaissent moins, se parlent moins, avec des discussions parfois écourtées avant les votes. Il faut alors redoubler de vigilance. Pour les décisions engageantes et importantes, nous avons vu dans la partie précédente ce que cela nécessite comme dispositifs préparatoires pour assurer la réception des discernements.

Aussi, puisque nous plaidons pour l’affirmation de l’ecclésialité des unions d’Églises, il nous faut rappeler, ici aussi, que l’autorité dont nous parlons reste toujours celle du Christ, médiatisée par la communion des professants. Si elle est une manifestation du sacerdoce universel, elle ne nie pas, non plus, que le Christ donne, ici aussi, à son Église des ministres qui ont un rôle spécifique dans la conduite et le discernement communautaire de la pensée du Christ. Si cela est vrai pour l’Église locale, nous le plaidons aussi pour l’union. Ainsi, les permanents, les membres des commissions, des comités, etc., peuvent être considérés et reçus comme ceux qui habitent ce rôle.

Mode de discernement

Nous avions rappelé la pratique des Églises locales : ceux qui sont appelés à un rôle de conduite et de veille sont discernés par l’assemblée des membres par le vote. Statutairement, c’est ainsi aussi le rôle du Conseil national dans la FEEBF, dont les membres sont désignés en congrès par un vote.

Dans les Églises locales, dans la plupart des cas, ceux qui ont cette charge peuvent confier des responsabilités, déléguer des charges à d’autres serviteurs sans forcément passer par un discernement de toute l’assemblée. Dans leur sagesse, ils nomment dans le corps ecclésial des ministères qu’ils discernent pour les aider à accomplir la mission qui leur est confiée. Ainsi en est-il aussi des instances de la FEEBF. Selon ses statuts, le conseil dispose d’un pouvoir de délégation (art. 11). Les membres des commissions, présidents de régions, permanents sont ainsi nommés par le conseil, redevables devant lui. Cette nomination ne décharge pas le conseil de la responsabilité qui lui a été confiée, mais lui permet d’en déléguer l’exécution.

Quel que soit le mode de discernement, l’élection ou la délégation, nous devons maintenir que ces serviteurs sont des dons du Christ à son Église. Ils manifestent tous, dans le service qui est le leur, l’autorité du Christ qu’ils ne doivent jamais usurper. Ils sont alors responsables devant le Christ qui les appelle et les institue. Ils rendent cependant compte devant ceux qui ont discerné leur appel pour que leurs discernements puissent éventuellement être confirmés ou infirmés. Il ne s’agit donc pas tant d’une hiérarchie d’autorité, comme une cascade de délégations, que d’une juste appréciation du mode de discernement communautaire qui sied à chaque rôle.

Autorité institutionnelle et autorité charismatique

Les instances sont habitées par des personnes. Elles sont incarnées. Il est possible de poser une distinction entre le ministère et le ministre, mais pas une division, car c’est avant tout des personnes concrètes que le Christ donne à son Église. Ainsi en est-il aussi, nécessairement, de nos instances. Cette distinction est cependant utile pour nommer ce qui relève de l’autorité liée à la fonction, de l’autorité liée à la personne.

La première est institutionnelle. Impersonnelle, elle a été pensée comme nécessaire à l’exercice de la charge définie par l’institution. Elle relève justement de la constitution ecclésiastique. Ainsi, les textes des unions s’assurent de définir les mandats confiés et donnent les moyens, ressources et pouvoirs, etc., pour exercer cette charge en responsabilité.

La seconde est charismatique, au sens sociologique du terme. Elle ne dépend plus du mandat, mais elle prend en compte les dons, les compétences, l’appétence, etc., de la personne qui habite cette charge.

Toute autorité dans l’Église ne correspond pas à ce qui est inscrit et écrit. Il n’est pas écrit que l’autorité d’un maçon membre d’Église est plus importante que celle d’un novice en bricolage pour éclairer une décision communautaire concernant le mur d’enceinte de l’église. Et pourtant, elle sera naturellement reconnue. Dans le même sens, on peut aussi évoquer des dons plus spirituels ou techniques que la communauté reconnaît. L’autorité liée à cette reconnaissance est parfaitement naturelle. Notons ici qu’il s’agit bien d’une autorité reconnue et certainement pas d’une autorité revendiquée !

Dans les deux cas, il s’agit d’une autorité qui est reconnue, discernée comme un don du Christ à son Église. Dans le premier cas, c’est le besoin qui a présidé au discernement. Celui-ci consistait alors, comme en Actes 6, à définir le profil et à trouver la personne qui lui correspondrait. Dans le second cas, c’est le don de Dieu qui conduit le discernement. Si le premier est grâce de Dieu qui donne ce qui est attendu, le second est surabondance de Dieu qui donne ce qu’il sait nécessaire à son peuple avant que celui-ci l’ait perçu.

Par exemple, il n’est pas nécessaire qu’un secrétaire général d’union soit un théologien. Cependant si, après avoir discerné qu’un frère ou une sœur est appelé à ce ministère, et qu’il se trouve qu’il soit aussi théologien, il serait inconsidéré de ne pas lui reconnaître ce don, et d’accueillir l’autorité charismatique qui en découle. Ce serait priver l’Église d’une grâce de Dieu au bénéfice du discernement du conseil et de l’accompagnement du corps. Pour autant, il serait tout aussi inconsidéré d’avoir cette attente pour l’ensemble des secrétaires généraux à l’avenir.

Cas particulier des pastorales

Cette dernière distinction nous paraît utile pour aller plus en avant dans les lieux dont l’autorité n’est pas explicitée dans les textes statutaires.

Les pastorales nationales ou régionales n’ont pas, à proprement parler, de pouvoir délibératif. Les pasteurs, qu’ils soient en poste, émérites, détachés, en congés, etc., ne sont pas convoqués pour représenter leurs Églises. Cependant, tout comme un discernement ne doit pas se limiter à un vote, ne pourrait-on pas concevoir que des réflexions émergent de ces lieux et qu’elles puissent nourrir le discernement communautaire ?

Tout comme les statuts de la FEEBF reconnaissent le rôle des voix consultatives des pasteurs dans son article 13(87), ne serait-il pas légitime qu’une réflexion provenant d’une pastorale nationale vienne éclairer des discernements communautaires potentiellement sanctionnés par un vote en congrès ?

Reprenant les catégories précédentes, nous pourrions envisager que les pastorales soient considérées comme des lieux ne disposant pas d’une autorité institutionnelle, mais d’une légitimité de nature charismatique. Les deux étant données par le Christ à son Église pour son bon fonctionnement.

Nous pouvons assumer ici que l’Église est une institution et une communion. Dans cette communion féconde, savoir reconnaître les charismes des hommes et femmes que Dieu donne à l’institution de l’Église est une force.

III. Translocalité de l’Église et ministères translocaux

Considérer que la réalité de l’Église et sa mission sont appelées à se vivre au-delà des seules réalités locales, et entre elles, oblige à penser l’ecclésialité des ministères qui se déploient dans cette dimension translocale et ainsi à les recevoir comme des dons de Christ à son Église. Cette question correspond globalement à un impensé de nos ecclésiologies congrégationalistes. Plusieurs questions émergent : le ministère pastoral, tel qu’il se définit dans le schéma pastoral issu de la Réforme, est-il un ministère de nature locale ou translocale ? Peut-il être l’un ou l’autre, ou doit-il être les deux à la fois ? Et qu’est-ce que cela implique quant au rapport entre ce ministère particulier et les ministères (« laïcs ») qui s’exercent dans le corps des Églises locales ? Enfin, que se passe-t-il quand l’heure de la retraite sonne, et que le ministre se trouve délié de la charge d’une Église locale ? Y a-t-il place pour une diversité dans l’exercice de ce ministère particulier (diversité de profils, de cadres, de modes ou d’étendues) ?

A. Le ministère pastoral : ministère local et/ou translocal ?

Nous évoquions l’héritage d’un schéma pastoral issu de la Réforme. Dans cette partie, nous nous proposons d’examiner le fondement historique et théologique du caractère spécifique de la vocation pastorale en le mettant en regard avec le principe du sacerdoce universel (vocation de tous les croyants au service) dans la tradition protestante. Nous examinerons ensuite de quelle manière la vocation pastorale est spécifiquement reconnue dans l’essentiel des Églises issues de la Réforme, notamment dans la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF), et enfin, en vue de quoi elle l’est à l’échelon translocal. Sur ce dernier point, nous nous intéresserons à la manière dont s’articulent en congrégationalisme (nous prendrons aussi l’exemple particulier de la FEEBF) les ministères translocaux et les ministères locaux, et ce que cela implique dans le vécu du rôle pastoral.

1. Une vocation spécifique

Au temps de la Réforme, à une première période fondatrice, des années 1520 à 1530, période d’effervescence marquée par l’affirmation massive du sacerdoce universel (le ministère est d’abord l’affaire de tous, « du ressort de tout le peuple des baptisés(88) »), succède une phase d’institutionnalisation à partir de 1530. L’ensemble des grandes confessions de foi protestantes, réformées, luthériennes et anabaptistes vont alors mettre l’accent sur la nécessité de ministères particuliers pour prendre soin du peuple de Dieu : le nourrir, le conduire et l’instruire. Si, selon l’adage en protestantisme « tous sont prêtres, tous ne sont pas pasteurs », ces derniers sont porteurs du ministère particulier de la Parole, ils obéissent à un appel venant de Dieu. Cet appel, le ministre est appelé à l’éprouver personnellement (notion de vocation intérieure), mais il doit aussi être confirmé par l’Église (notion de vocation externe). En substance, l’assemblée discerne, établit et consent à écouter et suivre ceux que Dieu a lui-même appelés à son service.

Un des textes bibliques souvent invoqué par les Églises issues de la Réforme pour fonder cette distinction entre la vocation spécifique de quelques-uns et celle de tous les croyants est le texte d’Éphésiens 4.7-16((Éphésiens 4.11-16 :

« C'est lui qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme bergers et enseignants. Il l'a fait pour former les saints aux tâches du service en vue de l'édification du corps de Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à la maturité de l'adulte, à la mesure de la stature parfaite de Christ. Ainsi, nous ne serons plus de petits enfants, ballottés et emportés par tout vent de doctrine, par la ruse des hommes et leur habileté dans les manœuvres d'égarement. Mais en disant la vérité dans l'amour, nous grandirons à tout point de vue vers celui qui est la tête, Christ. C'est de lui que le corps tout entier, bien coordonné et solidement uni grâce aux articulations dont il est muni, tire sa croissance en fonction de l'activité qui convient à chacune de ses parties et s'édifie lui-même dans l'amour. »

)). Un texte qui évoque l’existence de ministères particuliers (ministères de la Parole, de direction et d’unité) que Dieu donne à son Église pour l’équipement des saints, en vue de la croissance du corps. Dès lors, ces ministères-dons ne visent pas à concentrer l’agir ministériel de l’Église, mais, à permettre, au contraire, le déploiement du ministère de chacun dans l’Église. Cette disposition ministérielle (le ministère de quelques-uns singulièrement ordonné à la fécondité du ministère de tous) est, nous le croyons, d’institution divine. John Bosc exprime bien la vertu de cet « ordre » dynamique :

« C’est bien dans la communauté du corps et dans la communion de celui-ci que les ministres exercent leurs charges, mais ils sont en même temps donnés et établis par le Seigneur. Ils appartiennent au sacerdoce universel, mais y reçoivent la charge de ministères particuliers. Ce double aspect de l’origine des ministères doit être clairement souligné, car il nous met en garde, d’un côté contre une accentuation exagérée de la signification des ministères particuliers au détriment du sacerdoce universel, et d’un autre côté contre une dissolution des ministères dans le sacerdoce universel. Il y a, dans le Nouveau Testament, une dialectique du sacerdoce universel et des ministres, une sorte de va-et-vient entre eux dans la réciprocité, mais non un écrasement des seconds par le premier, pas plus qu’une exténuation du premier par les seconds(89). »

Ces ministères particuliers font en général l’objet d’une reconnaissance spécifique dans les Églises issues de la Réforme. C’est, par exemple, le cas dans la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France. Notons aussi qu’existe dans la tradition protestante, notamment évangélique, une remise en cause par certains de la légitimité de toute forme de ministère particulier au motif d’un anticléricalisme radical que l’on retrouvera dans la tradition anabaptiste, dans le darbysme et plus largement dans le mouvement des Frères en ses différentes branches. Ce modèle persistant a néanmoins tendance à diminuer en proportion dans le paysage d’ensemble. Nous constatons en effet une généralisation du modèle pastoral dans les milieux de frères et dans la tradition anabaptiste(90). D’une manière générale dans l’histoire et dans le protestantisme contemporain, les Églises issues de la Réforme oscillent, dans leur manière d’articuler ministères et sacerdoce universel, entre deux pôles, l’un cléricalisant, l’autre « laïciste » (anticlérical), avec toute la gamme des variations intermédiaires. Nous nous concentrerons dans les lignes qui suivent sur le schéma protestant majoritaire dont la FEEBF est héritière.

2. Une vocation spécifiquement reconnue

Dans un nombre important d’Églises issues de la Réforme est entendue la nécessité d’instituer ces ministères particuliers dans une liturgie officielle afin de légitimer publiquement leur rôle face à l’Église. Selon les traditions, on parle d’ordination, de consécration ou de reconnaissance de ministère. Cette légitimation a pour vocation d’autoriser le ministre à exercer validement son ministère. Elle active publiquement son ministère et dit aux membres des Églises qu’ils peuvent avoir confiance dans ce ministère particulier que Dieu donne à son peuple.

Ainsi, pour prendre l’exemple de la FEEBF, les ministères pastoraux font l’objet d’une reconnaissance de ministère spécifique à l’occasion d’une liturgie solennelle présidée par le président de la Commission des ministères de la fédération. Cette cérémonie se situe au terme d’un parcours de formation académique et pratique intégrant une formation théologique complète (en institut biblique ou en faculté de théologie), un stage pastoral et deux années de proposanat (avec une évaluation intermédiaire et une évaluation finale). Elle se situe lors du congrès annuel de la fédération, au cours de son culte final. Les éléments classiques d’une liturgie de reconnaissance protestante sont présents : la lecture de textes bibliques ; la formulation de promesses d’engagement solennel en vue de l’exercice du ministère (précisant les contours du ministère pastoral, prioritairement conçu comme ministère de la Parole) ; une épiclèse (invocation du Saint-Esprit) avec imposition des mains ; l’établissement dans la charge. Le sens de l’imposition des mains et de la prière qui l’accompagne correspond à un geste de communion, de reconnaissance de l’appel et des dons reçus ainsi qu’une communication de bénédiction pour la suite à vivre. Cette reconnaissance se situe intentionnellement au moment du congrès national annuel de la fédération, à l’échelon translocal.

3. Une vocation spécifiquement reconnue à l’échelon translocal

La question qui se pose ici est de savoir comment articuler en congrégationalisme le principe de l’autorité des Églises locales, la souveraineté dont elles jouissent quant au choix de leur(s) ministre(s), et le fait que ces ministères particuliers soient reconnus à l’échelon translocal dans une fédération congrégationaliste comme la FEEBF. Est-ce un paradoxe ? un impensé ? une nécessité ?
Sur ce sujet, Fiddes apporte une clef de réponse intéressante. Pour lui, l’ecclésiologie de l’alliance en congrégationalisme est marquée par deux tensions créatrices. La première s’exerce entre l’autorité de l’Église locale et l’autorité translocale. Nous en avons parlé en partie II. La deuxième tension est celle qui s’exerce, selon notre développement précédent, entre le ministère de tous (sacerdoce universel) et le ministère de quelques-uns (ministères particuliers de la Parole). Il avance que ces deux tensions sont liées dans le sens où elles découlent ensemble de la notion congrégationaliste de l’autorité immédiate du Christ sur l’Église.
Autant la communauté dépend directement de l’autorité du Christ, autant l’autorité des ministères particuliers procède aussi directement de l’autorité du Christ. C’est lui, nous l’avons vu, qui donne ses ministres à l’Église universelle. Cette réception/reconnaissance se fait concrètement par l’entremise des unions d’Églises qui ont ensuite la charge d’envoyer ces ministères particuliers au service d’Églises locales particulières. L’Église une, par l’union, est ainsi responsable de reconnaître cet appel, mais ce n’est pas elle qui appelle premièrement, c’est le Christ. Et une Église locale ne fait que recevoir, généralement pour un temps, le ministère reconnu qui lui est envoyé par l’union.

En conséquence, le ministère pastoral n’étant pas lié, selon cette compréhension, à une Église particulière comme sa « possession », mais à l’Église une – corps du Christ –, la FEEBF pratique, comme bien d’autres unions d’Églises protestantes, la reconnaissance de celui-ci à l’échelon translocal, en congrès. Cette logique ecclésiologique fonde, dès lors, la possibilité de ministères exercés, pour tout ou partie, à l’échelon translocal. En effet, si le ministère pastoral n’est pas lié exclusivement à une seule Église locale (puisqu’il est donné à l’ensemble du corps), mais peut se rendre disponible successivement pour plusieurs Églises locales, on peut imaginer qu’il puisse l’être simultanément pour plusieurs communautés(91). C’est-à-dire qu’il puisse être au service de plusieurs Églises, ou se spécialiser, en parallèle ou non du service d’une Église locale, dans un ministère au service d’une fédération, voire au-delà (ministère de secrétaire général d’une union ; ministère itinérant d’évangéliste ; enseignant en faculté de théologie, etc.). C’est ainsi que les premiers baptistes anglais n’avaient pas rechigné à se doter de ministères itinérants, des messengers(92) qui accomplissaient un ministère d’unité et de supervision (formation des pasteurs, enseignement des Églises et confrontation des fausses doctrines, implantation d’Églises nouvelles), à la manière dont on voit circuler des ministères transversaux dans les épîtres du Nouveau Testament. Ainsi :

« Dans le Nouveau Testament, la communion des Églises locales est très présente, impliquant des ministères partagés et transversaux, dans les domaines de la recherche de l’unité́ de la foi (Ac 15), la solidarité́ matérielle (2 Co 8-9), des ministères partagés (Col 4.13), la nomination de responsables (Paul laissant Tite en Crète), et la discipline ecclésiastique (1 Co 5.1-5 ; Ph. 4.2s ; Rm 14-15 ; 3 Jn)(93). »

Cette vue « grand angle » de l’Église est précisément à l’arrière-plan de la pensée de Paul dans le texte d’Éphésiens 4 précédemment mobilisé. Ainsi l’exprime le Comité théologique du CNEF :

« Dans l'épître aux Éphésiens, l'apôtre Paul a certainement en vue l’Église universelle comme contexte dans lequel sont donnés les ministères d'apôtres, de prophètes, d'évangélistes, de pasteurs et enseignants, qui visent le perfectionnement des saints. Ces ministères donnés à l’Église dans son ensemble sont nécessaires jusqu’à ce que “nous soyons tous parvenus à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. » (Ep 4.11-13)(94)

D’une manière générale, nous observons un double mouvement dans le christianisme contemporain : un mouvement de protestantisation du catholicisme((Céline Béraud écrit :

« Depuis le concile de Vatican II (1962-1965), conseils et synodes ont conduit les catholiques à expérimenter localement (à l’échelle des diocèses) des modes de gouvernance à l’apparence démocratique, qui ne sont pas sans faire penser au régime presbytéro-synodal. Pourtant, s’il y a une certaine « protestantisation » de l’autorité catholique, elle se situe certainement ailleurs et peut davantage s’apparenter à une tendance congrégationaliste »,

dans Céline BÉRAUD, « Les Églises protestantes ; des Églises décentralisées. Regard d’une spécialiste du catholicisme », in Sébastien FATH, Jean-Paul WILLAIME, sous dir., La nouvelle France protestante - Essor et recomposition au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011, p.212.)) (mouvement de laïcisation/synodalisation/évangélicalisation du catholicisme) conjointement à celui d’une catholicisation du protestantisme (mouvement d’institutionnalisation/formalisation de son architecture ministérielle à l’échelle translocale). Ce mouvement correspond, dans les Églises protestantes évangéliques, à une généralisation du modèle pastoral(95) (et plus largement des ministères spécifiques), et à la reconnaissance croissante de ces ministères à l’échelon translocal. Plus spécifiquement, au niveau des Églises évangéliques, le paradigme ecclésiologique congrégationaliste, amplement majoritaire, et largement marqué historiquement par une compréhension « localiste » de l’Église et des ministères, s’élargit progressivement. Dans un nombre croissant d’unions, on cherche à articuler le principe de l’autonomie de l’Église locale à l’idée que des ministères spécifiques soient donnés par Christ à l’Église une. Sur la question du rapport entre les ministères particuliers reconnus à l’échelon translocal, et ceux qui s’exercent à l’échelon local, l’UEEL exprime les choses ainsi :

« Les Églises évangéliques libres professent la doctrine du sacerdoce universel des croyants. Elles reconnaissent en même temps l’existence, au sein de l’Église, de ministères (services) spécifiques(96). […] Il appartient à chaque Église locale, selon ses convictions et ses besoins, de reconnaître tel ministère particulier et d’y nommer ou d’y consacrer tel de ses membres ; toutefois, les Églises s’accordent à reconnaître dans l’Union un service spécifique de la Parole ; elles réservent le titre de pasteurs à ceux dont le service satisfait aux conditions suivantes : a) procéder de la conviction intime d’une vocation divine au service de la Parole, b) être précédé, sauf exception, d’une formation théologique et pratique sérieuse, c) être reconnu par l’Union, soit de façon solennelle et définitive (consécration), soit à titre provisoire, dans l’attente d’une confirmation (délégation)(97). »

Ainsi aussi, dans leur fonctionnement, les Églises de la FEEBF reconnaissent, à côté des ministères reconnus à l’échelle de la fédération (« pasteurs de la fédération »), la possibilité pour une Église de se doter localement de ministères d’enseignement et de direction (prédicateurs ; anciens ; évangélistes ; pasteurs locaux, etc.). Ces ministères, pour autant essentiels, connaissent de fait pour « limite » l’horizon de leur exercice : ils sont appelés à s’exercer principalement dans le cadre de leur communauté locale. Dans la FEEBF, un groupe de travail est appelé à se mettre en place prochainement pour réfléchir aux modalités liturgiques d’installation de ces ministères locaux dans le but d’aider l’Église locale à comprendre l’importance de ceux-ci, les recevoir, tout en marquant la distinction avec les ministères reconnus à l’échelon translocal.

Dès lors, que signifie, concrètement, le fait pour un pasteur d’être reconnu au niveau translocal ? Quels droits et quelles responsabilités cela lui confère-t-il ?

Pour l’essentiel, cette reconnaissance confère le droit et la responsabilité de se rendre disponible d’une manière ou d’une autre, et selon ses possibilités concrètes, pour toutes les Églises de la fédération, voire au-delà. Une certaine mobilité donc. Soit en considérant l’appel de la Commission des ministères d’aller servir telle ou telle Église(98) ; soit en consacrant tout ou partie de son temps à un service transversal de l’union ou au-delà(99). Par exemple, en acceptant une mission de président de la Commission des ministères, de directeur enfance-jeunesse, de membre du Conseil national, en étant envoyé comme aumônier militaire, ou encore en écrivant ces lignes dans le cadre d’un Comité de réflexion théologique. Ainsi, le Conseil national de la FEEBF a proposé au Congrès 2024, comme axe stratégique de travail pour les années à venir, « d’accompagner chaque pasteur dans la découverte de son profil ministériel et dans la mise à disposition d’une partie de son temps au service d’un ministère translocal (au niveau de notre fédération ou au-delà) ».

Pour les Églises locales, cela implique la prise de conscience qu’elles sont ainsi au bénéfice d’un corps pastoral au travail de manière transversale, à leur service. Cela leur confère le droit d’en jouir (en étant respectivement au bénéfice du travail d’une CDM qui a mis à leur disposition un pasteur formé, d’un groupe de jeunes ayant bénéficié du dernier événement jeunesse de l’union, de ressources théologiques à disposition, etc.), mais aussi le devoir de laisser du temps disponible à leur(s) pasteur(s) pour servir dans la fédération ou au-delà de la fédération (et avec cela, de participer au financement des services et ministères transversaux offerts par la fédération aux Églises et à leur mission). Ainsi l’exprime un article récent publié dans Les Cahiers de l’École pastorale sur le ministère de pasteur-théologien :

« Cependant, la spécificité du pasteur-théologien ne doit pas être vécue comme une contrainte pour l’Église locale. Au contraire ! En amont, et si c’est une union d’Églises qui envoie un tel pasteur, cette dernière aura un rôle particulier à jouer en termes de discernement et de dialogue avec l’Église locale et le pasteur. Celle-ci est-elle désireuse ou en mesure d’accueillir un tel pasteur ? Comprend-elle ce que son ministère implique ? Dans l’échange, voire la négociation, les différentes parties pourraient préférer accueillir ce pasteur à temps partiel, l’autre partie étant dédiée à la recherche ou l’écriture, par exemple (mais se posera alors la question du financement du temps dédié à la théologie)(100). »

4. Quand l’heure de la retraite sonne : les pasteurs émérites

Si le ministère pastoral est reconnu à l’échelon translocal comme un don à l’Église tout entière, et s’il n’est pas ainsi lié à une Église locale particulière, comme sa « possession », mais à l’Église une, que se passe-t-il lorsque le pasteur prend sa retraite administrative et quitte la charge pastorale d’une Église locale ? Quitte-t-il, avec, la vie pastorale ? Pourrait-il rester d’une certaine manière pasteur, rattaché au corps pastoral de son union, à la disposition libre des Églises ou des collègues qui le souhaiteraient ? Comment penser sa condition et quelles règles déontologiques lui offrir pour bien vivre cette nouvelle étape de service ? Dans beaucoup d’unions d’Églises évangéliques, le pasteur demeure en effet inscrit dans l’annuaire pastoral, est invité aux pastorales nationales ou régionales (c’est le cas dans la FEEBF), ou participe même, de droit, aux votes lors des congrès (c’est le cas, par exemple dans les Assemblées de Dieu). On parle alors, selon les unions, de pasteurs retraités ou de pasteurs émérites.

Si, en protestantisme, la personne du ministère ordonné (reconnu ou consacré) n’est pas marquée ontologiquement par un caractère spécial indélébile, « pour la vie », comme dans le catholicisme, le ministère demeure un don de Christ à son Église qui marque et modèle l’existence de celui qui s’y consacre. Et il est vrai que le don pastoral ne s’éteint pas à la retraite. La Discipline des Églises réformées de France de 1569 l’affirmait de manière solennelle : « Ceux qui ont été choisis pour le ministère de la Parole doivent savoir qu’ils l’ont été une fois pour toutes. » Roger Barillier, commentant ce texte, prolonge :

« Le ministre ordonné est investi de ce qu’on pourrait appeler une « charge inaliénable », qui est trop spirituelle pour qu’on puisse s’en démettre, sauf par une décision de l’Église. Si les Églises réformées se méfient de la notion de ministre en soi, indépendamment d’une charge paroissiale précise, et qu’à l’origine elles aient jumelé ordination et installation dans un poste, elles ne considèrent pas les pasteurs à la retraite – retraite d’ailleurs souvent encore active – comme « d’anciens pasteurs ». On est pasteur pour la vie(101) . »

Dans un article récent des Cahiers de l’École pastorale(102), Richard Gelin, pasteur émérite de la FEEBF, rappelle que si la vocation pastorale est un engagement de vie qui transcende les choix professionnels ordinaires, se manifestant comme une réponse à un appel divin plutôt qu’à un besoin de subvenir à ses besoins, le service peut dès lors certainement continuer lorsque l’heure de la retraite administrative sonne. La retraite, au sens du retrait de la vie professionnelle, marque cependant une transition, posant la question de savoir si cet appel persiste au-delà de la fin « officielle » du ministère (entendre le fait d’être délié de toute charge pastorale définie). Richard Gelin attire notre attention sur le fait qu’une tension demeure entre l’identité de pasteur (qui ne s’éteint pas du jour au lendemain) et la fin de l’activité pastorale. Si la vocation ne disparaît pas nécessairement avec l’âge, elle évolue et peut prendre d’autres formes de service. In fine, ce sera toujours l’Église, ici ou là, qui sera responsable de reconnaître les possibilités et d’autoriser les modalités du ministère selon les possibilités et les forces du serviteur. Elles évolueront avec l’âge.
Dans le même article, Gelin poursuit de manière stimulante en proposant de considérer la saison de la retraite pastorale pour vivre son service sur le mode biblique du sabbat, comme un temps de repos et de renouveau spirituel. Il compare cette période à une retraite spirituelle, permettant de se recentrer sur soi-même et sur ses relations avec les autres. Un peu à la manière des Lévites dans le livre des Nombres(103) qui prenaient leur retraite à 50 ans pour se consacrer à des fonctions d’assistance. Le pasteur retraité pourrait de la même manière trouver une nouvelle forme de service dans l’assistance aux autres, tout en apprenant à accepter les limites physiques et psychologiques imposées par l’âge. Une manière d’aider les pasteurs en activité en leur apportant un soutien ponctuel et en allégeant la charge des autres, répondant librement à des services ou des missions ponctuelles proposées au niveau local ou translocal. Ce mode de soutien doit alors être pensé dans un cadre de service et de redevabilité. Une déontologie devrait être écrite pour servir la liberté/sécurité du ministre comme de l’Église ou de la fédération qu’il continue ainsi à servir. Richard Gelin propose ainsi quelques pistes pertinentes pour l’écriture d’une déontologie, le travail restant à faire pour ce qui concerne la FEEBF :

Une déontologie

Le pasteur retraité actif encore, présent par invitation dans le service, se place de fait sous les principes de la déontologie pastorale tels que définis dans le coutumier. Je me permets, à l’expérience, quelques propositions complémentaires dont je ne doute pas qu’elles susciteront débat.

  • Un retraité, pasteur « émérite » de la FEEBF, n’est jamais un franc-tireur. Il inscrit ses engagements sous le regard bienveillant d’une des formes de l’institution fédérative. Non qu’il demande quelque autorisation, mais il aspire à ce regard fraternel extérieur qui est sécurité pour lui, et sécurité pour ceux qui font appel à lui. Pour ma part, je me fais un devoir de rendre compte de mes engagements à la pastorale régionale « Centre » de la FEEBF et d’être disponible à ses demandes. Cet enracinement représente, pour les œuvres faisant appel à ce service, la possibilité d’exprimer une éventuelle interrogation.
  • Le pasteur émérite ne siège pas dans un conseil d’Église. Il peut, à la demande d’un conseil, instruire une question, assumer une mission. Il peut rendre tous les services qui lui seront demandés, mais il ne siège pas. Il se fait discipline d’une certaine retenue, au-delà de son éventuel statut de membre de l’association.
  • Le pasteur émérite n’interfère pas dans les conflits locaux. Il accepte éventuellement d’intervenir uniquement à la demande explicite de l’institution nationale, et exclusivement dans le cadre d’une œuvre où il n’est pas impliqué.
  • Le pasteur émérite s’interdit d’émettre un jugement sur un fonctionnement local. Il veille à être un facteur d’unité et de cohésion.
  • Le pasteur émérite ne prodigue pas de conseil au jeune pasteur… à moins d’y être par lui explicitement invité. Il veille à être un encouragement, un soutien.
  • Quand il demeure un prédicateur, un enseignant, un accompagnateur, le pasteur émérite veille encore à renouveler sa compétence biblique et théologique. S’il ne demeure pas un passionné, rapidement sa parole tournera en boucle(104).

B. Diversité de ministères reconnus à l’échelle translocale et diversité de modalités d’exercice

1. Histoire et actualité d’un débat dans les Églises issues de la Réforme

L’option d’un seul ministère ordonné ou d’une pluralité de ministères reconnus se trouve être au cœur des débats contemporains. S’il connaît un renouveau et une acuité particulière dans la décennie écoulée, ce débat puise ses racines au temps de la Réformation. La diversité des points de vue est en effet de mise sur le sujet chez les réformateurs. Chez Luther, la chose est sommaire. Comme l’exprime avec ironie Cottin, « celui qui a affirmé avec le plus de force le sacerdoce universel des baptisés est aussi celui qui l’a le moins bien pensé dans la pratique de l’Église(105) ». Cela, aussi bien pendant la première période, que nous avons désignée plus haut, qu’au cours de la seconde, Luther ne connaîtra qu’un seul ministère particulier comportant deux fonctions essentielles : l’annonce de la Parole et la célébration des sacrements. Nulle trace chez le réformateur d’une collégialité presbytérale ni d’autres ministères spécifiques reconnus, autres que celui du pasteur.

Avec Mélanchthon, l’emphase sur le ministère (unique) va encore s’accentuer. À la différence de Luther, met en valeur Birmelé, « Mélanchthon n’insiste pas sur le lien entre ministère et sacerdoce universel de tous les croyants. » Chez Mélanchthon, la distinction entre l’Église enseignante (le ministère) et l’Église enseignée est particulièrement marquée. La fonction du ministère diffère de manière significative de celle que peuvent exercer les autres croyants(106). Point donc de pluralité de ministères ordonnés dans la tradition luthérienne, ni chez Luther, ni chez Mélanchthon, ni dans les écrits symboliques du luthéranisme. En revanche du côté de la tradition réformée, oui. Le « champion » de la diversité ministérielle (moderne avant l’heure) sera un réformateur trop peu valorisé quant à sa théologie des ministères : Martin Bucer. Calvin prolongera et systématisera les intuitions de Bucer. Néanmoins, en les simplifiant, il les appauvrira. Ainsi l’exprime Hammann :

« Dans l’Institution, Calvin opéra une simplification et un rétrécissement du schéma bucérien de la pluralité […]. La diversité d’Éphésiens 4.11 se réduit ainsi à deux postes ministériels, celui du docteur, au sens étroit du terme, et celui de pasteur, regroupant diverses responsabilités ecclésiales(107). »

Bucer valorise la collégialité dans la direction de l’Église et discerne l’importance d’établir dans l’Église quatre types de ministères : 1) les bergers/pasteurs qui forment le ministère, certes principal, celui de la Parole ; 2) les anciens qui « font partie de l’ordre ecclésiastique voulu par le Saint-Esprit inspirant les apôtres(108) », dévoués principalement à un rôle de surveillance et de direction spirituelle dans un exercice collégial, même s’ils peuvent aussi ponctuellement prêcher ; 3) les docteurs/enseignants (instituteurs ; enseignants de l’école latine et enseignants en théologie) et 4) les diacres (soin des malades et des indigents). Cottin rapporte que cette diversité ministérielle chez Bucer fait partie de l’être normal de l’Église : « pour cela, il n’a, dès les débuts de l’Église, ordonné et utilisé pas uniquement une sorte de serviteurs pour rendre efficace le salut des siens(109) ». En conséquence de quoi il établit des précisions sur la manière d’élire et installer ces différents ministères, accordant « une grande place à l’imposition des mains (aussi dans le cadre du sacerdoce universel), à l’ordination pour les fonctions ministérielles(110) ».

Dans les débats contemporains, les Églises issues de la Réforme s’inspirent aujourd’hui largement de ce désir bucérien d’une pluralité de couleurs ministérielles ou de ministères reconnus, au service du ministère de tous dans l’Église et dans le monde. Il est remarquable de noter que des réformes et réflexions sont en cours dans toutes les composantes du protestantisme sur ce sujet de la diversification des ministères. Tant du côté luthéro-réformé que du côté du protestantisme évangélique, dans ses différentes composantes. De manière sommaire :

  • L’UEPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine) et l’EPUdF (Église protestante unie de France) viennent respectivement en 2020 et en 2024 de voter un modèle de diversification ministériel. L’EPUdF, après avoir choisi d’adopter le principe d’une reconnaissance d’un ministère ordonné-reconnu unique, en faisant droit à une diversité interne à celui-ci (pasteur de paroisse ; pasteur-aumônier ; pasteur-jeunesse ; pasteur-évangéliste ; pasteur-enseignant, etc.), vient de voter le principe de reconnaissance d’un ministère personnel « différent du ministère pastoral, adapté à la dynamique d’une Église de témoins(111) ». De son côté, l’UEPAL a opté pour le principe de l’établissement de sept ministères reconnus dans l’union avec une distinction sémantique et liturgique entre, d’un côté, le ministère holistique de la Parole et des sacrements (le ministère pastoral), faisant l’objet d’une reconnaissance-ordination, et de l’autre, six autres ministères personnels particuliers : prédicateur laïque ; assistant pastoral ; évangéliste ; diacre (en service social) ; aumônier ; animateur communautaire (catéchèse, jeunesse, formation, musique, animation sectorielle, etc.), faisant l’objet d’une « simple » liturgie de reconnaissance. Il est précisé que le propre de cet ensemble de ministères, ministères reconnus-ordonnés et ministères reconnus, est de l’être « une fois pour toutes, au regard d’une vocation particulière ».
  • Du côté évangélique, au niveau des quatre pôles ecclésiaux du CNEF, nous relevons que :
  • Lors de son séminaire 2023, le Réseau FEF traitait de la question de la diversité des ministères ; celui de 2024, des possibilités de mutualisation de ces ministères à l’échelon translocal.
  • Au niveau des Assemblées de Dieu, l’un des chantiers majeurs ouverts lors du congrès 2024 est aussi celui de la diversité des ministères (et celui du ministère pastoral féminin).
  • Au niveau du pôle d’expression pentecôtiste et charismatique, une des grandes questions en travail est celle du ministère apostolique, et du travail en équipe apostolique, à l’échelle de réseaux translocaux. Un document remarquable écrit par plusieurs figures de ce mouvement a été rédigé sur le sujet en 2020(112).
  • Le pôle des Églises évangéliques de la FPF n’est pas en reste sur le sujet. Pour ne parler que d’elle, la FEEBF par son Conseil national sur proposition de la Commission des ministères vient de voter (avril 2023) le principe de l’identification, au sein d’un corps pastoral unique, d’une diversité de profils ou couleurs ministérielles (pasteur-enseignant ; pasteur-implanteur ; pasteur-jeunesse, etc.). Avec la volonté « politique » d’accompagner intentionnellement la découverte et l’approfondissement de la vocation spécifique de chacun. C’est ainsi, comme nous l’avons souligné précédemment, que le Conseil national a proposé au congrès 2024 comme axe stratégique de travail pour les années à venir « d’accompagner chaque pasteur dans la découverte de son profil ministériel et dans la mise à disposition d’une partie de son temps au service d’un ministère translocal (au niveau de notre fédération ou au-delà) ».

Ceci pose la question pratique de l’articulation de cette diversité et de son financement dans une ecclésiologie de type congrégationaliste, largement majoritaire dans le monde évangélique. Une ecclésiologie qui a, jusqu’alors, essentiellement fonctionné selon le schéma d’un ministère pastoral généraliste dédié à une communauté locale (un pasteur, une Église). Cette question est l’une des questions clés identifiées dans le travail que va engager la prochaine communauté d’apprentissage du CNEF sur le sujet des ministères (2025-2028).

2. Promouvoir cette diversité ministérielle à l’échelle translocale dans une ecclésiologie de type congrégationaliste

Si un travail de fond est ainsi à mener au niveau de chaque union, selon sa culture et ses accents ecclésiologiques propres, nous aimerions, dans les lignes qui suivent, proposer trois pistes pour avancer dans la réflexion pratique.

a. Aider le corps pastoral à découvrir et déployer son service translocal

Cette volonté est engageante et appelle une triple responsabilité :

  1. celle de l’union d’Églises de se donner les moyens d’accompagner les ministères dans la découverte et le déploiement de leur vocation spécifique au service de l’Église « grand angle » ;
  2. celle du pasteur de s’y former et de s’y consacrer ;
  3. celle de l’Église locale de libérer ce dernier pour un service qui la dépasse.

C’est en ce sens, nous le soulignions, que le Conseil national de la FEEBF a proposé, lors du congrès 2024, comme axe stratégique de travail pour les années à venir « d’accompagner chaque pasteur dans la découverte de son profil ministériel et dans la mise à disposition d’une partie de son temps au service d’un ministère translocal (au niveau de notre fédération ou au-delà) ». En y mettant les moyens nécessaires, deux actions pourraient servir une telle ambition fédérative :

  1. Travailler à la mise en place d’un dispositif sérieux de « suivi RH » au niveau des unions, proposant :
    1. des outils de détection des dons/profils ministériels en début de « carrière pastorale » ;
    2. un accompagnement structuré, professionnel et bienveillant, tout au long de la « carrière » pour encourager chacun à réellement progresser dans sa vocation spécifique ;
    3. un fond de formation continue conséquent permettant à chacun de se former en conséquence, selon son appel propre (par exemple : master en implantation ; formation en relation d’aide, en spiritualité, en conseil conjugal et familial, en management ; doctorat en éthique, etc.) ;

  2. établir formellement auprès de l’Église locale le fait que le pasteur est appelé normalement à consacrer une partie de son temps à un service translocal, dans son union ou au-delà, selon le charisme qu’il a reçu (direction, enseignement, mission, stimulation à l’évangélisation, diaconie nationale, aumônerie, etc.). Cette part translocale est à apprécier en contexte, en dialogue entre le ministre et la communauté locale qu’il sert. Le repère d’au moins la « dîme de son temps » est parfois mobilisé dans certains milieux pour rappeler pédagogiquement à la communauté locale que l’engagement au service de l’Église « grand angle » fait partie de l’être pastoral, et que cela est bon pour le ministère, l’Église et le corps ecclésial plus vaste auquel elle appartient. C’est ainsi que les CAEF (Communautés et assemblées évangéliques de France), par exemple, ont choisi, depuis quelques années, d’écrire la nature et la mesure de cet engagement « extra-local » dans un contrat tripartite liant en début de poste les CAEF, l’Église et le ministère qui lui est confié. Un engagement translocal qui peut régulièrement aller jusqu’à 25 % du temps du pasteur. Un dispositif comparable est développé au niveau de l’union d’Églises Perspectives.

b. Encourager de nouvelles solidarités au niveau régional

Une deuxième piste consisterait dans la mise en place de nouvelles solidarités ecclésiales par la mise à disposition d’une partie du temps du ministre au service des Églises qui se trouvent en proximité géographique de la communauté qu’il dessert (au niveau d’une ville, d’un département, d’une région ; à l’échelle d’une union ou au-delà), en fonction des dons et de la couleur ministérielle qu’il porte. Il s’agirait d’une manière concrète de vivre en proximité la complémentarité des ministères, d’aider les Églises à prendre conscience qu’elles appartiennent à une réalité plus vaste et à vivre en solidarité les unes avec les autres. Une manière aussi pour les ministères de s’enrichir par d’autres contextes ecclésiaux variés et ainsi « d’aérer » leur pratique. Dans les contextes où de tels échanges se vivent ponctuellement, la pratique pourrait être intensifiée et des collaborations créatives envisagées. Nous pouvons aussi signaler l’initiative récente des Églises baptistes de Lyon et de Clermont-Ferrand de définir ensemble un programme commun de groupes de quartier, défini par leurs pasteurs respectifs. Cette initiative stimulante a été documentée dans un article des Cahiers de l’École pastorale(113) ; elle pourrait être transposée à d’autres programmes ou d’autres ressources. Un pas supplémentaire pourrait être fait par la mutualisation de ministères partagés dans un réseau d’Églises : mise en place, par exemple, d’un ministère de pasteur jeunesse ou d’un ministère louange entre plusieurs Églises proches. Ici, nous pouvons citer le vécu des Églises FEEBF de la région Bretagne qui vivent une dynamique inspirante de partage des ministères ; l’expérience est certainement à observer et à dupliquer.

c. Développer et financer des ministères spécifiquement transversaux

De la même manière, libéré de ce paradigme localiste « une Église = un pasteur », nous pourrions, pour le plus grand profit de nos Églises et de leur développement, travailler davantage dans la direction du développement et du financement d’un nombre plus important de ministères transversaux au service de l’union ou au-delà (à temps partiel ou à temps plein) : ministères d’enseignement, d’évangéliste, de messenger des temps modernes ; ministères spécialisés dans l’enfance/jeunesse ; ministères de relation d’aide itinérants ; etc. Adossés à la réflexion ecclésiologique proposée dans les parties précédentes de cet article, nous soulignons ici l’enjeu de penser et signifier l’ecclésialité de ces ministères dans une liturgie d’installation dédiée, équivalent translocal des « cultes d’installation ». Ceci pour manifester aux Églises appelées à financer ce ministère situé à leur service qu’il s’agit là d’un ministère qui n’est pas autre chose que « pastoral(114) » au service d’une fédération qui n’est pas autre chose que l’Église. S’ouvrir, à l’avenir, à reconnaître cette diversité nous oblige également à penser, dès aujourd’hui, à la reconnaissance des ministères de type Éphésiens 4 qui se déploient déjà au sein de nos œuvres, ministères d’évangéliste ou de docteur par exemple. Afin de prolonger la réflexion initiée dans l’article publié dans les Cahiers de l'École pastorale « Pasteur-théologien - Promouvoir et reconnaître un ministère nécessaire pour l’Église(115) », comment pourrions-nous concrètement avancer vers la reconnaissance ministérielle, ecclésiale, de ceux qui forment nos pasteurs ? Nous avons là un exemple, parmi d’autres, de chantiers concrets à ouvrir.

Conclusion

Nous aimerions conclure ce parcours par une synthèse de ce que nous avons voulu apporter dans ce document avant d’ouvrir à la poursuite du dialogue.

Un résumé

Après avoir brossé un état des lieux des questions et des tensions ecclésiologiques qui traversent les traditions congrégationalistes, nous avons tenté de montrer que le Nouveau Testament témoigne du fait qu’une Église locale n’est pas « Église de Dieu » toute seule, qu’elle ne peut avoir en elle toutes les caractéristiques de l’ecclésialité que dans la mesure où elle ne se pense pas sans les autres. Après avoir décrit comment se déploie dans le Nouveau Testament cette dimension translocale de l’Église (un même fondement apostolique ; une capacité à se retrouver comme en Actes 15 pour prendre des décisions ensemble à l’échelon translocal ; le développement d’un travail en réseau ; la reconnaissance de ministères-dons à l’échelle de l’Église une ; l’exercice d’une solidarité financière entre les Églises ; la dimension missionnaire de l’Église, qui se traduit par des collaborations qui dépassent nécessairement le cadre d’une Église locale), nous avons avancé que l’échelon dénominationnel aujourd’hui – celui de l’union ou fédération d’Églises – crée un cadre propice à la mise en œuvre de ces aspects translocaux de la vie de l’Église.

Puisque ces relations ne sont pas accessoires à l’être et à la vie des communautés locales, mais en constituent au contraire une composante essentielle, nous avons exploré la dimension ecclésiale de ces relations et, ce faisant, l’ecclésialité d’une union d’Églises en congrégationalisme. En effet, si l’on affirme qu’une union d’Églises en congrégationalisme n’est pas autre chose que l’Église, comment penser son ecclésialité sans la confondre avec l’ecclésialité de l’Église locale ? La notion de mode d’ecclésialité nous a alors aidés à affirmer qu’en congrégationalisme l’Église locale est pleinement Église, et que nos unions sont aussi des manifestations de l’Église une. Elles ne sont pas autre chose que l’Église, mais elles le sont d’une manière différente de ce qu’est une Église locale.

Cinq critères permettent ainsi d’établir, pour chaque réalité ecclésiale (Église locale, pastorale régionale, union d’Églises, union d’unions, œuvre, etc.), sa « carte d’identité » propre :

  1. l’unité doctrinale (qui peut être plus développée en Église locale) ;

  2. l’étendue géographique (nationale pour la FEEBF par exemple, ou généralement à l’échelle d’une agglomération pour une communauté locale) 

  3. la fréquence du rassemblement ;

  4. l’objectif de la communauté (différent pour une union, une œuvre, une Église locale, etc.) ;

  5. le statut des rassemblés (les Églises locales pour la FEEBF ; l’ensemble des membres et sympathisants pour une communauté locale). Les modes d’ecclésialité différents, identifiés par ces cinq critères, permettent ainsi d’éclairer les distinctions et les spécificités de chaque « communauté ecclésiale », qu’elle soit une Église locale, une union ou une union d’unions comme le CNEF ou la FPF. Chacune peut assumer sa vocation et sa responsabilité propre, à son échelle, sans fusion ni confusion avec les autres, et sans chercher à absorber les responsabilités de l’autre.

Nous avons poursuivi en mobilisant la notion de réception, avançant qu’au moyen de celle-ci, c’est-à-dire en recevant des décisions qu’elles ne se sont pas données à elles-mêmes, les Églises locales manifestent leur communion et scellent l’unité de l’Église une. Pour une Église locale en congrégationalisme, ce processus ne relève pas d’une simple obéissance aux instances d’une union ou d’une fédération, mais bien plutôt d’un discernement spirituel où l’Église locale reconnaît, dans ces décisions prises à une échelle plus large (en congrès notamment), la pensée du Christ pour elle. Guidés par l’Écriture, en se plaçant « dans son axe », nourris par la prière et renouvelés par l’Esprit, les délégués des Églises réunis en congrès, les membres d’un conseil national ou d’une commission prendront donc les décisions qu’ils croient préférables dans un contexte et un moment donnés.
Ainsi, nous avons posé que l’autorité des textes dont une union d’Églises se dote, c’est l’autorité des Églises en communion. Ces textes sont donc contraignants pour chaque communauté au regard du choix posé d’entrer dans une communion qui engage. Et, si une Église locale ne recevait plus, pour une raison ou une autre, la confession de foi de l’union à laquelle elle adhère, ou tout autre texte de ce type, il lui appartiendrait, au terme d’un dialogue à vivre, de sortir de la communion d’Églises. Nous avons tenu à préciser que, si les textes fédératifs font autorité, en tant que fruit du discernement de la pensée du Christ et en tant que sceau de l’union entre les communautés, ils n’entendent pourtant pas tout régir. À côté des textes, il y a place pour la diversité. On peut, par exemple, considérer que ce qui n’est pas abordé par la confession de foi est implicitement laissé à la libre appréciation des communautés et des ministres. Dire que la communion dépend d’un accord sur les articles de cette confession, c’est dire, comme en « négatif », que la communion n’est pas mise en jeu par une diversité de vues sur des points secondaires. Au service de cette communion, et dans le respect des missions afférentes à l’échelon de l’union et à celui des Églises locales, nous avons établi la légitimité du rôle des instances d’une union d’Églises, l’autorité (déléguée) de service qui en procède, ainsi que celle des ministères translocaux qui agissent au service de cette communion.

Dans une dernière partie, nous avons souhaité explorer l’ecclésialité des ministères qui se déploient dans cette dimension, au service de l’Église une et de sa mission, et d’en tirer un certain nombre d’applications pratiques. Nous avons souligné que, dans beaucoup d’Églises issues de la Réforme, le ministère pastoral – ministère spécifique de la Parole au service du ministère de tous les croyants (principe du sacerdoce universel) – faisait l’objet d’une reconnaissance spécifique. N’étant pas lié à une Église particulière comme sa « possession », mais donné à l’Église une, il est reconnu par une union, au service de l’ensemble de ses Églises. C’est, par exemple, le cas dans la FEEBF. En conséquence, en congrégationalisme, si le ministère pastoral peut être offert successivement à plusieurs Églises locales, il nous a semblé juste de considérer qu’il puisse l’être simultanément à plusieurs communautés. Cela fonde ainsi la possibilité de ministères pastoraux transversaux, situés sur des missions diverses au service de tout ou partie des Églises d’une union. Ce service pouvant s’exercer à temps partiel ou à temps plein (par exemple un ministère de directeur enfance-jeunesse d’une union), aussi bien lors de la vie ministérielle « active » que lorsque l’heure de la retraite sonne.

Nous avons conclu en affirmant que le caractère translocal du ministère pastoral autorise ainsi une diversité de profils, de cadres, de modes et d’étendues. Il justifie le développement et le financement de ministères spécifiquement transversaux dans leur exercice au niveau d’une fédération, à l’échelle nationale ou régionale. Ainsi, il peut aussi encourager la mise en place de nouvelles solidarités ecclésiales au niveau régional par le partage de plusieurs ministères pastoraux complémentaires, à distance du modèle congrégationaliste classique « un pasteur = une Église ».

Une invitation au dialogue

Cet article est à recevoir comme un jalon, une invitation à poursuivre la réflexion. Alors, emparez-vous de ce que le comité de réflexion théologique de la FEEBF adresse ici comme proposition : faites vivre cette réflexion dans vos Églises, vos unions et dans tous les lieux de dialogue, en France ou au-delà, dans les cercles baptistes et plus largement, et n’hésitez pas à nous faire parvenir vos retours ! Si ce texte est clairement situé dans la tradition évangélique (congrégationaliste), et vise prioritairement à faire vivre un dialogue ecclésiologique en son sein, ses auteurs, particulièrement conscients que l’Église une ne se limite pas aux frontières du monde évangélique, veulent adresser cet apport ecclésiologique aux autres traditions. Ceci pour aiguiser la réflexion commune. La recension d’Anne-Cathy Graber portant dans le présent volume sur la catholicité des Églises (ouvrage du groupe des Dombes) témoigne ainsi de ce désir d’ouverture et de cette volonté de dialogue. Dès lors, nous serions reconnaissants de bénéficier, à notre tour, du regard des autres confessions chrétiennes sur notre contribution. Il en va de notre fidélité, ensemble, au service de l’Église une.

Recevez ce numéro
au format papier

12 €

J'achète ce numéro

Téléchargez ce numéro
au format ePub et PDF

7 €

J'achète ce numéro

Abonnement aux Cahiers de l'École pastorale

Je m'abonne

1.
Le Comité de réflexion théologique de la FEEBF se compose de : Erwan CLOAREC (président) ; Valérie DUVAL-POUJOL ; Paul Achille EFONA ; Stéphane GUILLET ; Arnaud JEUCH ; Timothée MINARD ; Thomas POËTTE.
2.
Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église : le congrégationalisme revisité », Les Cahiers de l’École pastorale, n°72, 2009, p.2.
3.
Thomas HELWYS, « A Declaration of Faith of English People », dans W.L. LUMPKIN, Baptist Confessions of Faith, King of Prussia, Judson Press, 1974, 19591, p.120, cité en français par Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église », Les Cahiers de l'École pastorale, n° 72, p.3.
4.
John SMYTH, « Principles and Inferences Concerning the Visible Church », dans The Works of John Smyth, Fellow of Christ’s College, 1594-8, Tercentenary Edition for the Baptist Historical Society, With Notes and Biography, vol. I, Forgotten Books, Cambridge, Cambridge University Press, 1915, p.252 ; Karl BARTH, « La nature et la forme de l’Église », dans L’Église, Genève, Labor et Fides, 1964, p.122 (initialement publié dans Les Cahiers protestants, vol.32, 1948, pp.76-84) ; Alain NISUS, « Les Églises congrégationalistes et l’épiskopè », Les Cahiers de l’École pastorale, n° 62, 2006, p.15 ; Nigel G. WRIGHT, Free Church, Free State, ‎Eugene, OR, Wipf and Stock, 2011, p.10.
De manière originale, Henry Jacob s’appuie plutôt sur Matthieu 18.17. Voir Henry JACOB, The Divine Beginning and Institution of Christs true Visible and Ministeriall Church, Leyden, Henry Hastings, 1610, p.40ss.
5.
Ce principe est développé par Alain NISUS, « Les Églises congrégationalistes et l’épiskopè », op. cit., p.17.
6.
Confession de Londres 1644, art. XLVII, notre traduction.
7.
Sébastien FATH, Une autre manière d’être chrétien en France, Coll. Histoire et société n° 41, Genève, Labor et Fides, 2001, p.530.
8.
Ibid. Fath montre aussi que l’autorité plus forte du modèle « fédératif souple » (FEEBF) est corrélée à une plus grande liberté théologique des Églises locales, alors que dans le modèle « associatif intégré » (AEEBLF), la plus faible autorité de l’union est corrélée à une orthodoxie davantage définie et contraignante pour les communautés locales (les reliant ainsi les unes aux autres).
9.
Principes ecclésiastiques de l’AEEBLF, art.1, alinéa 3 :
« L'Église locale n'a qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ. Autonome et responsable pour elle-même devant Dieu, elle est indépendante en matière religieuse de toute autre autorité. Elle ne saurait cependant vivre dans l'isolement et doit, dans la mesure du possible, rechercher et entretenir des relations fraternelles avec d'autres Églises qui partagent la même foi. »
Confession de foi de la FEEBF, art. « les Églises locales » alinéa 2 et 3 :
« [L’Église locale] est indépendante de toute autorité autre que celle de Jésus-Christ. Cependant, elle ne peut vivre dans l'isolement ; des liens fraternels l'unissent aux autres Églises dans la solidarité. »
10.
Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église ; le congrégationalisme revisité », op. cit., p.9.
11.
Frédéric GABRIEL, Jean-Pascal GAY et Michel STAVROU, « Catholicité », dans Frédéric GABRIEL, Dominique LOGNA-PRAT, Alain RAUWEL, sous dir., Dictionnaire critique de l’Église, Paris, PUF, 2023, pp. 89-90.
12.
Millard J. ERICKSON, Christian Theology, 2nd edition, Grand Rapids, Baker Publishing Group, 1998, p.1090, notre traduction.
13.
The Orthodox Creed 1678, art. 29 dans William L. LUMPKIN, Baptist Confessions of Faith, op. cit., p.319.
14.
Stephen R. HOLMES, Baptist Theology, London, T&T Clark, 2012, Coll. Doing Theology, p.98.
15.
Nous pouvons nous appuyer sur le constat de David Carter. Voir ses critiques adressées à Tracks and Traces, de Paul S. FIDDES in David CARTER et Paul FIDDES, ≪ Baptist Ecclesiology ≫, Ecclesiology 1/3, 2005, p.87, 92-93.
16.
Texte du coutumier ; « Le problème de l’unité et de nos rapports avec les autres Églises protestantes », adopté à l'unanimité par le Congrès de la FEEBF du 11 mai 1961.
17.
Paul M. HARRISON, Authority and Power in Free Church Tradition - A Social Case Study of the American Baptist Convention, Princeton, Princeton University Press, 1959, p.102, n° 50. Voir aussi la remarque de Timothée Minard pour la situation de la FEEBF : Timothée MINARD, « La diversité des ministères : réflexions à partir d’Éphésiens 4, Les Cahiers de l’École pastorale, n°110, 2018, pp.53-54. Il faut cependant noter que ce constat vaut aussi pour des dénominations qui désignent leur union comme « Église » (singulier). C’est le cas de l’Église protestante unie de France par exemple. Dans le cas du baptisme, ce constat devient tout de même le signe (le symptôme ?) de la difficulté à penser théologiquement la translocalité de l’Église.
18.
Il est d’ailleurs remarquable de voir que dans les principes ecclésiastiques de la FEEBF, pour parler des ministères « mis à part », cet article cite, entre autres, Actes 13.1-3 où c’est un conseil réduit de responsables qui discerne en son sein « ceux que Dieu a mis à part ».
19.
Statuts de la FEEBF, Art 11, point 1 : « Il veille à ce que la Fédération et chacune des associations cultuelles qui la composent restent fidèles à leurs principes constitutifs tels qu'ils résultent des présents Statuts et de ceux des dites associations. »
20.
Confession de Londres 1644, art. XLVII.
21.
Au singulier : Mt 18.20 ; Ac 13.1 ; 1 Cor 1.2 ; 2 Co 1.1 ; Ph 4.15 ; Ap 2.1,8,12… Au pluriel : Ac 15.41 ; Rm 16.4 ; Ga 1.2 ; 1 Th 2.14 ; Ap 1.20 ; 2.7…
22.
Mt 16.18 ; 1 Co 12.28 ; Ep 1.22 ; 3.10 ; 5.25,27 ; Col 1.18,24 ; 1 Tm 3.15…
23.
Voir à ce sujet Sylvain ROMEROWSKI, « Une Union d’Églises, pourquoi ? » dans Les Cahiers de l’École pastorale, n° 46, 2002, pp.22s (désigné plus loin comme CEP 46) ; Henri BLOCHER, La doctrine de l’Église et des sacrements, tome 1, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2022, p.247.
24.
Émile NICOLE, « L’Église selon le Nouveau Testament » dans Les Cahiers de l’École pastorale, n° 31, 1999, (désigné plus loin comme CEP 31), p.5.
25.
Cf. 1 Co 11.16 ; 14.33b,36 et peut-être 1 Co 10.32 ; 11.22. Dans ce sens, on lira avec intérêt les réflexions de Robert SOMERVILLE, La première épître de Paul aux Corinthiens, tome 1, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2002, p.44 ; A.C. THIESELTON, The First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 2013, pp 74-75 ; G.D. FEE, The First Epistle to the Corinthians, Grand Rapids, Eerdmans, 1973, pp.33-34.
26.
Dans ce sens, Sylvain ROMEROWSKI, CEP 46, pp.19ss.
27.
G.E. LADD, Théologie du Nouveau Testament, Lausanne et Paris, volume 3, PBU & Sator, 1985, p 744 ; avec citation de K.L. Schmidt, Église, Genève, Labor et Fides, 1967, p 53.
28.
G.E. LADD, ibid, p.745.
29.
Sylvain ROMEROWSKI, CEP 46, p.20
30.
Émile NICOLE, CEP 31, p.6.
31.
CEP 46, pp.25-34.
32.
CEP 31, pp.7-8.
33.
Un aspect du fameux « pouvoir des clés » ; cf. H. BLOCHER, op cit, p.40.
34.
P.T. O’BRIEN, Lettre aux Éphésiens, Trois-Rivières, Québec, Éditions Impact, 2013, pp.102-104.
35.
Cf. Le Grand Dictionnaire de la Bible (GDB), Cléon d’Andran, Excelsis, 2004, p.1691.
36.
Ibid., p.1663.
37.
L’appellation « concile » reste discutée. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, Labor et Fides, Commentaire du Nouveau Testament 5b, 2015, p.85.
38.
Timothée MINARD, « La diversité des ministères ; réflexions à partir d’Éphésiens 4 », op. cit., pp.39-40.
39.
Jonathan CORNILLON, Tout en commun ? La vie économique de Jésus et des premières générations chrétiennes, Paris, Cerf, 2020, coll. Patrimoines, p.270.
40.
Marc LODS, « Le ministère épiscopal comme ministère d’unité dans l’église ancienne », dans Hokhma 4/1977, pp.1-17.
41.
Ibid, p.10.
42.
Ibid, p.8.
43.
Ibid, pp.12-13.
44.
CEP 46, pp.25ss.
45.
CEP 31, pp.6-7.
46.
Parmi les Églises évangéliques françaises, la forme la plus courante est celle de l’union, de l’association ou de la fédération regroupant des Églises locales au niveau national. Nous pensons, par exemple, à la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF), à l’Union des Églises évangéliques libres (UEEL) ou à l’Association évangélique d’Églises baptistes de langue Française (AEEBLF). Mais nous ne devons pas oublier la dimension internationale elle-même représentée par des unions, associations et fédérations continentales et mondiales. Pour simplifier la suite du propos, nous désignerons ce genre de structures par le titre d’union d’Églises.
47.
Dans le cadre du CNEF ou de la FPF par exemple.
48.
Gregg R. ALLISON, Sojourners and Strangers - The Doctrine of the Church, Foundations of Evangelical Theology, Wheaton, Crossway, 2012, p.137.
49.
Ibid., p.149. C’est l’auteur qui souligne. Voir aussi Miroslav VOLF, After Our Likeness, Grand Rapids, MI, Eerdmans Publishing Co, pp.137 138.
50.
Pour cela, la notion de localité/spatialité nous semble essentielle à développer, à l’heure où possibilité est donnée (aux yeux de certains) de vivre l’Église sur Internet. Et l’attention portée à cette possibilité s’est accrue depuis les confinements de 2020, liés à la pandémie de COVID-19.
51.
L’analogie appliquée aux modes d’ecclésialité nous a été suggérée par Jacques Nussbaumer.
52.
Ce critère pose la question de l’ecclésialité d’un événement chrétien unique, comme « Bouge ta France » en 2017 pour ne citer qu’un exemple. À la suite des critères que nous avons proposés, il s’ensuit qu’un tel événement est une sorte de « cas limite », dont l’ecclésialité pourrait poser question. Il relève bien de l’Église (comme les œuvres, voir plus bas), puisque ce sont des chrétiens qui se réunissent au nom du Christ, pour le célébrer et méditer sa Parole. On pourrait même considérer qu’il met au jour une communauté évangélique qui existe, en l’occurrence, même lorsqu’elle ne se rassemble pas (pour « Bouge ta France », le lien de partenariat avec le CNEF va dans ce sens). Mais il ne s’agit pas d’une Église pour autant, puisque l’engagement des uns envers les autres est très faible, la durabilité de la communauté quasiment inexistante.
53.
COMITÉ THÉOLOGIQUE DU CNEF, L’Église, les Églises et les œuvres, Marpent, BLF Éditions, 2016.
54.
Il n’est pas question ici des œuvres directement rattachées à une Église locale, qui sont bien souvent considérées, à juste titre, comme des départements de l’Église.
55.
COMITÉ THÉOLOGIQUE DU CNEF, L’Église, les Églises et les œuvres, op. cit., p.15 [du doc non publié].
56.
Le statut des rassemblés peut, par exemple, permettre d’identifier les liens structurels entre une œuvre et une union d’Églises : des représentants de telle union ou tel mouvement siègent-ils au conseil d’administration de l’œuvre ? À titre d’exemple, deux membres du CA du CNEF siègent au CA de l’association SEL, ce qui signifie institutionnellement la volonté du SEL d’inscrire son existence et ses missions comme procédant de l’Église une.
57.
Ibid., p.16.
58.
Jacques NUSSBAUMER, « Une autorité pour servir… et interpeller ? », dans Pierre BLANZAT, Jean-François CHIRON, et Anne-Noëlle CLÉMENT (sous dir.), L’Écriture, pierre angulaire et pierre d’achoppement. Actes du colloque œcuménique des 16 & 17 novembre 2021 organisé par Unité chrétienne et la Faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon, Lyon, Olivétan, 2023, p.110.
59.
Voir Gilbert VINCENT, « Pouvoir et autorité dans les Églises issues de la Réforme », Hokhma, n° 66, 1997, p.5.
60.
Paul FIDDES, Tracks and Traces. Baptist Identity in Church and Theology, Studies in Baptist History and Thought, vol. 13, Eugene, OR, Wipf and Stock Publishers, 2003, p.21.
61.
Ibid., p.86.
62.
Si l’on n’est pas prêt à aller jusque-là, on reconnaîtra au minimum que l’existence de l’union relève de l’Église universelle.
63.
Jacques NUSSBAUMER, « La sagesse chrétienne, victime collatérale des réseaux sociaux en crise d’infox », Les Cahiers de l’École pastorale, n° 129, 2024, p.38.
64.
Jacques NUSSBAUMER, « Une autorité pour servir… et interpeller ? », op. cit., p.116. L’auteur fait allusion à Kevin VANHOOZER, First Theology, Downers Grove & Leicester, IVP & Apollos, 2002, pp.17-21.
65.
Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église ; le congrégationalisme revisité », Les Cahiers de l’École pastorale, n° 72, 2009, p.11.
66.
Il vaut la peine de citer celle-ci in extenso :
« Par “réception” nous entendons ici le processus par lequel un corps ecclésial fait sienne en vérité une détermination qu’il ne s’est pas donnée lui-même, en reconnaissant, dans la mesure promulguée, une règle qui convient à sa vie. Il y a, dans la réception, bien autre chose que ce que les Scolastiques entendent par obéissance. Pour ces derniers, elle est l’acte par lequel un subordonné règle sa volonté et sa conduite par le précepte légitime d’un supérieur, par respect pour l’autorité de ce dernier. La réception n’est pas la pure et simple réalisation du rapport “secundum sub et supra” [de l’inférieur au supérieur] ; elle comporte un apport propre de consentement, éventuellement de jugement, où s’exprime la vie d’un corps qui exerce des ressources spirituelles originales. » Voir Yves CONGAR, « La “réception” comme réalité ecclésiologique », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, n°56/3, 1972, p.370.
67.
Ibid., p.374.
68.
Ibid., p.393.
69.
Il s’agit d’une confession de foi sur la Trinité de Dieu, que l’on retrouve facilement en ligne.
70.
Yves CONGAR, « La “réception” comme réalité ecclésiologique », op. cit., p.379.
71.
Ibid., p.392.
72.
Paul S. FIDDES, Tracks and Traces, op. cit., p.213. C’est l’auteur qui souligne.
73.
Paul S. FIDDES, « Baptist Concepts of the Church and their Antecedents », dans Paul AVIS (sous dir.), Oxford Handbook on Ecclesiology, Oxford, Oxford University Press, 2018, p.301. Voir aussi Paul S. FIDDES, Tracks and Traces, op. cit., pp.211s.
74.
Ibid. C’est l’auteur qui souligne.
75.
Alain NISUS, L’Église comme communion et comme institution - Une lecture de l'ecclésiologie du cardinal Congar à partir de la tradition des Églises de professants, Paris, Cerf, 2012, coll. Cogitatio Fidei, n°282, p.450.
76.
Collectif, « Pasteur-théologien. Promouvoir et reconnaître un ministère nécessaire pour l’Église », Théologie évangélique, n° 22/2, 2023, p.124.
77.
Voir infra : III. Translocalité de l’Église et ministères translocaux
78.
Voir Yves CONGAR, « La “réception” comme réalité ecclésiologique », op. cit., pp.392,394.
79.
Voir Alain NISUS, L’Église comme communion et comme institution, op. cit., p.449.
80.
Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (13-28), op. cit., p.107.
81.
Voir la manière dont les fondateurs de la Compagnie de Jésus (les jésuites) exprimèrent leur recherche de la volonté de Dieu en 1539, et les commentaires à ce sujets de Jean-Claude Dhôtel, respectivement dans Jean-Claude DHÔTEL, Discerner ensemble - Guide pratique du discernement communautaire, Paris, Éditions Vie chrétienne, 2013, pp.12, 25, 67.
82.
Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église », op. cit., p.10. C’est l’auteur qui souligne.
83.
Voir aussi l’article 15 ; « L’Assemblée générale ordinaire […] procède à l’admission de nouvelles associations ainsi qu’à l’exclusion de celles qui cesseraient de se conformer aux présents Statuts. » Bien sûr, cette rupture de communion, si elle a lieu, devra cependant être mise en œuvre avec la plus grande prudence, la plus grande sagesse et le plus grand amour, et ceci par l’ensemble des acteurs.
84.
Il serait d’ailleurs utile qu’il soit mis à jour avec les textes votés ces dernières années (« Charte du moniteur enfance », « Charte contre les violences conjugales »), et qu’il soit (de nouveau) systématiquement envoyé aux nouveaux pasteurs et aux nouvelles communautés qui rejoignent la FEEBF, dans sa version complète. La version abrégée et mise en forme demeure utile pour les membres de nos communautés, qui n’ont pas forcément besoin d’avoir lu l’ensemble des textes fédératifs.
85.
Voir Alain NISUS, « Autorité et gouvernement de l’Église ; le congrégationalisme revisité », op.cit., p.9.
86.
Cf. supra.
87.
« Les pasteurs baptistes et les missionnaires membres d’une Église fédérée, les directeurs d’œuvres, les pasteurs de la fédération retraités qui ne sont pas délégués ou membres du conseil, participent aux assemblées générales avec voix consultative. »
88.
Gottfried HAMMANN, « Le point de vue d’un historien de la Réforme », in Pierre BÜHLER et Carmen BURKHALTER (éd.), Qu’est-ce qu’un pasteur ? Une dispute œcuménique et interdisciplinaire, Genève, Labor et Fides, 2018, p.68.
89.
Jean BOSC, L’unité dans le Seigneur, Paris, Éd. Universitaires, 1964, p.102.
90.
Christophe PAYA, « État des lieux du ministère pastoral en contexte évangélique, rendant compte des débats et des pratiques actuels », dans Evert VELDHUIZEN, sous dir., Les pasteurs, acteurs avec leur temps. Une profession en constante évolution, Cahiers de l’APF, n° 45-46, 2016-2017, p.113.
91.
Au 17e siècle, Thomas Grantham (baptiste) a écrit une défense biblique du ministère des messengers (messagers), qu'il considère comme des « successeurs des successeurs des apôtres ». Voir Thomas POËTTE, Penser la translocalité de l’Église à partir de la notion d’alliance. Évaluation de l’ecclésiologie de Paul S. Fiddes, Mémoire de recherche, Vaux sur Seine, 2022, p.35.
92.
The Orthodox Creed 1678, op. cit., pp.319 320.
93.
Texte interne des CAEF, « Les relations entre l’Église locale et l’Union d’Églises », accessible https://www.caef.net/index.php/ressources/textes-de-reference.html, consulté le 09/12/24.
94.
Comité théologique du CNEF, L’Église, les Églises et les œuvres, op. cit., p.37.
95.
Christophe PAYA, « État des lieux du ministère pastoral en contexte évangélique, rendant compte des débats et des pratiques actuels », op. cit., p.113.
96.
Constitution de l’UEEL, ART. C.41.
97.
Constitution de l’UEEL, ART. C.42.
98.
Le discernement final appartenant in fine au pasteur en mouvement et à l’Église locale qui le recevrait
99.
Il faut dire ici que les services au niveau translocal ne sont absolument pas réservés aux pasteurs reconnus ni d’ailleurs aux seuls pasteurs. Des membres d’Église siègent régulièrement dans les instances et les lieux de service des unions d’Églises et des œuvres chrétiennes. Nous soulignons en revanche que le fait que les ministères soient reconnus à l’échelon translocal implique dans leur être même qu’ils portent le souci de l’Église tout entière, et servent selon leurs dons au service de l’Église une.
100.
Collectif, Clément BLANC, Erwan CLOAREC, Marc DÉCLAUDURE, Nicolas FARELLY, Xavier LEVIEILS, Jacques NUSSBAUMER, Christophe PAYA, Thomas POËTTE. « Pasteur-théologien ; promouvoir et reconnaître un ministère nécessaire pour l’Église  », Les Cahiers de l’École pastorale,  n° 129, 2023, p.18.
101.
Roger BARILIER « Ordination pastorale et autorité du ministère », La Revue réformée, n° 163, 1990, pp.27-28.
102.
Richard GELIN, « Quand sonne l’heure de la retraite », Les Cahiers de l’École pastorale, n° 131, 2024, pp.23-43.
103.
Nb 8.23-26.
104.
Richard GELIN, « Quand sonne l’heure de la retraite », op. cit., pp.42-43.
105.
Jérôme COTTIN, Les pasteurs - Origine, intimité, perspectives, Genève, Labor et Fides, 2020, p.48.
106.
André BIRMELÉ, « Le ministère dans les Églises de la Réforme », Positions Luthériennes, n° 28, 1981, p.195.
107.
Gottfried HAMMANN, Entre la secte et la cité - Le projet d’Église du Réformateur Martin Bucer (1491-1551), Genève, Labor et Fides, coll. Histoire et société, n° 3, 1984, p.281.
108.
Jérôme COTTIN, Les pasteurs - Origine, intimité, perspectives, op. cit., p.59.
109.
Ibid., p.65.
110.
Ibid., p.72.
111.
« Mission de l’Église et ministères », synode national de l’Église protestante unie de France réuni à Toulon du 8 au 11 mai 2024, https://epudf.org/wp-content/uploads/2024/05/SN-2024-_-Mission-de-lEglise-et-ministeres-decisions.pdf, consulté le 09/12/2024.
112.
R. ANZENBERGER, F. JEANNERET, C. KUHN, N. LAMBERT et JM. POTENTI, Le ministère apostolique et l’Église, https://anzenberger.net/onewebmedia/Apostolat.pdf, consulté le 09/12/2024.
113.
Éric LE GUEHENNEC et Kévin LE LEVIER, « Un cas pratique autour des groupes de maison », Les Cahiers de l’École pastorale, n° 123, 2022, pp.69-77.
114.
Dans le sens de ministères de la Parole de type « Éphésiens 4 » visant le soin, le développement et la cohésion du corps ecclésial.
115.
Collectif, « Pasteur-théologien ; promouvoir et reconnaître un ministère nécessaire pour l’Église », op. cit.

Vous aimerez aussi

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail nous permet :

  • de vous reconnaitre et ainsi valider automatiquement vos commentaires après 3 validations manuelles consécutives par nos modérateurs,
  • d'utiliser le service gratuit gravatar qui associe une image de profil de votre choix à votre adresse e-mail sur de nombreux sites Internet.

Créez un compte gratuitement et trouvez plus d'information sur fr.gravatar.com

Chargement en cours ...